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ASSOCIATION DES AMIS DE MADAME ACARIE

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Madame Acarie Conférences Histoire 1/172 Edition Complète<br />

PIERRE ET BARBE <strong>ACARIE</strong> :<br />

UN COUPLE DANS LES <strong>DE</strong>RNIÈRES<br />

GUERRES <strong>DE</strong> RELIGION<br />

Conférence de Claude PERRET, historienne<br />

17 Octobre 1999 Carmel de Pontoise<br />

©Amis de Madame Acarie<br />

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Madame Acarie Conférences Histoire 2/172 Edition Complète<br />

TABLE<br />

©<strong>ASSOCIATION</strong> <strong><strong>DE</strong>S</strong> <strong>AMIS</strong> <strong>DE</strong> <strong>MADAME</strong> <strong>ACARIE</strong><br />

55 rue Pierre Butin – 95300 Pontoise<br />

www.madame-acarie.org<br />

1. Introduction ................................................................................................................ 3<br />

2. Première partie .......................................................................................................... 4<br />

3. Deuxième partie......................................................................................................... 8<br />

Pierre et Barbe <strong>ACARIE</strong> : 17 Octobre 1999 Claude PERRET<br />

Un couple dans les dernières<br />

guerres de religion 2/10


Madame Acarie Conférences Histoire 3/172 Edition Complète<br />

1. INTRODUCTION<br />

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La Réforme Prostestante et les guerres civiles qui en ont découlé dans les trois quarts de<br />

l’Europe, à la fin de la Renaissance, constituent un drame capital dans l’Histoire de la<br />

chrétienté, et dans notre propre Histoire, l’Histoire de France. Au cœur de ce drame, quels<br />

ont été les cas de conscience, quel a été le comportement des personnages qui nous<br />

intéressent aujourd’hui : c’est le sujet dont je vais vous entretenir assez brièvement, car il<br />

s’inscrit dans une période relativement courte de la vie de madame Acarie : à peine une<br />

quinzaine d’années, entre 1584 et 1598 environ ; mais quinze ans qui ont marqué de façon<br />

profonde et douloureuse le couple attachant de Pierre et Barbe Acarie, si uni, si attiré déjà,<br />

malgré les mondanités de jeunesse, vers les choses d’en-haut.<br />

Permettez-moi de souligner d’emblée un point très important : il ne faut pas croire que les<br />

événements dont je vais parler, particulièrement le rôle de la Ligue Catholique face au parti<br />

des Huguenots, ou encore l’accession difficile du futur Henri IV au trône de France, ou enfin<br />

les engagements personnels de Pierre Acarie et peut-être ses erreurs – il ne faut pas croire<br />

que tout cela ait provoqué des malentendus d’ordre conjugal pour ce jeune ménage.<br />

Nullement. Il serait sans doute romanesque d’observer là un cas de psychologie très à la<br />

mode, séparant deux époux jusqu’ici très épris l’un de l’autre. Ce n’est pas le cas. Nous<br />

allons voir que madame Acarie avait les mêmes réactions que celles de son mari, comme lui<br />

fervente catholique, comme lui scandalisée par les audaces et les menaces de l’hérésie<br />

protestante dont elle pressentait la redoutable séduction sur des esprits cultivés et ouverts ;<br />

nous y reviendrons particulièrement en ce qui concerne « le libre examen des Écritures ».<br />

Permettez-moi aussi de rectifier – modestement – la partialité des jugements proférés à<br />

l’égard de la Ligue et des Ligueurs, considérés de façon simpliste comme un ramassis de<br />

fanatiques et de sots. A la fin du siècle, oui ; avant, non. Que le mouvement ait été dévié,<br />

qu’il se soit radicalisé, qu’il soit devenu politique alors qu’il était d’abord authentiquement<br />

religieux, on saurait le nier, mais il n’en a pas toujours été ainsi : il serait honnête, je crois, de<br />

remettre les choses à leur place et en leur temps.<br />

Pierre et Barbe <strong>ACARIE</strong> : 17 Octobre 1999 Claude PERRET<br />

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Madame Acarie Conférences Histoire 4/172 Edition Complète<br />

