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JAZZ<br />
VIJAY IYER<br />
Félix-Antoine Hamel<br />
Àla fin du mois, la grande foire musicale<br />
du FIJM accueillera, encore<br />
une fois, sa kyrielle d’artistes de<br />
renom, tous genres confondus (ou<br />
presque). Perdu un peu dans cette<br />
cohue se trouve un musicien qui mérite le<br />
détour, ne serait-ce que pour le plaisir de<br />
découvrir un «nouveau» nom. Il serait un peu<br />
mal venu d’associer le pianiste Vijay Iyer à la<br />
relève; mais si l’on jette un coup d’œil à la programmation<br />
de cette 31 e édition du festival,<br />
force est de constater qu’auprès des Herbie<br />
Hancock (70 ans), Ahmad Jamal (79 ans),<br />
Keith Jarrett (65 ans), Steve Kuhn (72 ans) et<br />
Dave Brubeck (89 ans), Iyer, à 38 ans, fait<br />
figure de jeunot. Quoi qu’il en soit, ce musicien<br />
sera au rendez-vous le 25 de ce mois et à<br />
deux reprises le même soir, d’abord en solo<br />
puis en trio. Question de le situer, voici<br />
quelques repères et deux chroniques de disques<br />
récents qui mettent ses talents bien en évidence.<br />
Musicien d’ascendance indienne mais né<br />
aux États-Unis, Vijay Iyer s’est bâti une solide<br />
réputation depuis une dizaine d’années grâce à<br />
un jeu robuste et à quelques disques dynamiques<br />
avec un quartette mettant également<br />
en vedette son compatriote et contemporain,<br />
le saxophoniste alto Rudresh Mahanthappa.<br />
Faisant appel autant à un langage jazzistique de<br />
pointe qu’à des rythmes et mélodies influencés<br />
par la musique indienne, ces deux musiciens se<br />
sont fait remarquer par une série d’enregistrements<br />
dont Panoptic Modes (2000), Black<br />
Water (sous le nom de Mahanthappa, 2002) et<br />
Blood Sutra (2003). Cela dit, Iyer semble prêt<br />
à entamer une nouvelle phase de son développement<br />
musical, cette évolution s’illustrant à<br />
merveille par la parution de Historicity.<br />
Applaudi par la critique à sa sortie l’an dernier,<br />
ce nouvel album en trio offre la chance d’entrer<br />
un peu plus qu’avant dans son monde musical,<br />
de palper ses influences, même de déchiffrer sa<br />
vision de l’histoire. ■<br />
www.vijay-iyer.com<br />
PHOTO: PRASHANT BARGHAVA<br />
» ALLER AUX DEVANTS de L’HISTOIRE<br />
Vijay Iyer Trio : Historicity<br />
ACT 9489-2 (www.actmusic.com)<br />
★★★★✩✩<br />
De toute évidence,<br />
un musicien<br />
comme Iyer ne saurait<br />
prodiguer une<br />
leçon d’histoire en<br />
se limitant à de<br />
simples relectures<br />
de thèmes et de<br />
techniques du<br />
passé. Il chercherait plutôt à intégrer à sa<br />
conception divers morceaux composés par<br />
d’autres musiciens de tous horizons – par<br />
exemple, une version inattendue de<br />
Somewhere de Bernstein et Sondheim qui<br />
côtoie une interprétation de Galang (de l’artiste<br />
électro/hip-hop d’origine tamoule<br />
M.I.A.) –, le tout bien arrondi par de nouvelles<br />
versions de ses propres pièces. Le jeu<br />
percussif du pianiste est soutenu à merveille<br />
par le contrebassiste Stephan Crump et le<br />
batteur Marcus Gilmore: leur façon de traiter<br />
le répertoire conjuguée à l’interaction<br />
explosive entre ces trois protagonistes donnent<br />
à l’ensemble une qualité que le pianiste<br />
qualifie lui-même de perturbatrice (disruptive).<br />
De ce fait, Iyer s’inscrit dans la lignée des<br />
Ellington, Monk et Taylor, ces «apôtres du<br />
discontinu», comme les avait surnommés le<br />
critique français Michel-Claude Jalard. On<br />
décèlera du reste l’influence d’un autre pianiste<br />
issu de cette lignée illustre, Andrew<br />
Hill, dont la composition Smoke Stack, avec<br />
