You also want an ePaper? Increase the reach of your titles
YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.
40 • LE LIBRAIRE • AVRIL | MAI 2013<br />
5 BD exceptionnelles<br />
en noir et blanc<br />
UNE SÉLECTION DE LA LIBRAIRIE<br />
GALLIMARD (MONTRÉAL)<br />
FROM HELL<br />
Alan Moore et Eddie<br />
Campbell (Delcourt)<br />
De 1989 à 1996, Alan Moore et<br />
Eddie Campbell ont périodiquement<br />
livré les épisodes qui consti -<br />
tuent la somme de From Hell,<br />
roman graphique par excellence : la<br />
traque de Jack l’Éventreur comme prétexte à une<br />
exploration des strates sociales du Londres victorien.<br />
ALACK SINNER. L’ÂGE<br />
DE L’INNOCENCE<br />
Carlos Sampayo et<br />
José Muñoz (Casterman)<br />
Privé new-yorkais, sentimental,<br />
porté sur la bouteille et le jazz, Alack<br />
Sinner n’a pas son pareil pour se<br />
mettre dans les pires histoires. <strong>Le</strong>s<br />
clairs-obscurs, les perspectives bancales<br />
et les changements de style graphique de Muñoz<br />
magnifient ce classique de la bande dessinée policière.<br />
TOUT SEUL<br />
Chabouté (Vents d’ouest)<br />
Qu’est-ce que le monde lorsqu’on a<br />
passé toute sa vie dans un phare au<br />
large de la côte, avec pour seul compagnon<br />
un dictionnaire? Avec cette<br />
ode à l’imagination d’une poésie et<br />
d’une puissante maîtrise graphique,<br />
Chabouté bouleverse en douceur.<br />
LES POCHES PLEINES<br />
DE PLUIE<br />
Jason (Carabas)<br />
Désabusé, fantasmagorique, troublant,<br />
l’univers de Jason se berce<br />
d’obsessions classiques : « l’amour, la<br />
solitude, le cinéma, Hemingway... »<br />
ou les extraterrestres. Sa plume<br />
minimaliste illustre à merveille des<br />
histoires d’une absurdité rare.<br />
HOKUSAI<br />
Shôtarô Ishinomori (Kana)<br />
L’exceptionnel talent d’Ishinomori<br />
pour raconter des histoires se conjugue<br />
à son dessin fin et dense :<br />
il nous sert ainsi cette magnifique<br />
biographie d’Hokusai, l’illustre<br />
maître de l’estampe dans le Japon<br />
du début XIX e siècle.<br />
ENTREVUE<br />
ARTHUR DE PINS<br />
En avant, marche!<br />
Encore en deuil du génial triptyque « La marche du<br />
crabe », dont l’ultime volet est paru en début d’année,<br />
nous constatons que le bédéiste Arthur de Pins ne<br />
nous aura pas délaissés trop longtemps. En effet, les<br />
premières pages du troisième tome de sa non moins<br />
géniale série « Zombillénium » ont commencé à circuler<br />
dans le Journal de Spirou, pour notre plus grand<br />
bonheur. Rencontre avec un auteur et dessinateur<br />
éminemment sympathique dont le talent et la diversité<br />
ne cessent de nous étonner.<br />
Par Anne-Marie Genest,<br />
de la librairie Pantoute (Québec)<br />
Dans votre carrière de bédéiste, vous avez exploré plusieurs genres. Comment passe-t-on des histoires<br />
coquines et très urbaines de la série « Péchés Mignons » aux tribulations d’une panoplie de montres de<br />
« Zombillénium » et à la fable à teneur sociologique et même philosophique de « La marche du crabe »?<br />
Disons que ces séries ne sont pas parues dans l’ordre où les sujets m’ont intéressé. En résumant<br />
grossièrement, je dirais que mes trois séries correspondent chacune à une période de ma vie : l’enfance<br />
pour « Zombillénium », l’adolescence pour « Péchés Mignons » et l’âge adulte pour les « Crabes ».<br />
Un des dénominateurs communs de vos bandes dessinées est de ne pas raconter l’histoire d’un seul<br />
personnage, mais bien d’en mettre plusieurs à l’avant-plan. Est-ce un choix délibéré?<br />
Bien sûr. Pour « Zombillénium », les personnages forment une famille recomposée face à l’adversité. Dans<br />
les « Crabes », bien qu’il y ait des héros, l’histoire traite d’un groupe, d’une population. À l’instar des<br />
Schtroumpfs, des Shadoks ou des Tanukis, ce n’est pas grave si le lecteur confond les crabes. L’histoire parle<br />
de l’effet de groupe et du destin de ce groupe.<br />
Vous dites vouloir exprimer, avec « La marche du crabe », les grands mouvements qui ont mené le<br />
XX e siècle. Pouvez-vous développer?<br />
<strong>Le</strong>s « Crabes » sont une fable sur la bêtise humaine et sur la norme, comme peut l’être La ferme des animaux<br />
d’Orwell. Au travers de leur incapacité à tourner, les crabes passent par différents stades : d’abord l’inquisition,<br />
ensuite la révolution des mœurs, puis l’individualisme. Ce sont les bouleversements qui ont jalonné le<br />
XX e siècle : dogme, mai 68, ultralibéralisme... Dans les « Crabes », certains parmi les révolutionnaires<br />
deviennent les nouveaux dictateurs, à l’instar des révolutions française, russe, cubaine... et des cochons<br />
dans l’œuvre de George Orwell.<br />
Vous dites aussi vous être inspiré de gens de votre entourage pour certains personnages de<br />
« Zombillénium ». En est-il de même pour « La marche du crabe »?<br />
Contrairement à « Zombillénium », je ne me suis pas inspiré de personnes, mais de façons de penser. Lorsque<br />
j’étais ado, dans la période où typiquement on cherche un peu sa route, un ami de l’époque m’avait dit ceci :<br />
« Tu devrais arrêter de te poser des questions sinon tu vas tourner en rond. Dans la vie, il faut aller droit<br />
devant soi. » Vingt ans plus tard, je trouve toujours cette phrase complètement débile, mais il m’arrive parfois<br />
de me demander s’il n’avait pas un peu raison. Bref, cette façon de penser est représentée par les crabes<br />
« rigides », ceux avec les croix sur la carapace, dans le tome 2. Je peux en tout cas vous dire le personnage<br />
que je suis, moi : Bateau.<br />
Dans les trois tomes de « La marche du crabe », on peut sentir certaines références graphiques à des<br />
œuvres connues, telles que des affiches de propagande ou des tableaux d’Andy Warhol. Effectuez-vous<br />
une recherche visuelle en préparation de vos bandes dessinées?<br />
Oui, l’aspect graphique est très important. Pour les « Crabes », j’ai effectué des recherches sur le graphisme<br />
des années 60-70 et en deçà. Au-delà de l’aspect esthétique rétro, il me fallait de vraies références au<br />
XX e siècle pour parler de sujets comme la norme et la conscience de masse.