2. PREMIÈRE PARTIE<br />

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Au moment du mariage de Pierre Acarie et de Barbe Avrillot en 1582, où en est le Royaume<br />

de France ? Chose extraordinaire, il connaît momentanément un certain apaisement de<br />

deux-trois ans, après sept guerres de religion. Mais la huitième va éclater, peu après, en<br />

1585 : cette huitième guerre de religion, la dernière, sera la plus longue, la plus tragique,<br />

celle dans laquelle se trouvent plongés nos personnages, parents, voisins et amis. Depuis<br />

leur naissance, ces jeunes mariés n’avaient connu qu’un état de conflit latent : cependant,<br />

comme ils avaient été élevés l’un et l’autre en dehors de Paris (l’abbaye de Longchamp pour<br />

la petite Avrillot était loin, à la campagne ! et Orléans pour le jeune Acarie n’avait quand<br />

même pas subi les mêmes affres que la capitale) on peut dire que jusqu’ici ils étaient moins<br />

concernés par les événements. Mais les deux familles, appartenant au monde<br />

parlementaire, étaient fort au courant de la situation inextricable dans laquelle se débattait le<br />

pouvoir royal. Le Roi Henri III, dernier des Valois, souverain d’un royaume en majorité<br />

catholique, profondément catholique lui-même en dépit de ses extravagances, oscillait entre<br />

la protection affichée des uns, la répression à l’égard des autres, ou une attitude de<br />

conciliation que l’on peut qualifier de tolérante alors que l’idée en était insupportable aux uns<br />

comme aux autres.<br />

Depuis le Moyen Âge, on était persuadé que les conflits religieux ne peuvent se régler que<br />

par les armes ; d’ailleurs les souverains des pays protestants quant à eux n’étaient nullement<br />

tolérants (cujus regio – ejus religio).<br />

Déjà s’était constituée en France, à Péronne, en 1576, une Sainte Ligue ou Ligue d’Union :<br />

la Ligue, en réaction contre l’Édit de Beaulieu jugé par les catholiques beaucoup trop<br />

favorable aux hérétiques. Cet Édit de Beaulieu accordé naguère par Henri III après la<br />

cinquième guerre civile, avait suscité l’indignation de plusieurs seigneurs catholiques, dont le<br />

sire Jacques d’Humières, gouverneur de Picardie, fondateur du mouvement. Pour l’instant,<br />

Pierre et Barbe <strong>ACARIE</strong> : 17 Octobre 1999 Claude PERRET<br />

Un couple dans les dernières<br />

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Madame Acarie Conférences Histoire 5/172 Edition Complète<br />

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cette fameuse Ligue était défensive comme beaucoup d’associations et confréries l’avaient<br />

précédée, sans arrière-pensée politique ; d’abord nobiliaire, elle s’est très vite étendue à la<br />

bourgeoise des villes, au bas-clergé, au petit peuple, spécialement à Paris, Paris demeuré<br />

foncièrement hostile à la Réforme. C’est ainsi que monsieur Avrillot père, et plusieurs de ses<br />

confrères s’y étaient inscrits, souhaitant avant tout dissuader le Roi de prendre des décisions<br />

jugées dangereuses et contraires au serment du Sacre.<br />

Autre difficulté majeure : Henri III et Louise de Lorraine n’avaient pas d’enfants : lorsque<br />

survient la mort du dernier frère de la lignée, en 1584, la question de la succession future se<br />

pose avec acuité, le plus proche parent, éventuel héritier, étant désormais Henri de Bourbon,<br />

roi de Navarre, chef du Parti Protestant. La guerre va reprendre.<br />

C’est à ce moment que Pierre Acarie devient à son tour un des piliers de la Sainte Union, à<br />

Paris, très influencé par un prêtre anglais en exil, qu’il avait secouru ainsi que ses<br />

congénères. Pierre va très vite engager tous ses biens pour la Ligue avec une générosité<br />

confondante et une certaine inconscience. Quelques mots à ce sujet ; on lit souvent que<br />

Pierre Acarie n’était pas très intelligent ; c’est faux. Très gai, dans sa jeunesse (et il n’a que<br />

