36 • LE LIBRAIRE • OCTOBRE - NOVEMBRE 2010Littérature québécoiseYing ChenUn brin de sagesseIl y a d’abord eu La mémoire de l’eau en 1992. Puis,de ces incontournables <strong>Le</strong>ttres chinoises à Un enfantà ma porte, Ying Chen a séduit les lecteurs d’ici. <strong>Le</strong>charme se poursuit avec Espèces (Boréal), autre tourde force de l’auteure d’origine chinoise, maintenantinstallée à Vancouver. Par le quotidien de ses personnagesfétiches, une femme anonyme et son époux,Ying Chen nous guide dans ce que l’humain a de plussombre et se braque contre l’individualisme etl’inhumaine humanité. <strong>Le</strong> tout,enrobé dans uneécriture élégante, sobre et efficace.Ainsi, la femme sans nom revient, se vautre dans sonmarasme habituel. Et puis, d’un coup, c’est la révélation.Elle se métamorphose en chat, sans que sonentourage s’en émeuve réellement. Pour la femmechat,tout change. Elle observe, méditative. Elle jetteun regard nouveau sur ces humains qui vivent avecun tel sentiment de supériorité.<strong>Le</strong> contraste entre la vie féline et la condition humaineest majeur. « Pourquoi est-ce plus facile aujourd’huid’être un chat qu’être humain?, se questionne YingChen. <strong>Le</strong>s individus sont maintenant plus enclins às’occuper d’un chat que d’un de leurs semblables.C’est le monde à l’envers. » En chat, la femme atteintune nouvelle sérénité. « La vie est tellement plussimple sans langage », explique l’auteure. Pessimiste,Ying Chen? « Pas du tout. En fait, je suis théoriquementpessimiste. Pratiquement, il faut continuer, jecontinue, l’humanité continue. On ne peut pas êtrepessimiste dans l’action. »À l’aube de la cinquantaine et après vingt ansd’écriture, Ying Chen est à l’heure des bilans : « J’aimoins de force en vieillissant, moins de temps pourécrire, moins d’énergie, moins de concentration. Jesuis plus prudente. J’essaie de ne pas être trop sage,même si je le suis plus qu’avant. J’ai un peu plusde lucidité. Un peu plus de sérénité, aussi. »Chose certaine, les lecteurs resteront fidèles à lafragile artiste.© Tie-Ting SuCaroline Larouche,<strong>Le</strong>s Bouquinistes<strong>Le</strong>s bouteilles, Sophie Bouchard (La Peuplade)<strong>Le</strong>s soupirs du vent, Marie-BernadetteDupuy (JCL)Bancs publics, Nicole Houde (La Pleine Lune)Déjà, Nicolas Bertrand (Septentrion)Noblesse déchirée (t. 3), Jennifer Ahern (Libre Expression)sombre mais drôle d’Une vie inutile (Héliotrope) deSimon Paquet, qui tient le blog du même nom.Toujours aussi prometteurRetrouver un auteur qui avait fait grande impressionles saisons passées est toujours une expérienceagréable. <strong>Le</strong> vent automnal annonce le retourd’Hélène Vachon qui avait épaté, en 2002, avec Latête ailleurs. Cette fois, elle offre un morceau touten finesse avec Attraction terrestre (Alto), quicélèbre, selon son éditeur, « le bonheur d’exister surterre ». Chez <strong>Le</strong>méac, on applaudit la récidive deSofia Benyahia qui, trois ans après l’excellent <strong>Le</strong>scouteaux à pain trouent les seins comme rien,revient avec Contes pour mon père. Après avoirfréquenté l’univers des moines, David Dorais ouvrela porte à un étrange Cabinet de curiosités, un texteà la limite du fantastique publié à L’instant même,qui annonce également Soyons amis de SuzanneLantagne. Grâce à Un souffle venu de loin d’EstelleBeauchamp, dont on se rappelle <strong>Le</strong>s enfants de l’été,on s’évadera avec Mirka, enfant réfugiée au Canadaaprès la Deuxième Guerre mondiale. Dans unregistre plus léger, Anne Bonhomme quitte le milieuscolaire de La suppléante pour naviguer, avec Échecset maths (Stanké), dans les méandres de la télé -réalité et de la beauté à tout prix.Se faire un nomPercer, voilà le défi de tout auteur d’unpremier roman. Qui seront les perlesrares, les Kim Thuy ou Marc Séguin dela rentrée 2010? Il faudra fouiller,encore une fois, du côté du Marchandde feuilles, qui offre La huitième gorgéede Valérie Carreau, des nouvelles sur lequotidien de femmes, et L’évangileselon Taura de Jimmy Lalande, quiprouvera – qui sait – l’existence deDieu. À moins que la surprise ne viennede l’artiste visuelle Suzanne <strong>Le</strong>blanc etde son