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Vous avez également travaillé pour la presse.<br />
Par hasard, là encore. En vacances avec François<br />
Hallard [photographe de mode et de décoration,<br />
ndlr], nous nous amusions à faire une série<br />
en hommage à Arletty, qui venait de mourir. Il<br />
a montré ses clichés à Brigitte Langevin, alors<br />
rédactrice en chef mode au Glamour, le résultat<br />
lui a plu, j’ai alors travaillé pour eux. Je faisais du<br />
stylisme, mais aussi des décors, je racontais des<br />
histoires… Plus tard, pour le Vogue, plutôt que<br />
de travailler avec des photographes qui ne me<br />
plaisaient pas, j’ai décidé de prendre moi-même<br />
les clichés. Ne connaissant rien à la technique,<br />
j’avais tout de même un assistant qui s’occupait<br />
de tout… Ce qui m’amuse c’est l’inattendu, faire<br />
ce que tu pensais ne pas pouvoir faire.<br />
La presse vous intéresse ?<br />
Si c’est pour réaliser des choses bricolées, comme<br />
l’étaient les revues surréalistes d’autrefois, des<br />
trucs qui ne se prennent pas au sérieux, oui, cela<br />
peut être intéressant ! Autrement, devoir dire merci<br />
à tous les annonceurs, c’est d’un barbant…<br />
Vous regardez les journaux pourtant…<br />
Oui… ce qui me tombe sous la main chez le<br />
coiffeur ou le dentiste. Dire qu’avant je ne pouvais<br />
pas passer deux jours sans me ruer dans les<br />
kiosques rafler toutes les revues… Paradoxalement,<br />
ce qui m’intéresse le plus aujourd’hui dans<br />
les magazines de mode, ce sont les articles sur<br />
les artistes, le design, le cinéma. Et plus que tout,<br />
les interviews d’acteurs – je suis très concierge,<br />
j’adore les ragots. Mais les séries de mode, je me<br />
force vraiment à les regarder pour me tenir au<br />
courant. Je me demande à qui cela peut encore<br />
faire de l’effet ces photos de mannequins avec un<br />
coup la main à droite, puis la main à gauche et<br />
la main à la taille sur la double page suivante. De<br />
pauvres gamines qu’on déguise pour illustrer le<br />
retour des années 90, après nous avoir bassinés<br />
avec le rétro 80, et rabattus les seventies… Une<br />
série ne peut être excitante que si elle amène<br />
quelque chose d’un peu étrange qui dépasse la<br />
simple illustration d’une tendance. Il faut renouveler<br />
le contexte.<br />
Vous avez également une carrière de costumier.<br />
J’habille surtout Arielle Dombasle, et l’on s’amuse<br />
beaucoup. Elle m’entraîne dans chacune de ses<br />
galères, qui varient d’un film de cape et d’épée à<br />
un album concept. C’est à chaque fois un exercice<br />
de style autour de son personnage. De là à<br />
devenir costumier dans le milieu du spectacle et<br />
du cinéma, à devoir habiller Monsieur et Madame<br />
Tout-le-monde dans une bonne comédie à la<br />
française : non ! Pour Milady de Josée Dayan,<br />
je m’étais retrouvé à faire, en plus des costumes<br />
d’Arielle, ceux des autres acteurs. Je devenais<br />
fou, même si le casting était plutôt drôle. J’avais<br />
des mousquetaires assez rock’n’roll : Guillaume<br />
Depardieu complètement pété, Florent Pagny en<br />
d’Artagnan… Mais tu t’ennuies tellement sur les<br />
tournages, tous ces temps d’attente entre deux<br />
scènes. Je n’ai pas la patience…<br />
Une autre de vos grandes occupations, c’est la<br />
mondanité.<br />
Les gens me reprochent beaucoup d’être mondain…<br />
Pourtant, rien que le terme même<br />
« mondain » est amusant ; tellement vieillot ! Et<br />
puis mondain, ça fait « personne qui s’intéresse<br />
au monde », alors, si c’est ça, oui ! je suis mondain.<br />
J’adore rencontrer des gens, et les plus belles<br />
rencontres se font quand on est saoul. A jeun,<br />
à un déjeuner, je n’y arrive pas… Il me faut<br />
boire et fumer pour dépasser ma timidité. Saoul,<br />
je peux parler à la terre entière, lier des amitiés.<br />
Une des choses les plus importantes dans la vie,<br />
c’est l’amitié. Sentir autour de soi un petit cercle<br />
qui protège. On vit dans un monde où tu peux un<br />
jour avoir un super boulot, être le roi du monde,<br />
et puis le lendemain te faire virer, te retrouver<br />
sans rien. Là, si tu n’as pas des amis, t’es un peu<br />
foutu… J’en connais pas mal qui sont derrière<br />
leur téléphone à attendre. Mais quoi ?<br />
Vous avez fait vos classes dans les nuits du<br />
Palace.<br />
Les années 80 étaient une période complètement<br />
libre. On la résume souvent à une période très<br />
bling-bling. Elle était certes effervescente et clinquante,<br />
mais pas du tout fric. Les jeux de positions<br />
sociales n’existaient pas, les gens n’avaient<br />
pas de plan de carrière, ils voulaient s’amuser.<br />