25 ans à l’époque), un peu étourdi peut-être, impulsif sûrement ; il était peu porté sur les<br />

questions matérielles car il avait toujours vécu dans une très grande aisance. Que sa femme<br />

ait manifesté plus de sens pratique, plus de maturité, sans doute ; mais ce n’est pas parce<br />

qu’on méprise l’argent ou qu’on se fourvoie dans une impasse idéologique qu’on n’est pas<br />

intelligent. Les Séguier, les Marillac, très ligueurs, n’étaient pas des imbéciles. Que dire<br />

aussi de l’infâme sobriquet dont l’ont affublé ses adversaires : « Le laquais de la Ligue » ? Il<br />

en a été le banquier, plutôt, un banquier fastueux et d’aucuns en ont bien profité. En tout<br />

cas, il assumera ses imprudences jusqu’au bout avec une grande dignité.<br />

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Madame Acarie Conférences Histoire 6/172 Edition Complète<br />

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Aucun texte, aucun témoignage ne nous disent que sa jeune femme l’ait dissuadé d’entrer<br />

dans cette aventure, toute passionnée qu’elle était elle aussi, pour la défense de l’Église<br />

Romaine, malgré ses défauts, malgré ses abus : Église romaine qui amorçait timidement,<br />

alors, sa Contre-Réforme spirituelle, en dehors de France pour l’instant : pour la France, cela<br />

viendra plus tard.<br />

Dans cette ultime huitième guerre civile, dénommée en ses débuts la Guerre des trois<br />

Henri : le Roi Henri III, le duc de Guise Henri le Balafré, le roi de Navarre Henri de Bourbon,<br />

nous ne pouvons ici détailler les opérations militaires, se déroulant d’ailleurs surtout en<br />

province (Poitou, Languedoc, Dauphiné, Normandie), avec des fortunes diverses pour les<br />

deux camps (Auneau, Contras, Arques…). Monsieur Acarie n’étant pas homme de guerre<br />

mais homme de loi, revenons donc à Paris, où la situation évolue.<br />

Tout d’abord, la Ligue s’organise de façon méthodique, assez rigide même. Elle est dirigée<br />

par un Conseil de représentants des seize quartiers de la capitale, formant le célèbre Comité<br />

des Seize. Pierre Acarie y siège pour son quartier de Saint-Merry (l’église Saint-Paul n’était<br />

pas construite à l’époque). Leur sont adjoints des colonels de quartiers ; plus tard sera formé<br />

un Conseil des Quarante pour éviter une tyrannie éventuelle des Seize ; à l’intérieur des<br />

Seize, un Conseil secret des Dix.<br />

Dans l’effervescence générale, Henri III étant accusé plus que jamais d’une trop grande<br />

complaisance à l’égard des Huguenots, la Sorbonne puis le Parlement déclarent<br />

solennellement que les sujets du royaume sont déliés de leur devoir d’obéissance envers<br />

leur souverain. Ce souverain-là : Henri III. C’est personnel. On en aurait pour preuve la<br />

terrible harangue adressée au Roi par le Président Achille de Harlay, pourtant assez hostile<br />

à la Ligue, lors des États de Blois. Ce qui explique les émeutes de mai 1588 devant le<br />

Louvre, les barricades, la fuite du Roi qui s’installe à Saint-Cloud : aspect prérévolutionnaire.<br />

A l’extérieur, Philippe II d’Espagne s’intéresse de très près au déroulement<br />

des affaires de France et ce n’est qu’un début.<br />

Pierre et Barbe <strong>ACARIE</strong> : 17 Octobre 1999 Claude PERRET<br />

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Madame Acarie Conférences Histoire 7/172 Edition Complète<br />

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Quelle est alors la position réelle de la famille de Guise ? Le Balafré, chef militaire du parti<br />

catholique, brillant, trop brillant, populaire, trop populaire, en fait peu sûr de lui, obligé même<br />

de tempérer les vociférations du petit peuple parisien dont les débordements l’inquiètent. A-til<br />

vraiment pactisé avec l’Espagne ? Toujours est-il qu’il est exécuté à Blois en décembre<br />

