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édito<br />
PAR ZYAD LIM<strong>AM</strong><br />
L’EUROPE SI PROCHE, SI LOIN…<br />
L’Europe donc. 27 États membres (on a perdu<br />
récemment le 28 e , le Royaume-Uni, décidé à<br />
s’ auto-isoler dans un Brexit assez suicidaire…). 450 millions<br />
d’habitants libres de s’installer sur tout le territoire<br />
de l’Union. Un espace unique où des États à la très<br />
longue histoire ont décidé de renoncer à une partie<br />
de leur souveraineté pour favoriser la création d’un<br />
marché commun, l’application de normes exigeantes<br />
en matière d’environnement, de couverture sociale,<br />
de liberté politique, de respect des droits de l’homme.<br />
Un espace aussi de paix, pour des nations qui se sont<br />
sauvagement combattues au fil des siècles. Tout n’est<br />
pas parfait, les divisions ne sont jamais loin et les forces<br />
qui veulent miner le système de l’intérieur non plus,<br />
mais l’un dans l’autre, c’est la zone la plus riche, la plus<br />
libre, la plus égalitaire et la plus protectrice du monde.<br />
Une exception précieuse, à ce moment de l’histoire<br />
où les autocraties, Russie, Chine et alliés, cherchent<br />
à renverser l’équilibre géostratégique. Au moment<br />
aussi où les États-Unis se déchirent, où la démocratie<br />
la mieux établie montre qu’elle peut sombrer. L’Union<br />
est surtout particulièrement riche. Avec un PIB de<br />
près de 15 000 milliards d’euros, l’UE est la deuxième<br />
puissance économique du monde, juste derrière les<br />
États-Unis et encore un peu devant la Chine. Le PIB<br />
par habitant s’élève à plus de 30 000 euros par an. Et<br />
sachant que l’Union investit des dizaines de milliards<br />
d’euros par an pour soutenir et accélérer le développement<br />
de ses membres les plus pauvres.<br />
Voilà où nous en sommes. D’un côté, cet<br />
Europe-là. Et de l’autre, l’Afrique, avec plus de 1,3 milliard<br />
d’habitants, 3 000 euros par an (qui varient selon<br />
les calculs) pour chacun d’entre eux, et un PIB global<br />
de 2 600 milliards d’euros – presque autant que l’Italie,<br />
et moins que la France. D’un côté, une Europe vieillissante<br />
et richissime, et de l’autre, à sa frontière sud, un<br />
immense continent, une terre à la fois de promesses,<br />
mais aussi de pauvreté et de conflits pour des centaines<br />
de millions de personnes.<br />
Les migrations sont une donnée de l’humanité<br />
et de l’histoire des peuples. Les femmes et les<br />
hommes n’ont qu’une seule vie. L’énergie du<br />
désespoir les porte à essayer d’atteindre un possible<br />
eldorado. Les frontières, les armes ne les retiendront<br />
pas. Ils et elles traverseront les déserts, ils monteront<br />
à bord de rafiots innommables, ils se feront racketter<br />
par des passeurs sans âme, mais ils iront en Europe.<br />
Quelle que soit la hauteur des barbelés, ils et elles<br />
tenteront de passer, au risque de leur vie.<br />
Dominée par les discours populistes, par la<br />
peur des électeurs face à ces vagues de migrants,<br />
par la difficile intégration aussi de ces populations<br />
nouvelles, l’Europe se barricade en l’absence de toute<br />
autre vision. Soixante ans après la fin de la longue<br />
nuit coloniale, elle a bien du mal à penser son sud<br />
autrement qu’en matière de menaces : l’islam en tout<br />
premier lieu, les Arabes, les Noirs, le terrorisme, etc. Ou<br />
de clichés : ils ne s’en sortiront pas, c’est la corruption,<br />
la violence ou les maladies. Le paradigme reste de se<br />
protéger de ce chaos. Et de cette différence.<br />
De déclarations d’intentions en promesses de<br />
financements, l’Union européenne n’a jamais véritablement<br />
considéré son flanc sud – dont la vitalité<br />
démographique est une donnée structurante du<br />
futur – comme une véritable opportunité stratégique,<br />
une priorité à long terme. Son approche reste largement<br />
dictée par les schémas classiques, États-Unis,<br />
OTAN, tentative de séduction de la Russie (dont on voit<br />
aujourd’hui à quel point ce calcul était erroné). L’Europe<br />
ne mesure pas le potentiel africain, le marché tel<br />
qu’il existe avec ses dizaines de millions de consommateurs<br />
middle class, les ressources minières, le pétrole et<br />
le gaz, les terres arables, l’eau, le soleil, les défis communs<br />
de la sécurité et du changement climatique…<br />
La mise en place réelle et progressive d’un tel<br />
partenariat changerait la donne, y compris pour<br />
les migrations. La mise en place d’un tel partenariat<br />
supposerait aussi que l’Afrique entre de manière plus<br />
décisive dans les « critères européens », en matière<br />
de gouvernance, de droits de l’homme, d’institutions.<br />
De part et d’autre, le chemin sera long. Et pendant<br />
ce temps-là, des femmes, des hommes, des<br />
enfants tenteront toujours encore la traversée du<br />
désert et de la mer. ■<br />
AFRIQUE MAGAZINE I <strong>430</strong> – JUILLET 2022 3