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34 Dossier : L'Europe sera laïque ou...
libérer du joug des clergés et de ceux
qui ont donné leur vie pour la liberté
de conscience. Les engagements des
libres penseurs en faveur du progrès
humain dans une société plus juste,
porteuse des valeurs des Lumières,
s’en trouvent freinés par la nécessité,
désormais patente, d’avoir à
défendre les socles sur lesquels ils
peuvent construire. Et qu’on ne
vienne plus nous parler des « racines
chrétiennes de l’Europe », qui nous
ramènent au temps des croisades, du
Saint-Empire romain germanique et
de l’Inquisition. Parions plutôt sur
les racines puisant dans la démocratie
et la philosophie grecque, civilisation
où l’on avait bien compris que
les dieux n’étaient que des symboles
destinés à expliquer au peuple ce
que la science ne pouvait pas encore
démontrer. Accordons nos racines à
l’héritage d’Aristote et des sophistes
du siècle de Périclès ; ou du moine
Giordano Bruno, brûlé par l’Inquisition
pour avoir osé évoquer l’idée
que la « chose divine » relèverait de
la conscience humaine.
Pour une laïcité d’autonomie
Face à cette situation particulière
qu’engendre le « retour du religieux
», l’action visant à garantir la
séparation des Églises et de l’État
–ce qu’on appelle la « laïcité politique
»– ne suffit plus. La laïcité du
XXI e siècle devra s’atteler à rappeler
l’importance de la libre pensée et
de la liberté absolue de conscience
dans la construction d’une société
pacifiée, rationnelle et libérée des
rivalités parfois sanguinaires des
tenants de telle ou telle croyance.
Tant il est vrai que cette querelle-là
ne s’éteindra jamais, puisqu’il y aura
toujours des hommes et des femmes
pour proclamer que leur religion est
la seule à détenir la vérité –contre
l’évidence de l’impossibilité des
autres à l’accepter.
Il importe donc pour les laïques de
lutter de toutes leurs forces pour faire
valoir, par l’exemple et l’action positive,
que seules la liberté et l’autonomie
des individus peuvent les amener
à surmonter leurs passions destructrices
ou égoïstes autrement que
dans la sublimation de la prière. Que
seule une attitude non partisane, respectueuse
des convictions de tous et
de chacun, peut amener l’harmonie
dans une société meurtrie par trop
d’injustice et de cupidité.
Même si c’est une évidence, il
convient d’affirmer avec force que
si la laïcité n’est en aucune façon
une religion, elle n’est pas non plus
un substitut à celle-ci. Bien qu’elle
reste vigilante à ce que la place des
Églises dans la société n’interfère pas
avec les centres de décision démocratiques,
les champs d’action de la
laïcité se sont élargis loin au-delà du
cadre d’un combat contre le cléricalisme.
En se battant pour la liberté,
la laïcité milite aussi pour celle de
chacun à adhérer à la religion de son
choix. C’est ce que ne semblent pas
avoir compris ceux qui considèrent
aujourd’hui la laïcité comme l’ennemi
de leur croyance. Ceux-là se
trompent de cible. À moins qu’ils
n’aient trop bien compris que la laïcité,
prise dans son acception intégrale
combinant politique, philosophie
et projet de vie, est une voie
qui permet au peuple de se libérer
du rôle de figurant pour prendre en
mains les rênes de sa propre émancipation.
L’histoire de la laïcité, qui conditionne
son avenir, c’est donc celle
d’un idéal, d’une conception de la
morale qui ne se soumet à aucune
norme divine pour se fonder sur
l’Homme lui-même, la défense de
ses droits, des libertés et de la justice.
Une conception moderne,
sinon contemporaine, forcément
évolutive, qui s’est forgée par le parcours
de la communauté philosophique
de femmes et d’hommes qui
se reconnaissent dans les valeurs de
tolérance, de citoyenneté, d’émancipation…
Cette communauté a noué
un tissu associatif fort, né d’initiatives
spontanées de personnes qui
ont voulu concrétiser cet idéal, qui
dans l’enseignement, qui dans l’éducation,
qui dans l’action sociale, qui
dans la santé, qui dans la philosophie…
Là où les postures partisanes
divisent et créent des antagonismes,
la laïcité peut rassembler en rappelant
les valeurs universelles –qui ne
sont pas nécessairement universalisables
dans la forme que nous leur
donnons– censées rapprocher les
peuples et les individus : l’égalité
concrète des chances et des droits,
la promotion de l’interculturalité, la
solidarité entre les personnes et entre
les peuples, le droit de chacun à disposer
de lui-même, et bien entendu la
liberté de culte ou de choix de vie…
La laïcité a fait sienne la devise héritée
des Lumières : Liberté, Égalité,
Fraternité. Trois valeurs concrètes,
positives et accessibles à tous. Et des
valeurs qui, surtout, n’excluent personne.