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pages simples - Snj-cgt

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dans la rue. Il y a tout d’abord ces affiches de<br />

mai qui, réalisées de mi-mai à fin juin, avec peu<br />

de moyens et beaucoup d’imagination, par les<br />

étudiants de l’atelier populaire des Beaux-Arts<br />

et grâce à la technique nouvelle et artisanale de<br />

la sérigraphie, vont passer à la postérité. Le dessin<br />

y est stylisé. Pas question ici de discours politique<br />

langue de bois car le texte y est rare et percutant,<br />

lourd de sens.<br />

Avec les graffiti anonymes et sobres (par opposition<br />

aux tags qui aujourd’hui envahissent<br />

les murs dans une sorte d’exhibitionnisme<br />

artistique), on est aux franges d’une sorte<br />

de poésie pure. Une poésie dont les mille<br />

fleurs (« sous les pavés, la plage », « soyons réalistes,<br />

demandons l’impossible », « l’imagination<br />

au pouvoir ») continuent à habiter<br />

notre imaginaire collectif et militant.<br />

En marge de ces radios périphériques et<br />

de cette radio d’État que les affiches de<br />

mai critiquent allègrement (« on vous<br />

intoxique », « mouton, radio, télévision »),<br />

commencent à émerger des radios<br />

pirates, souvent éphémères, comme<br />

Radio Sorbonne que les étudiants de mai tentent<br />

de détourner à leur profit. Mais le mouvement<br />

est lancé, qui se traduira par l’apparition<br />

de quantité de radios pirates dont certaines<br />

seront légalisées en 1981 lorsque le pouvoir<br />

socialiste décidera de libérer les ondes. Créée<br />

en 1969, Radio Campus à Lille, qui est la plus<br />

ancienne des radios associatives et qui existe<br />

toujours, est le trait d’union emblématique de<br />

cette histoire qui débouchera sur un bouleversement<br />

complet du paysage audiovisuel.<br />

Quelques itinéraires<br />

médiatiques de révoltés<br />

Mais cette conquête du pouvoir de la parole,<br />

c’est également au travers de la presse de mai,<br />

une presse particulièrement abondante et foisonnante,<br />

qu’elle se manifestera. Des dizaines<br />

de bulletins naissent, qui vont d’une simple<br />

feuille ronéotée recto verso au canard qui n’a<br />

pas à rougir de la comparaison avec un vrai<br />

journal fait par des vrais professionnels de l’information.<br />

Certains titres ne franchiront pas le<br />

cap de l’année 1968, d’autres feront la jonction<br />

avec les années soixante-dix. L’un d’entre eux,<br />

qui existe toujours, traversera toute cette<br />

période qui va de la guerre d’Algérie à nos jours.<br />

Né en 1960, Hara Kiri prendra, après Mai 68,<br />

un contenu plus politique. Pendant les événements<br />

de mai, on retrouvera les dessinateurs de<br />

Hara Kiri aussi bien à Action qu’à l’Enragé. Les<br />

dessinateurs de Hara Kiri renouvelleront le<br />

genre du dessin de presse politique. Mai 1968<br />

les avait mis en appétit et le mensuel deviendra<br />

hebdomadaire quelques mois en 1970 avant<br />

d’être interdit, victime de la censure, et de reparaître<br />

aussitôt sous le nom de Charlie Hebdo.<br />

Parce qu’il n’est lié à aucun mouvement politique<br />

et qu’il est soutenu par l’UNEF, le SNE-<br />

SUP, les comités d’action lycéens et le Comité<br />

du 22 mars, Action sera la figure emblématique<br />

de cette presse éphémère. Vendu à la criée, il<br />

deviendra même quotidien courant juin, avant<br />

de continuer sous la forme d’un hebdomadaire<br />

qui disparaîtra à la fin de l’année 1969.<br />

C’est en 1973 que les Cahiers de mai disparaîtront,<br />

au moment où éclate l’affaire Lip. La<br />

période est riche de ces militants que l’action<br />

transforme bientôt en journalistes professionnels<br />

