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»<br />
YANNICK NÉZET-SÉGUIN<br />
que la Soleil, évoquée au tout début de son<br />
œuvre, incarnait à l’échelle cosmique. C’est<br />
ainsi que, bien avant Aragon, Goethe avait vu<br />
en la femme l’avenir de l’homme.<br />
Lors d’une conversation avec son secrétaire<br />
Eckermann, Goethe attira l’attention sur<br />
un passage particulier de cette scène finale, le<br />
chœur d’Ange qui suit le solo du Pater<br />
Profundus et que Mahler fait chanter par un<br />
chœur féminin en lui superposant, comme le<br />
suggèrent les deux derniers vers, la ronde des<br />
Enfants Bienheureux :<br />
Celui qui lutte sans jamais se lasser,<br />
Nous pouvons le racheter,<br />
Et quand de là-haut<br />
L’amour a pris parti pour lui,<br />
<strong>La</strong> légion des bienheureux vient l’accueillir,<br />
Avec une cordiale bienvenue.<br />
«Ces vers, dit Goethe, contiennent la clé<br />
de la rédemption de Faust. L’activité de Faust<br />
grandit et se purifie à la fin, et c’est l’éternel<br />
amour qui de là-haut vient à son secours.<br />
Cela est en parfaite harmonie avec notre tradition<br />
religieuse, suivant laquelle nous arrivons<br />
à la béatitude non seulement par nos<br />
propres forces mais aussi par la grâce divine.<br />
«Vous admettrez d’ailleurs que la fin, où<br />
l’âme sauvée monte au ciel, était d’une exécution<br />
difficile et que dans ce domaine<br />
suprasensible, dont on a peine à se faire une<br />
idée, je risquais fort de me perdre dans le<br />
vague si je n’eusse donné à ce que j’avais<br />
conçu une forme déterminée qui pût rendre<br />
plus nette mes visions, en me servant des<br />
figures bien caractérisées et des conceptions<br />
bien définies de l’Église chrétienne 3 .»<br />
Au-delà de cette tradition chrétienne, de<br />
toute tradition religieuse, Goethe devait finalement<br />
trouver un nom à cette grâce divine qui<br />
transcende pour lui toute représentation, qu’il<br />
proposa dans les tout derniers vers du tout dernier<br />
chœur de son ultime chef-d’œuvre:<br />
Chorus Mysticus<br />
Toute chose périssable<br />
Est symbole seulement,<br />
L’imparfait, l’irréalisable<br />
Ici devient événement ;<br />
Ce que l’on ne pouvait décrire<br />
Ici s’accomplit enfin<br />
Et l’Éternel Féminin<br />
Toujours plus haut nous attire 4 .<br />
C’est ainsi qu’à la toute fin du Faust de<br />
Goethe, l’expression « Éternel Féminin » fit<br />
son entrée dans l’histoire des idées.<br />
Non seulement Mahler a-t-il su traduire en<br />
musique de manière sublime cette<br />
«Transfiguration de Faust», mais il est peut-être<br />
aussi celui qui a le mieux exprimé en mots ce<br />
que pouvait signifier pour un lecteur de<br />
l’époque les vers du chœur mystique sur lesquels<br />
se conclut le chef-d’œuvre de Goethe et<br />
comment ils renvoyaient à la Soleil et ses<br />
«frères-planètes» du chœur d’ouverture.<br />
Quelques jours après avoir achevé sa symphonie,<br />
il confia à un ami : « Elle est si originale<br />
de contenu et de forme que je ne sais<br />
comment la décrire. Imaginez que l’univers<br />
se mette à chanter et à résonner. Ce ne sont<br />
plus des voix humaines, mais des planètes et<br />
des soleils qui tournent 5 …» ■<br />
»Guy Marchand est musicologue, chargé de cours à<br />
l’Université de Sherbrooke, Auteur de Faust ou les métamorphoses<br />
d’un mythe, série radiophonique diffusée en<br />
1999 à la défunte Chaîne culturelle de la Société Radio-<br />
Canada pour souligner le 250 e anniversaire de la naissance<br />
de Goethe<br />
Mahler: la «Symphonie des mille» avec Yannick Nézet-Séguin,<br />
l’Orchestre Métropolitain et l’Orchestre du Centre national des Arts<br />
» 16 et 17 juin, 20 h, salle Southam, Centre national des<br />
Arts, Ottawa<br />
» 20 juin, 16 h, salle Wilfrid-Pelletier, Place des Arts, Montréal<br />
www.orchestremetropolitain.com www.nac-cna.ca<br />
Monteverdi : Vespro della Beata Vergine avec Christopher<br />
Jackson, le Studio de musique ancienne de Montréal, la Bande<br />
Montréal Baroque, Suzie LeBlanc, Monika Mauch, Joel Gonzales,<br />
Charles Daniels, Harry van der Kamp et Normand Richard<br />
» 24 et 28 juin, 19 h, Chapelle Notre-Dame-de-Bon-Secours<br />
(24), Grand Séminaire de Montréal (28), Montréal<br />
www.montrealbaroque.com<br />
1 Lettre de Mahler à Richard Spetch, mi-août 1906; in de <strong>La</strong> Grange, Mahler,<br />
Paris, Fayard, 1984, vol. II, p. 898.<br />
2 L’histoire du Docteur Faust 1587, Jougne, Éditions de l’Amble, 2006. Réédition<br />
de la traduction de Joël Lefebvre originalement parue aux éditions Belles Lettres<br />
en 1970.<br />
3 Conversations de Goethe avec Eckermann, Paris, Gallimard, 1988, 6 juin <strong>18</strong>31,<br />
p. 421.<br />
4 Goethe, Faust, traduction de Jean Malaplate, Paris, GF-Flammarion, 1984, p.<br />
497.<br />
5 Lettre de Mahler à Mengelberg, mi-août 1906 ; in de <strong>La</strong> Grange, Mahler, Paris,<br />
Fayard, 1984, vol. II, p. 898.<br />
Lettre de Mahler à sa femme, fin juin 1909 ; in de <strong>La</strong> Grange, Mahler<br />
Juin 2010 June 15