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MAGAZINE N 51, PAGE 48<br />
André Courrèges<br />
1923 : Naissance à Pau, d’un père majordome,<br />
d’une mère toute de noir vêtue.<br />
1940 : Aussi loin qu’il se souvienne, la peinture,<br />
le dessin et la mode l’ont toujours attiré, mais<br />
pour faire plaisir à papa-maman, il entreprend<br />
des études d’ingénieur. « J’ai passé des années<br />
aux Ponts et Chaussées. Je m’y suis ennuyé à<br />
mourir. » A la Libération, il plaque tout et s’enfuit à<br />
Paris travailler pour diverses maisons de couture,<br />
tout en suivant des cours à l’Ecole supérieure des<br />
industries du vêtement.<br />
1950 : Foudroyé par l’art de Cristobal Balenciaga,<br />
il fait des pieds et des mains pour entrer dans<br />
la maison du couturier monacal : « Je veux<br />
travailler chez vous sans être payé, comme le<br />
dernier des apprentis. » Engagé comme coupeur<br />
dans un atelier tailleur, forgé à l’école de la<br />
rigueur et de l’exigence, il y acquiert les techniques<br />
d’un métier qui s’apparente à ses yeux au<br />
travail de l’architecte. Il y rencontre aussi sa<br />
« créativité complémentaire » et future épouse,<br />
Coqueline Barrière.<br />
1961 : « Sous les grands arbres, il ne pousse rien.<br />
Je suis un petit gland sous le grand chêne que<br />
vous êtes. Il faut que je vous quitte pour vivre. »<br />
Après onze années de collaboration avec Balenciaga,<br />
le premier des apprentis s’en va fonder sa<br />
propre maison de couture, au 48, avenue Kléber<br />
à Paris, achetée grâce à un prêt sans intérêt du<br />
patron délaissé, qui refusera d’être remboursé<br />
et qui lui fournira en prime clientes et directeur<br />
administratif. Empreint de minimalisme et de<br />
pureté graphique, Courrèges élabore au cours de<br />
ses premières collections un style dépouillé dans<br />
l’esprit de son illustre maître. « J’étais tellement<br />
imprégné par Monsieur Balenciaga, j’aimais tellement<br />
son art qu’il m’a fallu trois ou quatre ans<br />
pour tout oublier et faire naître mon style. »<br />
1964 : Un style qui, une fois trouvé, déclenche<br />
un raz-de-marée. La collection « Fille de lune »<br />
produit sur la haute couture un effet comparable<br />
à celui du New Look de 1947. « Il fallait, en<br />
s’appuyant sur de nouvelles règles techniques et<br />
esthétiques, inventer un vêtement moderne, un<br />
vêtement dans lequel on entrerait comme dans<br />
une boîte. » Outre le rythme endiablé des mannequins<br />
noirs sautillant sur du jazz, et les matériaux<br />
novateurs (whipcord, vinyle, nylon) disséminés<br />
dans les collections aux formes géométriques et<br />
aux couleurs layettes, « la bombe Courrèges »,<br />
comme le qualifient alors toutes les revues de<br />
mode, s’applique à redéfinir les proportions féminines<br />
en laissant le champ libre à l’expression<br />
des potentialités physiques du corps : robes<br />
trapèzes gommant la taille et les hanches, jupes<br />
outrageusement mini– dont Mary Quant et Courrèges<br />
se disputent toujours la paternité –, pantalons<br />
tout terrain et bottines plates remettent<br />
les femmes en position de course. Et les rajeunissent<br />
de quinze ans. Robettes, combi-short,<br />
babies, couettes… le verdict de Chanel est<br />
sans appel : « Cet homme s’acharne à détruire la<br />
femme, à dissimuler ses formes, à la transformer<br />
en petite fille. » Et celui de la presse, unanime :<br />
« Goodbye le lady look ! » cancanent les chroniqueuses<br />
américaines, envoûtées. Une presse qui,<br />
