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livret jarry a5 v2 - Théâtre de l'Echappée

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Carnet <strong>de</strong> création “ Monsieuye Jarry “<br />

journée <strong>de</strong> repos, bien résolu à la mettre à profit en élucidant le mystère qui l’obsédait. Il<br />

comptait sur son instinct et sur la confiance qui le liait à un certain nombre <strong>de</strong> mots – oui, <strong>de</strong><br />

mots - et <strong>de</strong>vant lesquels volait un cerf-volant en allé nommé « arr…et ». « Quand je s’rai en<br />

r’traite, disait-il toujours, j’écrirai un livre ! Mais j’ai pas d’idées… » Il pensa qu’une bonne mar-<br />

che à pieds remplirait son temps et qu’il pourrait ainsi ruminer librement, se fixant même sans<br />

trop réfléchir un itinéraire qui débuterait le long du Quai Jehan Fouquet, se poursuivrait par<br />

le Vieux Pont, la rue du Pont <strong>de</strong> Mayenne, la rue Ambroise Paré, la rue du Lieutenant, la rue<br />

<strong>de</strong> Loré, la rue Eugène Jamin… Ensuite, il verrait. Au long <strong>de</strong> sa promena<strong>de</strong> il mettrait enfin<br />

<strong>de</strong> l’ordre dans son vocabulaire, écrirait peut-être la première phrase d’un récit qui commen-<br />

cerait par « Arr…et » ou par « Alfred Jarry est mort » ?<br />

Il se débarrassa vite <strong>de</strong> l’histoire <strong>de</strong>s lettres disparues, attribuant le phéno-<br />

mène au hasard et à la porosité du tuffeau… Et puis l’ arr…et, quitte à le considérer vraiment<br />

n’était pas un mystère mais plutôt une incitation heureuse à la flânerie et à la pause. Marcher<br />

dans la ville en levant la tête, marquer <strong>de</strong>s temps… tout ça remplirait ses poumons, il en était<br />

convaincu, et, pourquoi pas, son imagination ?<br />

A peine était-il rendu à l’angle <strong>de</strong> la rue Alfred Jarry qu’il s’arrêta au<br />

niveau <strong>de</strong> la maison natale <strong>de</strong> l’écrivain comme pour y prendre racine. Il pesta contre le salon<br />

<strong>de</strong> coiffure qui masque la bâtisse et dont les néons empêchent <strong>de</strong> rêvasser sur les murs, les<br />

fenêtres, la cour du petit Alfred… A ce moment-là, sans qu’il en déci<strong>de</strong>, Jarry <strong>de</strong>vint « Son<br />

Alfred » et l’inscription <strong>de</strong> l’Hôtel <strong>de</strong> Ville ne prêta plus pour lui à confusion. En vrai mayen-<br />

nais il restait cependant septique sur la transformation du lieu qu’il avait sous les yeux en<br />

Musée : Ne vaut-il pas mieux cacher qu’étaler ? pensa-t-il, et il souriait à la vue du Roquet <strong>de</strong><br />

Patience qui monte et s’échappe dans le prolongement, car il lui parut comme un passage<br />

secret idéal pour les fugues et les fuites…<br />

« L’Art est… », il stoppa sa phrase naissante, surpris et gêné que sa bouche<br />

puisse laisser passer un début si inhabituel : il aurait quelque chose à dire sur l’Art maintenant<br />

? Personne autour <strong>de</strong> lui, heureusement ! Jusqu’à présent il avait bien confié quelque surplus<br />

d’émotion à certains arbres et certaines fleurs du Jardin <strong>de</strong> la Perrine où il travaillait le plus<br />

souvent… mais <strong>de</strong> là à <strong>de</strong>venir artiste ! Il préféra se détourner <strong>de</strong> cette imprégnation et continuer<br />

sa bala<strong>de</strong>, dépasser l’île Ubu, aller vers le Vieux Pont. Il fit son tour comme prévu, le nez<br />

en l’air, l’envie récurrente <strong>de</strong> s’arrêter. Il ne découvrit aucun autre signe qui put être une suite<br />

du fameux « Alfred Jarry est mort », ni d’ailleurs la moindre lettre <strong>de</strong> la même écriture, mais<br />

il se sentait plein à n’en savoir dire <strong>de</strong> quoi… Comme avril sait nous faire attendre la lumière<br />

<strong>de</strong> mai, il sut s’engager tout en patience, serein et sans varier son rythme, dans <strong>de</strong>s boyaux<br />

inconnus <strong>de</strong> la ville qui l’obligeaient parfois à retourner sur ses pas, ce qu’il faisait sans en être<br />

contrarié du tout. Arrivé du côté du kiosque via la passerelle du viaduc il repiqua lentement<br />

vers le centre par la rue du Vieux Saint Louis, « happé » dira-t-il plus tard à ses collègues éberlués,<br />

par le « Faire-part <strong>de</strong> la Mairie ».<br />

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