IntroductionLa physique mo<strong>de</strong>rne est bâtie autour du postulat “classique” qu’il existe dans la nature <strong>de</strong>s lois objectives,indépendantes <strong>de</strong> l’observateur qui les met à jour, qui régissent l’enchaînement <strong>de</strong>s phénomènes au sein <strong>de</strong>l’univers où ils se déroulent. <strong>Le</strong>s lois dites “fondamentales” ont un caractère universel et nécessaire qui enfont <strong>de</strong>s spécificités <strong>de</strong> notre mon<strong>de</strong>. Elles contiennent <strong>de</strong>s valeurs brutes (au sens où celles-ci nes’expliquent pas par une théorie plus fondamentale, ou du moins pas encore), appelées “constantesuniverselles”, comme la vitesse <strong>de</strong> la lumière dans le vi<strong>de</strong> ou la constante <strong>de</strong> Planck, qui paraissent pour lephysicien théoricien être <strong>de</strong>s données a priori d’un Univers que l’homme habite par hasard. En plus <strong>de</strong> cesconstantes qui fixent <strong>de</strong>s contraintes quantitatives fondamentales au sein <strong>de</strong>s lois, d’autres paramètresrégissent l’évolution dynamique <strong>de</strong> l’Univers en fixant les conditions initiales à partir <strong>de</strong>squelles les loisagissent : ce sont ceux que nous retrouvons en cosmologie. D’autres encore contraignent la structure fine <strong>de</strong>la matière et en expliquent la stabilité, nous les retrouvons en physique <strong>de</strong>s particules. Dans un Univers oùl’homme (en grec anthropos) est le produit d’une évolution matérielle sans surprise, réglée par quelques loisélémentaires à partir <strong>de</strong>squelles le reste se déduit logiquement (un Univers où, comme le dit Bergson, “toutest donné”), il est naturel <strong>de</strong> s’interroger sur la particularité <strong>de</strong> l’apparition humaine vis-à-vis <strong>de</strong> situationsalternatives possibles où d’autres constantes, d’autres lois, auraient mené à d’autres univers d’où toute forme<strong>de</strong> vie aurait été exclue, <strong>de</strong>s univers si ari<strong>de</strong>s qu’ils seraient déjà “morts”, inertes, froids et sans vie à leurnaissance (quand bien même y aurait-il une “naissance”).La progression <strong>de</strong> pensée en physique mo<strong>de</strong>rne, qui a mené à la “révélation” <strong>de</strong>s lois et <strong>de</strong>s constantes lesplus fondamentales qui régissent l’ordre <strong>de</strong> la nature, que ce soit dans l'infiniment petit ou l’infiniment grand,a initié un mouvement naturel d’interrogation sur l’aspect justement très particulier, et au final trèsimprobable <strong>de</strong> l’existence <strong>de</strong> l’homme dans un mon<strong>de</strong> qui ne le désirait pas. <strong>Le</strong>s constantes fondamentalessemblent être finement ajustées pour assurer notre apparition : on parle <strong>de</strong> réglage fin (fine-tuning). Alorsque l’astrophysique, et par suite la physique, s’étaient bâties sur le socle du <strong>Principe</strong> Copernicien, rejetantainsi l’idée d’un Univers fait à notre mesure et dont nous serions le centre, voilà que l’on s’interroge ànouveau sur notre présence au sein du mon<strong>de</strong>. En 1974, l’astrophysicien Brandon Carter énonça ainsi unprincipe rompant avec l’idéal copernicien : l’homme est apparu sur Terre à un certain moment <strong>de</strong> l’histoire<strong>de</strong> l’univers, dans un certain lieu où les conditions étaient réunies pour son émergence, et il y a donc bien unespécificité à notre position spatio-temporelle. Pour reprendre les mots <strong>de</strong> Carter, “nous nous situons à unendroit <strong>de</strong> l’Univers nécessairement privilégié en ce qu’il a permis notre existence en tant qu’observateurs”.Cette version du <strong>Principe</strong> <strong>Anthropique</strong> est dite faible car elle se limite à <strong>de</strong>s considérations spatiotemporelles.Néanmoins, ces considérations mènent à s’interroger plus particulièrement sur les conditionsplus profon<strong>de</strong>s faisant <strong>de</strong> notre Univers un lieu privilégié, à savoir la valeur <strong>de</strong>s constantes fondamentales et<strong>de</strong>s conditions initiales régissant le <strong>de</strong>venir <strong>de</strong> l’Univers : “l’Univers (et donc les paramètres fondamentauxdont il dépend) doit être tel qu’il admet l’apparition d’observateurs en son sein à un moment donné”. C’estla version forte du <strong>Principe</strong>, qui est en gran<strong>de</strong> partie responsable <strong>de</strong>s controverses qui s’ensuivirent. En effet,8
