Ainsi, le philosophe David Kellogg <strong>Le</strong>wis (1941-2001), dont l’œuvre majeure est On the plurality ofworlds 75 , défend le “réalisme modal”, c'est-à-dire la thèse selon laquelle tous les mon<strong>de</strong>s possibles existent<strong>de</strong> manière effective, mais sont spatialement et causalement séparés les uns <strong>de</strong>s autres. De manièrephilosophique, nous pouvons dire que l’actuel et le possible ne présentent pas <strong>de</strong> différence ontologique : cequi est possible est effectivement actuel (au sens anglais actual, c’est-à-dire concrètement réalisé). Sonœuvre, néanmoins, tend plus à proposer une métaphysique modale nouvelle qu’à convaincre <strong>de</strong> son argument<strong>de</strong> l’actualité <strong>de</strong>s mon<strong>de</strong>s possibles 76 . Dans cette métaphysique, la nécessité est vue comme ce qui estactuellement réalisé dans tout mon<strong>de</strong> possible, et la possibilité comme ce qui est actuellement réalisé dans aumoins un mon<strong>de</strong> possible. Un mon<strong>de</strong> est quant à lui défini comme “une somme méréologique 77 maximale <strong>de</strong>choses spatio-temporellement reliées” 78 . Dans leur ensemble, les mon<strong>de</strong>s sont abondants : il n’y a pas <strong>de</strong>“vi<strong>de</strong>s” dans l’espace logique. Ceci est lié au “principe <strong>de</strong> fécondité” introduit par le philosophe RobertNozick 79 , assurant la profusion <strong>de</strong> tous les possibles : “il y a tant d’autres mon<strong>de</strong>s, en fait, qu’absolumentchaque manière possible dont un mon<strong>de</strong> pourrait être est une manière dont quelque mon<strong>de</strong> est” 80 . <strong>Le</strong>sconsidérations anthropistes sont aussi clairement annoncées : “J’aurais vraiment pu ne pas exister – ni moi,ni aucune <strong>de</strong> mes contreparties 81 . Il aurait pu n’y avoir jamais personne. <strong>Le</strong>s constantes physiques auraientpu avoir <strong>de</strong>s valeurs quelque peu différentes <strong>de</strong> ce qu’elles sont, incompatibles avec l’émergence <strong>de</strong> la vie. Ilaurait pu y avoir aussi <strong>de</strong>s lois <strong>de</strong> la nature totalement différentes. Au lieu d’électrons et <strong>de</strong> quarks, nousaurions pu avoir <strong>de</strong>s particules étrangères, sans charge ni masse ni spin, mais pourvues <strong>de</strong> propriétésphysiques étrangères, qu’aucune chose <strong>de</strong> ce mon<strong>de</strong> ne partagerait. Il y a tant et tant <strong>de</strong> manières dont unmon<strong>de</strong> pourrait être, et l’une <strong>de</strong> ces nombreuses manières est la manière dont ce mon<strong>de</strong> est” 82 . Nous sommesici très proches <strong>de</strong> la pensée mo<strong>de</strong>rne <strong>de</strong>s multivers en physique théorique : une pensée qui évacue toutecontrainte sur les possibles et toute finalité en posant comme postulat fondamental que tout ce qui peut sefaire se fait, que tout ce qui peut être est (en vertu d’un modèle explicatif qui se doit néanmoins d’êtrefalsifiable).75David <strong>Le</strong>wis, On the plurality of worlds, Blackwell, Owford, 1986, trad. fr. De la pluralité <strong>de</strong>s mon<strong>de</strong>s, M.Caveribère et J.-P. Cometti, Paris, éd. De l’Éclat, 200776Dans l’introduction, nous pouvons notamment lire : “Pourquoi faudrait-il dès lors croire en une pluralité <strong>de</strong> mon<strong>de</strong>s ?Parce qu’il s’agit d’une hypothèse commo<strong>de</strong>, ce qui en fait une raison <strong>de</strong> penser qu’elle est vraie” (§1.1 p 18).77Ce terme traduit la relation entre les parties (les objets du mon<strong>de</strong>) et le tout (le Mon<strong>de</strong> lui-même)78David <strong>Le</strong>wis, On the plurality of worlds, Blackwell, Owford, 1986, trad. fr. De la pluralité <strong>de</strong>s mon<strong>de</strong>s, M.Caveribère et J.-P. Cometti, Paris, éd. De l’Éclat, 2007, I, 6, “Isolement”, p 121.79R. Nozick, Philosophical explanations (Harvard Univ. Press, Cambridge, 1981)80David <strong>Le</strong>wis, op. cit, p 1781Une contrepartie est une personne i<strong>de</strong>ntique à nous, dont la vie coïnci<strong>de</strong> avec la nôtre jusqu’à un certain point, pourdiverger lorsqu’elle prend une décision différente ou déci<strong>de</strong> d’agir autrement que nous ne l’avons fait. L’ensemble <strong>de</strong>nos contreparties est ainsi l’ensemble <strong>de</strong>s <strong>de</strong>venirs possibles que nous aurions pu avoir.82Ibid., p 1642