1588, sur ordre du Roi inquiet et jaloux de ce pouvoir parallèle. Henri III sera assassiné à<br />

son tour l’année suivante par un jeune clerc débile mental (Jacques Clément) qui semble<br />

avoir agi seul malgré son appartenance nominale à la Sainte Ligue. Celle-ci a applaudi<br />

bruyamment.<br />

Pierre et Barbe <strong>ACARIE</strong> : 17 Octobre 1999 Claude PERRET<br />

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Madame Acarie Conférences Histoire 8/172 Edition Complète<br />

3. <strong>DE</strong>UXIÈME PARTIE<br />

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Reste en lice le dernier des Trois Henri, le Béarnais, que son beau-frère et cousin agonisant<br />

a reconnu officiellement comme son successeur. Pour l’instant il n’est Roi de France qu’en<br />

théorie, rejeté par l’ensemble de l’opinion publique et doit entreprendre de conquérir son<br />

royaume. C’est dans ces années 1588-1589 que la Ligue dérape, devient la proie<br />

d’énergumènes fanatiques comme l’abbé Guincestre, curé de Saint-Gervais.<br />

Paradoxalement, c’est une sorte de commune insurrectionnelle, vaguement républicaine,<br />

nettement théocratique. L’année 1590, celle des processions qui dégénèrent en carnaval,<br />

nous intéresse sur deux points : d’une part, le siège de Paris par les troupes d’Henri IV, du<br />

printemps jusqu’au milieu d’août, célèbre par le dévouement exemplaire de madame Acarie,<br />

célèbre par l’horrible famine dont a souffert la population (Henri IV d’ailleurs, va lever le siège<br />

au milieu de l’été, sans résultat : Paris, sous le gouvernement de Mayenne ne s’est pas<br />

rendu). D’autre part, c’est l’année durant laquelle madame Acarie aurait connu ses<br />

premières extases. On connaît bien la charité débordante qu’elle avait manifestée durant le<br />

siège, les soins prodigués par elle aux blessés de guerre, aux malades ; on connaît son<br />

hospitalité inlassable dans la maison de la rue des Juifs (ce qui faisait frémir sa belle-mère).<br />

On connaît moins le tournant spirituel, extrêmement mystérieux, qui s’opère en elle à ce<br />

moment-là. Pendant ce temps, son mari organise avec zèle, au Comité des Seize, le<br />

ravitaillement de la population et continue d’y consacrer sa fortune ; c’est sans doute là que<br />

l’une va rester un peu en retrait, quand l’autre est de plus en plus accaparé dans le monde<br />

politique. Erreur fatale : bientôt le Comité des Seize s’entremet avec l’ambassadeur<br />

d’Espagne en vue d’éviter un retour des troupes d’Henri IV et serait prêt à accepter la tutelle<br />

espagnole : « Plutôt un prince étranger qu’un souverain calviniste » ; et un contingent de<br />

troupes à la solde de Philippe II s’installe dans la capitale. Le voilà, le début de trahison dont<br />

sont inconscients les protagonistes. Ces protagonistes, d’ailleurs, en viennent aux<br />

règlements de comptes entre eux ; les plus modérés sont éliminés (je pense au Président<br />

Brisson), ceux qui restent sont condamnés à la fuite en avant. Quoi qu’il en soit, la lassitude<br />

gagne les uns et les autres et le Clergé, dans son ensemble, se ressaisit, tente de joindre le<br />

Pierre et Barbe <strong>ACARIE</strong> : 17 Octobre 1999 Claude PERRET<br />

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Madame Acarie Conférences Histoire 9/172 Edition Complète<br />

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Roi pour le conjurer d’abandonner le calvinisme. Le parti de ceux qu’on appelle « les<br />

politiques », une sorte de Centre, Centre-droit, s’exprimant par la « Satyre Ménippée »,<br />

prend de l’assurance, et de l’influence. Sont-ils coupables de compromission ?<br />

Pierre Acarie lui, demeure inébranlable : il refuse l’Édit royal transférant à Tours la Chambre<br />

des Comptes ; dans un discours de haute tenue, il s’efforce, en vain, de réconcilier les<br />

