SPECTRUM #2/2017

TRIBUNE
Lettre à la plus belle de toutes
Par où commencer ? Il est tellement difficile
d’avouer que l’on se prosterne devant la reine
des péchés. Pour moi, ta mère est un prototype
que tous les hommes voudraient bestialement essayer.
C’est pourquoi je veux te pénétrer d’un amour
profond et sans retenue. Tu ressembles à une femme
qui assume sa tendre malveillance au-delà de tout
soupçon. Tu n’obtiens le respect que de toi-même,
car tu affirmes que les hommes n’arrivent point à ta
douce cheville. Tu collectionnes les victimes de ton
charme comme je collectionne les cœurs brisés.
En fin de compte, nous partageons les mêmes passions.
Je m’enracine dans l’âme des femmes. De cette
manière, des millions de petits soldats envahissent
leur triangle d’or. Et toi, gentille félonne issue d’un
lointain futur, tu acceptes sans broncher d’être grimpée
par la tour de Pise la moins penchée. Toutes ces
raisons constituent le motif de mon attirance pour ta
personne. Toi et moi, nous nous comprenons. Toi et
moi, nous jouons en harmonie la soixante-neuvième
symphonie. Toi et moi, nous atteignons en même
temps le septième ciel. Et moi … j’enclenche le jet de
Genève sur ton beau visage bafoué d’une innocence
blanchâtre.
Laisse-moi faire l’amour à la guerre, à l’aide de mon
épée céleste. Laisse-moi planter ma graine dans le
plus beau des jardins. Ainsi, un arbre qui contiendra
le fruit défendu poussera sans crier au drame. Je ne
t’écris pas toutes ces déclarations pour te faire avaler
d’une traite tous nos souvenirs salaces, mais je
t’écris cette lettre en espérant déverrouiller à nouveau
le cadenas qui me sépare du mont de Vénus, le tien
en l’occurrence. Choisis-moi, et nous répéterons les
mêmes âneries jusqu’à ce que la mort nous sépare.
Bien à toi,
Ton tendre persécuteur.
DRILON
MEMETI
Feuilleton : « Barbara »
Spectrum à le plaisir de vous convier au premier épisode de son feuilleton sous forme de cadavre
exquis. L’idée est simple : à chaque nouveau numéro, une nouvelle page de l’histoire s’offrira à vous
et pour chaque nouvel extrait, c’est un autre auteur qui prendra le relai, faisant évoluer l’histoire dans
le genre littéraire de son choix. Maintenant que vous savez où vous mettez les pieds, peut-être vous
plaira-t-il de rencontrer l’héroïne de notre histoire : Barbara.
Barbara n’était pas ce que
l’on pouvait appeler une
jolie fille. Elle possédait
un nez trop gros et aplati et
des yeux enfoncés, ce qui lui
conférait un visage porcin.
Sa physionomie, elle aussi, se
rapprochait de celle de l’animal
: des jambes courtaudes et
grassouillettes que surplombait un embonpoint peu
négligeable. De ce fait, les gens avaient deux réactions
lorsqu’ils la rencontraient : une indifférence totale
qui la dotait du pouvoir de l’invisibilité ou une
moue de dégoût suivie de ricanements de malaise.
Cela lui allait très bien. Il faut dire que les échantillons
de la race humaine qu’elle avait jusqu’alors rencontrés
ne lui donnaient nullement envie de se montrer
philanthrope. Elle évitait autant que possible de se
faire remarquer. Mais ce jour-là, quelque chose bascula.
A la suite d’une petite chute, elle fut retardée.
Et tout comme dans la théorie des dominos, pleins de
malheurs s’enchaînèrent inéluctablement. Sa chute
lui fit casser ses lunettes, car le destin non content
de l’avoir affublée d’une apparence répugnante lui
offrit une myopie si prononcée qu’elle n’y voyait rien
sans ses verres à doubles foyers. Rendue quasiment
aveugle, elle se trompa de porte en arrivant dans son
immeuble et se retrouva bien malgré elle dans l’appartement
voisin.
Si seulement elle n’était pas tombée, si elle n’avait
pas brisé ses verres et même si elle avait tenté de déchiffrer
le nom se trouvant sur la sonnette, alors les
choses auraient été différentes.
Mais c’est à toute volée et dans un vacarme assourdissant
qu’elle ouvrit cette satanée porte et ce qu’elle
vit lui glaça le sang. De toute sa vie elle n’avait jamais
rien vu de tel et c’est avec une horreur grandissante
qu’elle se rendit compte que ce qui se trouvait dans
cette pièce sembla lui rendre son regard …
A suivre …
JODIE
NSENGIMANA
Prenez la parole et envoyez vos productions à : spectrum@unifr.ch
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