L 'arme nucléaire : Totem et tabou - Alternatives non-violentes

Recommendations

Info

16 Alternatives non violentes n° 130 • L’arme nucléaire : totem et tabou Prolifération : le retour Dominique DAVID* *Responsable des études de sécurité à l’Institut français des relations internationales (Ifri, Paris), et rédacteur en chef de Politique étrangère. Le nucléaire n’est pas mort avec la guerre froide. On l’a vite appris. Les puissances nucléaires le sont restées. La Russie a bricolé une nouvelle doctrine nucléaire pour parer, disait-elle, à sa faiblesse conventionnelle. La Chine s’est lancée dans de vastes programmes de modernisation. Les États-Unis n’ayant, eux, jamais vraiment cessé de moderniser, et le revendiquant dans une nouvelle doctrine. Et pourtant, l’idée commune voulait, cette dernière décennie, que le nucléaire fût entré dans une sorte d’hibernation. De spectaculaires traités de désarmement, l’absence d’enjeu nucléaire dans les crises postbipolaires, les idéologies de la fin de l’État, la réapparition de dangers d’apparence neuve (affaissement des structures politiques, zones grises…) : tout suggérait la marginalité du nucléaire. L’essentiel était ailleurs, et les alarmes des professionnels de l’anti-prolifération ne reflétaient que leur paranoïa particulière. Les informations désormais publiques sur l’Irak, l’Iran, la Corée, la Libye, ou le Pakistan, même si elles ne constituent pas vraiment des surprises pour les spécialistes, suggèrent plutôt que nous sommes entrés dans le troisième âge de la prolifération, alors que le monde n’est plus tenu par le carcan Est-Ouest, et que la mondialisation le rend de moins en moins contrôlable. Le troisième âge de la prolifération Acte I : la multilatéralisation du nucléaire intervient dans les années 1950 et 1960, et fixe la géographie officielle des États nucléaires — les cinq permanents du Conseil de sécurité, plus Israël — jusqu’aux explosions indienne et pakistanaise de 1998. Acte II : souterrain, il concerne dans les années 1970 et 1980 quelques pays qui mènent, avec plus ou
moins de succès, des programmes pouvant déboucher sur des armes nucléaires : l’Iran du Chah, le Brésil, l’Argentine, surtout l’Afrique du Sud de l’apartheid, très avancée puisqu’elle a fini par avoir quelques armes, aujourd’hui démantelées. Appelons Acte III ce qui est aujourd’hui le plus visible : les affaires irakienne, libyenne, coréenne, iranienne — même si les programmes que le public découvre aujourd’hui ont forcément commencé au moins dans les années 1980 1 . La décennie 1990 avait pourtant bien commencé. L’Ukraine, la Biélorussie, le Khazakstan avaient renoncé à leur part d’héritage nucléaire ; et les matières fissiles ne filtraient pas de façon notable de Russie. Les deux « grands » revoyaient drastiquement à la baisse leurs arsenaux. France et Grande-Bretagne réduisaient unilatéralement leurs stocks. Dans un bel élan le Conseil de sécurité assimilait en 1992 la prolifération à une menace contre la sécurité. Le Traité de non-prolifération de 1968 était prorogé sine die, et devenait quasi universel (parmi les États membres de l’Onu, seuls aujourd’hui Israël, le Pakistan et l’Inde n’en sont pas signataires) ; et un traité de bannissement des expérimentations nucléaires — fondamentales pour tout candidat proliférateur — lui était annexé en 1996. C’est donc dans un contexte relativement apaisé qu’interviennent les dernières affaires : la découverte de l’état d’avancement des programmes irakiens, le chantage à la nucléarisation de la Corée du Nord, le développement par l’Iran de programmes d’ampleur suspecte, les « aveux » pakistanais et libyen. Au-delà de l’événement, que nous apprennent ces développements 2 ? D’abord qu’il existe un véritable réseau de prolifération interétatique : l’Arabie saoudite, la Libye, ont aidé le Pakistan, ainsi que la Chine, le Pakistan a aidé la Corée en échange de technologie balistique, puis