Politiques et le Comité des Seize ; les violences reprennent. Enfin, enfin, Henri IV abdique le<br />

protestantisme en 1593 et l’année suivante entre dans la capitale dont il a pratiquement<br />

acheté les clefs au Maréchal de Brissac. C’est la défaite politique de la Ligue, c’est surtout le<br />

terme de l’épuisement général. Pierre, dépossédé de sa charge à la Cour des Comptes,<br />

condamné à la confiscation de tous ses biens (alors qu’il ne lui en reste plus), banni et obligé<br />

de se retirer en dehors de Paris dans des maisons amies qui veulent bien le recevoir. Pierre<br />

Acarie va demeurer quatre ans loin des siens jusqu’au fameux Édit de Nantes de 1598.<br />

Quatre ans de séparation pendant lesquelles la malheureuse madame Acarie, dans un état<br />

de dénuement extrême, va subir les conséquences de trois chutes successives qui vont la<br />

laisser infirme pour le restant de ses jours. Les trois chutes de son chemin de Croix (1596,<br />

1597, 1598). L’Édit de Nantes, bien sûr, rétablit un peu les choses, du moins, permet le<br />

regroupement familial, mais plus rien n’est comme avant.<br />

Le Bon Roi Henri, finalement magnanime, permet le retour de Pierre en sa demeure. En<br />

apparence la vie reprend, mais les deux époux ne pourront plus avoir de relations conjugales<br />

normales à cause de l’état de santé délabré de la pauvre madame Acarie, alors qu’ils sont<br />

encore jeunes (38 et 32 ans). Ceci pour la vie privée.<br />

Quant à la vie religieuse, l’Édit de Nantes n’étant qu’un compromis, chacun le sait, il est fort<br />

mal accepté par les anciens belligérants des deux bords ; en tout cas fort mal accepté par<br />

madame Acarie qui n’a pas changé d’avis, elle non plus. Citons le témoignage de l’abbé<br />

André Duval, qui sera plus tard supérieur du Carmel et qui est son premier biographe :<br />

Pierre et Barbe <strong>ACARIE</strong> : 17 Octobre 1999 Claude PERRET<br />

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guerres de religion 9/10


Madame Acarie Conférences Histoire 10/172 Edition Complète<br />

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« Lorsque le Roi Henri le Grand fut entré à Paris, comme pour la nécessité de son<br />

royaume il tolérait les hérétiques […] elle en était grandement attristée et se mit à prier<br />

pour les nécessités de l’Église ».<br />

et l’abbé Truchot, à son tour, au procès de canonisation, ne dit pas autre chose :<br />

« Je suis témoin de la peine qu’elle ressentait lorsqu’elle considérait que l’on tolérait<br />

l’hérésie en France, et que l’on donnait des pensions à ceux qui professaient et<br />

enseignaient cette pernicieuse doctrine. La seule pensée de cela lui était<br />

insupportable ».<br />

Pourtant ce n’est plus un militantisme délibéré, un engagement d’ordre humain qui vont être<br />

à présent son souci ; c’est quelque chose de beaucoup plus haut, d’ordre spirituel, un autre<br />

registre. Barbe Acarie, en effet, à la lecture des ouvrages de Thérèse d’Avila qu’elle<br />

entreprend autour de 1601, va transposer, va transcender la lutte. On ignore beaucoup trop<br />

que l’une des préoccupations majeures de la grande Thérèse d’Avila avait été justement la<br />

question protestante en France, le royaume voisin. C’était même une des raisons pour<br />

lesquelles elle avait réformé le Carmel afin de l’orienter vers une prière constante pour<br />

« éteindre l’incendie en France », comme elle disait. La Madre, morte en 1582, n’avait pas<br />

pu assister à la fin de nos troubles, mais ayant exposé cette intention dans « Le Chemin de<br />

Perfection » - premier chapitre – son maître livre, elle ne pouvait que persuader davantage<br />

madame Acarie que désormais le seul combat utile, la seule reconquête valable seraient<br />

d’un autre ordre. La prière, seule.<br />

Nous voici à l’aube du XVIIème siècle, ce XVIIème siècle français qui est le Grand siècle des<br />

