Marianne
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événement<br />
politique<br />
la Grèce, payS au droit<br />
du travail détricoté…<br />
La réforme, que les créanciers ont imposée au pays plongé<br />
dans la crise, a entraîné des effets catastrophiques sur le marché<br />
de l’emploi. Une leçon que devrait méditer Emmanuel Macron,<br />
en visite dans la capitale grecque. Par Fabien Perrier, à athènes<br />
depuiS Six anS,<br />
le piB a fondu de<br />
27 %. le chômage<br />
est le plus élevé de<br />
la zone euro, il frappe<br />
21,7 % des actifs et<br />
44 % des 15-24 ans.<br />
et plus de 50 %<br />
des embauches se<br />
font à temps partiel.<br />
26 / <strong>Marianne</strong> / 8 au 14 septembre 2017<br />
Serveur dans un café<br />
d’Athènes depuis trois<br />
mois, Dimitris s’inquiète.<br />
« Les touristes commencent<br />
à partir ; je ne sais pas combien<br />
de temps le patron va me<br />
garder. » Dubitatif, il ajoute : « Tous<br />
mes collègues ont moins de 25 ans… »<br />
Or, à 24 ans et 10 mois, à mi-contrat,<br />
Dimitris se sait menacé. En Grèce, le<br />
salaire minimum est en effet moindre<br />
pour un salarié de moins de 25 ans<br />
que l’employeur peut licencier du<br />
jour au lendemain. Bien sûr, la France<br />
n’est pas la Grèce, la situation économique<br />
des deux pays diverge, et le<br />
contenu des ordonnances dévoilé<br />
par le gouvernement d’Edouard Philippe<br />
n’est pas le même que celui des<br />
mémorandums qui ont profondément<br />
réformé le marché du travail<br />
à Athènes. Il n’empêche qu’une philosophie<br />
commune s’en dégage. En<br />
2010, pour éviter le défaut de paiement,<br />
le gouvernement grec avait<br />
conclu un premier accord avec l’UE,<br />
le FMI et la Banque centrale européenne.<br />
Pour engager le pays dans<br />
l’austérité avec des coupes dans les<br />
dépenses publiques et une première<br />
baisse des pensions et salaires contre<br />
un prêt de 110 milliards d’euros.<br />
effetS collatéraux<br />
Mais c’est en 2012 qu’un deuxième<br />
mémorandum, « plus institutionnel<br />
», selon la formule de Savas<br />
Robolis, professeur à l’université<br />
Panteion d’Athènes, s’attaque franchement<br />
aux règles du marché du<br />
travail. Il supprime les conventions<br />
collectives, les prud’hommes, abolit<br />
le financement des syndicats, ou<br />
encore baisse le salaire minimum,<br />
qui passe de 751 € pour tous à 586 €<br />
brut, et même 510 € pour les moins<br />
de 25 ans. En juillet 2015, Syriza arrivé<br />
au pouvoir, Alexis Tsipras signe un<br />
troisième mémorandum qui instaure<br />
alkis konstantinidis / reuters<br />
un système de retraite par capitalisation,<br />
introduit une pension minimale<br />
à 386 € brut (au seuil de pauvreté), et<br />
limite le droit de grève.<br />
« Libéraliser et flexibiliser le<br />
marché du travail sont les objectifs<br />
des mesures prises depuis sept ans.<br />
Leurs effets sont catastrophiques sur<br />
le plan macroéconomique et sur celui<br />
de l’emploi », analyse Savas Robolis.<br />
Entre 2010 et 2016, le PIB a fondu de<br />
27 %. Le chômage est le plus élevé<br />
de la zone euro ; à moins de 10 % en<br />
2009, il frappe aujourd’hui 21,7 % des<br />
actifs, et même 44,4 % des 15-24 ans.<br />
« Les cadres du droit du travail ont<br />
été détruits progressivement », ajoute<br />
Ellie Varchalama, conseillère juridique<br />
à la GSEE, la confédération<br />
syndicale du secteur privé. Ainsi les<br />
conventions collectives ont été supprimées.<br />
Désormais, l’accord d’entreprise<br />
prime. Au même moment,<br />
les salariés ont été poussés à signer<br />
des contrats individuels, sans organisme<br />
pour défendre leurs droits.<br />
Selon l’experte juridique, « il y a eu<br />
à la fois une dévaluation interne, une<br />
inversion de la hiérarchie des normes<br />
et une individualisation des relations<br />
du travail ». Ont-elles eu des effets<br />
positifs, et contribué à la baisse du<br />
chômage depuis 2015 ? « Non »,<br />
répond Giorgos Katrougalos. L’actuel<br />
ministre des Affaires européennes<br />
argumente : « Le chômage a d’abord<br />
explosé quand ont été appliquées les<br />
mesures de destruction du droit du<br />
travail. Sa baisse actuelle est liée à nos<br />
efforts pour moderniser l’économie<br />
grecque et attirer les capitaux. »<br />
Ces mesures ont même eu de dramatiques<br />
effets collatéraux. Selon un<br />
rapport de l’inspection du travail,<br />
les accidents du travail, y compris<br />
mortels, sont passés de 5 721 déclarés,<br />
en 2010, à 6 500 en 2016, malgré<br />
la hausse du chômage et la baisse<br />
de 30 % de l’activité des entreprises.<br />
En réalité, depuis 2013, les entreprises<br />
ont largement coupé dans les<br />
dépenses pour la sécurité et taillent<br />
dans les cotisations sociales. Plus<br />
de 50 % des nouvelles embauches<br />
se font à temps partiel. Mais, comme<br />
le souligne Savas Robolis, « à cause<br />
du chômage, le rapport de force est<br />
favorable aux patrons ». n