Sida, immigration et inégalités : nouvelles réalités ... - ANRS
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cours des années quatre-vingt [29] : c’est ce que montrent les chiffres de l’Institut<br />
de veille sanitaire, la baisse des nouveaux cas africains constatée n’étant que<br />
la conséquence de la diminution de l’<strong>immigration</strong> autorisée. Dans ces conditions,<br />
deux phénomènes se sont produits, dont les conséquences, pourtant cruciales<br />
pour la gestion de l’épidémie de sida, demeurent insaisissables en l’état actuel<br />
du système d’information sanitaire [20] : l’augmentation des « sans-papiers » <strong>et</strong><br />
l’émergence d’une « question <strong>et</strong>hnique ».<br />
D’une part, le nombre des étrangers en situation irrégulière s’est accru par un<br />
double phénomène d’<strong>immigration</strong> clandestine, y compris de femmes <strong>et</strong> d’enfants<br />
rejoignant illégalement leur mari ou leur père, <strong>et</strong> d’exclusion administrative,<br />
s’agissant de demandeurs d’asile déboutés, d’étudiants en échec scolaire ou de<br />
travailleurs ayant perdu leur emploi [24] : marginalisés par leur absence de statut<br />
juridique <strong>et</strong> donc peu accessibles à la prévention <strong>et</strong> à la médecine, ils échappent<br />
souvent à l’enregistrement <strong>et</strong> au dénombrement [35]. Compte tenu des évolutions<br />
plus favorables de la législation autorisant la régularisation pour les patients<br />
atteints d’affection grave, il est toutefois probable que l’obtention d’un titre de<br />
séjour pour les malades du sida corrige, en partie, quoique avec r<strong>et</strong>ard, c<strong>et</strong>te<br />
lacune.<br />
D’autre part - <strong>et</strong> surtout, si l’on considère à la fois la centralité <strong>et</strong> la complexité<br />
du phénomène - les immigrés, majoritairement originaires du Maghreb, qui, paradoxalement<br />
maintenus en France par la crainte de ne pouvoir y revenir, ont fait<br />
venir leur famille ou en ont fondé une, sont venus grossir les rangs des catégories<br />
défavorisées [45] : l’expérience des services socio-sanitaires, comme les observations<br />
des enquêtes <strong>et</strong>hnographiques, montrent que leurs enfants, souvent français<br />
<strong>et</strong> nés en France, présentent des niveaux plus élevés d’infection <strong>et</strong> des<br />
difficultés plus grandes d’accès aux soins que la population générale (les statistiques<br />
épidémiologiques le montrent d’ailleurs indirectement <strong>et</strong> partiellement,<br />
puisqu’une partie de ces jeunes ou adultes sont ou se déclarent de « nationalité<br />
nord-africaine », étrangers qui ont non seulement un taux d’incidence de la maladie<br />
deux fois supérieur aux Français, mais aussi une proportion double de contamination<br />
par usage intraveineux de drogues <strong>et</strong> une fréquence une fois <strong>et</strong> demi<br />
plus grande de découverte tardive de leur infection).<br />
C<strong>et</strong>te réalité ne peut être appréhendée ni sous la catégorie « immigrés » ni sous<br />
la dénomination «étrangers » : elle correspond à ce que, dans la plupart des<br />
pays du monde, notamment anglo-saxons, on appelle « minorités <strong>et</strong>hniques »<br />
[38]. Nombre de travaux ont montré les conséquences de ces disparités en termes<br />
d’<strong>inégalités</strong> devant la maladie <strong>et</strong> la mort [51]. Le problème de leur mesure,<br />
c’est-à-dire de la catégorisation des groupes en fonction de leur origine, voire<br />
d’une identité supposée, est complexe <strong>et</strong> controversé : pour les uns, « les interventions<br />
contre les discriminations réclament une connaissance précise de la<br />
situation sociale <strong>et</strong> économique des groupes-cibles, <strong>et</strong> donc une quantification<br />
détaillée » [46], à l’image de ce qu’a obtenu en Grande-Br<strong>et</strong>agne la Commission<br />
for Racial Equality ; pour les autres, « systématiser la référence à l’origine étrangère<br />
reviendrait à entériner les appariements implicites entre <strong>immigration</strong> <strong>et</strong> problèmes<br />
sociaux <strong>et</strong> à valider définitivement des identités symboliques fondées sur<br />
la stigmatisation » [47], à l’image de ce qu’on observe aux États-Unis. Sans<br />
prétendre trancher ici c<strong>et</strong>te question, on peut suggérer que la réponse doit clairement<br />
différencier l’enregistrement systématique d’une information, qui tend à<br />
la réifier, <strong>et</strong> la réalisation d’enquêtes ad hoc, qui perm<strong>et</strong>tent des explorations<br />
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