âmes. Barbe Avrillot, épouse Acarie, va maintenant se consacrer à l’œuvre de sa vie :<br />

l’introduction du Carmel, à Paris et à Pontoise.<br />

Pierre et Barbe <strong>ACARIE</strong> : 17 Octobre 1999 Claude PERRET<br />

Un couple dans les dernières<br />

guerres de religion 10/10


Madame Acarie Conférences Histoire 11/172 Edition Complète<br />

L’ÉTAT RELIGIEUX <strong>DE</strong> LA FRANCE<br />

À<br />

L’ÉPOQUE <strong>DE</strong> <strong>MADAME</strong> <strong>ACARIE</strong><br />

Conférence de Philippe BONNICHON,<br />

maître de conférence en Sorbonne<br />

25 Mars 2000 Carmel de Pontoise<br />

©Amis de Madame Acarie<br />

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Madame Acarie Conférences Histoire 12/172 Edition Complète<br />

Ma Révérende mère, mon père, mes sœurs ; mesdames, messieurs,<br />

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Je vous remercie de m’accueillir parmi vous pour vous entretenir de « l’état religieux de la<br />

France au temps de madame Acarie », c’est-à-dire pratiquement pendant le règne du roi<br />

Henri IV.<br />

Plaçons-nous si vous le voulez bien, en 1600, en nous obligeant à un « effort de<br />

dépouillement ». Nous avons en effet à faire une sorte de « purification de l’esprit » pour<br />

nous représenter des gens qui, pour être différents de nous, n’en étaient pas pour autant<br />

dissemblables.<br />

Cette France de 1600 est une France qui, par bien des côtés, est très différente de la nôtre :<br />

elle en diffère d’abord parce que le pouvoir politique est une monarchie, que cette monarchie<br />

est sacrée et que c’est dans cette société collective que les français, très divisés par ailleurs,<br />

peuvent se retrouver. Elle est différente de la nôtre aussi parce que la société est<br />

hiérarchisée (ce que nous appellerions aujourd’hui les valeurs démocratiques n’ont pas<br />

cours), une société hiérarchisée où la valeur professée est une valeur chrétienne, c’est celle<br />

du service. Les formules de politesse de ce temps-là consistent à dire « je suis, monsieur,<br />

votre très humble et très obéissant serviteur ».<br />

Certes on peut n’en penser pas moins tout en professant cette formule. Il n’empêche qu’il y a<br />

là, dans les rapports sociaux de gens qui se savent inégaux dans la vie courante, une<br />

volonté d’échange qui est un échange chrétien entre les conditions et les personnes ; cet<br />

idéal du service, seule une société chrétienne le proclame. Cette France est aussi bien<br />

différente de la nôtre parce que le christianisme est la structure et le cadre pour la société<br />

comme pour le paysage. Nous avons encore aujourd’hui des églises, des cloches qui<br />

sonnent ; mais, pour le rythme de la vie quotidienne de chacun c’est, en ce temps-là quelque<br />

L’état religieux de la France 2/17 Philippe BONNICHON<br />

à l’époque de Madame Acarie 25 Mars 2000


Madame Acarie Conférences Histoire 13/172 Edition Complète<br />

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chose de plus prégnant que dans notre société d’aujourd’hui. La vie religieuse, c’est-à-dire la<br />

façon dont la foi est incarnée est réellement encore vécue par le plus grand nombre. Les<br />

problèmes posés par cette vie religieuse sont étrangement comparables – je ne dis pas<br />

semblables – aux nôtres. On peut dire en effet, que dans la France de 1600, ce que de nos<br />

jours le Saint Père appelle « la nouvelle évangélisation », est quelque chose d’urgent,<br />

d’essentiel, et sans doute aussi difficile qu’aujourd’hui, car l’ignorance prédomine chez les<br />

neuf dixièmes des fidèles : ignorance de la doctrine, de la foi, ignorance du sens même du<br />

geste que beaucoup, par mimétisme ou par habitude, continuent d’esquisser ; ignorance<br />

chez les fidèles, ignorance dans le clergé, un clergé qui a été largement dévalorisé, dans sa<br />

