SPECTRUM #5/2016
Vivre en itinérance
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DOSSIER<br />
Une formation en poche mais pas de toit sur la tête<br />
Rencontre avec Pierre*, 23 ans, qui possède une formation d'électricien mais qui se retrouve à la rue.<br />
Est-ce si difficile d’en arriver jusque-là ? Spectrum enquête. JODIE NSENGIMANA<br />
Lorsque l’on étudie à l'Université, on<br />
nous fait miroiter un avenir certain<br />
et confortable. Les études sont effectivement<br />
censées nous mener à un travail<br />
et à une sécurité financière, d'autant<br />
plus que certaines sont très longues. Et<br />
quand on aperçoit des personnes obligées<br />
de vivre sans logement assuré, des SDF<br />
comme on dit, cela nous semble inimaginable<br />
qu'on puisse un jour se retrouver<br />
dans leur situation. Il n'existe pas en<br />
Suisse de chiffres officiels dénombrant les<br />
personnes sans-abri. Et pourtant, cette<br />
situation est bien loin de toucher exclusivement<br />
les marginaux. En effet, une<br />
quantité non négligeable est composée<br />
de personnes ayant suivi une formation<br />
et certains possèdent même un travail.<br />
Personnes âgées ou jeunes, diplômés<br />
d’études supérieures ou non, toutes les<br />
catégories sont touchées.<br />
Sans-abri, une histoire de circonstances<br />
Lorsque nous le rencontrons, Pierre explique<br />
qu'il est à nouveau à la rue depuis<br />
peu, environ quatre jours, suite à des mésententes<br />
récurrentes. Il s'est fait mettre<br />
à la porte de sa colocation. Ce n'est pas<br />
la première fois qu'il lui arrive de devoir<br />
retrouver un logement en urgence, suite<br />
à des difficultés de tous genres : propriétaire<br />
voulant récupérer son logement sans<br />
prévention, problèmes familiaux, ruptures...<br />
Il a dû déménager plusieurs fois<br />
ces dernières années. Pierre a bien essayé<br />
de prendre un logement à son nom mais<br />
comme il est aux poursuites et qu’il ne<br />
travaille pas, ses chances d’en trouver un<br />
sont proches de zéro. Rappelons qu’en 10<br />
ans le nombre de personnes endettées a<br />
augmenté de 30% et que 68% des Suisses<br />
sont endettés à cause des impôts, d’après<br />
l’association Dettes Conseils Suisse.<br />
Existe-t-il de vraies solutions ?<br />
Lorsque nous lui parlons du chômage<br />
et du social, Pierre semble partagé. Les<br />
700 francs et le demi-loyer qu’il touche<br />
par mois de l’aide sociale sont bienvenus<br />
mais, sans prendre en compte l’idée absurde<br />
du payement d’un semi-loyer, cela<br />
implique certaines conditions. Il nous explique<br />
ainsi le chemin de croix qu’il a dû<br />
parcourir pour disposer de cette somme<br />
dérisoire. En effet, pour toucher ces allocations,<br />
il faut déjà être dans la catégorie<br />
SDF, puis remplir un nombre aberrant de<br />
paperasses administratives et, enfin, effectuer<br />
des mesures d’occupations (« dont<br />
le but est de maintenir une structuration<br />
de la journée et de conserver la capacité<br />
de travail résiduelle dans l’attente d’une<br />
mesure de réadaptation professionnelle<br />
ou d’un emploi approprié ou s’il y a risque<br />
de perdre l’aptitude à la réadaptation. »<br />
selon l’AI).<br />
Sauf que pour exécuter les huit heures<br />
hebdomadaires demandées et rémunérées<br />
environ 200 francs, il doit arrêter son<br />
traitement médicamenteux. Dès lors, il<br />
n’arrive plus à dormir et son état empire.<br />
Au point qu’il doit bientôt demander un<br />
arrêt à 100% - le jeune homme n’était arrêté<br />
qu’à 50% à l’époque - à son médecin traitant.<br />
Il s’est bien rendu à maintes reprises<br />
aux rendez-vous fixés par le chômage,<br />
mais comme il n’y avait que peu d’offres<br />
de longue durée dans son domaine de formation,<br />
il a très vite baissé les bras.<br />
Allons-nous vraiment tous finir sans<br />
logement ?<br />
Non, le sans-abritisme n’est pas une<br />
fatalité et certains s’en sortent même<br />
après l’avoir vécu… Mais il faut prendre<br />
conscience qu’il suffit de très peu pour<br />
se retrouver dans une situation précaire<br />
et qu’il existe une sorte d’équilibre intégrant<br />
plusieurs facteurs fortement liés :<br />
travail, situation familiale, logement. Et<br />
lorsqu’un des éléments est perturbé, il influence<br />
malheureusement tous les autres.<br />
Il est d’ailleurs courant d’entendre dans<br />
les témoignages des sans-abris qu’ils ont<br />
d’abord perdu l’un des éléments de ce<br />
schéma, ce qui a influencé par la suite la<br />
perte de tous les autres. Il serait de bon<br />
ton d’ouvrir quelque peu les critères permettant<br />
d’obtenir des logements et de diminuer<br />
ainsi le nombre de SDF en Suisse.<br />
*Prénom d’emprunt<br />
Pour aller plus loin :<br />
La Tuile fribourg<br />
Assistance Sociale Fribourg,<br />
Dettes conseils Suisse<br />
© Photo : Wilde Colares<br />
© Foto : zvg<br />
12 5/<strong>2016</strong>