Sida, immigration et inégalités : nouvelles réalités ... - ANRS

Sida, immigration et inégalité :
nouvelles réalités, nouveaux enjeux 1
Didier FASSIN 2
À la fin de la première décennie de l’épidémie de sida, Michael Pollak [39],
dans un texte présentant l’histoire des politiques publiques françaises de lutte
contre l’infection, pouvait ne pas même mentionner l’existence de la maladie
dans la population immigrée, en particulier d’origine africaine. Dix ans plus tard,
Monika Steffen [48], se livrant à un exercice similaire mais introduisant une
dimension comparative européenne, ne faisait guère plus de cas de cette
question. Remarquables oublis qui traduisent toutefois fidèlement l’efficacité du
travail d’occultation opéré par la société française et qui, par conséquent, révèlent
un refoulé plutôt qu’ils ne pèchent eux-mêmes par omission, comme je l’ai
montré [13, 16]. Et ce d’autant que quelques mois seulement après la reconnaissance
des cas princeps de la nouvelle pathologie, c’est en France que les
premiers cas de sida chez des Africains étaient diagnostiqués - précisément
chez des immigrés.
Vingt ans après, les choses commencent à changer, et ce volume en porte témoignage.
Des chiffres ont été publiés, des enquêtes sont conduites, des programmes
sont menés, une réflexion s’amorce sur la direction à donner à l’action
publique. Le lien, toujours problématique, entre sida et immigration devient « pensable
». Probablement le devient-il parce qu’à la place de la seule question du
risque, il est désormais abordé surtout du point de vue des inégalités. Dans
l’intervalle de ces deux décennies écoulées, la situation elle-même a considérablement
évolué, tant pour ce qui est du sida, l’image qu’on en a, les traitements
dont on dispose, les mobilisations auxquelles il donne lieu, que pour ce qui
concerne l’immigration, les politiques pour la juguler, les représentations dont
elle fait l’objet, les réalités que vivent les populations. Ce qu’il en est du lien entre
sida et immigration n’est donc plus ce qu’il en était lorsque l’infection était marquée
du sceau de l’exceptionnalité et que les étrangers apparaissaient sous le
signe de la dangerosité. En ce sens, il ne s’agit donc pas de combler un retard,
en mettant aujourd’hui en lumière des faits que l’on avait ignoré hier. La recherche,
qui « découvre » le thème « sida et immigration », doit tenir compte des
nouvelles réalités pour traiter des nouveaux enjeux.
1 Une version légèrement différente de ce texte est parue dans la Revue européenne des migrations
internationales (vol. 17, n o 2, 2001), sous le titre « L’altérité de l’épidémie. Les politiques du sida à
l’épreuve de l’immigration ».
2 École des hautes études en sciences sociales et Université Paris 13. Centre de recherche sur les
enjeux contemporains en santé publique, UP13-Inserm, 74, rue Marcel Cachin, 93017 Bobigny
Cedex, dfassin@ehess.fr.
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