raison d’être même, par la critique des protestants ; un clergé où ce qu’on appelle<br />

traditionnellement les « abus », ne sont pas encore, tant s’en faut, éradiqués ; un clergé mal<br />

formé, parfois par formé du tout, inconscient des devoirs de son état et qui , de ce fait, a du<br />

mal à répondre aux attentes des fidèles.<br />

Le résultat, c’est qu’il y a dans cette France de 1600, à peine pacifiée – je rappelle que l’Édit<br />

de Nantes est de 1598 et que la même année la paix de Vervins est signée avec l’Espagne –<br />

violences, transgressions quotidiennes de la loi et des dix commandements de Dieu. Sont<br />

pain courant les transgressions de toutes sortes : duels, assassinats, enlèvements. Essayer<br />

de comprendre l’état religieux de la France de 1600 donc, c’est vouloir se mettre en face de<br />

la vérité, vérité de la condition humaine à une époque et vérité, bien sûr, de l’Évangile qui<br />

vaut toujours pour tous les temps, voir la façon dont cet Évangile était reçu au début du<br />

17ème siècle.<br />

Cela étant rappelé, la constatation initiale est claire : je la développerai dans un premier<br />

temps. On part de ruines qui ont été accumulées dans les trente ans qui précèdent par les<br />

guerres de religion, et dont l’inventaire devra d’ailleurs être nuancé.<br />

Ce sont des ruines matérielles mais ce sont aussi des ruines dans les esprits et dans les<br />

cœurs, vers 1590-1600. Bien des barrières qui paraissent insurmontables à vue humaine, se<br />

L’état religieux de la France 3/17 Philippe BONNICHON<br />

à l’époque de Madame Acarie 25 Mars 2000


Madame Acarie Conférences Histoire 14/172 Edition Complète<br />

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sont dressées entre les hommes, les partis, les factions. Voilà le point de départ. Le<br />

deuxième aspect de cette constatation initiale c’est que, partant d’un état assez délabré, on<br />

en arrive, tout aussi clairement à un rayonnement religieux dans la société, celle qu’a quittée<br />

Madame Acarie puisqu’elle est morte en 1618. Après elle, vers 1630-1650, sous le règne de<br />

Louis XIII et sous la minorité de Louis XIV éclôt ce que l’on regardera dans l’histoire comme<br />

le siècle des saints ; après saint François de Sales, après Saint Vincent de Paul et sainte<br />

Louise de Marillac viendront saint Jean Eudes, sainte Marguerite Marie Alacoque, le père de<br />

la Colombière, et plus tard, à la fin du siècle, saint Jean Baptiste de la Salle ou saint Louis<br />

Marie Grignon de Montfort. On ne les énumérerait pas tous ; c’est quelque chose d’unique<br />

dans l’histoire de la France que cette liste de saints canonisés que nous rencontrons au<br />

17ème siècle, après madame Acarie justement.<br />

Je voudrais donc partir de ce champ de ruines, pour voir ce rayonnement des années 1650.<br />

Ce qui veut dire que, prédicateurs, fondateurs ou membres d’ordres religieux, de<br />

congrégations, du clergé séculier, servantes des pauvres, des enfants ou dans<br />

l’enseignement, tant et tant ont œuvré, qu’il y faut certainement des raisons. La vraie raison,<br />

c’est l’action de l’Esprit-saint ; encore faut-il que les hommes s’ouvrent à cette action. On est<br />

frappé, dans cette transition, entre 1600 et 1650, si l’on regarde l’efflorescence du résultat<br />

des années 1650, de voir le rôle central d’une femme, mère de famille, qui est devenue<br />

religieuse, religieuse converse - elle n'a pas été autre chose que converse dans l’Ordre<br />

qu’elle avait introduit en France ou qui a été introduit à son initiative et sous sa direction.<br />

Cette femme, c’est madame Acarie. Alors, une figure de proue ? Elle n’est pas la seule :<br />

saint François de Sales et quelques autres avaient joué leur rôle ; : et bien sûr, Bérulle, son<br />

cousin. Mais Barbe Avrillot, madame Acarie, a catalysé tellement d’initiatives autour d’elle,<br />

rassemblé tellement de talents spirituels, qu’elle a été un peu comme un phare et<br />

l’inspiratrice de cette « école française de spiritualité » qui va rayonner en France sur le<br />

