Sida, immigration et inégalités : nouvelles réalités ... - ANRS
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certains des intervenants concernés ont clairement pris leurs distances par rapport<br />
aux préjugés différentialistes.<br />
Le culturalisme - entendu comme essentialisation de la culture <strong>et</strong> surdétermination<br />
par le culturel - qui a prévalu en matière de compréhension <strong>et</strong> d’action,<br />
procède d’une conception de l’altérité quiauncoût moral <strong>et</strong> politique [20]. Premièrement,<br />
il nie aux autres leur aspiration à l’universel, en oubliant qu’un Africain<br />
peut partager les mêmes valeurs, représentations ou pratiques qu’un Européen<br />
en matière de maladie <strong>et</strong>, plus généralement, de rapport au monde. Deuxièmement,<br />
il néglige les différences existant entre les individus dans leur appréhension<br />
du risque ou des soins <strong>et</strong>, plus largement, la pluralité des façons d’être<br />
africain. Troisièmement, en présumant une adhésion à des croyances surnaturelles,<br />
il sous-estime la capacité des Africains à déployer une rationalité dans le<br />
comportement préventif aussi bien que dans l’observance thérapeutique, <strong>et</strong> audelà,<br />
dans la conduite de leur existence. Quatrièmement, enfin, en évitant d’examiner<br />
les <strong>réalités</strong> sociales, économiques, juridiques, qui font la vie de tous les<br />
jours des immigrés africains, il les dépossède de leur place effective dans la<br />
Cité, avec ce qu’elle implique d’<strong>inégalités</strong> <strong>et</strong> de discriminations. Pour c<strong>et</strong> ensemble<br />
de raisons, le culturalisme est une violence politique au sens qu’Hannah<br />
Arendt [2] donne à c<strong>et</strong>te expression.<br />
C<strong>et</strong>te critique étant formulée, chacun peut évidemment se rendre compte que<br />
des différences existent entre les personnes selon leur origine. Comment en<br />
rendre compte sans tomber dans les travers précédents ? Comment s’intéresser<br />
à la culture en évitant l’écueil culturaliste ? À c<strong>et</strong>te interrogation, deux exigences<br />
théoriques <strong>et</strong> méthodologiques apportent des éléments de réponse : une lecture<br />
scientifiquement <strong>et</strong> éthiquement acceptable de la culture suppose, d’une part,<br />
un travail d’historicisation, d’autre part, une inscription dans le social. En particulier,<br />
il s’agit de lier les macro-phénomènes qui affectent la société -enl’occurrence,<br />
l’histoire coloniale <strong>et</strong> postcoloniale, les politiques d’<strong>immigration</strong>, les évolutions<br />
du marché de l’emploi <strong>et</strong> de l’habitat - <strong>et</strong> les micro-phénomènes qui<br />
concernent l’existence des personnes - leur statut juridique, leur possibilité de<br />
travailler <strong>et</strong> de se loger, leurs relations avec les nationaux <strong>et</strong> les autres étrangers,<br />
leur accès à l’information, à la prévention, au traitement, <strong>et</strong>c. C<strong>et</strong>te articulation<br />
entre les deux niveaux peut être traitée au niveau de biographies qui livrent une<br />
véritable économie politique de la maladie [12]. Dès lors, la question n’est plus<br />
de chercher des « facteurs culturels » expliquant les comportements ou des<br />
« obstacles culturels » rendant compte des difficultés rencontrées par les intervenants,<br />
mais bien d’appréhender l’expérience de l’étranger malade du sida en<br />
termes de condition sociale [21], c’est-à-dire en tant qu’elle est une production<br />
de la société, qui en définit le contenu <strong>et</strong> les limites juridiques, économiques,<br />
politiques <strong>et</strong> culturels.<br />
La représentation culturaliste de la relation entre sida <strong>et</strong> <strong>immigration</strong>, qui a prévalu<br />
pendant les deux premières décennies de l’épidémie dans les rares travaux<br />
français de sciences sociales, a eu pour eff<strong>et</strong> une double occultation, dont on<br />
r<strong>et</strong>rouve des équivalents dans bien d’autres contextes nationaux.<br />
En premier lieu, le monde médical est demeuré un point aveugle de la recherche<br />
sociologique [50]. Selon le principe classique consistant, sous des formes<br />
plus ou moins atténuées, à blâmer la victime, la focalisation sur l’étude des<br />
populations auxquelles on destine des prestations, évite un examen des conditions<br />
dans lesquelles ces prestations sont délivrées. S’il n’y a pas eu, en France,<br />
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