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SPECTRUM #5/2016

Vivre en itinérance

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DOSSIER<br />

Gens du voyage en Suisse, une vie vraiment libre ?<br />

Dans un pays où la sédentarité est la norme, quel statut le droit accorde-t-il aux gens du voyage ?<br />

LUCIE BESSON<br />

Il y a 90 ans, Pro Juventute lançait l’action<br />

« Enfants de la grand-route », visant<br />

à détruire la communauté des<br />

gens du voyage en Suisse. Pour arriver<br />

à ses fins, « l’œuvre » arrachait les enfants<br />

à leur famille, sous prétexte de<br />

négligences. Au total près de 600 enfants<br />

ont été internés, ou placés dans<br />

des familles, souvent peu scrupuleuses.<br />

Au moment de la montée du nazisme<br />

en Europe, une telle œuvre paraissait<br />

tout à fait bienfaisante. Et Pro Juventute<br />

n’a eu aucun mal à obtenir l’aval et des<br />

fonds de la Confédération, des cantons<br />

ou même de mécènes privés. À la suite<br />

d’articles parus en 1972 dans le « Beobachter<br />

», révélant les maltraitances subies<br />

par les enfants, Pro Juventute mit<br />

un terme à l’œuvre. Plus de quarante ans<br />

après les derniers faits, quelles sont les<br />

séquelles ?<br />

Peu de place dans l’histoire suisse<br />

Il existe bien en Suisse une communauté<br />

des gens du voyage, plus particulièrement<br />

les Yéniches, les Roms et<br />

les Sinti. L’existence de cette minorité<br />

nationale, qui vit en Suisse depuis le<br />

Moyen-Age, est comme occultée de nos<br />

livres et cours d’histoire. Pourtant ils représentent<br />

35'000 personnes, dont 5'000<br />

qui voyagent encore dans le pays. C’est<br />

certes peu en comparaison aux 8 millions<br />

d’habitants que compte la Suisse.<br />

Mais aujourd’hui on reconnait que la protection<br />

des minorités est un marqueur<br />

essentiel de la paix dans un pays. Tout<br />

récemment le Conseil Fédéral a évoqué la<br />

possibilité de construire un mémorial pour<br />

les victimes de « l’Œuvre des Enfants de la<br />

grand-route ». Un mémorial serait un pas<br />

vers la reconnaissance de cette minorité,<br />

aujourd’hui encore, souvent discriminée.<br />

Et dans l’ordre juridique suisse ?<br />

D’un point de vue juridique, les gens du<br />

voyage sont reconnus comme minorité<br />

nationale depuis 1998. La même année,<br />

la Confédération a ratifié la Convention<br />

Européenne pour la protection des minorités<br />

nationales. Cette convention est une<br />

annexe à la Convention de sauvegarde des<br />

droits de l'homme et des libertés fondamentales<br />

(CEDH). Les gens du voyage<br />

ont donc la possibilité d’attaquer les autorités<br />

suisses devant la Cour Européenne<br />

des Droits de l’Homme, à Strasbourg.<br />

À part cette convention, la Confédération<br />

ne possède pas de législation spécifique,<br />

destinée aux gens du voyage.<br />

L’article 8 de la Constitution fédérale<br />

interdit toute forme de discrimination,<br />

et tout particulièrement en raison du<br />

mode de vie des personnes. Sur le plan<br />

juridique, le nomadisme ne devrait donc<br />

pas conduire à des discriminations.<br />

Pourtant, les gens du voyage sont bien<br />

souvent victimes de racisme, comme récemment<br />

dans la lettre ouverte au Bieler<br />

Tagblatt de Nathan Güntensperger, député<br />

cantonal bernois. Se former, trouver<br />

un métier ou trouver une aire de stationnement<br />

restent des défis de chaque<br />

jour pour les gens du voyage en Suisse.<br />

Des solutions ?<br />

Même si les autorités sont censées faire<br />

tout leur possible pour permettre aux<br />

gens du voyage de vivre leur culture tout<br />

en étant intégrés au reste de la société,<br />

cela reste souvent théorique. Il y a<br />

peu de mesures prises quant à la scolarisation<br />

des enfants. La plupart des familles<br />

Yéniches pratiquent le semi-nomadisme.<br />

Ils vivent les mois d’hiver au<br />

même endroit et se déplacent en été.<br />

On pourrait imaginer alors une solution<br />

de scolarisation entre octobre et avril<br />

dans les classes normales, puis un enseignement<br />

à distance les quelques semaines<br />

d’école restantes. Protéger la communauté<br />

des gens du voyage grâce à des lois spéciales,<br />

leur montrer qu’ils ont des droits et<br />

faire connaître cette communauté au reste<br />

de la population sont des mesures indispensables<br />

pour la paix et la tolérance des<br />

minorités en Suisse.<br />

Un film à voir :<br />

Les Enfants de la grand-route<br />

de Urs Egger, 1992<br />

© Illustration : Kalinka Janowski<br />

© Foto : zvg<br />

10 5/<strong>2016</strong>

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