accusée de favoriser le plagiat, ne sera bientôt<br />
plus invitée aux défilés feu d’artifice. Le couturier<br />
susceptible s’accorde sept cents jours de retraite,<br />
réservant désormais sa production à sa clientèle<br />
privée.<br />
1968 : L’ennemi de la copie se distingue pourtant<br />
par une volonté farouche de rendre sa couture<br />
accessible au plus grand nombre. Par sa double<br />
formation artistique et technique, il entend saisir<br />
le mouvement qui s’amorce de la couture vers<br />
l’industrie. Ayant recours à la fabrication en série,<br />
qui permettait de diviser les prix par cinq, il crée<br />
alors « Couture Future », une ligne de prêt-à-porter<br />
de luxe dont chaque modèle est disponible<br />
en quatre ou cinq tailles. Hostile à toute politique<br />
de licence, le couturier de l’épure décide<br />
de tout concevoir, de tout fabriquer et de tout<br />
distribuer dans le respect des critères de qualité<br />
de la haute couture. Et ce dans son usine pilote<br />
décapotable aux armatures futuristes, implantée<br />
à Pau qui, à l’instar de son nouveau fief,<br />
rue François-I er , exhibe un décor blanc optique<br />
luminescent, résolument moderne. « Mon œuvre<br />
est faite de couleurs dans lesquelles le blanc,<br />
traduction de la lumière, le bleu azur, traduction<br />
du cosmos, et l’argent, reflet de la lune, servent<br />
de structures. »<br />
1972 : Tandis que la couture intègre progressivement<br />
les pratiques sportives inhérentes à toute<br />
« vie moderne », le couturier athlète en tenue de<br />
tennisman immaculée – « Les gens s’habillent en<br />
noir parce que ce n’est pas salissant. Ils réenfilent<br />
chaque matin des vêtements sales. La vie<br />
moderne exige que l’on soit propre intérieurement<br />
et extérieurement. » – ne se contente pas de<br />
proposer un énième vestiaire sportif mais fait du<br />
sportwear un mode de vie. « Pour moi, une journée<br />
de travail, c’est comme une partie de pelote,<br />
c’est une épreuve sportive. » En chef de laboratoire,<br />
médiateur entre la mode et la technologie<br />
de pointe, il s’approprie des matières et des fibres<br />
techniques (toile cirée, voilure de parachute)<br />
usuellement destinées à l’armée, à l’aéronautique<br />
ou au monde sportif. Sa collection « Hyperbole »<br />
se compose de « praticables » – blousons à boutons-pression,<br />
maillots, soutiens-gorges, collants<br />
seconde peau intégrale – que les 15 000 membres<br />
du personnel des JO de Munich, mutés en<br />
points information orange, se feront une (fausse)<br />
joie de tester. Bizarrement, la mode du « collantvérité<br />
» ne prendra pas chez les hommes…<br />
« J’ai cru que l’homme allait lui aussi évoluer…<br />
J’ai cru que la lumière, la clarté, que j’amenais<br />
aux femmes allait lui aussi le séduire. En fait, si<br />
la femme a transformé son mode de vie, l’homme<br />
pour l’essentiel est resté le même.»<br />
1979 : A la tête d’un empire multinational commercialisant<br />
à tout-va prêt-à-porter, parfums,<br />
maroquinerie, linge de maison, papeterie, téléphonie,<br />
gastronomie, Courrèges retourne sa veste<br />
pour développer une politique de licences et plagier<br />
le champion toute catégorie, Pierre Cardin.<br />
Ne jamais dire « jamais ».<br />
1985 : Soucieux de poser sa griffe dans des secteurs<br />
jusque-là inexploités, le couturier en blouse<br />
blanche conçoit pour le personnel hospitalier un<br />
vestiaire aseptisé en non-tissé – matière jetable<br />
stérilisée, proche du papier – remboursé par la<br />
