Louise Desjardins

Après avoir ainsi éliminé sa mère de sa vie, Angèle se
rapproche de son père décédé. Suivant son instinct, elle
monte dans un autobus en direction de Rouyn-Noranda,
attirée par cette région de forêts et de neige qui a vu
naître Raoûl. Commence alors son périple; après une
nuit dans la capitale, elle se rend à La Sarre, puis à
Val-Paradis et Rapide-Danseur. À Lucie, une amie qui
lui demande ce qu’elle espère trouver à Val-Paradis, Angèle
répond : « je tiens à revoir la famille de mon père,
je veux savoir d’où je viens, à qui j’appartiens. » (Desjardins,
2012, p. 88). Défiant en quelque sorte sa mère qui
déteste l’Abitibi, elle se retrouve précisément là où cette dernière ne voulait pas qu’elle aille et rejoint Normand
et Magdelaine, le frère et la sœur de son père. Magdelaine agit comme un pont reliant sa nièce à ses
racines, lui permettant de se rapprocher de ses origines, tant familiales qu’abitibiennes. D’une part, Angèle
renoue avec la famille Michon au contact de sa tante, qui lui parle de ses grands-parents, de l’enfance et
de l’adolescence de son père : « Tu me fais penser à mon frère, me disait-elle. Même quand il était enfant,
il aimait partir à l’aventure sur son tricycle, se sentir seul au monde. On ne savait jamais où il était ni ce
qu’il faisait, et personne ne s’en inquiétait puisqu’il revenait juste à temps pour les repas, ponctuel comme
un homme d’affaires. » (Desjardins, 2012, p. 132). Elle découvre alors tout un pan de sa propre histoire
qu’elle ignorait et qui lui permet de communier avec son père. D’autre part, alors qu’elle vit sous le même
toit que Magdelaine, celle-ci la force à sortir de la maison, à marcher dans les bois et à faire du ski de fond.
Angèle, qui a grandi à Montréal, perd son identité de citadine et devient peu à peu Abitibienne. Ce lien avec
la nature est aussi renforcé lors de sa rencontre avec Ray, un Cri natif de Chisasibi. Elle tombe rapidement
amoureuse de lui et décide de partager sa vie. Ray et elle ont d’ailleurs plusieurs points communs : ils ont
tous deux abandonné des enfants, ils s’épaulent et ne se jugent pas. Les origines autochtones de Ray, et son
propre désir de revenir à ses racines en s’installant dans le village de Chisasibi, permettent encore une fois
à Angèle de se rapprocher de la nature abitibienne, donc de son père. À l’exemple de l’héroïne grecque,
Angèle venge donc son père, en quelque sorte, en réhabilitant la famille Michon et l’Abitibi.
Ainsi, la relation entre le personnage d’Angèle, dans Le fils du Che et Rapide-Danseur, rappelle, à bien des
égards, le concept du complexe d’Électre élaboré par Jung. En effet, Angèle « tue » sa mère afin de venger
son père, dont elle se rapproche. D’autres œuvres de la littérature québécoise abordent ce sujet délicat des
relations familiales conflictuelles. Nommons, à titre d’exemple, le roman Le feu de mon père de Michael
Delisle, en nomination cette année pour le Prix littéraire des collégiens. Comme Angèle, qui veut « éliminer »
sa mère, le narrateur de ce roman éprouve le désir d’être débarrassé de son père égoïste et violent. Il le
considère comme responsable de son malheur et souhaite le voir disparaître.
Bibliographie
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Barsky, Robert F. (1997). Introduction à la théorie littéraire, Sainte-Foy, Presses de l’Université du Québec, 261 p.
Desjardins, Louise (2012). Rapide-Danseur, Montréal, Boréal, 165 p.
Desjardins, Louise (2008). Le fils du Che, Montréal, Boréal, 172 p.
Freud, Sigmund (1900). L’interprétation des rêves, Vienne, Franz Deuticke, 759 p.
Jung, Carl Gustav (1961). « Freud and Psychoanalysis », Collected Works of C.G. Jung, volume 4, New York, Bolligen Series XX, 368 p.