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Louise Desjardins

Lettres boréales, revue littéraire des finissants en Arts et Lettres du Cégep de l'Abitibi-Témiscamingue. Revue littéraire portant sur cinq romans de Louise Desjardins.

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Revue littéraire portant sur cinq romans de Louise Desjardins.

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D’ailleurs, le souvenir de son père se ravive au contact de son amant, Carlo, qui le lui rappelle en raison<br />

notamment de son métier de chanteur country. De plus, la femme retrouve la sensation de son corps auprès<br />

de cet homme, sensation qu’elle avait perdue avec Gilles. Effectivement, Pauline découvre « un corps neuf »<br />

(<strong>Desjardins</strong>, 1998, p. 20) en faisant l’amour à un chanteur country avec lequel elle n’a pas à dissimuler<br />

ses véritables couleurs. Bref, puisque Carlo incarne ce qu’il y a de plus fidèle à l’homme de son enfance<br />

et que le souvenir de celui-ci lui transmet la force de ses convictions, Pauline renoue avec une partie de<br />

son identité qu’elle avait refoulée parce que son entourage la condamnait.<br />

Enfin, la simplicité de cette Abitibi lointaine permet non seulement à Pauline de se défaire de ses entraves<br />

et de reconquérir une identité perdue, mais elle lui permet également de s’en forger une nouvelle. Pauline,<br />

maintenant hors d’atteinte d’un mari « de plus en plus lour[d] » (<strong>Desjardins</strong>, 1998, p. 10), peut finalement<br />

se concentrer sur sa passion réelle, la musique, et trouver ses propres mélodies, qui deviendront<br />

salvatrices : « Quand il n’y avait personne dans la maison, elle en profitait pour jouer discrètement avec<br />

sa main droite les mélodies qu’elle inventait, ses mélodies à elles, plus fortes que celles des autres, celles<br />

qui l’avaient hantée depuis son enfance. Elle entendait enfin sa voix, unique. » (<strong>Desjardins</strong>, 1998, p. 155).<br />

N’ayant plus à se préoccuper que d’elle-même, Pauline se permet de s’approprier la musique qu’elle chérit<br />

depuis l’enfance, celle de son père, au point même de la dépasser en puissance. Sa musique, unique et<br />

forte, fait ainsi écho à une personnalité du même type qui se forge peu à peu. De plus, Pauline se libère,<br />

par la création, de ce qui fut autrefois néfaste à son épanouissement. Écrites dans une volonté personnelle<br />

et introspective seulement possible dans l’éloignement, ses chansons sont « [des] soupape[s] permet[tant]<br />

enfin de libérer des morceaux de solitude, d’abandon, d’amour déçu qui lui serraient la gorge depuis<br />

longtemps. » (<strong>Desjardins</strong>, 1998, p. 155). Donc, en plus de favoriser l’émancipation identitaire, la musique<br />

de ses racines paternelles et abitibiennes atténue également le mal-être causé par le rejet de l’autre. L’Abitibi<br />

érige par conséquent une barrière entre une vie aliénante et une autre, enrichissante, en permettant<br />

la construction d’une personnalité plus forte et autonome.<br />

En somme, Pauline, qui devient étrangère à elle-même auprès d’un mari qui ne reconnaît pas sa valeur intrinsèque,<br />

retourne en Abitibi dans la maison où elle a grandi avec son père. Elle se sert alors du souvenir<br />

de ce dernier pour raviver en elle la flamme de la musique country, qui lui redonne une raison d’exister.<br />

Cette longue quête identitaire la mène finalement à se réaliser pleinement en tant chanteuse country abitibienne<br />

fière et reconnue que l’on invite aux festivités de la Saint-Jean Baptiste de Cléricy. Dans Darling<br />

comme dans les autres romans de <strong>Louise</strong> <strong>Desjardins</strong>, l’Abitibi occupe une place prépondérante. Avec le<br />

personnage d’Angèle dans Le fils du Che (2008) et Rapide-Danseur (2012), l’Abitibi devient le lieu où l’on<br />

trouve refuge après avoir renoncé à ses responsabilités. Avec Claude dans La love (1993), il faut la fuir<br />

pour s’épanouir en dehors d’un modèle familial contraignant. Puis, avec Katie, dans So long, elle est le<br />

théâtre d’échecs amoureux et familiaux. <strong>Desjardins</strong> entretient peut-être avec la région une relation mêlée<br />

d’amour et de haine, mais il se révèle certain que, peu importe la situation et à la lumière de ses écrits,<br />

l’Abitibi demeure un passage obligé.<br />

Bibliographie<br />

<strong>Desjardins</strong>, <strong>Louise</strong> (1998). Darling, Montréal, Leméac, 233 p.<br />

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