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Marianne

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débats - alternatives<br />

éditos<br />

propositions - controverses<br />

hannah assouline<br />

Pour une fois, il ne s’agit pas<br />

d’un délire victimaire des professionnels<br />

de la lutte contre<br />

l’« islamophobie ». S’il existe<br />

bien une minorité musulmane<br />

opprimée, c’est celle-là : les<br />

Rohingyas de Birmanie. L’ONU<br />

la considère comme « la minorité<br />

la plus persécutée » au monde. Un drame<br />

perturbant pour l’euro-maghrébo-centrisme.<br />

L’univers est plus large et complexe<br />

vu d’Asie. Ici, les extrémistes religieux ne<br />

sont pas musulmans mais bouddhistes.<br />

Des crânes rasés en robe safran qui mènent<br />

des expéditions punitives, tabassent à<br />

coups de gourdins, brûlent des villages<br />

entiers et même parfois décapitent.<br />

Le racisme remonte à loin dans ce pays à<br />

88 % bouddhiste. Les nationalistes birmans<br />

méprisent depuis longtemps leurs concitoyens<br />

musulmans, concentrés dans l’ouest,<br />

qu’ils croient arrivés dans les bagages de la<br />

colonisation britannique. Comme presque<br />

partout dans le monde, la montée de l’identitarisme<br />

– favorisé par la junte – a mis le<br />

feu aux poudres de cette méfiance sourde.<br />

Des moines extrémistes n’ont cessé d’attiser<br />

la haine, comme le mouvement 969 et son<br />

leader, Ashin Wirathu, immortalisé par<br />

le documentaire de Barbet Schroeder, le<br />

Vénérable W. On y voit ses ouailles défiler<br />

en scandant : « Les musulmans, on n’en veut<br />

pas ! » Son mouvement s’est battu pour une<br />

loi dite de « protection de la race et de la<br />

religion » interdisant les mariages entre<br />

musulmans et bouddhistes.<br />

Depuis le film, le gourou W serait en disgrâce.<br />

Les autorités bouddhistes birmanes<br />

tentent de lui couper le siffet. Mais la graine<br />

de la discorde est bien semée, et d’autres<br />

moines fanatiques prennent le relais.<br />

Au moindre prétexte, des affrontements<br />

intercommunautaires éclatent. Comme en<br />

2012, lorsque trois musulmans sont accusés<br />

d’avoir violé une femme bouddhiste. Malgré<br />

leur condamnation à mort, des intégristes<br />

en robe safran ont massacré des dizaines<br />

de Rohingyas et ont détruit des milliers de<br />

maisons en représailles. Depuis 1982, les<br />

musulmans de Birmanie ont également<br />

Par Caroline Fourest<br />

Halte au massacre des Rohingyas<br />

perdu leur droit à la nationalité. Ils errent<br />

dans leur propre pays sans papiers, sans<br />

accès aux hôpitaux, aux écoles ou au marché<br />

du travail. Leur situation ne cesse<br />

de se dégrader. Certains habitent dans<br />

les zones les plus pauvres, parfois menacées<br />

par la montée des eaux. Beaucoup<br />

s’exilent. Certains se radicalisent.<br />

Longtemps, les charognes islamistes n’y ont<br />

pas prêté attention. Je m’en suis étonnée<br />

il y a des années auprès de Rebiya Kadeer,<br />

leader d’une autre minorité musulmane<br />

d’Asie persécutée, les Ouïgours. Elle m’a<br />

donné la clé : « Nous ne sommes pas arabes<br />

mais asiatiques. Et nous ne sommes pas persécutés<br />

par Israël. Ça ne les intéresse pas. »<br />

De fait, pendant que les « frères arabes » ne<br />

s’intéressaient qu’à la Palestine, les humanistes<br />

étaient bien seuls à s’inquiéter du<br />

sort des Rohingyas. Depuis, les intégristes<br />

utilisent leur cas pour faire pleurer et recruter.<br />

La plupart des ONG portant secours<br />

aux musulmans birmans sont vérolées.<br />

Cela n’aidera pas les Rohingyas, dont certains<br />

ont fini par basculer dans la rébellion<br />

armée. Des extrémistes ont fondé l’Arsa,<br />

le coup de crayon de gros<br />

l’Armée du salut rohingya de l’Arakan. Cet<br />

été, ils ont attaqué une trentaine de postes<br />

de police. Des émeutes qui ont fourni le<br />

prétexte idéal pour déclencher une vaste<br />

opération de répression. Elle ne touche pas<br />

que les rebelles mais tous les Rohingyas,<br />

sans distinction, et tourne aux pogroms<br />

antimusulmans. Une carte satellitaire<br />

montre l’ampleur des dégâts : des centaines<br />

de villages rohingyas brûlés sur des<br />

kilomètres, avec leur lot de massacres.<br />

Depuis le 25 août, 123 000 Rohingyas<br />

ont dû fuir la Birmanie pour se réfugier au<br />

Bangladesh. Ceux qui sont partis s’abriter<br />

en Inde revivent le même cauchemar. Làbas,<br />

les nationalistes hindous leur ont retiré<br />

leurs papiers de réfugiés et menacent de les<br />

renvoyer vers une mort certaine. Le plus<br />

triste est peut-être le silence assourdissant<br />

d’Aung San Suu Kyi. Ce visage mondialement<br />

célèbre de l’opposition Birmane, prix<br />

Nobel de la paix, devenue l’équivalent de<br />

Première ministre, se tait pour ménager<br />

ses nouveaux rapports avec la junte et la<br />

timide politique d’ouverture. Déshonorant<br />

et risqué. Chaque fois que les humanistes<br />

se taisent, les semeurs de haine récoltent. n<br />

8 au 14 septembre 2017 / <strong>Marianne</strong> / 49

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