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Saïed. Près d’un an après avoir dissous le Parlement et pris<br />

de lui-même les pleins pouvoirs (c’était le 25 juillet 2021),<br />

le président accélère, fonce même… Il n’a pas froid aux<br />

yeux, il a un plan qu’il veut imposer, il le dit depuis des<br />

mois, voire des années. Kaïs Saïed veut transformer, refonder<br />

la Tunisie, balayer les structures héritées de l’avantrévolution<br />

et de l’après-révolution. Il veut faire naître une<br />

nouvelle république, aux contours plus ou moins définis,<br />

qui serait réellement révolutionnaire. Où le peuple et<br />

le président se partageraient la légitimité et la souveraineté,<br />

balayant au passage tous les corps intermédiaires,<br />

partis, institutions, justice… Il veut lutter contre la<br />

corruption, perçue comme systémique. Pour le huitième<br />

président de la République (après Habib Bourguiba, Zine<br />

el- Abidine Ben Ali, l’intérim de Mohamed Ghannouchi,<br />

Fouad Mebazaa, Moncef Marzouki, Béji Caïd Essebsi, et<br />

l’intérim de Mohamed Ennaceur), le système est clairement<br />

pourri, à l’agonie. Il faut tout refaire. Et on verra plus<br />

tard pour le business, l’économie, les investissements,<br />

secteurs de toute façon hautement suspects qu’il faudra<br />

réorienter vers le développement « vrai » du pays…<br />

Le président a exclu du dialogue national,<br />

annoncé début mai, les partis politiques. La puissante<br />

centrale syndicale, l’Union générale tunisienne du travail<br />

(UGTT), a refusé, elle, d’y participer, comme d’autres<br />

aussi. Il a modifié de lui-même la composition de l’Instance<br />

supérieure indépendante pour les élections (ISIE),<br />

qui avait pourtant assuré le déroulement relativement<br />

satisfaisant des consultations depuis 2011. Kaïs Saïed<br />

« trace » malgré les objections des partenaires historiques,<br />

États-Unis, France, Union européenne, ou les<br />

messages surprenants en forme de leçons de démocratie<br />

du voisin algérien… Il invoque la souveraineté<br />

nationale, il tance les membres de la Commission de<br />

Venise, organe consultatif du Conseil de l’Europe sur<br />

les questions constitutionnelles, les somme de quitter la<br />

Tunisie… Le président veut faire voter sa nouvelle constitution<br />

le 25 juillet prochain. Mais à la date où ces lignes<br />

sont écrites, tout début juin, personne ou presque n’a<br />

encore vu le projet de nouvelle loi fondamentale. Même<br />

le mode de scrutin semble mystérieux. Par ailleurs, dans<br />

la nuit du 1 er au 2 juin, le président a révoqué 57 juges<br />

pour incompétence, corruption, voire complicité avec<br />

les terroristes… 57 juges qui vont passer du prétoire au<br />

banc des accusés.<br />

Kaïs Saïed aura été sous-estimé. Lors de sa campagne<br />

électorale de 2019, au début de sa présidence,<br />

sous-estimé aussi lors de sa prise du pouvoir du 25 juillet<br />

2021. Sous-estimé depuis, dans sa marche méthodique,<br />

envers et contre tous, vers une nouvelle architecture institutionnelle.<br />

L’ancien professeur de droit au discours<br />

emphatique est devenu un « politique » qui a conquis la<br />

Tunisie sans coup férir…<br />

Une bonne partie de l’appareil d’État, des institutions<br />

sécuritaires, des forces de l’ordre appliquent ses<br />

ordres, font tourner comme ils le peuvent la machine. Il<br />

y a une cheffe du gouvernement, Najla Bouden, et des<br />

ministres. Le président bénéficie de l’onction du suffrage<br />

populaire. Il a été élu. Son discours sur « la corruption » et<br />

« la probité » a touché les plus fragiles et les plus jeunes.<br />

Il est soutenu également par tous ceux, et ils sont nombreux,<br />

dont le premier objectif était de se débarrasser<br />

des islamistes, d’Ennahdha, de Rached Ghannouchi,<br />

de cette fameuse théorie du « consensus » qui a prévalu<br />

depuis la chute de Ben Ali. Il est soutenu, même passivement,<br />

par une partie de l’opinion, épuisée par les<br />

errements, l’immobilisme et les divisions de la dernière<br />

décennie, les blocages politiques, la pandémie de<br />

Covid-19… Kaïs Saïed n’est peut-être pas aussi populaire<br />

qu’en 2019, mais il n’est pas globalement impopulaire en<br />

ce début d’été 2022.<br />

4 AFRIQUE MAGAZINE I <strong>429</strong> – JUIN 2022

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