roman philosophique d’unegrande sensibilité La maison à penserde P. (La Peuplade). La chronique familialedu dramaturge Gilles Vilmont, Ladernière nuit de Jeanne (La courteéchelle), intrigue aussi avec ces frères etsœurs rassemblés, malgré les conflits, auchevet de leur mère mourante. Lamaladie est également présentedans Déjà (Septentrion), du jeuneMontréalais Nicolas Bertrand. Pendantque Dominique Robert ouvre la porte desa Chambre d’amis (Herbes rouges), lesdésillusionnés, eux, opteront pourZ.I.P.P.O. (<strong>Le</strong>méac), premier roman dedeux altermon dialistes, Mathieu Blais etJoël Casséus.Un vers pour la routeGrosses pointures d’un côté, nouveaux venus del’autre : l’automne augure bien dans les rayons depoésie. Parmi les plus attendus, notons le recueil deLouise Dupré (Noroît), L’épreuve de la distance deDenise Brassard (Noroît), <strong>Le</strong>s grands cimetières deMartine Audet (L’Hexagone), L’or de Klimt deJean-François Poupart (Poètes de brousse), Toutel’œuvre incomplète de François Hébert (L’Hexagone)et <strong>Le</strong>s Urbanishads, la premièreincursion en poésie pour ledramaturge et romancier SergeLamothe (Lézard amoureux). Deplus, on surveille attentivement lesparutions de Véronique Cyr, ClaudeParé, François Guerrette, JoanneMorency, Jean Sioui et PatrickLafontaine, qui ont derrière euxdes recueils de grande qualité.On pourra aussi côtoyer les oiesde Mireille Gagné ou les icônesdémodées de Nelson Charest, ets’aventurer dans les haïkus deXavier Jacob, dans les graffitis deChantal DesRochers et auxtréfonds de la nuit avec FranzBenjamin. Un détour s’impose vers les élans deMarjolaine Beauchamp (Aux Plexus, L’écrou),lauréate du Grand Slam National de Poésie 2009.Et pourquoi ne pas essayer la poésie de PierreDesRuisseaux (Chemin du miracle, Noroît), actuelpoète officiel du Parlement canadien à Ottawa?Entre deux plateaux de tournageIl est toujours intrigant de découvrir les créationslittéraires de figures connues du petit et du grandécran. Manient-ils les mots aussi bien que la parole?Il faudra lire. D’abord, L’homme errata (Fides), del’homme de théâtre Jean-François Casabonne suit laremise en question d’un artiste. Avec talent, lacinéaste Anaïs Barbeau-Lavalette conserve l’espritde son film <strong>Le</strong> Ring avec Je voudrais qu’on m’efface(Hurtubise). De son côté, le comédien Gilbert Turpdévoile la reprise en main d’un homme (Ne t’arrêtepas, <strong>Le</strong>méac). Michel Jean, animateur de JE, rendraquant à lui un hommage bien senti aux femmes avecUne vie à aimer, à paraître chez Libre Expression,
aussi éditeur du western Unehistoire de cowboy de – leshabitués de RDS la reconnaîtront -Claudine Douville. On ne peutpasser sous silence les premiersromans du scénariste et comédienBenoît Roberge (Éparpillé, <strong>Le</strong>sMalins) et de Varda Étienne (Femmesde gangster, Intouchables). Mentionsspéciales aussi à Roy Dupuis qui figure dans le titredu Luc Mercure (La faute à Roy Dupuis, <strong>Le</strong>méac) etau hockeyeur Patrick Roy, qui, incidemment, portele même nom que l’auteur de La ballade de NicolasJones (Quartanier). Gageons que ce Patrick Roylittéraire retiendra notre attention avec son « westernmétaphysique ».Une histoire à raconter<strong>Le</strong>s Québécois sont friands de sagashistoriques, et ils seront gâtés aucours des prochaines semaines!Détour obligé par la conclusion dela série « Un bonheur si fragile »du prolifique Michel David, décédéen août. Son éditeur, Hurtubise,offre également les suitesespérées des « Folles années » deJean-Pierre Charland et de La forcede vivre de Michel Langlois. Suites ultra-attenduesaussi que celles des « Mémoires d’un quartier » deLouise Tremblay-D’Essiambre et de « Racines defaubourg » de Sophie-Julie Painchaud, toutes deuxchez Guy Saint-Jean éditeur, d’« Au bout de l’exil» de Micheline Duff, d’« Une jeune femme enguerre » de Maryse Rouy et de « La Fille du PasteurCullen » de Sonia Marmen, publiés chez QuébecAmérique. Par ailleurs, pour ceux qui n’ont entaméaucune de ces séries, jetez votre dévolu sur leprometteur Jour de tourmente (VLB) de Marie-Claude Boily, sis dans le Montréal ouvrier desannées 1880, ou sur <strong>Le</strong> curé