HistoMag'44 special Front de l'est - 39-45.org
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HISTOMAG’44<br />
Barbarossa : Pourquoi diable Hitler s'est-il lancé dans<br />
cette aventure ?<br />
Par François Delpla<br />
L e<br />
nazisme est une folie individuelle qui a trouvé,<br />
grâce à divers facteurs, le moyen <strong>de</strong> déteindre<br />
sur <strong>de</strong>s milliers <strong>de</strong> personnes et d'affecter le<br />
<strong>de</strong>stin <strong>de</strong> chaque être humain. Dans ce délire, l'idée<br />
que les Juifs sont l'ennemi irréductible <strong>de</strong> l'Allemagne<br />
et que "ce sera eux ou elle" est fondamentale. Cet<br />
ennemi est capable <strong>de</strong> toutes les dissimulations : il<br />
importe <strong>de</strong> surenchérir sur lui, aussi, dans ce<br />
domaine. Hitler est, d'autre part, un fou très réaliste,<br />
qui apprécie les rapports <strong>de</strong> forces sans beaucoup se<br />
tromper.<br />
Sa folie est donc tout sauf un projet <strong>de</strong> <strong>de</strong>struction<br />
universelle et, au bout du compte, d'auto<strong>de</strong>struction<br />
(comme le croyaient la plupart <strong>de</strong> ceux qui le disaient<br />
fou, jusqu'à une époque récente). Elle passe par la<br />
<strong>de</strong>struction du communisme russe, une "entreprise<br />
typiquement juive", avec la complicité <strong>de</strong>s<br />
bourgeoisies occi<strong>de</strong>ntales -si juif que soit, lui aussi, le<br />
capitalisme ! Car les bourgeois, contrairement aux<br />
Juifs, cela se domine, se met au pas... et se dispute<br />
aux Juifs. Et puis l'Angleterre est forte, les Etats-Unis<br />
plus encore, tandis que la Russie déca<strong>de</strong>nte est une<br />
proie toute trouvée pour agrandir le Reich et le rendre<br />
inexpugnable.<br />
L'erreur <strong>de</strong> voir dans le nazisme un processus <strong>de</strong><br />
<strong>de</strong>struction aveugle et voué à l'échec (étrangement<br />
parente <strong>de</strong> la vision nazie <strong>de</strong>s Juifs parasites dont le<br />
triomphe serait "la couronne mortuaire <strong>de</strong><br />
l'humanité") débouche tout naturellement sur une<br />
erreur monumentale concernant sa victoire <strong>de</strong> maijuin<br />
1940 contre la France : ce serait une "étrange<br />
victoire", inattendue du Führer lui-même ! Tout au<br />
contraire, il s'agit <strong>de</strong> l'aboutissement logique d'un<br />
parcours jusque là sans faute (sinon morale !).<br />
L'Angleterre n'a plus qu'à faire la paix, et doit se<br />
résigner à ce que tôt ou tard le Reich se repaisse <strong>de</strong>s<br />
meilleurs morceaux <strong>de</strong> l'URSS.<br />
Winston Churchill est un antinazi <strong>de</strong> toujours qui<br />
parvient au pouvoir par hasard le jour même <strong>de</strong><br />
l'offensive alleman<strong>de</strong>, et ce à la faveur d'une crise<br />
intérieure où son antinazisme était autant, sinon plus,<br />
un handicap qu'un atout. Il lui faut, pour maintenir son<br />
pays dans la guerre <strong>de</strong> façon unijambiste après la<br />
perte <strong>de</strong> l'allié français, une force et une énergie <strong>de</strong><br />
Titan, permettant d'entretenir une flammèche<br />
guerrière en attendant le renfort <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux alliés<br />
encore possibles, l'URSS et les Etats-Unis. Déconcerté<br />
par cette situation imprévue, Hitler comprend vite qu'il<br />
a le choix entre <strong>de</strong>ux options : soit vi<strong>de</strong>r la querelle<br />
avec Londres en bouleversant <strong>de</strong> fond en comble<br />
l'idéologie et la planification nazies, soit jouer luimême<br />
la montre en menaçant l'Angleterre <strong>de</strong> façon<br />
périphérique dans l'espoir que sa bourgeoisie fasse les<br />
comptes, estime que ce n'est pas à elle <strong>de</strong> se ruiner<br />
pour renverser le nazisme et change <strong>de</strong> premier<br />
ministre; dans cette hypothèse, il va lui suggérer plus<br />
ou moins lour<strong>de</strong>ment qu'il se prépare à attaquer<br />
l'hydre communiste russe.<br />
Le choix <strong>de</strong> la secon<strong>de</strong> option relève donc d'un calcul<br />
assez rationnel. En adoptant la première (l'assaut<br />
frontal contre la Gran<strong>de</strong>-Bretagne et ses colonies),<br />
Hitler aurait consolidé Churchill et se serait fait <strong>de</strong>s<br />
Etats-Unis un ennemi mortel : le résultat n'était pas<br />
acquis d'avance 1 , tandis que l'assaut contre la Russie,<br />
à la condition expresse qu'elle s'écroule vite, l'aurait<br />
mis dans une position très forte. Mais il semble qu'il<br />
n'ait pas perdu beaucoup <strong>de</strong> temps à faire ses<br />
calculs : dès que la foudre <strong>de</strong> Mers el-Kébir (3 juillet<br />
1940) a frappé, à travers les marins français, l'esprit<br />
du dictateur, en lui enseignant que la chute <strong>de</strong><br />
Churchill était désormais imprévisible, il commence à<br />
réorienter (à partir du 13 juillet) les esprits <strong>de</strong> ses<br />
généraux vers un proche assaut contre la Russie.<br />
Tout bien considéré, ce choix est une folie, dans un<br />
sens un peu différent <strong>de</strong> ce qu'on entend<br />
habituellement par là. C'est l'une <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux façons<br />
rationnelles possibles <strong>de</strong> s'extraire du terrible piège où<br />
la ténacité churchillienne a enfermé le Reich. Mais elle<br />
est choisie d'une façon tout à fait irrationnelle : Hitler<br />
se dit que la Provi<strong>de</strong>nce (avec laquelle il a partie liée<br />
<strong>de</strong>puis son séjour à l'hôpital militaire <strong>de</strong> Pasewalk, en<br />
novembre 1918 !) lui envoie, en plaçant cet " ivrogne<br />
enjuivé " à la tête <strong>de</strong> ses ennemis, une épreuve qui<br />
l'oblige à frapper plus vite et plus fort les soushommes<br />
slaves, perclus <strong>de</strong> judéité, qui peuplent les<br />
vastes espaces orientaux.<br />
1 :<br />
4<br />
MAG<br />
44<br />
Ce point est développé dans mon article sur le périple du<br />
ministre japonais Matsuoka au printemps <strong>de</strong> 1941,<br />
Histoire(s) <strong>de</strong> la Dernière guerre n° 10, mars 2011.