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MAGAZINE N 51, PAGE 76<br />

L’œil Neuf<br />

Quels furent les débuts d’un grand éditeur de la photographie contemporaine ?<br />

Dans les années 50, Robert Delpire, alors directeur technique, met en place les<br />

formules de Neuf et de L’œil.<br />

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale,<br />

en France, la société civile se mobilise pour la<br />

reconstruction du pays. Le secteur des industries<br />

graphiques, qui a souffert du pillage et de<br />

la répression pendant l’Occupation, est particulièrement<br />

sollicité pour y contribuer. De nombreuses<br />

initiatives, productions et réalisations<br />

voient le jour dans le champ du graphisme et de<br />

la typographie. Le nouvel Etat, qui a nationalisé<br />

l’ensemble des grandes entreprises de service<br />

public, doit emprunter et lance de vastes campagnes<br />

publicitaires pour financer la « reconstruction<br />

». Des commandes sont passées à<br />

quelques figures de l’affiche des années 30,<br />

comme Paul Colin, Jean Carlu ou Raymond Gid,<br />

mais c’est la nouvelle génération, souvent issue<br />

de l’école Estienne, à Paris, qui profite de cet état<br />

de fait pour s’affirmer. Les murs des administrations,<br />

des bâtiments publics, des écoles s’ornent<br />

des visuels de Jacques Nathan-Garamond, Jean<br />

Colin, Guy Georget, Villemot et quelques autres.<br />

Le ministère des Finances constitue une commission<br />

de l’imprimé pour redéfinir les normes en<br />

usage dans l’administration.<br />

Il est fait appel au typographe Maximilien Vox,<br />

bien que celui-ci ait mis son savoir-faire au service<br />

du régime de Vichy. Vox assisté d’Henri Jonquières<br />

et de Marcel Jacno s’attèlent à la charge<br />

et, en 1952, le typographe publie une nomenclature<br />

de caractères, la célèbre « classification<br />

Vox ». Néanmoins, la modernité française ne<br />

se reflète pas dans des recherches graphiques<br />

d’avant-garde. Le ton est plutôt à une effervescence<br />

néo-classique. Peut-être le résultat de<br />

positions protectionnistes et idéologiques prises,<br />

dès les années 20-30, par les grandes fonderies<br />

comme Deberny & Peignot, face aux théories de<br />

la Nouvelle typographie développées par l’Allemand<br />

Jan Tschichold.<br />

Début des années 50, le design éditorial, lui aussi,<br />

fait l’objet d’une refonte en profondeur. Un design<br />

qui profite de l’invention des ingénieurs français,<br />

René Higonnet et Louis Moyroud, la photocomposeuse.<br />

Un prototype, nommé Photon, est fabriqué<br />

en 1946 avec le soutien d’industriels américains<br />

et, en 1954, un premier modèle, baptisé Lumitype,<br />

débarque chez Deberny & Peignot. Cette<br />

nouvelle évolution technologique et les recherches<br />

de l’architecte Pierre Faucheux, passé au<br />

graphisme, annoncent par ailleurs la réinvention<br />

du livre-objet, dont les clubs de livres, organismes<br />

de vente par correspondance inspirés des<br />

systèmes allemand et américain, s’emparent. Le<br />

travail de Faucheux ne se limite pas au seul livre.<br />

En 1950, il est sollicité par un jeune étudiant en<br />

médecine, Robert Delpire qui, féru de journalisme<br />

et un peu malgré lui, a pris la direction d’une<br />

nouvelle revue, Neuf. Neuf est l’organe de presse<br />

de la Maison de la médecine qui regroupe les<br />

activités culturelles et sportives des étudiants.<br />

Pour Delpire, il ne s’agit pas de faire un simple<br />

bulletin d’association mais une vraie revue avec<br />

de « bons » textes et des illustrations de qualité.<br />

Tout manque, surtout l’argent, mais pas le culot.<br />

