21.05.2015 Views

Louise Desjardins

Lettres boréales, revue littéraire des finissants en Arts et Lettres du Cégep de l'Abitibi-Témiscamingue. Revue littéraire portant sur cinq romans de Louise Desjardins.

Lettres boréales, revue littéraire des finissants en Arts et Lettres
du Cégep de l'Abitibi-Témiscamingue.
Revue littéraire portant sur cinq romans de Louise Desjardins.

SHOW MORE
SHOW LESS

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

ses responsabilités de mère et d’épouse que Pauline déserte le nid familial et se réfugie en Abitibi, où elle<br />

s’adonnera à sa passion musicale jusqu’à découvrir, dans l’écriture et la composition de chansons, son<br />

identité propre. Pauline trouve enfin sa place dans le monde, sa route éclairée au son de sa voix, un chemin<br />

qu’elle aura librement choisi. Pauline semble vouloir démontrer que la femme est en mesure de se forger une<br />

identité en dehors du mariage et de la maternité, ce cadre fortement prisé par la société patriarcale. Une fois<br />

qu’elle est parvenue à s’occuper d’elle-même, Pauline devient enfin apte à s’occuper des autres et reprend<br />

contact avec ses enfants qu’elle invite à partager son nouvel univers, en les amenant avec elle en Abitibi pour<br />

le concert de la Saint-Jean auquel elle participe.<br />

Si Pauline est aliénée par le mariage et la maternité, rejetant à la fois son mari et ses enfants, Katie McLeod,<br />

dans le roman So long, quant à elle, se dit brimée par le mariage seulement. Mariée à deux reprises et divorcée<br />

autant de fois, elle est mère de deux enfants issus de chacun de ces hymens. À cinquante-cinq ans,<br />

la flamboyante rousse ne s’affiche au bras d’aucun homme et se satisfait de son statut de « véritable<br />

célibataire » (<strong>Desjardins</strong>, 2005, p. 52). Katie, nous pourrions le croire, se présente, sous quelques aspects,<br />

comme un double de Pauline car, à l’intérieur des limites du mariage, elle se sent dépérir et préfère fuir afin<br />

de survivre : « Vous êtes attachées à vos pères, c’est normal, dit-elle à ses filles, mais moi, si je n’avais pas<br />

quitté ces hommes, je serais morte à petit feu. » (<strong>Desjardins</strong>, 2005, p. 124). Privilégiant son bien-être psychologique<br />

au détriment du saint cadre familial, Katie affirme son identité en dehors du mariage. Toutefois, ses<br />

filles lui en veulent beaucoup d’avoir renoncé au modèle familial traditionnel, celui dans lequel le père et la<br />

mère « restent ensemble pour toujours » : « Après des décennies de féminisme, remarque Katie, rien ne semble<br />

avoir atteint ce désir de “pour toujours‘‘ comme dans les romans qui finissent bien. Non, elles n’abandonneront<br />

jamais ce lien sacré que j’ai voulu larguer de toutes mes forces pour survivre. Et voilà que le lasso me<br />

rattrape en pleine cavalcade. » (<strong>Desjardins</strong>, 2005, p. 123). Katie est ici représentée comme un animal tentant<br />

désespérément d’échapper à la capture. Par instinct de survie, elle a voulu se défaire de ces liens du mariage<br />

qui allaient finir par la tuer. Il existe cependant des conséquences au refus de la femme d’assumer son rôle<br />

d’épouse. Elle se questionne sur le bien-fondé de ce choix, de ce rejet des traditions : « Quelle sorte de mère<br />

suis-je ? » (<strong>Desjardins</strong>, 2005, p. 138). Malgré tout cela, malgré cette inquiétude quant aux conséquences de<br />

ses décisions et ce qu’elles révèlent sur sa personne, Katie comprend la nécessité d’un modèle féminin non<br />

traditionnel permettant à la femme de s’épanouir librement.<br />

La mère aliénante : Anita<br />

Par la suite, un second modèle maternel déviant peut être défini : celui de la mère aliénante, incarné par<br />

Anita dans Le fils du Che et dans Rapide-Danseur. Mère de deux enfants, Angèle et Ernest, mariée à Raoûl<br />

Michon et deux fois grand-mère, Anita n’a pas « abandonné » son rôle de mère et d’épouse au même titre<br />

que les personnages des romans précédents. Elle n’abandonne ses enfants qu’au sens figuré, puisqu’elle est<br />

tout de même présente dans leurs vies. Son cas s’avère particulier puisqu’elle renonce à son rôle maternel<br />

pour investir celui du père. Elle s’approprie le pouvoir absolu et, en cela, elle bouleverse l’équilibre familial,<br />

comme l’observe sa fille. Ainsi, plutôt que de trouver en elle une figure maternelle aimante et douce, nous<br />

avons ici une mère autoritaire et dure, accompagnée d’un père plus « mou » et plus tendre, en opposition au<br />

modèle traditionnel du père absent et moins porté aux marques d’affection, d’ordinaire associées d’office à la<br />

mère. En tant que mère déviante, Anita présente aussi plusieurs traits spécifiques. Tout d’abord, comme elle détient<br />

le pouvoir absolu, elle assume seule les tâches domestiques et refuse de laisser qui que ce soit s’approprier<br />

cette responsabilité, ainsi que le constate Angèle : « Anita n’a jamais voulu que je prépare le moindre repas, elle<br />

veut toujours tout faire à sa manière, elle est parfaite, imbattable. » (<strong>Desjardins</strong>, 2008, p. 67). Elle exerce également<br />

son emprise sur son petit-fils Alex dès sa naissance et dépossède ainsi Angèle de son rôle parental : « elle<br />

s’est graduellement détachée de lui, laissant sa mère s’en occuper, sa mère parfaite qui critiquait sans cesse<br />

la façon dont [elle] changeait le bébé, le nourrissait, l’habillait. » (<strong>Desjardins</strong>, 2008, p. 98). Anita, à l’instar<br />

37

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!