d’Anjou (Fides)d’Odette Mainville, basé sur l’histoire vraie d’unprêtre gaspésien alcoolique. Pour un zeste deglamour, optez pour les destins de « Reinestragiques » (Danny Saunders, <strong>Le</strong>sÉditeurs Réunis).Lire un sourire aux lèvresRire de soi, voici l’objectifqu’atteint François Barcelo avecÇa sent la banane, romand’autodérision dans lequel unQuébécois s’évertue à donnerdes cours de claquettes, malgréson incapacité à en exécuter lemoindre pas. L’humour est aussiau rendez-vous dans Et Dieucréa les animaux à notreimage, fable moderne imaginéepar Marc Sauvageau (Planèterebelle). Autre conte pouradultes, Hier, j’ai marché quinze jours (MichelBrûlé) d’André Richard ravira les amateurs de récitspoétiques et humoristiques. L’ironie et l’humourd’Hélène Ferland se revêtent de noir au détour despages d’Une nouvelle chasse l’autre (Sémaphore),un recueil qui, entre deux récits plus sombres,laisse poindre un soupçon de sarcasme bien senti.Car, même si la vie n’est pas toujours drôle, mieuxvaut en rire…À l’ombre d’un sourireUn livre est un rétroviseur, un moyen de regarderle passé. Un ouvrage comme En route et pas desentiment (Hurtubise) permet de suivre lesderniers moments d’Anne Hébert à travers lesyeux de Michel Gosselin, qui aréellement côtoyé la grande damedes lettres avant son décès. Fictionet réalité s’entremêlent pourmontrer un nouveau visage de ladiscrète Anne Hébert. Semblableproposition du professeur etcritique Réal La Rochelle, qui revitle passage à Montréal dugénial interprète et compositeur <strong>Le</strong>onardBernstein, dont on souligne le 20 e anniversaire dedécès cette année (<strong>Le</strong>nny Bernstein au parcLafontaine, Triptyque). D’autres s’attardent à desclans, dont André Lamontagne, qui exhume lepassé de la communauté chinoise à Québec dans<strong>Le</strong>s fossoyeurs (David). Plus intime, Nadia Ghalemraconte avec L’amour au temps des mimosas(Mémoires d’encrier) le parcours d’immigrants. <strong>Le</strong>thème de la mémoire est également omniprésentdans le quatrième roman de Jérôme Élie, L’oubli,après nous (Pleine lune). La narratrice de Jemourrai pas zombie, deuxième roman de DianeLabrecque à qui l’on doit Raphaëlle en miettes,entame la recherche de deux anciennes flammes.Comme quoi il y a des rencontres qui marquentà jamais…Yves Guillet,<strong>Le</strong> FureteurTiroir N o 24, Michael Delisle (Boréal)<strong>Le</strong> temps qui m’est donné, Jean-François Beauchemin (Québec Amérique)De chair et de bronze, Rachel Laverdure (VLB éditeur)La respiration du monde, Marie-Christine Huglo (<strong>Le</strong>méac)Comme dans un film des frères Coen, Bertrand Gervais (XYZ)© l’AbricotWilliam M. MessierUne étrange odeurde réussiteUne odeur de diesel mélangée aux pénibles parfumsdes charognes. Voilà ce qu’Étienne, personnageprincipal du roman Épique de William S. Messier(Marchand de feuilles), devra subir pendant l’été2005. Road novel au cœur des Cantons-de-l’Est, cerécit s’avère une des bonnes surprises de la rentrée,un condensé d’humour fin qui s’amuse à tisser desliens entre le folklore et la modernité. « Je trouve leparadoxe entre les deux concepts intéressant,puisqu’ils sont normalement opposés », soulignecelui qui a signé le recueil de nouvelles Townshipsen 2009.Pendant la période estivale, Étienne ramassechevreuils morts et moufettes écrasées au côté deJacques Prud’homme, une légende du tout Brome-Missisquoi. Puis, après de multiples signes avantcoureurs,un déluge frappe la région. Frappeégalement l’imaginaire des Estriens, qui ont alorsbien besoin de ces héros locaux. Au détour, Messierdiscourt sur le temps. « C’est un élément importantdu texte, croit-il. L’idée de prendre le temps, de sel’approprier est mise de l’avant. »Décidément, Messier, originaire de Cowansville,magnifie sa région natale : « Je me considèrechanceux d’avoir trouvé un terreau aussi fertile »,déclare l’auteur dans la mi-vingtaine. Inspiré de laprose de Mark Twain, « un géant de la littératuremondiale », Épique magnétise. Embarquez dans cepick-up, toutes fenêtres baissées, une casquetteJohn Deere sur la tête!ÉPIQUEWilliam S. MessierMarchand de feuilles282 p. | 19,95$LE LIBRAIRE • OCTOBRE - NOVEMBRE 2010 • 37