Marianne
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vestissement sans culpabilité ou<br />
malaise. Le film peut alors évoquer<br />
des fantasmes que le spectateur<br />
partage ou non, peu importe, car<br />
l’essentiel est de voir comment<br />
chacun accepte l’étrangeté de<br />
l’autre et trouve son identité, audelà<br />
du genre, masculin ou féminin…<br />
Le travestissement permet<br />
ainsi d’aborder les questions de la<br />
différence et des préjugés. »<br />
Des préoccupations partagées<br />
aujourd’hui par André Téchiné dans<br />
son film sur les années 20 : « Même<br />
si je ne souhaitais pas tourner un<br />
film plaidoyer pour la tolérance,<br />
précise-t-il, Nos années folles<br />
renvoie incontestablement à des<br />
questionnements d’aujourd’hui. »<br />
Autre exemple, le réalisateur de<br />
films d’animation Benjamin Renner<br />
et son renard travesti en poule<br />
dans le délicieux le Grand Méchant<br />
Renard, sorti en juin dernier sur<br />
les écrans, ou encore Sou Abadi<br />
et sa récente comédie décapante<br />
Cherchez la femme où un jeune<br />
homme, pour continuer de voir sa<br />
petite amie victime de son frère<br />
intégriste, enfile le voile intégral<br />
pour parvenir à ses fins. Le travestissement<br />
en niqab contre l’obscurantisme<br />
des barbus : une stratégie<br />
éminemment contemporaine, on en<br />
conviendra…<br />
un défi d’acteur<br />
Du côté des acteurs, c’est la fête !<br />
Car incarner un travesti promet<br />
une exploration subtile de la palette<br />
du jeu d’acteur. Les comédiens les<br />
plus aventureux plébiscitent cette<br />
partition, au plus près du fantasme<br />
transformiste qui sous-tend le<br />
métier même d’acteur. Une sorte<br />
de mise en abîme vertigineuse.<br />
Des deux côtés de l’Atlantique, la<br />
liste est longue de ceux qui, ces<br />
dernières décennies, ont enfilé<br />
la panoplie de l’autre sexe. Glenn<br />
Close dans Albert Nobbs – l’histoire<br />
d’une femme qui se fait passer pour<br />
un homme dans la prude Irlande<br />
du XIX e siècle –, Hilary Swank dans<br />
Boys Don’t Cry, sur une ado délinquante<br />
dissimulée sous les traits<br />
d’un garçon viril, Robin Williams<br />
dans Madame Doubtfire, autour<br />
d’un homme déguisé en femme<br />
pour continuer de voir ses enfants,<br />
Johnny Depp dans Ed Wood, biopic<br />
sur le cinéaste de série Z aussi<br />
schizophrène dans ses œuvres que<br />
dans son existence…<br />
En France, des acteurs venus<br />
de tous les horizons – de Michel<br />
Blanc et Gérard Depardieu dans<br />
Tenue de soirée à Gad Elmaleh<br />
dans Chouchou en passant par<br />
Valérie Lemercier dans le Derrière<br />
ou Didier Bourdon dans Madame<br />
Irma – se sont eux aussi amusés<br />
à brouiller les pistes, parfois pour<br />
le meilleur. Romain Duris, exceptionnel<br />
en talons hauts dans Une<br />
nouvelle amie d’Ozon, a adoré son<br />
aventure en terre de travestissement.<br />
« J’avais envie d’incarner<br />
une femme depuis très longtemps,<br />
raconte-t-il. Ce fantasme remonte<br />
à mon enfance, quand je jouais<br />
avec ma grande sœur et que je me<br />
“Nos aNNées folles” :<br />
TéchiNé eT l’ideNTiTé<br />
eN crise<br />
Après cinquante ans de carrière, récemment célébrés lors du<br />
dernier Festival de Cannes, André Téchiné ne s’interdit pas<br />
de nouveaux défis. La preuve : après avoir tourné plusieurs<br />
films de facture réalistes (L’homme qu’on aimait trop, Quand<br />
on a 17 ans), le cinéaste change de registre avec Nos années<br />
folles, une fiction où il assume l’artifice, le baroque, une certaine<br />
théâtralité. Le film a beau s’inspirer d’une histoire vraie, le cinéaste<br />
privilégie la reconstitution fantasmée. Il joue sans cesse avec la<br />
chronologie du récit et diverses représentations, dont celle d’un<br />
spectacle de cabaret, référence explicite au Lola Montès de Max<br />
Ophüls, qui remet en scène les aventures du héros pour mieux les<br />
jeter en pâture au public de l’époque, avide de sensationnalisme.<br />
Le meilleur de Nos années folles est niché du côté des relations entre<br />
Paul et Louise, son épouse. C’est à l’initiative de cette dernière, folle<br />
amoureuse, que Paul, pendant les années de guerre, devient un(e)<br />
autre, baptisé(e) Suzanne, et c’est aussi Louise qui paiera le prix<br />
fort de cette métamorphose quand Paul/Suzanne ne souhaitera plus<br />
quitter sa « panoplie » et se prostituera dans le Paris des années 20.<br />
« Paul Grappe, dans son libertinage, s’adonne à des identités multiples<br />
et il en tire du plaisir, explique André Téchiné. Mais ces escapades<br />
ne l’éloignent pas de Louise, au contraire. Quand ce pivot conjugal<br />
n’existera plus dans sa vie, Paul sera alors vraiment menacé. Louise<br />
est une héroïne fascinante. Elle est à la fois soumise et profondément<br />
rebelle, un peu comme Albertine dans A la recherche du temps perdu.<br />
J’ai d’ailleurs beaucoup pensé à Proust en travaillant sur le film. »<br />
Réflexion jamais sentencieuse sur l’identité sexuelle et sur l’identité<br />
tout court, Nos années folles, remarquablement interprété par Pierre<br />
Deladonchamps et Céline Sallette, s’impose comme le film le plus<br />
audacieux et passionnant réalisé par André Téchiné cette dernière<br />
décennie. Un film sans académisme qui donne à réfléchir sur notre<br />
époque, où la question du genre occupe tant les esprits. n O.D.B.<br />
Nos années folles, d’André Téchiné, avec Pierre Deladonchamps,<br />
Céline Sallette, Grégoire Leprince-Ringuet, Michel Fau. Sortie le 13 septembre.<br />
déguisais en fille. J’éprouvais un<br />
plaisir intense à ces jeux de transformation.<br />
Dans mon métier, je<br />
cherche toujours des expériences<br />
surprenantes. Jouer une femme<br />
et essayer de rendre cette interprétation<br />
crédible et naturelle<br />
représentait un défi passionnant.<br />
J’ai toujours eu envie de m’y prêter,<br />
à condition que deux écueils<br />
soient évités : la comédie gratuite<br />
et que l’on me demande de jouer<br />
la folle. Une nouvelle amie est un<br />
film ludique, pudique et profond,<br />
qui aborde avec délicatesse des<br />
thèmes importants. » Soit la meilleure<br />
définition des bons « films<br />
de travestis », ces films de genre<br />
qui bousculent… les genres. n O.D.B.<br />
(1) La Garçonne et l’assassin. Histoire<br />
de Louise et de Paul, déserteur travesti,<br />
dans le Paris des années folles,<br />
de Fabrice Virgili et Danièle Voldman,<br />
Payot, 176 p., 16,50 €.<br />
(2) Delcourt, 18,95 €.<br />
8 au 14 septembre 2017 / <strong>Marianne</strong> / 63