livret jarry a5 v2 - Théâtre de l'Echappée
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Carnet <strong>de</strong> création “ Monsieuye Jarry “<br />
« Jarry » fut mort et, au lieu <strong>de</strong> chrysanthèmes, on mit <strong>de</strong>vant l’inscription <strong>de</strong>s arbustes en pot,<br />
assez hauts pour qu’ils puissent la cacher parfaitement. Jamais la place du 11 novembre ne fut<br />
aussi déserte. Gendarmes, inspecteurs, pigistes <strong>de</strong>s rédactions, papotiers (y compris celui<br />
d’Avesnières), bonimenteurs, papotières et bonimenteuses disparurent <strong>de</strong> la circulation au<br />
point que, sans plus <strong>de</strong> paroles ressassées, on pouvait entendre jusque dans le haut <strong>de</strong> la<br />
Gran<strong>de</strong> Rue le vent siffler dans la tourelle du Vieux Château, et aussi la Mayenne gazouiller en<br />
contrebas comme un ruisseau. Au matin du <strong>de</strong>ux mai, quand Robert, vieil employé <strong>de</strong>s Espaces<br />
verts, vint rechercher les arbustes avec <strong>de</strong>ux <strong>de</strong> ses collègues sur le coup <strong>de</strong> dix heures, il marqua<br />
un temps d’arrêt inhabituel.<br />
« Dis donc Robert, tu veux faire la bise au Maire ou quoi ? » finit par dire Rémy en s’esclaffant<br />
et en s’assurant <strong>de</strong> la complicité <strong>de</strong> Marcel, le chauffeur, qu’il pouvait voir dans la glace <strong>de</strong> son<br />
rétroviseur.<br />
- C’est que…<br />
- C’est que quoi ?<br />
- Qu’est-ce tu lis là ?<br />
- Ben, la phrase…<br />
- Ben c’est pu la phrase…<br />
- Hein ?<br />
- C’est pu la phrase, i manque <strong>de</strong>s lettres !<br />
- Lesquelles ?<br />
- Ben, tu vois bien : le « Alfred » i n’y est pu ! Et pareil le « J », le « Y », le « S », et<br />
« Mort » aussi qu’est pu là…<br />
Dans un réflexe stupi<strong>de</strong>, Rémy regarda au pied du mur pour les chercher et<br />
en relevant la tête il lut : .arr. e.t….<br />
- Arr…et ?<br />
- Ben oui, moi j’lis pareil : arr…et !<br />
Rémy boucla l’affaire par un « Oh, i sont pénibles avec leur truc ! ». Marcel mit les<br />
gaz. En <strong>de</strong>ux temps et trois mouvements Robert et Rémy, eux, mirent les arbustes dans le<br />
camion comme pour un sauvetage…<br />
- File Marcel, on en a d’aut’ à faire…<br />
- Qu’est-ce qui vous prend, les gars ?<br />
Mais Marcel avait à peine terminé sa phrase qu’il engageait déjà son tacot<br />
à l’assaut <strong>de</strong> la rue <strong>de</strong>s Déportés encouragé par les piaillements à l’haleine forte <strong>de</strong> Rémy tandis<br />
que Robert, lui, tournait pour la quinzième fois un mot désarticulé dans sa tête et il avait<br />
l’impression <strong>de</strong> voir, non pas trente six chan<strong>de</strong>lles vertes mais trente six points d’interrogation.<br />
Le len<strong>de</strong>main matin, <strong>de</strong> nombreux passants virent aussi cet « arr… et » cassé en <strong>de</strong>ux et, plantés<br />
<strong>de</strong>vant lui, ils en étaient bien encombrés. Parmi eux : le vieux Robert.<br />
Trop intrigué la veille il s’était arrangé avec son chef pour lui tirer une<br />
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