Marianne

théâtre
La diagonale du Fau
Le comédien et metteur en scène Michel Fau s’attaque au Tarfuffe de Molière,
avec un Orgon interprété par l’immence Michel Bouquet. Rencontre.
Quoi de neuf ? Molière !
La saison dernière, les
Femmes savantes faisaient
courir tout Paris
à la Porte-Saint-Martin.
Pour Agnès Jaoui,
et sa remise en scène
(de ménage) avec
Jean-Pierre Bacri.
Cette année, dans la
même salle, l’événement théâtral de
la rentrée est d’ores et déjà annoncé.
Il s’agit de cet immortel Tartuffe dont
les multiples facettes, comme celles
du Misanthrope ou de Dom Juan,
autorisent indéfiniment de nouvelles
interprétations. On attend donc avec
curiosité celle qu’en proposera Michel
Fau, et avec avidité la manière dont il
incarnera le personnage de l’Imposteur,
confronté à un Orgon joué par
l’immense Michel Bouquet.
Bouquet ? Il avait pourtant juré,
croix de bois, croix de fer, qu’après
avoir triomphé des années durant
dans Le roi se meurt il renonçait
définitivement à monter sur les
planches… Serment d’ivrogne !
Les trois coups fatidiques n’avaient
pas été frappés deux fois qu’on le
retrouve aujourd’hui dans Tartuffe.
A 92 ans ! « Répéter avec Michel
Bouquet, s’enflamme Michel Fau,
c’est double bonheur. » Bonheur de
diriger celui dont il fut il y a plus
de trente ans l’élève au Conservatoire.
« Bonheur de l’entendre dire
comme personne les alexandrins de
Molière, devant les jeunes acteurs
de la troupe. » Michel Fau ? Drôle
de corps, d’oiseau, de type, et même
drôle de dame, comme s’en souviennent
ceux qui l’ont vu, lors de la
« Nuit des Molières » 2014, dans son
inoubliable sketch de travesti postulant
pour le César de la meilleure
comédienne. Après avoir longtemps
nagé dans le sillage d’Olivier Py, il a
fait un jour le choix de voler de ses
propres ailes au gré de ses envies et
de ses multiples dons. Acteur, met-
“répéter avec
michel Bouquet,
c’est double
bonheur”, s’enflamme
Michel Fau, qui
fut son élève au
Conservatoire, il y a
plus de trente ans.
teur en scène de théâtre et d’opéra,
il se lancera l’an prochain dans le
tour de chant. Dans la paix miraculeuse
d’un matin de Paris au mois
d’août, si l’on pensait rencontrer,
dans ce petit bistrot à deux pas du
théâtre la grande folle outrageusement
fardée, au visage de craie
barré de lèvres éclatantes, qui rit de
se voir si belle dans le faisceau des
projecteurs, on repassera.
parcours singulier
C’est un homme simple et détendu,
sans maquillage, qui ne se cache pas
de trouver dans un travail acharné
le plus efficace des remèdes contre
l’ennui et la dépression et ne va pas
chercher midi à 14 heures. « Le roi,
le pouvoir, la religion, c’est la toile de
fond sur laquelle s’enlèvent le personnage
éponyme et l’intrigue de
Tartuffe. La pièce est datée, elle se
jouera dans son jus. Décors d’Emmanuel
Charles, costumes baroques de
Christian Lacroix. Dans cette honnête
maison d’un grand bourgeois, Tartuffe,
c’est une figure diabolique, à
l’égal de Iago, le porteur du désordre
et de la subversion, comme l’ange du
mal de Théorème. »
Parcours singulier que celui
de Michel Fau, en dehors de toute
chapelle, sans plan de carrière. « A
l’école, j’étais un cancre. Je suis resté
un cancre, le chahuteur du fond de
la classe. » Régulièrement nommé
pour les Molières, il en a été aussi
régulièrement privé par la conjuration
du copinage. Inclassable, voilà
un homme qui apprécie et joue aussi
volontiers Racine que Labiche, qui
apparaît en professeur de chant de
Catherine Frot dans le film Marguerite.
Le comique de ce clown désespéré
n’est souvent que le masque
avenant ou grimaçant du désespoir.
Comme d’autres avant lui – Jean-
Pierre Marielle, Louis de Funès, Jean
Rochefort –, c’est au moment où il
passe le cap difficile de la cinquantaine
que la célébrité lui tombe enfin
dessus. Elle ne le changera pas. Il
ne s’en laisse pas conter et aborde
Tartuffe avec humilité. Modeste
par nature mais cabotin par métier,
Michel Fau est assez lucide pour
savoir ce qu’il vaut, mais veille de
près à ne pas se prendre au sérieux,
de peur de se prendre au tragique.
Pour lui, la vie n’a de sens et d’intérêt
que si elle est un jeu, et il se trouve
par chance que le jeu est sa vie. n
DOMINIQUE JAMET
Tartuffe, mise en scène
de Michel Fau, avec Michel Bouquet,
Théâtre de la Porte-Saint-Martin,
Paris X e . A partir du 15 septembre.
bernard richebé
8 au 14 septembre 2017 / Marianne / 67