Robert Delpire s’adresse aux artistes, photographes,<br />

écrivains et illustrateurs de renom. La une du numéro<br />

un, qui paraît en juin 1950, propose la photographie<br />

d’un masque « Haïda » de la collection d’André Breton<br />

prise par Facchetti. André Breton participe à ce<br />

premier sommaire avec une « Note sur les masques<br />

à transformation de la côte pacifique Nord-Ouest »,<br />

qui révèle la particularité de certains masques possédant<br />

un élément capable de pivoter sur lui-même.<br />

Le numéro deux, en date de Noël 1950, offre sa<br />

une à Brassaï. Le sommaire s’ouvre sur des articles<br />

médicaux puis des articles aux signatures prestigieuses<br />

: « De la vocation d’écrivain » par Jean-Paul Sartre<br />

; « Marc Chagall, peintre de l’amour heureux » par<br />

Michel Ragon ; « Brassaï » par Henry Miller ; « Extraits<br />

de l’Histoire de Marie » par Brassaï ; « Izis » par Marc<br />

Bernard ; « La jeune fille brune » par Marcel Mouloudji.<br />

En tout : 82 pages de textes, d’illustrations en noir<br />

et blanc et en couleur tirées à 5 000 exemplaires,<br />

vendues essentiellement par abonnement. Le comité<br />

de rédaction est composé d’internes des hôpitaux et<br />

de la collaboration, en tant que directeur technique,<br />

de Pierre Faucheux.<br />

Robert Delpire dit de cette collaboration : « J’ai<br />

rencontré Pierre Faucheux à une époque où<br />

je ne savais rien d’un métier qui me fascinait,<br />

celui d’éditeur. Je n’avais que des intentions, des<br />

envies, des aspirations : publier des livres, créer<br />

une revue. Pierre Faucheux m’a apporté ce que je<br />

n’aurais pu faire sans lui : une parfaite connaissance<br />

des techniques mais surtout une liberté<br />

d’esprit, une fantaisie, une aisance exceptionnelle<br />

à manipuler la lettre et l’image dans un constant<br />

refus des conventions et des habitudes. Pendant<br />

un temps, j’ai tout appris de lui et je lui en suis<br />

encore très reconnaissant. » Si la maquette reste<br />

sage et relativement classique, Neuf devient une<br />

Pour Delpire, il ne s’agit pas<br />

de faire un simple bulletin<br />

d’association mais une vraie<br />

revue avec de « bons » textes<br />

et des illustrations de qualité.<br />

Tout manque, surtout l’argent,<br />

mais pas le culot.<br />

revue de référence pour la nouvelle avant-garde<br />

photographique qu’incarnent Cartier-Bresson,<br />

Doisneau, Werner Bischof, Robert Frank et<br />

William Klein. Mais l’originalité de Neuf tient<br />

aussi dans le mélange des genres et un certain<br />

éclectisme illustratif.<br />

Robert Delpire rencontre le dessinateur André François,<br />

à qui il confie la une du numéro six, Spécial<br />

dessin humoristique. Instinctivement, Delpire donne<br />

un nouveau statut au dessin dit « de presse ». Des<br />

artistes et dessinateurs, inclassables, interviennent<br />

dans les pages de la revue comme Mose, Chaval<br />

ou Steinberg. Cette ligne éditoriale va conditionner<br />

et affirmer l’originalité de son travail d’éditeur. En<br />

1955, la collaboration avec Pierre Faucheux se<br />

poursuit avec la conception de la maquette d’une<br />

nouvelle revue d’art, « L’Œil ». Editée en Suisse<br />

mais conçue rue des Saints-Pères à Paris, la revue<br />

propose un autre regard sur la peinture. Directeur<br />

technique (on ne parle pas encore de directeur<br />

artistique) du magazine, Robert Delpire porte, avec<br />

une maquette sobre, un œil neuf sur la création<br />

contemporaine. Une démarche et une posture qui<br />

définissent, depuis une cinquantaine d’années, l’un<br />

des grands éditeurs d’images contemporaines.<br />

Pierre Ponant

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