et qui apporteront leur savoir aux<br />

rédacteurs de Lip Unité ou qui intégreront le<br />

journal Libération.<br />

Publiée de 1968 à 1970, la Cause du peuple avait<br />

fini par être interdite et par disparaître. Le goût<br />

de l’aventure journalistique avait laissé de nombreux<br />

militants maoïstes sur leur faim. C’est le<br />

tabassage d’un journaliste du Nouvel Observateur<br />

par des policiers qui sera à l’origine d’une<br />

réaction de la profession, qui finira par déboucher,<br />

courant 1971, sur l’APL, l’Agence de<br />

presse Libération, qui ambitionne de donner la<br />

parole au peuple. Deux ans plus tard, en<br />

mai 1973, Sartre et Clavel lanceront Libération,<br />

le quotidien qui renouvellera le journalisme de<br />

reportage avant de devenir le journal branché<br />

des années Mitterrand et de tomber dans l’escarcelle<br />

du baron de Rothschild.<br />

Enfin, après 1968, les révoltés de mai essaimeront<br />

sur de nombreux fronts. À côté des journaux<br />

d’organisation (Rouge ou Tribune socialiste<br />

qui n’a pas survécu à la disparition du PSU), Politique<br />

hebdo, né en 1970 et disparu en 1978,<br />

incarne une presse engagée politiquement sans<br />

être pour autant partisane. Sa création est en<br />

partie le fait de dissidents du Nouvel Observateur.<br />

Quant à Actuel, né de la transformation d’un<br />

journal de jazz, il incarnera la culture underground<br />

jusqu’en 1975. Disparu une première<br />

fois, il renaîtra en 1979 pour accompagner les<br />

années Mitterrand et disparaître à nouveau.<br />

C’est après 1968 que va aussi fleurir tout une<br />

presse de la contestation, engagée dans des<br />

luttes spécifiques, sur des fronts divers, ceux<br />

de la médecine ou de l’éducation, des<br />

sciences ou de la sexualité, du féminisme<br />

ou de l’antimilitarisme, de la<br />

contre-information locale ou des cultures<br />

régionales sans oublier bien sûr<br />

l’écologie politique, dont la Gueule<br />

ouverte puis le Sauvage accompagnent<br />

l’émergence.<br />

Qu’en reste-t-il aujourd’hui? Cet irrésistible<br />

besoin de prendre la parole,<br />

pour le meilleur comme pour le pire,<br />

que l’on retrouve dans ces blogs et ces<br />

sites collaboratifs que la révolution<br />

Internet a rendu possibles. Avec sans<br />

doute de vraies différences du point de vue<br />

des projets et des motivations.<br />

Et, par une curieuse ironie de l’histoire, c’est<br />

dans la critique des médias que l’on retrouve<br />

le plus la presse engagée aujourd’hui.<br />

Comme si, quarante ans après, un conformisme<br />

médiatique d’un nouveau genre suscitait<br />

à nouveau ce besoin d’une information<br />

libérée, que les révoltés de mai allaient exprimer<br />

avec leur imagination fertile. Et si le<br />

temps était venu de redire « Chiche ! » ■<br />

P.S. Sans doute la débauche d’articles, de<br />

revues, d’ouvrages consacrés à Mai 68 a-t-elle<br />

à voir avec la volonté affirmée par Nicolas Sarkozy<br />

pendant la campagne électorale présidentielle<br />

de l’an dernier de liquider Mai 68.<br />

■ Références bibliographiques<br />

– La France des années 1968, sous la<br />

direction d’Antoine Artous, Didier Epsztein et<br />

Patrick Silberstein, éditions Syllepse.<br />

– Dictionnaire de Mai 68, sous la direction de<br />

Jacques Capdevielle et Henri Rey, Larousse.<br />

– 68 Une histoire collective (1962-1981),<br />

sous la direction de Philippe Artières et<br />

Michelle Zancarini-Fournel, La Découverte.<br />

– Les Années 68, Charlotte et Patrick Rotman,<br />

Le Seuil.<br />

– Mai 68, l’héritage impossible, Jean-Pierre<br />

Le Goff, La Découverte.<br />

Photos : Bernard Perrine<br />

TÉMOINS<br />

N° 34 / JUILLET 2008 27

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