Et puis on croisait des gens très différents. Ce qui<br />
me manque le plus dans les nuits, aujourd’hui, ce<br />
sont les mélanges. Au Palace, j’ai rencontré Erté,<br />
un illustrateur de mode des années 30. Tu vois un<br />
type de 80 balais aller en boîte aujourd’hui ?<br />
Les fêtes ont beaucoup changé elles aussi ?<br />
Dans les années 80, les bals étaient donnés par<br />
des gens qui jetaient leur argent par les fenêtres<br />
; on se battait alors pour être invité à une<br />
fête. Les soirées sont aujourd’hui sponsorisées<br />
par des marques qui lancent des produits, et les<br />
attachées de presse font à présent des pieds et<br />
des mains pour y rabattre des gens que cela fait<br />
chier. Les actrices sont payées pour porter des<br />
robes, les PDG paradent, et le gros des invités<br />
fait de la figuration… Ce n’est plus la maîtresse<br />
de maison qui t’accueille, mais un mur de logos<br />
devant lequel il faut prendre la pose. Les tenues<br />
sont au diapason du système, les strass crépitent<br />
pour rassurer sur la bonne santé du compte en<br />
banque de ces dames. On est dans une surenchère<br />
macho : elles sont toutes là pour montrer<br />
qu’elles ont un sac plus gros que leur copine !<br />
Rassurez-moi, vous vous amusez encore…<br />
Si tu arrives à une fête dans l’état d’esprit de<br />
devoir représenter quelque chose – la boîte pour<br />
laquelle tu travailles, ton statut social –, bref de<br />
te vendre, c’est sinistre. Si tu viens avec un verre<br />
dans le nez et trois copains pour foutre la merde,<br />
tu t’amuses toujours…<br />
Mode et déco fonctionnent-elles de la même<br />
façon ?<br />
A part Karl Lagerfeld, qui change de mobilier et<br />
de maison comme de chemise, non. Les gens<br />
modifient moins souvent leur cadre de vie.<br />
Votre mobilier aux formes squelettiques, chaise<br />
au dossier façon vertèbres ou table basse en<br />
forme de bassin… peut dérouter.<br />
Le fondement de tous ces objets, c’est mon propre<br />
corps. Je suis Vincent le Désossé ; mon squelette<br />
est très voyant : je n’ai pas grand-chose<br />
d’autre que la peau sur les os.<br />
On ne peut pas vraiment qualifier votre mobilier<br />
de design.<br />
Ce qui m’intéressait, enfant – et m’intéresse toujours<br />
–, c’est ce que l’on appelait autrefois les<br />
« arts décoratifs ». Quelque chose englobant la<br />
mode, le mobilier, les tissus, les bijoux…<br />
Vous avez créé le décor du Montana, une boîte de nuit.<br />
Comme tout ce qui m’arrive, c’est une histoire<br />
d’amis. André, et surtout Olivier Zahm, à qui l’on<br />
proposait de s’occuper de cet endroit, acceptèrent<br />
à condition que je réalise la déco ! Ils voulaient<br />
une « Tutch Vincent Darré ». La « tutch », c’est<br />
que je me suis retrouvé à faire tout le décor en<br />
trois semaines, avec les électriciens sur le dos,<br />
le menuisier me demandant où placer la caisse<br />
derrière le bar. Tu parles d’une « tutch » ! Mais,<br />
c’était très amusant. Je souhaitais inventer un<br />
endroit qui ressemble à l’idée que se serait faite<br />
des Américains d’une cave à Saint-Germain dans<br />
les années 60.<br />
Avez-vous peur de vieillir ?<br />
Il y a des étapes dans la vie. A 20 ans, tu fais<br />
n’importe quoi : tu peux prendre toutes les drogues,<br />
sortir tous les soirs – il faut bien en profiter<br />
parce qu’après c’est fini ! La trentaine venue, tu<br />
te dis qu’il va bien falloir travailler et faire quelque<br />
chose de ta vie, et là, tu entames ce que les gens<br />
appellent une carrière – c’est important de ne<br />
pas se rater au départ parce qu’après c’est plus<br />
difficile de prendre le train en route. A 40, tu passes<br />
par de grands questionnements : qu’est-ce<br />
que j’ai dans mon armoire ? Qui sont mes amis ?<br />
Suis-je amoureux de la personne dans mon lit ?<br />
Qu’est-ce que je garde ? Qu’est-ce que je jette ?<br />
C’est l’âge où tu réalises qu’il te reste dix ans<br />
pour faire quelque chose de créatif dans ta vie.<br />
Après, cela devient plus compliqué… Moi, je me<br />
suis réveillé au dernier moment, j’ai 50 ans et<br />
cela fait un an que j’ai ouvert la Maison Darré,<br />
c’était ric-rac !<br />
Propos recueillis par Cédric Saint André Perrin<br />
Je me demande à qui cela peut<br />
encore faire de l’effet ces<br />
photos de mannequins avec<br />
un coup la main à droite,<br />
puis la main à gauche et<br />
la main à la taille sur la<br />
double page suivante.<br />
Ce qui me manque le plus dans<br />
les nuits aujourd’hui, ce sont<br />
les mélanges. Au Palace, j’ai<br />
rencontré Erté, un illustrateur<br />
de mode des années 30. Tu<br />
vois un type de 80 balais aller<br />
en boîte aujourd’hui ?