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50 Dossier : L'Europe sera laïque ou...
bancaire nous a démontré, notamment
avec l’imposition de la limitation
des bonus et de la transparence
comptable pays par pays, qu’il était
encore possible à la démocratie d’imposer
ses choix. Pour cela, il a fallu
réunir deux conditions : la volonté
politique et l’existence d’une pression
citoyenne. Sans ce second élément,
aucune victoire n’eût été
possible. Voilà la seconde raison
pour laquelle une refondation de
notre démocratie par l’engagement
citoyen, lequel ne peut se limiter au
seul vote, est indispensable.
L’expérience récente
de la législation
bancaire nous a
démontré qu’il était
encore possible à la
démocratie d’imposer
ses choix.
Répondre aux défis de ce siècle exigera
une transformation profonde
de nos sociétés, à tous les étages.
Ceci nécessitera des efforts et du
changement de la part de tous. Or,
les efforts n’ont une chance d’être
acceptés qu’à trois conditions :
qu’ils soient perçus comme apportant
une réponse effective aux défis,
qu’ils soient justement répartis –les
épaules les plus larges en portant
la plus lourde part– et qu’ils soient
décidés de manière légitime.
Cette refondation exige un engagement
renouvelé de la part des élus,
dont le mandat repose plus que
jamais sur deux piliers essentiels.
D’une part, ils doivent accomplir
leur mission exécutive ou législative
dans la transparence, en expliquant
en quoi les choix qu’ils font correspondent
à l’intérêt général. Mais ils
doivent, plus que jamais, s’exposer
au débat citoyen, à la fois pour
faire la pédagogie de leur action et
pour rester à l’écoute d’une société
dont les attentes, les souffrances et
les indignations ont parfois du mal
à se faire entendre à l’intérieur du
cocon que sont devenus les lieux de
décision politique. D’autre part, il
n’y aura pas de refondation démocratique
sans que les citoyens euxmêmes
s’y engagent : la démocratie
–même représentative– ne peut être
entièrement déléguée. Si les citoyens
renoncent à s’informer, à se former
leur opinion, à en débattre et
à engager un dialogue, fut-il parfois
rugueux, avec leurs élus, ces derniers
n’en auront les mains que plus libres
pour gouverner au profit des intérêts
particuliers. Pour paraphraser
un ancien Premier ministre, lorsque,
dégoûtés, les citoyens auront déserté
le champ politique, celui-ci restera
aux mains des dégoûtants !
Verhofstadt :
l’Europe réinventée
À l’automne dernier, Guy Verhofstadt et Daniel Cohn Bendit
publiaient « Debout l’Europe ! » 1 , livre-manifeste appelant à la
création d’une véritable Europe fédérale, seule voie crédible pour
sortir le Vieux Continent de la crise, à entendre les deux ténors
du Caprice des Dieux. Nous avons interviewé Guy Verhofstadt. Il
sera candidat aux élections européennes de 2014, contrairement à
Daniel Cohn-Bendit bientôt retraité de la vie politique européenne.
Espace de Libertés : La montée des
populismes un peu partout en Europe,
la défiance à l’égard de la construction
européenne ou encore la faible
participation annoncée aux élections
européennes de 2014 montrent que le
« rêve étoilé » est loin de faire l’unanimité.
Pour quelles raisons selon vous ?
Comment y remédier ?
Propos recueillis par Pascal Martin
Journaliste
Guy Verhofstadt : La crise européenne
reflète avant tout la crise politique qui
traverse chacun des États membres de
l’UE. Leurs structures politiques sont
devenues obsolètes pour affronter les
grands défis communs mais les classes
dirigeantes nationales s’y cramponnent
et paralysent ainsi l’action politique.
Cependant, les citoyens sentent
bien que, du coup, il n’y a personne aux
commandes quand par exemple l’euro
est attaqué. Personne à Bruxelles, car
les grandes décisions économiques et
budgétaires demeurent nationales,
mais personne non plus dans les capitales
car les gouvernements ne peuvent
en fait prendre aucune décision autonome
dans ce domaine puisque la monnaie
est commune. Cette schizophrénie
institutionnelle est une menace pour
l’existence même du projet européen.
Le monde laïque est particulièrement
inquiet devant la délaïcisation de la
construction européenne. Celle-ci est
particulièrement visible dans les dossiers
éthiques où les lobbies religieux
pèsent de tout leur poids. Est-ce aussi
votre analyse ?
Le retour du religieux est un phénomène
incontestable que j’interprète
comme une manifestation identitaire
face à la mondialisation. C’est
particulièrement vrai dans le monde
arabo-musulman, mais aussi aux
États-Unis. En Europe, l’influence des
lobbies religieux demeure encore limitée.
Une initiative citoyenne visant à
interdire l’avortement n’est ainsi pas
parvenue à réunir les signatures nécessaires.
Et notre groupe en particulier
est très attentif à ce que les questions
d’éthique n’opposent pas l’homme à la
science et interfèrent avec notre programme
de R&D.
1 Guy Verhofstadt
et Daniel
Cohn Bendit,
Debout l’Europe !,
Manifeste pour une
révolution postnationale
en Europe,
Paris-Bruxelles,
Actes Sud et
André Versaille,
2012.