Sida, immigration et inégalités : nouvelles réalités ... - ANRS

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originaires des DOM-TOM). L’introduction d’une question sur le pays de naissance et la nationalité d’origine des parents permettrait de découper cette population potentiellement discriminée. D’autres types d’identification sont possibles (déclaration d’une « identité ethnique » ou d’une « origine ethnique »), mais leur faisabilité dans le cas français me paraît très discutable. Elle suppose en effet un degré de construction sociale de l’origine ethnique ou raciale relativement élevé pour qu’aussi bien les classificateurs que les « classés » s’entendent sur des conventions communes. Dans l’état actuel des connaissances, il est impossible d’évaluer une telle congruence des classements, à supposer qu’une volonté se dégage dans cette direction. La singularisation de la « seconde génération »àtravers plusieurs enquêtes est susceptible d’apporter des éléments d’appréciation de l’utilité de nouvelles catégorisations. Une enquête sur les « identités » est actuellement en cours et fournira également de nombreuses informations sur les discriminations que subissent des populations à raison de leur origine ou de tout autre marqueur d’apparence. La différenciation dans l’appareil statistique ne constitue pas une fin en soi, et ne suppose pas que les individus ainsi regroupés se considèrent comme ayant une origine commune, ni même qu’ils forment un groupe social. Elle n’ouvrirait pas automatiquement de droits spécifiques, sur le modèle de l’affirmative action (US) ou de positive action (GB). Ce type de stratégie d’action publique relève de la décision politique et, si elle nécessite le recours à des statistiques, on ne peut à l’inverse conclure que toute constitution de statistiques ethniques ou raciales détermine l’octroi de droits spécifiques pour les populations discriminées. Les statistiques peuvent tout aussi bien servir au projet de rétablissement d’une égalité d’accès, sans droits spécifiques. Il importe alors de distinguer clairement les instances chargées du codage et leurs utilisations : fichiers administratifs de gestion, enquêtes scientifiques à des fins de connaissance, enquêtes réalisées pour informer et élaborer l’action publique. On trouve sous le label « statistique publique » des productions de différents statuts et qui ne doivent évidemment pas être soumis aux mêmes règles de constitution et de diffusion. De même, le label délivré par l’institution statistique, essentiellement l’INSEE mais aussi les services des différents ministères, ne s’applique pas uniformément à toutes les collectes réalisées seul ou en collaboration par ses soins. Il est donc abusif de considérer sur le même plan l’introduction de questions sur l’origine ethnique ou raciale des individus dans des enquêtes scientifiques, dans des fichiers administratifs ou dans le recensement. Le paradoxe est que les contrôles sont moins exigeants dans le cas de fichiers où figurent des indications sur l’origine des individus, le plus souvent dans un infra-droit peu contrôlé : fichiers de demandeurs de logement, fichiers d’inscription scolaire dans certaines mairies, fichiers de demandeurs d’emploi. Sur le stricte plan des atteintes aux libertés publiques, le dommage est réel lorsqu’il s’agit d’une gestion des individus, ce à quoi servent directement les fichiers, et il est plus symbolique ou potentiel dans le cas de fichiers d’enquête théoriquement anonymisés 19 . 19 Les avatars de la fiche de déclaration de la séropositivité signalent l’extrême sensibilité de la question des catégories renvoyant à l’immigration. Bien que présentant toutes les garanties d’anonymisation, la fiche a vu à plusieurs reprises les informations sur la nationalité et le pays de naissance des individus disparaître de son dessin, jusqu’à son ultime (?) validation. Pourtant, on voit bien l’enjeu stratégique pour une politique de santé que représente la connaissance de la situation, dès la contamination, des groupes en forte vulnérabilité face au sida, dont font objectivement partie certains immigrés. 28
Le recensement est-il le plus approprié pour le recueil de cette information ? Il est vrai que c’est la seule base de donnée utilisable à des niveaux géographiques fins. On peut se contenter d’enquêtes représentatives, sur de larges échantillons, s’il faut réfléchir sur les processus des discriminations. Si l’on veut agir localement, le recueil d’informations précises décrivant la situation sur des sites définis est indispensable. En tout état de cause, le choix d’introduire une question sur le pays de naissance des parents dans le recensement met en jeu des questions de nature différente : rapport entre recensement et politiques publiques, stigmatisation par le repérage statistique, dérogation au principe constitutionnel d’indifférenciation, méthodologie de la catégorisation statistique (solidité des catégories, pertinence du classement...). L’introduction de caractéristiques d’origine dans les fichiers administratifs constitueraient une rupture bien plus fondamentale dans la tradition statistique française. Elle risque d’être imposée par l’application de la directive européenne relative à la lutte contre les discriminations raciales qui retient la notion de discrimination indirecte et engage les pays de l’Union européenne à développer des dispositifs d’intervention volontaristes. Bien que les modalités concrètes d’intervention ne soient pas détaillées, les expériences de référence dans ces pays utilisent le plus souvent l’ethnic monitoring, ce qui suppose un aménagement des sources statistiques aussi bien de description des populations que celles enregistrant les activités. On voit ici se dessiner un vaste domaine de débat pour les années à venir. Remerciements Ce texte doit beaucoup à un rapport pour le Fonds d’action et de soutien pour l’intégration et la lutte contre les discriminations (FASILD) écrit avec Joan Stavo-Debauge que je tiens ici à remercier. Références bibliographiques 1. Alders M, Keij I. Niet-westerse derde generatie, een eerste verkenning. Statistics Netherlands. Maandstatistiek Van De Bevolking 2001 ; 49 (3) : 17-22. 2. Banton M. Ethnic monitoring in international law : the work of the CERD. In : Krizsàn A, ed. Ethnic monitoring and data protection : the European context. Budapest : CEU-INDOK, 2001 : 62-85. 3. Bell M. La politique de l’Union européenne contre la discrimination : de l’égalité des chances entre les femmes et les hommes à la lutte contre le racisme. Parlement européen, Direction générale des études, Série Libertés publiques, LIBE, 1998 : 102a. 29
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