sécu. Bleues ou roses, ponctuées de mouettes<br />
blanches stylisées – « Rien ne m’apaise plus<br />
qu’un vol de mouettes au-dessus de la mer. » –<br />
ou de petits carreaux vichy, cette fois, le personnel<br />
n’aura pas opposé de résistance (sans<br />
doute en raison du caractère jetable des combinaisons)<br />
: « Une compagnie aérienne m’avait<br />
demandé de concevoir des uniformes. Le personnel<br />
a refusé mes projets pourtant approuvés<br />
par la direction… » Après avoir été sollicité par<br />
les religieuses et les moines bénédictins pour un<br />
« relooking », il cultive le secret espoir de travestir<br />
les policiers en playmobils arc-en-ciel : « Les<br />
couleurs employées seraient différentes selon les<br />
saisons, le rang et le corps… »<br />
1988 : Promoteur d’un style global, il s’attaque à<br />
toutes les formes de l’environnement quotidien,<br />
dessinant à tour de bras voitures (Toyota, Mercedes,<br />
Matra), scooters (Honda), montres (Seiko),<br />
appareils photo (Minolta), clubs de golf, cuisines<br />
ou clenches de porte. La faute à ses partenaires<br />
japonais, le groupe Itokin, qui lui cherche des<br />
noises et l’empêche de faire de la haute couture<br />
sous prétexte de rentabilité. Frustré, il cherche<br />
d’autres moyens d’expression et finit par accepter<br />
la proposition de la société OPI : griffer de son<br />
nom un programme immobilier, les « Perspectives<br />
Courrèges », en se faisant décorateur d’intérieur<br />
et de façade. Cinq cents logements entièrement<br />
blancs et suffisamment décloisonnés pour pouvoir<br />
– à l’instar de son appartement parisien –<br />
y implanter un vélodrome, seront ainsi vendus à<br />
Suresnes. Après tout, une maison est comme une<br />
robe : une réponse à des besoins.<br />
1994 : Après s’être libéré de l’emprise japonaise,<br />
Courrèges retrouve le chemin des défilés haute<br />
couture et confie la réalisation de ses collections<br />
à Jean-Charles de Castelbajac, quatre saisons<br />
durant. Avant de passer le flambeau à son épouse<br />
hyperactive et à sa fille Clafoutis (qui préféra<br />
ensuite assumer son second prénom, Marie),<br />
il mesure sa cote de popularité en rééditant<br />
du Courrèges revu et à peine corrigé, pour finir<br />
par repeindre les bus parisiens à ses couleurs.<br />
« Toute femme plongée dans Courrèges subit une<br />
importante poussée d’optimisme ! » rééditent à<br />
leur tour les publicités. Rassuré par la nouvelle<br />
vague de plagiat, qui le décide à apposer sa griffe<br />
sur chacune de ses créations, et par la déferlante<br />
euphorisante, il peut se retirer l’esprit tranquille<br />
et se consacrer à ses passions premières : la<br />
peinture et la sculpture.<br />
2000 : Pendant ce temps, « Coqueline l’emmerdeuse<br />
» (comme elle se définit) organise des<br />
« écrandéfilés » et des happenings ubuesques<br />
enrobés d’une aura mystique… Préoccupée<br />
par l’environnement et l’évolution de la recherche<br />
scientifique, elle planche secrètement sur un<br />
concept de « vêtement génétiquement modifié » ;<br />
une fameuse protéine censée remplacer à terme<br />
le textile traditionnel.<br />
2008 : Toujours aux manettes de sa maison<br />
de couture, toujours dans l’action, super mamie<br />
Coqueline entend démontrer, au volant de ses voitures<br />
électriques – la Bulle, la Exe ou la Zooop ;<br />
bijoux écologiques destinés à participer au challenge<br />
bibendum organisé par Michelin – que rien<br />
n’est impossible : « Quand on veut, on peut ! »<br />
Marlène Van de Casteele