Libraire d’un jourD ENISV ILLENEUVEEntreromantismeet luciditéAu fil des douze dernières années, Denis Villeneuve s’estimposé dans notre paysage cinématographique avec ses filmsUn 32 août sur Terre, Maelström et, plus récemment,Polytechnique. Accaparé par la sortie d’Incendies, son nouveleffort adapté de l’œuvre de Wajdi Mouawad, le Trifluviend’origine a trouvé le temps de revenir pour nous sur les lecturesqui l’ont marqué.ParStanley Péan10 • LE LIBRAIRE • OCTOBRE - NOVEMBRE 2010<strong>Le</strong> moins qu’on puisse dire au sujet des rapports de Denis Villeneuve avec lalittérature, c’est qu’ils sont marqués au sceau de la pudeur. Affligé d’une mémoirequ’il estime défaillante et d’un sentiment persistant d’imposture, le cinéaste etscénariste craignait de ne pas se souvenir suffisamment de ses lectures. Pourtant,notre <strong>libraire</strong> d’un jour s’est révélé un lecteur sensible dont les observations surles œuvres témoignent d’une compréhension des textes qui transparaît par ailleursdans son cinéma.« Mes premiers émois de lecture sont liés à trois caisses pleines de numéros du Journalde Tintin qu’une tante allait jeter à la poubelle », se rappelle Villeneuve, attendri par lesouvenir des bandes dessinées franco-belges de son enfance. « Hergé, Franquin, Gotlib,Pratt, je les ai adorés. Je lis encore un peu de BD, avec les enfants, mais si peu. Jepeux me tromper, je ne suis pas expert, mais il me semble qu’il manque à la BDcontemporaine ce romantisme, ce lien avec l’Histoire que je trouvais dans les BuckDanny, les Corto Maltese et les Alix qui m’ont tant marqué. » Villeneuve reconnaît quecet amour de jeunesse reflétait déjà un certain « désir de cinéma » chez lui : « J’ai faitun peu de bande dessinée, plus jeune; j’avais un copain qui dessinait et j’écrivais lesscénarios. C’est vrai que la BD et le cinéma ont beaucoup en commun : le rapport aucadrage, le découpage technique et un certain ludisme… »Quant au premier choc de lecture proprement littéraire, Villeneuve l’attribue sanshésiter au « Cycle de Dune » de Frank Herbert, dont il a lu la totalité à partir de sonentrée au secondaire : « J’étais très friand de science-fiction et c’est le gros truc quim’a accroché. Avec le recul, je crois que les livres d’Herbert décrivent par anticipationnotre monde postcolonial, notre XXI e siècle et les rapports problématiques entre politiqueet religion, l’opposition entre l’Occident et l’Islam. L’ennui, c’est qu’aprèsHerbert, aucun auteur de SF ne m’a autant ébranlé. J’ai essayé de me plonger dansAsimov, mais le charme n’opérait pas. Il m’a fallu attendre la découverte de La Routede Cormac McCarthy pour ressentir un choc similaire. Je l’ai lu en version originale,pour la musique de son écriture. Au-delà du récit, j’ai été bouleversé par l’écriture, labeauté de l’épure, la structure et la rythmique de la phrase. Ce livre figurera longtempsdans mon “Top 5” littéraire. »L’artiste en face du mondeSi la littérature d’anticipation n’a pas su accrocher Denis Villeneuve, le reste du corpuslittéraire mondial ne l’a pas ménagé en émois d’un autre type, à commencer parl’œuvre de Yukio Mishima : « Ma première rencontre avec lui, ç’a été <strong>Le</strong> Pavillon d’or,un roman qui m’a habité longtemps, dont les propos sur la tyrannie de la beauté, surles rapports entre la nature et la beauté m’ont profondément troublé. Je l’ai lu à la finde l’adolescence, et je crois qu’il a beaucoup influencé mon propre regard sur lesublime, le sacré, le rituel. » Comme pour son rapport avec Herbert, notre <strong>libraire</strong> d’unjour, qui se définit ironiquement comme un monogame en lecture, a poursuivilongtemps et intensément sa relation avec Mishima : « J’ai lu <strong>Le</strong> Marin rejeté par la mer,La Musique et <strong>Le</strong> Soleil et l’acier, enfin environ la moitié de son œuvre complète, parcequ’elle correspondait à mon propre romantisme exacerbé. »« LE CYCLE DE DUNE »(PLUSIEURS TOMES)Frank HerbertPocketentre 12,95 et 15,95 ch.LA ROUTECormac McCarthyPoints256 p. | 14,95$LE PAVILLON D’OR,LE MARIN REJETÉ PAR LAMER, LA MUSIQUE ET LESOLEIL ET L’ACIERYukio MishimaFolioentre 12,95$ et 14,95$ ch.ÉTRANGE MUSIQUEÉTRANGÈRE<strong>Le</strong>onard Cohen, L’Hexagone292 p. | 26,95$LE CAP DE BONNEESPÉRANCEJean CocteauGallimard256 p. | 14,95$L’ÉCUME DES JOURSET J’IRAI CRACHERSUR VOS TOMBESBoris Vian<strong>Le</strong> livre de poche10,95$ ch.
