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16 PRÉSENCE N o 9 NOVEMBRE <strong>2021</strong> DE LA PAROLE AU GESTE<br />
DANS MA BIBLIOTHÈQUE PRÉSENCE N o 9 NOVEMBRE <strong>2021</strong> 17<br />
Un autre retour en arrière<br />
dans le temps avec Matteo Ricci<br />
(1552 – 1610)<br />
PAR NASSOUH TOUTOUNGI<br />
Continuons notre exploration ethnomusicologique<br />
en partant cette<br />
fois-ci en Extrême-Orient. Nous<br />
accompagnons toujours les jésuites<br />
qui envoient des missionnaires du<br />
côté de la Chine cette fois-ci.<br />
Mais on oublie souvent que l’expansion<br />
missionnaire qui a débuté<br />
autour de l’annonce de la résurrection<br />
de Jésus s’est aussi faite à<br />
l’Est. La première mission chrétienne<br />
à avoir atteint la Chine est<br />
celle du moine syriaque, d’origine<br />
perse vraisemblablement, connu<br />
sous le nom chinois d’Alopen, une<br />
hypothétique sinisation du nom<br />
Abraham. En empruntant l’intégralité<br />
des routes de la soie, il serait<br />
arrivé à Xi’an, ville du centre de la<br />
Chine, en 635. L’empereur accorde<br />
à Alopen une tolérance officielle et<br />
invite les chrétiens à traduire leurs<br />
œuvres sacrées pour la bibliothèque<br />
impériale. La communauté<br />
syriaque de Xi’an érige en 781 une<br />
stèle qui décrit le développement<br />
mouvementé de la mission nestorienne<br />
en Chine depuis l'arrivée<br />
d'Alopen.<br />
Après un relatif succès dans l’évangélisation<br />
sous l’Empire moghol<br />
(1279-1368), cette présence chrétienne<br />
ancienne se délite au milieu<br />
du XIV e siècle, notamment à cause<br />
d’expulsions ayant eu lieu après<br />
l’instauration de la dynastie xénophobe<br />
Ming (1368-1644).<br />
Il faut attendre Matteo Ricci pour<br />
qu’un lettré chrétien soit accepté à<br />
la cour de l’empereur chinois. Ricci<br />
est né à Macerata en 1552. Il a reçu<br />
un enseignement en théologie, en<br />
littérature et en sciences, d'abord<br />
dans sa ville natale, puis au collège<br />
des Jésuites à Rome.<br />
Il s'est ensuite embarqué pour<br />
l'Orient, où il voulait accomplir sa<br />
mission d’évangélisation. Après<br />
cinq années en Inde, il atteint<br />
Macao en 1582 et Pékin en 1598.<br />
C'est là qu'il est mort en 1610.<br />
Après les voyageurs médiévaux, il<br />
était le premier à s'être aventuré<br />
aussi loin à l'Est. Ainsi, il est devenu<br />
un personnage clé dans les relations<br />
entre la Chine et l'Occident. Il<br />
paraphrase de la musique romaine<br />
dans huit chansons en leur ajoutant<br />
des paroles chinoises. Le projet<br />
de ces «Huit airs pour cithare<br />
européenne» (Xiqin qu yi) est de<br />
mélanger valeurs chrétiennes et<br />
confucianisme, système grégorien<br />
et mélodies chinoises. Il était sans<br />
doute conscient de la valeur que<br />
les lettrés chinois accordaient à la<br />
musique, et comptait s'en servir<br />
pour être accepté dans leur société.<br />
C'était le début d'une présence de<br />
la musique européenne à Pékin<br />
qui durerait des années, se développant<br />
et culminant à la fin du<br />
XVIII e siècle avec une représentation<br />
d'un opéra de Piccinni devant<br />
l'empereur.<br />
Ce qui est étonnant, c’est que<br />
cette pratique musicale liant<br />
musique occidentale et musique<br />
orientale va se perpétuer dans<br />
la musique catholique composée<br />
par les Chinois. Trois siècles<br />
plus tard, nous pouvons trouver<br />
quelques traces, bien ténues,<br />
des cérémonies composites des<br />
anciennes églises de Pékin. Il<br />
nous reste quelques descriptions,<br />
chinoises ou européennes, qui<br />
insistent généralement plus sur<br />
les costumes somptueux que sur<br />
la musique. Il nous reste aussi<br />
un grand nombre de textes religieux<br />
traduits en chinois, mais<br />
les musiques sont dans d'autres<br />
recueils, sans indication de texte.<br />
Certains éléments disparates<br />
nous permettent, à condition de<br />
risquer quelques hypothèses, de<br />
reconstituer des Vêpres à la Vierge,<br />
avec notamment des curiosités de<br />
l'histoire de la musique: un Magnificat<br />
de Francesco Anerio avec un<br />
texte chinois, les musiques originales<br />
chinoises composées par le<br />
converti Wu Li.<br />
Mère à l’enfant datant du début du XX e<br />
siècle, représentée en tant qu’impératrice<br />
et reconnaissable en tant que telle par les<br />
personnes chinoises contemporaines.<br />
Exemples musicaux:<br />
https://www.youtube.com/<br />
watch?v=XZGGD7BYQVE:<br />
<br />
Giovanni Francesco Anerio;<br />