2. Introduction du multivers dans le milieu scientifiquea. <strong>Le</strong> succès du finalismeL’idée <strong>de</strong> <strong>Le</strong>ibniz d’une finalité imposée par un Créateur tout-puissant qui aurait doté notre Univers d’uneoptimalité universelle a conduit le mathématicien et astronome Pierre Louis Moreau <strong>de</strong> Maupertuis(1698-1759) à proposer le “<strong>Principe</strong> d’Action” qui permet <strong>de</strong> reformuler la physique newtonienne en termesfinalistes. Pour Maupertuis, les chemins dynamiques à travers l’espace qui possé<strong>de</strong>raient <strong>de</strong>s valeurs nonminimales <strong>de</strong> la quantité mathématique appelée Action (qui est grossièrement l’énergie du système le long <strong>de</strong>la trajectoire multipliée par le temps <strong>de</strong> parcours entre <strong>de</strong>ux points donnés) seraient observés dans un mon<strong>de</strong>où les lois <strong>de</strong> la Nature seraient moins “parfaites” que les nôtres. Voici ce qu’il classe comme les autresmon<strong>de</strong>s possibles. Cela donne donc une justification mathématique précise et rigoureuse à l’idée que notreMon<strong>de</strong>, avec ses lois, soit le “meilleur”.Devenu le <strong>Principe</strong> roi <strong>de</strong> toute étu<strong>de</strong> dynamique (notamment avec l’apparition <strong>de</strong>s formalismes Lagrangienet Hamiltonien), le <strong>Principe</strong> d’Action reste un postulat qu’aucune théorie ne justifie, un “axiome” <strong>de</strong> laphysique. Il apparaît être l’une <strong>de</strong>s nécessités les plus fondamentales <strong>de</strong> notre Univers. Nous reviendrons surce <strong>Principe</strong> plus amplement en section III.b. Introduction <strong>de</strong> la notion <strong>de</strong> multiversL’idée selon laquelle notre univers ferait partie d’un super-espace contenant tous les univers possibles seretrouve dès le milieu du XX ème siècle chez le zoologiste <strong>de</strong> Cambridge Carl Pantin 83 . Habitué à l’idéedarwinienne que la Sélection Naturelle peut remédier à toute conception finaliste, il affiche déjà le type <strong>de</strong>raisonnement qui sera développé plus tard par les cosmologistes : “<strong>Le</strong>s propriétés <strong>de</strong> l’Univers matériel sontparticulièrement propices à l’évolution <strong>de</strong> créatures vivantes. […] Si nous pouvions constater que notreUnivers n’était qu’un seul parmi un nombre indéfini d’Univers avec <strong>de</strong>s propriétés variables, nous pourrionspeut-être faire appel à une solution analogue au principe <strong>de</strong> Sélection Naturelle : que seulement certainsUnivers, dont le nôtre se trouve faire partie, réunissent les conditions à l’existence <strong>de</strong> vie, conditions sanslesquelles il n’y aurait pas d’observateurs pour remarquer ce fait. Mais même si d’une quelconque manièrenous pouvions concevoir <strong>de</strong> tester une telle hypothèse nous n’aurions que remis à plus tard la question <strong>de</strong>savoir pourquoi, parmi tous ces Univers, le nôtre <strong>de</strong>vrait-il être possible ?!” 84 . De manière intéressante,Pantin pointe du doigt une problématique essentielle <strong>de</strong> la notion <strong>de</strong> multivers : même en invoquant un“méta-univers” où divers possibles se réalisent, il reste à donner un loi d’émergence <strong>de</strong> ces possibles, une83 Pantin, C.F.A., Adv. Sci. 8, 138 (1951)84Pantin, C.F.A., in Biology and personnality, ed. I.T. Ramsey, Blackwell, Oxford, 1965, pp. 103-4. (“The properties ofthe material Universe are uniquely suitable for the evolution of living creatures. […] If we could know that ourUniverse was only one of an in<strong>de</strong>finite number with varying properties we could perhaps invoke a solution analogous tothe principle of Natural Selection, that only in certain Universes, which happen to inclu<strong>de</strong> ours, are the conditionssuitable for the existence of life, and unless that condition is fulfilled there will be no observers to note the fact. Buteven if there were any conceivable way of testing such a hypothesis we should only have put off the problem of why, inall those Universes, our own should be possible?!”)43
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ConclusionNous voici arrivés au te
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Nous avons pour cela tenté de rend
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l’homme. Certains voudraient voir
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