Rentrée automnale 2010COURRIER SUDET VOL DE NUITAntoine de Saint-ExupéryFolio7,95$ et 9,95$ ch.LA CHUTE, L’ENVERS ETL’ENDROIT, L’ÉTRANGERET LA PESTEAlbert CamusFolioentre 9,95$ et 13,95$© Films SevilleParmi ses autres influences majeures,le grand amateur des poésies de JeanCocteau et de <strong>Le</strong>onard Cohen cite BorisVian (L’écume des jours, J’irai cracher sur vostombes), dont il a lu les fictions, la poésie etle théâtre de manière compulsive et qui luia appris qu’un artiste doit créer avec lesérieux d’un enfant qui s’amuse en plus delui faire découvrir du Duke Ellington. Demême, le cinéaste évoque avec admirationla figure de Saint-Exupéry (Courrier Sud, Volde nuit), ce grand solitaire qui regarde lemonde du haut des cieux et dont ladémarche a quelque chose de cinématographique.Et dans un même souffle,mon interlocuteur se remémore le choc quelui avait infligé la lecture de Camus : « Je neme souviens pas lequel, de L’Étranger ou LaPeste, j’ai lu en premier. Mais je me rappellede l’expression de sa révolte face au silencedu monde, de ce regard lucide qui m’avaitbouleversé. Avant lui, je n’avais jamais étéconfronté à une pensée aussi précise ettranchée. Et si La Chute et les autresromans m’ont laissé une impression forte,c’est quand même un court texte deL’Envers et l’endroit (« L’Ironie ») qui m’a leplus touché. »Plus récemment, Denis Villeneuve a fait ladécouverte d’Elie Wiesel, nommément avecLa Nuit et L’Aube : « Voilà une œuvre douloureusement juste que j’aimerais transposerau cinéma. Wiesel nous montre que les gestes de violence ont toujours unlien avec le passé, et que commettre un crime équivaut toujours à souiller lamémoire des ancêtres. C’est un auteur auquel j’ai envie de revenir. » Évidemment,ces dernières années, le cinéaste a été happé par l’univers du dramaturge etmetteur en scène Wajdi Mouawad : « Je ne le lui ai pas dit, mais j’ai assisté à lalecture de la pièce <strong>Le</strong>s mains d’Edwidge, j’ai vu aussi son adaptation du Voyage aubout de la nuit de Céline. Dans des pièces comme Incendies, je suis complètementfasciné par sa capacité d’exprimer un point de vue à la fois intime et collectif, demarier tragédie antique et préoccupations contemporaines. C’est un auteurmonumental, pour qui j’éprouve une admiration sans bornes, et son œuvre varester, c’est sûr. »<strong>Le</strong>s choix de Denis VilleneuveL’AUBE ET LA NUITElie Wiesel,Points et Minuitresp. 10,95$ et 13,95$INCENDIESWajdi Mouawad<strong>Le</strong>méac/Actes Sud94 p. | 14,95$Renald Bérubé<strong>Le</strong>s caprices du sportroman fragmentéen librairie le 14 septembreSergio KokisDissimulationsnouvellesen librairie le 28 septembreBULLETIN D’ABONNEMENTEsther Croft<strong>Le</strong>s rendez-vous manquésnouvellesen librairie le 13 octobreNicolas TremblayL’esprit en boîtenouvellesen librairie le 1 er septembreLÉVESQUE ÉDITEURwww.levesqueediteur.com1985DISTRIBUTION : DIMEDIA INC.www.dimedia.qc.ca1/4 desiècle1 an/4 numéros (ttc)INDIVIDUINSTITUTION2010Canada 30 $ Canada 40 $Étranger 40 $ Étranger 50 $2 ans/8 numéros (ttc)INDIVIDUINSTITUTIONCanada 55 $ Canada 75 $Étranger 75 $ Étranger 95 $3 ans/12 numéros (ttc)INDIVIDUNomAdresseVilleCode postalTéléphoneCourrielCi-joint Chèque Visa MasterCardN oExpire leSignatureDateINSTITUTIONCanada 75 $ Canada 105 $Étranger 105 $ Étranger 135 $Visitez notre site Internet :www.xyzrevue.comLRETOURNER À :XYZ. LA REVUE DE LA NOUVELLE11860, rue GuertinMontréal (Québec) H4J 1V6Téléphone : 514.523.77.72Télécopieur : 514.523.77.33Courriel : info@xyzrevue.comSite Internet : www.xyzrevue.comLE LIBRAIRE • OCTOBRE - NOVEMBRE 2010 • 11