Être rabbin : une profession ? Un sacerdoce - Tribu 12

Histoire
SAN NICANDRO :
UN MIRACLE À L’ITALIENNE
SAN NICANDRO EST UN PETIT VILLAGE PRINCIPALEMENT COMPOSÉ D’OUVRIERS AGRICOLES. C’EST UNE LOCALITÉ
SITUÉE DANS LA PARTIE NORD-EST DU PROMONTOIRE DU GARGANO, À 224 MÈTRES D’ALTITUDE ET À 13 KILOMÈTRES
DE LA MER ADRIATIQUE. À L’ORIGINE DE CETTE AVENTURE OÙ DES CATHOLIQUES ITALIENS DEVIENDRONT LES JUIFS
DE SAN NICANDRO, IL Y A UN HOMME, DONATO MANDUZIO QU’ON APPELLERA LE PAYSAN-PROPHÈTE. IL EST LE
BOUTE EN TRAIN DE SON VILLAGE, UN PEU MAGICIEN, UN PEU GUÉRISSEUR, UN PEU CONTEUR ET ANIMATEUR.
Pendant la Première Guerre mondiale, Donato Manduzio
se bat comme soldat. Blessé et mutilé en 1917, il retourne
vivre dans son village.
Manduzio est illettré. Il apprend à lire et à écrire pendant
son séjour à l’hopital. Il tombe par hasard sur un exemplaire
de l’Ancien Testament. Immédiatement c’est la révélation.
Il découvre les enseignements de la Torah. Si Donato Manduzio
était resté seul, son histoire serait probablement
oubliée aujourd’hui. Mais des habitants de son village
viennent l’écouter et il les communique à son voisinage.
Ses prèches, souvent consécutifs à de fréquentes, visions
attirent certains de ceux qui le fréquentent, même si tous
ne s’y rallient pas inconditionnellement ; il est difficile pour
certains de le suivre surtout quand il leur enjoint de brûler
leurs images pieuses ou de briser leurs statues. Il fera des
disciples dans vingt-trois familles. Il faut se souvenir que
l’Italie est très catholique, surtout à cette période. Pourtant
l’Ancien Testament fascine de plus en plus Donato.
Son Dieu est le Dieu d’Israël. Ce qui est exceptionnel, c’est
qu’ils sont convaincus d’être les seuls adeptes au monde
de cette croyance et que le peuple israélite a disparu depuis
des millénaires de la surface de la terre. Cette conversion
se fait donc sans aucun contact avec des Juifs. Or, un
voyageur de passage dans la région révèle à ces quelques
nouveaux Israélites des Pouilles qu’il n’en est rien et qu’il
y a bel et bien des Juifs, et même dans l’Italie de 1930.
Après avoir fait des recherches, Donato Manduzio obtient
l’adresse du Grand rabbin de Rome, qui s’appelait alors
Angelo Sacerdoti (ironie de l’histoire : l’un des successeurs
de Sacerdoti, le rabbin Israël Zolli (né Zoller), après avoir
eu une vision mystique de J-C lors de l’office de Yom Kippour,
se convertira au catholicisme en 1944, une démarche
qui causera un véritable scandale dans le monde juif). En
1931, Donato Manduzio et ses fidèles adressent une lettre
au grand rabbin de Rome qui croit à une plaisanterie ou à
une farce, tant le message qu’il reçoit semble incroyable.
Des semaines passent donc sans nouvelles. Manduzio et
ses amis envoient un nouveau courrier au Grand rabbin,
et toujours le même silence. Enfin, au troisième message,
le Grand rabbin Sacerdoti réagit. Et la correspondance qui
s’engage finit par convaincre le rabbin de la sincérité de
la démarche de ses correspondants de San Nicandro, En
1936, le nouveau Grand Rabbin d’Italie, David Prato, envoie
Rafaele Cantoni à San Nicandro pour monter un séminaire
et ouvrir une synagogue. Mais le messager, conscient
du danger du fascisme qui commence à se développer en
Italie, essaie de dissuader les amis de Manduzio de se déclarer
comme Juifs à la police. Le groupe de San Nicandro
a donc toutes les raisons d’éprouver quelques découragements
mais rien n’y fait. Lorsque le 10 septembre 1943, les
Alliés prennent Tarente, des brigades des Juifs palestiniens
intégrées à la 8ème Armée et se répandent dans la région.
Les san-nicandrais voient défiler des jeeps arborant le « Maguen
David ». On imagine sans peine la surprise des « Sabbatini
», c’est ainsi qu’on appelait le groupe de néo-juifs de
San Nicandro, lorsqu’ils voient l’étoile à six branches ! Ils
confectionnent alors un drapeau bleu et blanc frappé du
même bouclier qu’ils agitent au passage de chaque jeep.
L’une d’elles que dirige le major Finn Lapide Spitzer finit par
s’arrêter, et ses passagers ne sont pas peu étonnés de rencontrer
des paysans italiens qui se proclament eux-mêmes
juifs! Les Juifs de San Nicandro découvrent qu’un État
juif est en gestation. L’idée d’émigrer en Palestine germe
dans leur esprit. Les autorités religieuses juives d’Italie finissent
enfin par accéder à la requête des convertis de San
Nicandro. Le 29 juillet 1946,le rabbin Ravenna est envoyé
de Rome pour préparer une circoncision collective qu’effectuera
le Docteur Ascarelli permet à plusieurs d’entre eux
d’être reçus officiellement dans le judaïsme. Le 15 mars
1948, Donato Manduzio décède à San Nicandro. Cette
même année, trois jeunes de San Nicandro partent vers la
Terre promise et s’enrôlent dans les forces israéliennes pour
la Guerre d’Indépendance. Enfin, en 1949-1950, la plupart
des convertis les suivent et vont s’installer en Israël. Leurs
descendants y vivent toujours. Il reste actuellement une
douzaine de membres de la communauté de San Nicandro,
essentiellement des femmes, ce qui laisse à penser à une
extinction prochaine. Mais qui sait ? Le miracle du Gargano
se produira peut-être une seconde fois.
Patrick Chemla
Source : Jean-Pierre Allali : Les arabesques de la destinée.
Histoires étonnantes du peuple d’Israël.
Editions Gil Wern. 1996. Pinchas E. Lapide.
Les compagnons de San Nicandro ou Retour aux sources.
Editions Albin Michel. Elena Cassin. San Nicandro.
Histoire d’une conversion. Éditions Quai Voltaire
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