Aimants et boussoles - Palais de la découverte
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DÉCOUVERTE N°346 MARS 2007<br />
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du Sud lorsqu’il rédigea Episto<strong>la</strong> <strong>de</strong> Magn<strong>et</strong>e.<br />
Il s’agit en fait d’une l<strong>et</strong>tre qu’il adresse à un<br />
certain Siger <strong>de</strong> Foucaucourt, semble-t-il un<br />
ami <strong>de</strong> Picardie, résidant à Foucaucourt, une<br />
commune voisine <strong>de</strong> Maricourt dans <strong>la</strong><br />
Somme. Dans sa l<strong>et</strong>tre, il décrit les propriétés<br />
<strong>de</strong>s aimants, mais également expériences <strong>et</strong><br />
applications, certaines visant à obtenir un<br />
dispositif à mouvement perpétuel. C’est dans<br />
c<strong>et</strong>te véritable œuvre scientifique que Pierre<br />
<strong>de</strong> Maricourt forge le mot « pôle » pour désigner<br />
chacune <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux parties d’un aimant qui<br />
attire le fer <strong>de</strong> manière particulièrement forte.<br />
Pourquoi « pôle » La raison est simple :<br />
Pierre <strong>de</strong> Maricourt pensait que l’aiguille<br />
aimantée d’une boussole s’oriente toujours<br />
dans <strong>la</strong> direction nord-sud en raison d’une<br />
influence émanant <strong>de</strong>s pôles célestes (les <strong>de</strong>ux<br />
points <strong>de</strong> <strong>la</strong> voûte céleste qui restent fixes<br />
durant le mouvement diurne <strong>de</strong>s étoiles, autrement<br />
dit, en <strong>la</strong>ngage mo<strong>de</strong>rne, les <strong>de</strong>ux points<br />
vers lesquels pointe l’axe <strong>de</strong> rotation <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
Terre). C’est encore grâce à Pierre <strong>de</strong><br />
Maricourt que l’on apprend pour <strong>la</strong> première<br />
fois que <strong>de</strong>ux pôles Nord ou <strong>de</strong>ux pôles Sud<br />
se repoussent toujours, tandis qu’un pôle<br />
Nord <strong>et</strong> un pôle Sud s’attirent. À c<strong>et</strong>te époque,<br />
<strong>la</strong> nature <strong>de</strong> <strong>la</strong> supposée influence céleste<br />
s’exerçant sur <strong>la</strong> boussole était tout à fait<br />
mystérieuse <strong>et</strong> troub<strong>la</strong>nte. En eff<strong>et</strong>, pourquoi<br />
c<strong>et</strong>te aiguille capable d’interagir avec un<br />
aimant, ou du fer, interagissait-elle également<br />
avec les cieux L’idée qu’il pourrait s’agir<br />
non d’une influence céleste mais terrestre, <strong>et</strong><br />
dont <strong>la</strong> cause serait un magnétisme dû à notre<br />
propre p<strong>la</strong>nète, effleure l’esprit du Français.<br />
Hé<strong>la</strong>s, Pierre <strong>de</strong> Maricourt l’abandonne<br />
aussitôt, car dans ce cas, en raison <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
présence <strong>de</strong> nombreuses mines <strong>de</strong> fer sur<br />
terre, <strong>la</strong> boussole <strong>de</strong>vrait indiquer <strong>de</strong>s directions<br />
très différentes en divers lieux du globe ;<br />
or tel n’est pas le cas, dit le chercheur<br />
médiéval. Ainsi, il rej<strong>et</strong>te à tort l’hypothèse<br />
d’une influence terrestre. Après quoi, il<br />
cherche à savoir comment les pôles célestes<br />
influencent l’aiguille aimantée. Selon lui, l’aiguille<br />
aimantée cherche manifestement à<br />
imiter les cieux en s’alignant avec l’axe <strong>de</strong>s<br />
pôles célestes (l’axe <strong>de</strong> <strong>la</strong> Terre dirions-nous<br />
aujourd’hui). C<strong>et</strong>te remarque le conduit à se<br />
dire que puisque l’axe <strong>de</strong>s pôles célestes est<br />
imité par une aiguille aimantée, le globe<br />
céleste <strong>de</strong>vrait être imité par… un globe<br />
aimanté. En eff<strong>et</strong>, ce<strong>la</strong> tombe sous le sens.<br />
Il suggère donc à son ami Siger d’employer<br />
« <strong>la</strong> technique perm<strong>et</strong>tant d’obtenir <strong>de</strong>s<br />
pierres sphériques » pour tailler une pierre<br />
d’aimant <strong>et</strong> lui donner une telle forme. Pour<br />
trouver les pôles magnétiques <strong>de</strong> ce globe,<br />
Pierre <strong>de</strong> Maricourt suggère <strong>de</strong> procé<strong>de</strong>r en<br />
plusieurs étapes. Tout d’abord, poser une<br />
p<strong>et</strong>ite aiguille en fer à p<strong>la</strong>t sur le gobe. Elle<br />
s’orientera alors selon une certaine direction.<br />
Prolonger c<strong>et</strong>te direction sur <strong>la</strong> surface <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
sphère : ce<strong>la</strong> donnera un cercle coupant le<br />
globe en <strong>de</strong>ux moitiés i<strong>de</strong>ntiques.<br />
Recommencer c<strong>et</strong>te opération en posant l’aiguille<br />
ailleurs que sur <strong>la</strong> ligne <strong>de</strong>ssinée. Le<br />
<strong>de</strong>uxième cercle coupera le premier en <strong>de</strong>ux<br />
points par lesquels passeront tous les autres<br />
cercles. Ces <strong>de</strong>ux points sont les pôles. Si ce<br />
globe aimanté est correctement orienté <strong>et</strong><br />
pointe son propre axe nord-sud dans <strong>la</strong> direction<br />
<strong>de</strong> l’axe <strong>de</strong>s pôles célestes, alors selon<br />
Pierre <strong>de</strong> Maricourt, il <strong>de</strong>vra… tourner avec <strong>la</strong><br />
voûte céleste ! Emporté par elle, le globe<br />
effectuera donc un tour en vingt-quatre<br />
heures, ce qui en fera une horloge perpétuelle.<br />
Il invite son ami Siger à réaliser c<strong>et</strong>te expérience,<br />
mais le m<strong>et</strong> en gar<strong>de</strong> : si le globe ne<br />
tourne pas, ce sera <strong>la</strong> preuve que… l’expérience<br />
a été mal conduite (4) .<br />
Le contemporain <strong>de</strong> Pierre <strong>de</strong> Maricourt, le<br />
savant britannique Roger Bacon (1220-1292)<br />
fait connaître Episto<strong>la</strong> <strong>de</strong> Magn<strong>et</strong>e. Ce texte<br />
influence sérieusement pendant près <strong>de</strong> trois<br />
(4) C<strong>et</strong>te attitu<strong>de</strong> est encore courante dans <strong>la</strong> recherche<br />
actuelle : à l’ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> moyens <strong>de</strong> plus en plus sophistiqués <strong>et</strong><br />
lourds, on cherche – parfois à tout prix – à m<strong>et</strong>tre en évi<strong>de</strong>nce<br />
une chose prévue par <strong>la</strong> théorie, mais qui n’existe peut-être<br />
pas.