ses harmonies disjointes et sa construction<br />
dense, est rendue avec justesse par Iyer et ses<br />
acolytes. Ayant hérité de son ancien patron<br />
Steve Coleman un goût pour les rythmes très<br />
appuyés et souvent complexes, Iyer va lorgner<br />
aussi bien du côté de Stevie Wonder<br />
(Big Brother) que de l’organiste de soul jazz<br />
Ronnie Foster (Mystic Brew); toutefois, c’est<br />
une solide relecture de Dogon A.D. de Julius<br />
Hemphill qui permet de constater l’énorme<br />
influence que ce musicien exerce encore<br />
parmi les plus créatifs des jazzmen new-yorkais,<br />
de Tim Berne à Marty Ehrlich (ce dernier<br />
ayant aussi livré une version de cette<br />
pièce presque mythique sur l’un de ses<br />
disques récents). Si certains pouvaient reprocher<br />
à Iyer de se répéter (ses disques en quartette,<br />
pourtant excellents, sont souvent<br />
quelque peu interchangeables), il affirme<br />
toutefois avec cet opus remarquable sa<br />
volonté de dépasser les limites qu’il s’était<br />
lui-même fixées.<br />
Wadada Leo Smith : Spiritual Dimensions<br />
Cuneiform Rune 290/291 (www.cuneiformrecords.com)<br />
★★★★✩✩<br />
Comme sideman, le<br />
pianiste a su gagner<br />
le respect de ses<br />
pairs, autant parmi<br />
les rappeurs (Mike<br />
<strong>La</strong>dd, Dead Prez)<br />
que du côté des<br />
musiciens d’avantgarde,<br />
entre autres<br />
les vétérans de l’AACM Roscoe Mitchell et<br />
Wadada Leo Smith. Proche collaborateur de ce<br />
dernier dans le Golden Quartet, Iyer fait figure<br />
de pilier dans cet ensemble après avoir pris la<br />
relève d’Anthony Davis, la formation étant<br />
complétée par le contrebassiste John Lindberg<br />
et un nouveau batteur, Pheeroan ak<strong>La</strong>ff. Sur le<br />
premier disque de cette double parution intitulée<br />
Spiritual Dimensions, on entend le<br />
concert intégral de ce groupe au Vision Festival<br />
de New York en 2008, mais avec un invité de<br />
marque, le batteur Don Moyé de l’Art<br />
Ensemble of Chicago. Comme toujours chez<br />
Smith, la frontière est floue entre composition<br />
et improvisation, la musique évoluant de façon<br />
très organique, constamment relancée par les<br />
cinq instrumentistes qui réagissent au moindre<br />
événement sonore. Les mélodies dépouillées et<br />
incantatoires de Smith, d’un lyrisme austère,<br />
trouvent un interlocuteur attentif en Iyer, qui<br />
sait ponctuer les phrases du trompettiste d’un<br />
commentaire judicieux. Dialoguant le plus<br />
souvent de manière soutenue entre eux, les<br />
deux batteurs poussent le pianiste vers un jeu<br />
plus robuste et percussif. Lindberg, quant à lui,<br />
livre un long et impressionnant solo sur Umar<br />
at the Dome of the Rock, qui se termine par une<br />
dense fanfare de percussions et de trompette.<br />
L’autre pièce de résistance du disque, South<br />
Central L.A. Kulture, présente une version partiellement<br />
électrifiée du groupe, le son de la<br />
basse et de la trompette étant fréquemment<br />
modifié, Iyer passant occasionnellement au<br />
synthétiseur. Ce morceau constitue une<br />
parfaite transition vers le deuxième disque,<br />
enregistré un an plus tard par Organic, un<br />
groupe électrique du trompettiste comptant<br />
deux bassistes, un violoncelliste, un batteur et<br />
jusqu’à quatre guitaristes. Smith semble développer<br />
ici les conceptions jazz-rock du Miles<br />
Davis des années 1970, auquel il avait<br />
d’ailleurs déjà fait référence plus explicitement<br />
au sein d’un projet antérieur (Yo Miles!), en<br />
tandem avec le guitariste Henry Kaiser.<br />
<strong>18</strong> Juin 2010 June