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Sida, immigration et inégalités : nouvelles réalités ... - ANRS

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Pour ce qui est des immigrés, la première réaction des États, partout dans le<br />

monde, avec d’importantes différences entre les pays, a été de contrôler les<br />

mouvements de populations <strong>et</strong>, plus particulièrement, les entrées aux frontières,<br />

avec pour corollaire, à l’égard des étrangers vivant sur le territoire national, une<br />

exclusion pouvant prendre des formes violentes [11] : on se souvient des tests<br />

sérologiques faits à la demande des consulats de certains pays occidentaux pour<br />

sélectionner les candidats à l’<strong>immigration</strong> ; on a également en mémoire l’organisation<br />

par des gouvernements africains de campagne de répression, voire de<br />

pogromes, à l’encontre d’immigrés de pays voisins accusés de transm<strong>et</strong>tre la<br />

maladie. Mais dans un second temps, une orientation presque symétrique a<br />

conduit à faire de c<strong>et</strong>te maladie l’occasion de manifester de la compassion <strong>et</strong> de<br />

la solidarité, afin de perm<strong>et</strong>tre à des étrangers en situation irrégulière ou à des<br />

malades des pays pauvres d’accéder à des traitements certes coûteux, mais<br />

vitaux. Que c<strong>et</strong>te orientation se traduise avec une efficacité très variable, au point<br />

d’apparaître souvent comme un faux-semblant sur le continent africain [9], il n’en<br />

reste pas moins que ce qui est en jeu n’est plus exactement un pouvoir sur la<br />

vie, mais un pouvoir de la vie. L’argument éthique de la protection des vies<br />

humaines devient un moteur des politiques, au point d’ébranler les positions<br />

hégémoniques des firmes pharmaceutiques <strong>et</strong> de faire reconnaître des exceptions<br />

aux règles mondiales du commerce. Plutôt que de biopouvoir, c’est donc<br />

de biolégitimité [18] qu’il faudrait parler, au sens d’une reconnaissance supérieure<br />

donnée au principe du maintien en vie.<br />

Nulle part c<strong>et</strong>te logique n’est mieux perceptible que dans l’évolution de la législation<br />

<strong>et</strong> des pratiques en matière de régularisation comme en France : l’existence<br />

d’une maladie grave ne pouvant être traitée dans le pays d’origine est<br />

devenue non seulement un critère d’obtention d’un titre de séjour, mais également<br />

le motif de régularisation qui a connu l’augmentation la plus rapide au cours<br />

des années 1990 [23]. Dans c<strong>et</strong>te évolution, le sida a joué un rôle essentiel, à<br />

la fois en raison de la relation objective entre l’épidémiologie de l’infection <strong>et</strong> le<br />

phénomène de l’<strong>immigration</strong> <strong>et</strong> en raison de la mobilisation convergente des<br />

associations d’action humanitaire, de lutte contre le sida <strong>et</strong> de défense des immigrés.<br />

Autrement dit, l’étranger a obtenu, sous la condition d’être atteint d’une<br />

pathologie grave, une reconnaissance qui lui était contestée dans tous les autres<br />

registres de l’activité sociale. C<strong>et</strong>te reconnaissance conférée par la maladie<br />

débouche ainsi sur une forme de biocitoyenn<strong>et</strong>é qui relève, au fond, d’une politique<br />

de la « vie nue » [1] ne donnant à l’étranger droit de cité que parce qu’il<br />

est menacé dans son existence biologique.<br />

Pour autant, c<strong>et</strong>te reconnaissance de droit au titre de la raison médicale, significativement<br />

appelée « raison humanitaire » par les pouvoirs publics jusqu’à une<br />

période récente, ne se traduit pas par une égalité de fait devant la prévention,<br />

le dépistage, les soins, comme le montrent les statistiques déjà citées. En regard<br />

de la logique généreuse au cas par cas, il y a les logiques sociales inégalitaires<br />

dont les personnes étrangères <strong>et</strong> d’origine étrangère sont les victimes. Inégalités<br />

relevant d’un régime général de l’injustice sociale qu’elles partagent avec le reste<br />

de la population, mais également <strong>inégalités</strong> procédant de discrimination dont<br />

elles sont l’obj<strong>et</strong> [8]. Le fait remarquable est que le secteur de la santé est probablement<br />

aujourd’hui celui dans lequel les discriminations sont les plus faibles,<br />

en particulier si on le compare avec les secteurs de l’emploi <strong>et</strong> du travail, du<br />

logement ou des loisirs. Là encore, la légitimité du corps souffrant s’impose dans<br />

l’espace social <strong>et</strong> notamment dans le champ juridique. En réalité, si les étrangers,<br />

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