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M<br />
L E M O N D E D U L I V R E<br />
8 • LE LIBRAIRE • AVRIL | MAI 2013<br />
<strong>Le</strong>s bruits du monde<br />
Livre-disque<br />
Rodney Saint-Éloi et Laure Morali, dir.<br />
Esthétique de la prédation<br />
Hyam Yared<br />
RêvHaïti<br />
Kamau Brathwaite<br />
Palette poétique<br />
métissée<br />
Jacques Roche, je t’écris cee lere<br />
Rodney Saint-Éloi<br />
Pakèt Kongo<br />
Sébastien Doubinsky<br />
<strong>Le</strong> pyromane adolescent<br />
James Noël<br />
_______________<br />
1260 Bélanger, bureau 201, Montréal, Québec H2S 1H9<br />
Tél. : 514 989-1491, Télec. : 514 938-9217<br />
www.memoiredencrier.com info@memoiredencrier.com<br />
Ouvrir son Devoir du samedi. En une, l’annonce d’un<br />
dossier consacré à la twittérature. Parcourir le journal,<br />
curieux. Lire. Puis, une mention anodine, quasi irréelle :<br />
« Disponible sur iBookstore ». Point. Une douche<br />
froide en moins de 140 caractères.<br />
Pas de doute, la boutique numérique d’Apple fait<br />
dorénavant partie du paysage de la vente en ligne. Un<br />
nombre croissant d’ouvrages québécois y est offert. <strong>Le</strong><br />
livre d’ici s’y perd cependant entre des amas de livres<br />
anglophones. C’est ce qu’on appelle l’évolution, paraîtil.<br />
Je préfère parler de dissolution. Qu’on ne se<br />
méprenne pas, je ne critique pas l’existence de ce<br />
magasin planétaire. Il constitue une vitrine connue,<br />
populaire, universelle. Mais, somme toute, l’auteur,<br />
l’éditeur, le lecteur… sont-ils gagnants? J’en doute.<br />
La musique a marqué le virage. « Disponible sur<br />
iTunes », susurre-t-on à la radio, souligne-t-on dans les<br />
revues spécialisées, carillonne-t-on sur les pages<br />
Facebook des artistes et maisons de disques. La<br />
transition vers le numérique a été chaotique pour<br />
l’industrie musicale. Suffit de voir ce qu’on en disait lors<br />
du récent Forum sur la chanson québécoise. <strong>Le</strong> milieu<br />
a été disséqué. <strong>Le</strong>s maisons de disques, les artistes se<br />
sont appauvris. <strong>Le</strong>s disquaires ont été anéantis ou<br />
presque. Partout désormais, on lit, on entend, on voit<br />
« Disponible sur iTunes ». Comme si le détaillant local<br />
n’avait plus de valeur. Comme si la culture pouvait se<br />
passer de ses meilleurs porte-étendard. Comme si,<br />
pour embrasser la planète, il fallait nécessairement<br />
délaisser son voisin.<br />
L’émerveillement et le sentiment de réussite que<br />
suscite une présence sur cette vitrine m’agacent. Ce<br />
seul fait conférerait-il au livre un statut supérieur? <strong>Le</strong><br />
livre s’en trouve-t-il marqué d’un sceau d’excellence?<br />
Ça se propage, tel un rhume dans une salle close. Un<br />
auteur se félicite d’y retrouver son livre. Un éditeur<br />
annonce à grands cris son arrivée sur la plateforme.<br />
Puis, <strong>Le</strong> Devoir claironne la possibilité d’y télécharger<br />
son recueil inédit.<br />
Dans un tel contexte, nous avons tout lieu, profession -<br />
nels du livre, de nous allier pour amener les gens à lire<br />
davantage, à lire les livres d’ici. Une initiative comme<br />
celle du Devoir – rafraîchissante et captivante – aurait<br />
LA PAGE DES LIQ<br />
C’est ce qu’on appelle<br />
l’évolution…<br />
Par Dominique <strong>Le</strong>mieux<br />
Directeur général<br />
pu naître en collaboration avec les <strong>libraire</strong>s d’ici. Pour<br />
donner un rayonnement supplémentaire aux plate -<br />
formes locales qui manquent cruellement de moyens<br />
pour faire leur autopromotion, pour sortir de l’ombre<br />
d’une des plus puissantes entreprises de la planète.<br />
C’est en nous soutenant les uns les autres que notre<br />
culture résistera.<br />
On entend souvent les auteurs et éditeurs décrier le<br />
peu de place offerte à la littérature nationale. On<br />
s’époumone en évoquant le rétrécissement de l’espace<br />
consacré au livre. Certes, c’est affligeant. Mais lorsque<br />
ces mêmes personnes font l’apologie de boutiques<br />
étrangères (Amazon, Apple), je ne peux m’empêcher<br />
d’être hérissé. Je m’interroge sur la cohérence de ces<br />
réactions. Comment demander à l’un de défendre<br />
vivement la production d’ici, alors que l’autre souligne<br />
à gros traits sa présence sur des sites extérieurs, sans<br />
même souligner de façon équivalente l’existence de<br />
plateformes locales, indépendantes ou non? Comment<br />
prôner la culture locale quand on s’émerveille devant<br />
les visages de la culture mondialisée?<br />
Je me questionne. Simplement. Comme citoyen,<br />
comme fidèle amant du livre d’ici. Pendant que j’écris<br />
ces lignes, à ma droite, deux dames discutent de<br />
Cinquante nuances de Grey (il semblerait que les<br />
plages cubaines sont inondées de lectrices québé -<br />
coises fascinées par le taciturne Grey); à ma gauche,<br />
une troisième lit justement ce roman. C’est ce qu’on<br />
appelle la mondialisation, paraît-il. Je préfère parler de<br />
standardisation.<br />
Québec vacille<br />
Québec s’est longtemps targué d’être le paradis de la<br />
librairie. On marche dans le vieux Champlain : en<br />
voilà une. On se promène sur la rue Saint-Jean : en<br />
voilà une, et une autre, et une autre. On descend<br />
dans Saint-Roch : encore là et là. Même chose à<br />
Sillery, Limoilou, Beauport, Sainte-Foy. La ville respire<br />
le livre. Aujourd’hui, Québec trébuche. Coup sur<br />
coup, la ville vient de perdre quatre librairies<br />
indépendantes, dont l’une de nos membres, la<br />
librairie Globe-Trotter, spécialisée en guides de<br />
voyage. <strong>Le</strong> miracle à Québec n’existe plus. Chaque<br />
fois, un frisson, un sentiment de vide. Une vitrine<br />
dénudée : un trou dans notre culture.