Marianne
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À ERDOGAN”PAR PATRICE FRANCESCHI<br />
que sont les FDS, comment<br />
elles sont constituées et<br />
pourquoi elles doivent être<br />
soutenues et accompagnées<br />
au-delà de la victoire contre<br />
Daech. Pourquoi ?<br />
Elles ont été créées à la fin de l’année<br />
2015 et reposent sur un projet<br />
de société unique au Moyen-<br />
Orient. Elles ont été créées par<br />
les Kurdes, qui en constituent<br />
60 %. Dans les 40 % restants, on<br />
trouve des Arabes du Kurdistan<br />
et du nord de la Syrie, sunnites,<br />
des chrétiens, des Turkmènes,<br />
des Tcherkesses, des yézidis. Les<br />
effectifs des FDS sont de 60 000,<br />
dont 5 000 à Raqqa, essentiellement<br />
des Arabes. Elles tiennent le<br />
nord du pays, Manbij, Afrin, avec<br />
entre ces deux villes une poche où<br />
“IL FAUT éCOUTER<br />
ce que disent<br />
les Kurdes :<br />
ils seront un Etat<br />
tampon contre<br />
le fondamentalisme<br />
islamique.”<br />
Ci-dessus,<br />
bataillon des Forces<br />
démocratiques<br />
syriennes, regroupant<br />
combattants kurdes,<br />
Arabes sunnites,<br />
chrétiens et yézidis,<br />
en route pour<br />
la bataille de Raqqa,<br />
le 22 juillet.<br />
hussein malla / ap / sipa<br />
s’est installée l’armée turque, ainsi<br />
que le barrage de Tabqa, le plus<br />
important ouvrage sur l’Euphrate,<br />
repris il y a quatre mois à Daech.<br />
Ce qui est très frappant, c’est<br />
qu’à 10 km de la ligne de front, dans<br />
tout le territoire kurde, on est véritablement<br />
dans un pays en paix.<br />
Le projet des FDS repose sur<br />
quatre piliers qui constituent un<br />
modèle de société. Le premier, c’est<br />
la démocratie à l’occidentale. Le<br />
deuxième, la laïcité. Le troisième,<br />
l’égalité absolue entre les hommes<br />
et les femmes. Et enfin le respect<br />
des minorités.<br />
L’idée est de créer un ensemble<br />
de trois fédérations sur le territoire<br />
syrien, une fois que la victoire<br />
contre Daech sera complète. C’est<br />
un vrai projet de sortie de crise,<br />
complet.<br />
Il y aura au nord les Kurdes et les<br />
Arabes chrétiens. Le long de la côte,<br />
à l’ouest, les alaouites et les chiites.<br />
Et, à l’est, les sunnites. Chaque<br />
fédération fera ce qu’elle voudra sur<br />
son territoire, mais actuellement<br />
tous adhèrent aux quatre piliers<br />
que je viens d’énoncer.<br />
En soutenant les Kurdes, l’Occident<br />
soutiendrait une société<br />
ouverte. Mais, évidemment, cette<br />
idée n’est pas du tout du goût des<br />
Turcs, des Iraniens et des Saoudiens,<br />
qui considèrent que ce serait<br />
un très mauvais exemple pour les<br />
peuples du Moyen-Orient. Mais<br />
chacun des combattants qui est en<br />
train de battre Daech sur le terrain<br />
a ce projet en tête, nous ne devons<br />
pas l’oublier et nous avons le devoir<br />
de les soutenir.<br />
Quelle devrait être l’attitude<br />
des Etats occidentaux<br />
dans les mois à venir ?<br />
Il faut faire pression sur les Turcs<br />
pour que les Kurdes soient présents<br />
à la table des négociations. Et je parle<br />
des combattants, pas de quelques<br />
intellectuels qui ne représentent rien<br />
et qui sont manipulés. Ce que pro-<br />
posent les FDS est l’exact contraire<br />
de ce qui s’est fait à Mossoul, où les<br />
Irakiens sont arrivés sans véritable<br />
projet politique et où les vieilles<br />
haines entre sunnites et chiites<br />
sont reparties de plus belle, où rien<br />
n’a changé. Il nous faut écouter ce<br />
que disent les Kurdes : ils seront un<br />
Etat tampon contre le fondamentalisme<br />
islamique. Nos intérêts<br />
sécuritaires correspondent à leurs<br />
intérêts sécuritaires. Il ne faut pas<br />
les laisser tomber, comme on l’a fait<br />
après la bataille de Manbij, où on les<br />
a laissés face aux Turcs. Si on fait<br />
cela, si on les laisse après qu’ils ont<br />
libéré Raqqa des griffes de Daech, on<br />
les expose aux Turcs d’un côté, qui<br />
les détestent, à Bachar al-Assad de<br />
l’autre, qui les méprise, épaulé par<br />
l’Iran et le Hezbollah chiite.<br />
Les Kurdes ont-ils une<br />
idée de ce qu’il va se passer<br />
ensuite et des options<br />
qui vont être prises ?<br />
Pour le moment, ils n’en ont<br />
aucune. Les Russes considèrent<br />
que l’option des FDS, avec ses trois<br />
fédérations peut être une bonne<br />
solution, les Américains semblent<br />
y réfléchir, les Français n’ont pas<br />
encore réagi. Nous devons faire<br />
attention, nous avons une responsabilité<br />
importante. Les Turcs sont<br />
de moins en moins nos amis, et il<br />
ne faut surtout pas céder au chantage<br />
du sultan Erdogan qui veut<br />
recréer l’Empire ottoman, sous<br />
prétexte qu’il agite la question des<br />
migrants et l’appartenance de son<br />
pays à l’Otan.<br />
Les Kurdes ont un projet de<br />
société. Chaque coup de fusil tiré<br />
par eux à Raqqa correspond à cet<br />
objectif et à cet idéal. N’oublions<br />
pas que chacun des quatre fronts<br />
tenus par les FDS face aux extrémistes<br />
de Daech, au nord, au sud,<br />
à l’est et à l’ouest, est commandé<br />
par une femme ! C’est un symbole<br />
qui ne doit pas nous échapper. n<br />
PROPOS RECUEILLIS PAR VLADIMIR DE GMELINE<br />
8 au 14 septembre 2017 / <strong>Marianne</strong> / 47