en posant l’apparition <strong>de</strong> l’homme comme fin et en cherchant à contraindre <strong>de</strong> façon récursive les conditionsinitiales ayant permis son apparition, certains ont vu poindre un retour à un finalisme que la physique s’estvouée à exclure <strong>de</strong>puis sa rupture avec le système aristotélicien. L’argument du fine-tuning, épaulé par un tel<strong>Principe</strong>, a d’ailleurs été repris par les théologiens pour argumenter en faveur d’une finalité imposée par Dieuà notre Univers. <strong>Le</strong>s scientifiques, eux, ont montré <strong>de</strong>ux types d’approche à ce problème. Pour certains, larésolution <strong>de</strong> cette apparente finalité se trouve dans le hasard fondamental. Ce hasard agit au sein d’unensemble d’Univers qui existent, ont existé ou existeront <strong>de</strong> manière réelle : c’est le multivers. Ici, lesconstantes fondamentales et les conditions initiales peuvent varier d’un univers à l’autre, autorisant danscertains l’apparition d’observateurs conscients, l’excluant dans d’autres. Nous nous trouvons par un effet <strong>de</strong>sélection dans l’un <strong>de</strong>s univers favorables à notre existence, et ceci sans invoquer d’entité divine l’ayantdésiré et ayant agit en vue <strong>de</strong> cette fin. La solution <strong>de</strong>s multivers est répandue chez les théoriciens, car ellepropose une approche véritablement scientifique du problème : modélisation d’un ensemble <strong>de</strong> mon<strong>de</strong>spossibles, avec le mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> génération <strong>de</strong> ces mon<strong>de</strong>s, <strong>de</strong>s valeurs <strong>de</strong>s constantes et <strong>de</strong>s conditions initiales(que ce soit ou non selon <strong>de</strong>s “lois” du hasard), et possibilités <strong>de</strong> réfutation du modèle proposé en fonction<strong>de</strong>s observations faites dans notre Univers. Pour d’autres, en rester à l’improbable n’est pas satisfaisant. <strong>Le</strong>fine-tuning doit pouvoir être expliqué par <strong>de</strong>s arrangements supérieurs : la recherche <strong>de</strong> coïnci<strong>de</strong>ncesnumériques parmi certains grands nombres obtenus à partir <strong>de</strong>s constantes fondamentales permet <strong>de</strong> son<strong>de</strong>rles relations cachées, et au final <strong>de</strong> révéler une loi supérieure inattendue. Ce genre <strong>de</strong> travail, popularisé parl’hypothèse <strong>de</strong>s grands nombres <strong>de</strong> Dirac, proposant l’égalité <strong>de</strong>s grands nombres sans dimension ayant <strong>de</strong>svaleurs proches et étant issus <strong>de</strong> différentes relations entre constantes fondamentales, va introduire l’idéequ’il doit y avoir une nécessité première imposant le fine-tuning, et donc expliquant notre présence. D’autrestentatives suivront se proposant d’éluci<strong>de</strong>r scientifiquement une telle nécessité. <strong>Le</strong> combat se fait donc sur leplan <strong>de</strong> l’unicité/nécessité <strong>de</strong> notre univers, contre la pluralité/contingence <strong>de</strong>s univers multiples.<strong>Le</strong> <strong>Principe</strong> <strong>Anthropique</strong> est souvent présenté dans une telle optique <strong>de</strong> lutte <strong>de</strong>s physiciens contre la finalitéet contre les théologiens. Dans un sens, le <strong>Principe</strong> <strong>Anthropique</strong> évoque dans le domaine <strong>de</strong> la physique leproblème posé à la biologie par les a<strong>de</strong>ptes <strong>de</strong> l’Intelligent Design, une théorie finaliste et statique <strong>de</strong>génération <strong>de</strong>s espèce vivantes, en concurrence avec la théorie <strong>de</strong> la sélection naturelle. De même, lesphysiciens tentent <strong>de</strong> résoudre le problème <strong>de</strong> l’arrangement particulier <strong>de</strong>s constantes fondamentales entravaillant à une théorie qui serait aussi explicative, réfutable, et surtout non finaliste que la théorie <strong>de</strong> lasélection naturelle. Ceci nous amène à nous poser en spectateurs d’un tel combat, et <strong>de</strong> l’évaluer en termesépistémologiques. Il n’est en premier lieu pas évi<strong>de</strong>nt que la finalité soit tout à fait exclue <strong>de</strong> la physique : entant qu’elle est (pour sa part classique) déterministe, elle peut être traitée <strong>de</strong> manière absolument équivalenteen termes finaux. Et même si une part d’indéterminisme est acceptée, reste la finalité inhérente au <strong>de</strong>venirlui-même : nous pensons ici aux philosophies du <strong>de</strong>venir <strong>de</strong> Bergson ou Whitehead par exemple, quin’excluent pas la finalité, le <strong>de</strong>venir créatif, mais la mettent au profit d’une explication cohérente du mon<strong>de</strong>.Par ailleurs, le travail même <strong>de</strong> l’anthropiste génère divers questionnements méthodologiques. Il y a d’abordl’assurance d’avoir un modèle théorique abouti, que ce soit en cosmologie ou en physique <strong>de</strong>s particules, quigénère la prétention <strong>de</strong> connaître avec assez <strong>de</strong> précision l’espace <strong>de</strong> variation <strong>de</strong>s paramètres et <strong>de</strong>s9
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Cette orientation dépend de l’é
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ConclusionNous voici arrivés au te
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Nous avons pour cela tenté de rend
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