https://www.youtube.com/<br />
watch?v=ohbWfmpegoY&list=O-<br />
LAK5uy_kJBrW1gFynpiX-Zmbpy-<br />
2vnzdXs2d3TrGQ&index=2: Introduction<br />
de la Messe des Jésuites à Pékin;<br />
https://www.youtube.com/<br />
watch?v=8RvXDtGLC_I&list=O-<br />
LAK5uy_kJBrW1gFynpiX-Zmbpy-<br />
2vnzdXs2d3TrGQ&index=10: Salve<br />
regina de la Messe des Jésuites à<br />
Pékin.<br />
Chaque mois, Jean-Claude Mokry<br />
nous propose dans cette rubrique de<br />
découvrir un livre ancien ou récent<br />
de sa bibliothèque personnelle. Ce<br />
mois-ci Le chemin des estives.<br />
Peut-être parce qu’en cet automne,<br />
il fleure encore un peu de l’été<br />
(quoique cet été on se demandait<br />
parfois si nous n’étions pas en<br />
automne !) je trouve bon de vous<br />
proposer Le chemin des estives que<br />
j’ai découvert un peu par hasard<br />
grâce à une interview de l’auteur,<br />
Charles Wright, écrivain et journaliste<br />
qui vit quelque part entre<br />
l’Ardèche et Paris. Il livre ici un carnet<br />
de voyage, alors qu’il aspirait à<br />
devenir jésuite. Un récit agréable<br />
à lire. Mais aussi spirituellement<br />
tonique!<br />
La dernière page de couverture<br />
situe la démarche de l’auteur :<br />
« Partout, il y avait trop de bruit,<br />
trop de discours. Un jour, j'en ai<br />
eu marre de cette frénésie et je suis<br />
parti. Certains vont chercher le bonheur<br />
en Alaska ou en Sibérie, moi<br />
je suis un aventurier de la France<br />
cantonale : je lorgne du côté d’Aubusson,<br />
du puy Mary et du plateau<br />
de Millevaches…»<br />
Sans le moindre sou en poche,<br />
misant sur la générosité des gens,<br />
un jeune aspirant jésuite s’échappe<br />
de la ville et de la modernité avec le<br />
désir de renouer avec l’élémentaire.<br />
Il s’offre une virée buissonnière à<br />
travers les déserts du Massif central.<br />
Une petite promenade de sept<br />
cents kilomètres à pied. Le chemin<br />
des estives, récit de ce voyage, est<br />
une ode à la désertion, à la liberté,<br />
à l’aventure spirituelle.<br />
Charles Wright<br />
Le chemin des estives.<br />
Flammarion – <strong>2021</strong> – 356 pages<br />
On y croise les figures de Rimbaud,<br />
de Charles de Foucauld, mais aussi<br />
des gens de caractère, des volcans,<br />
des vaches.<br />
Au fil des pages, une certitude se<br />
dessine, le bonheur est à portée de<br />
main, il suffit de faire comfiance et<br />
d'ouvrir les yeux.<br />
Faire confiance, c’est le moins<br />
qu’on puisse dire puisque ce chemin<br />
des estives fait partie de l’obligation<br />
faite à ces deux novices qui<br />
ne se sont pas choisis d’entreprendre<br />
une sorte de pèlerinage<br />
à pied, sac au dos, sans argent en<br />
poche, c’est-à-dire en se faisant<br />
nourrir et loger par l’habitant car le<br />
principe implique aussi de ne pas<br />
avoir recours aux presbytères et aux<br />
maisons religieuses. Or comme on<br />
pourrait le dire familièrement : ça<br />
marche.<br />
Même s’il existe quelques accrocs<br />
ici ou là, le chemin des estives est<br />
une ode à la générosité humaine,<br />
même si ces donateurs/donatrices<br />
ont bien souvent des contentieux<br />
avec le monde de la religion, voire<br />
même avec la foi.<br />
Charles Wright ne cache pas la<br />
teneur de ces échanges. Ni les<br />
déserts spirituels qu’il rencontre<br />
avec son compagnon de marche,<br />
Benoît qui tient une place importante<br />
dans cette aventure.<br />
C’est aussi la découverte d’une<br />
France où la vie rurale est souvent<br />
devenue celle de la solitude, dans<br />
laquelle les communautés chrétiennes<br />
survivent tant bien que mal<br />
et s’étiolent. Mais il montre aussi<br />
que ces hommes et ces femmes<br />
dont il trace les portraits par petites<br />
touches ne manquent ni de cœur,<br />
ni de sens du partage.<br />
Comme ce vieil homme qui les<br />
invite un soir à partager son repas<br />
frugal, ou cette rencontre avec un<br />
ancien professeur de la Sorbonne<br />
et de sa fille, ou encore Julien qui<br />
les remercie d’avoir accepté son<br />
invitation. Ce qui lui rappelle «qu’il<br />
y a plus de joie à donner qu’à recevoir<br />
» ou encore cette épicière qui<br />
leur offre « du pain, des fruits et<br />
deux croissants rustiques».<br />
Tout cela nous permet, à nous<br />
aussi, de nous souvenir que la vie<br />
simple, même quand elle dépend<br />
des autres, peut-être pleine de<br />
«possibles».<br />
Bien plus en tout cas que lorsqu’on<br />
la remplit, au risque de l’encombrer,<br />
de mille choses qui semblent<br />
indispensables…