a remercié la Libye, puis a aidé aussi l’Iran, a proposé ses services à l’Irak, etc. Les transferts interétatiques de technologie nucléaire ne sont pas nouveaux : d’URSS en Chine, des États-Unis au Pakistan, de France en Israël, d’Israël en Afrique du Sud… Mais on en restait alors à peu près au Irak et l’arme nucléaire Prolifération : le retour bilatéral ; on fait face aujourd’hui à des réseaux de réciprocité plus complexes. Ces réseaux interétatiques se doublent, de plus, ou se complètent, de réseaux non-étatiques : entreprises sises dans d’autres pays et servant de relais, initiatives privées ou semi-publiques (le bon docteur Khan au Pakistan). Les réseaux proliférateurs apparaissent donc plus entremêlés que quand on les réduisait aux États et à l’entité fantomatique des mafias. On s’avise enfin de ce que l’ensemble des moyens, matériels, machines, pouvant servir à proliférer, est très large, L’Irak avait-elle des armes nucléaires ? O’Neill, récemment devenu ex-ministre américain du Trésor, affirme qu’en « vingt-trois de travail au sein du gouvernement, il n’a jamais vu le moindre document qui établirait la preuve de l’existence d’armes nucléaires irakiennes (Le Monde du 10 janvier 2004) ». L’hypothèse la plus vraisemblable est que l’Irak était devenu incapable de développer la moindre panoplie nucléaire depuis l’embargo qui a sévi contre ce pays après la guerre de 1991 contre le Koweït. Mais Saddam Hussein laissait planer le doute, voulant que son pays possède enfin cette arme de destruction massive. Son entourage, par peur de ce tyran, lui aurait fait croire que les recherches pour l’arme nucléaire allaient bon train, que tout était bien caché, si bien que les missions de l’ONU ne trouveraient rien. Ce qui fut le cas ! Conclusion : Georges W. Bush savait que l’Irak n’avait pas d’armes nucléaires, l’entourage de Saddam Hussein savait que l’Irak n’en avait pas, seul le tyran s’imaginait en posséder ! Comme quoi, que l’on soit président des États-Unis ou dictateur en Irak, il est toujours souhaitable de vérifier ses sources d’information, cela peut éviter de perdre la face. F. V. 17 Alternatives non violentes n° 130 • L’arme nucléaire : totem et tabou
Page 1 and 2: R evue trimestrielle • I S S N 02
Page 3 and 4: Publié avec le concours du Centre
Page 5 and 6: L’armement nucléaire français d
Page 7 and 8: L’armement nucléaire français d
Page 9 and 10: eaucoup de neutrons. La températur
Page 11 and 12: mondiale. Et pour nous, en France,
Page 13 and 14: Budget nucléaire : derrière les c
Page 15 and 16: auteurs d’une agression majeure s
Page 17: Le nucléaire, parent pauvre de not
Page 21 and 22: Ceci suffit à expliquer que la pro
Page 23 and 24: L’urgence est au désarmement nuc
Page 25 and 26: Reduction Treaty (traité sur les a
Page 27 and 28: la cinquante-neuvième session de l
Page 29 and 30: Une expédition pacifique Christian
Page 31 and 32: En Polynésie sur le bateau Fri. De
Page 33 and 34: Sortir de l’oubli Bruno BARRILLOT
Page 35 and 36: pour ne décompter que les essais c
Page 37 and 38: echerche médicale. Ce pourcentage
Page 39 and 40: Importance de la blocade de Großen
Page 41 and 42: 1) Ce système s’inspire des grup
Page 43 and 44: et déployait dans le même temps d
Page 45 and 46: Stop Essais, un collectif pour le d
Page 47 and 48: mondiale. Ils adoptent l’idée de
Page 49 and 50: l’occasion de rassemblement de to
Page 51 and 52: Campagne pour le désarmement nucl
Page 53 and 54: « Palestiniens et Israéliens Fair
Page 55 and 56: Communiquer sans violence 9-10 octo
Page 57 and 58: Il se présente aussi comme un outi
Page 59 and 60: points communs : ils étaient, majo
Page 61 and 62: On se retrouvera au Salon des initi
Page 63 and 64: N° 119-120 : LES LUTTES NON-VIOLEN
Page 65: Alternatives non violentes n° 130

L 'arme nucléaire : Totem et tabou - Alternatives non-violentes

Create successful ePaper yourself

Delete template?

Save as template?