17ème siècle, sûrement jusqu’au temps du curé d’Ars et peut-être jusqu’à notre époque.<br />

Donc, la France est largement déchristianisée : une religion très fortement politisée, une<br />

société…, faut-il dire fermée, faut-il dire même … fermée hermétiquement au surnaturel,<br />

L’état religieux de la France 4/17 Philippe BONNICHON<br />

à l’époque de Madame Acarie 25 Mars 2000


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enfin un clergé à réformer ; et au milieu de tout cela, car sinon rien n’aurait été possible,<br />

quelques îlots de ferveur, quelques êtres, hommes, femmes, à partir desquels Dieu et<br />

l’Église allaient pouvoir reconstruire.<br />

Au 16ème siècle, la ferveur religieuse, de ceux qui veulent vivre l’Évangile au plus près, avait<br />

été du côté des réformateurs très souvent, pas toujours, mais très souvent protestants au<br />

départ. Ce qui divisait les hommes du 16ème siècle justement par ce qu’ils croyaient en<br />

Dieu : puisque tous y croyaient quel était le culte qui doit être, en esprit et en vérité, rendu à<br />

Dieu comme à un seigneur tout-puissant, transcendant, bien plus grand que les rois de la<br />

terre ? Selon les rapports des hommes avec Dieu, les hommes auront aussi des rapports<br />

différents entre eux : Calvin et saint Ignace de Loyola étaient comme leurs contemporains<br />

préoccupés de la gloire de Dieu. « Soli Deo Gloria » - « à Dieu seul appartient la gloire » dit<br />

Calvin ; et vous connaissez la devise des Jésuites, très anticalviniste « Ad majorem Dei<br />

gloriam – Pour que grandisse la gloire de Dieu ». Ce sont deux façons différentes de<br />

regarder la gloire de Dieu.<br />

« SOLI <strong>DE</strong>O GLORIA », premier cas : l’homme n’a rien à faire, la gloire de Dieu est parfaite,<br />

l’homme doit s’incliner et révérer, dans la crainte et le tremblement, en se gardant de porter,<br />

par ses mains plus ou moins impies, quelque chose qui pourrait ternir l’éclat de la grandeur<br />

de Dieu.<br />

« AD MAJOREM <strong>DE</strong>I GLORIAM » : elle est parfaite en soi, mais elle n’est pas forcément<br />

parfaite et évidente aux yeux des hommes ; donc toute une place est offerte à l’apostolat :<br />

« que votre lumière brille aux yeux des hommes afin que, voyant vos bonnes œuvres, ils<br />

rendent grâce à votre Père qui est dans les cieux ». Tout le monde parle de la « gloire »,<br />

mais tout le monde ne conçoit pas de la même façon la « gloire » et la « toute-puissance »<br />

divines, ni les rapports de Dieu avec l’homme. C’est probablement le point nodal qui<br />

engendre ces tests de chrétienté : « alors toi, quelle est ta croyance ? Montre-moi quelle est<br />

ta foi et tu me le montreras par des gestes et des paroles ». Si les réformés protestants<br />

privilégient la parole divine, c’est que précisément Dieu se révèlent pour eux dans l’Écriture,<br />

L’état religieux de la France 5/17 Philippe BONNICHON<br />

à l’époque de Madame Acarie 25 Mars 2000


Madame Acarie Conférences Histoire 16/172 Edition Complète<br />

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dans la Parole et que c’est cette Écriture qui a gardé la place du sacrement ; or pour le<br />

catholique, Dieu parle, bien sûr, dans l’Écriture et s’est révélé dans l’histoire mais il continue<br />

à s’incarner par ces signes sensibles que sont chacun des sacrements de l’Église<br />

catholique, signes que, précisément les protestants, au nom de la pureté de la foi, refusent<br />

et récusent.<br />

Et qu’est-ce que ces églises dans lesquelles il y a des images et des statues ? Culte<br />

idolâtrique, disaient les protestants, par conséquent nécessité de supprimer les images – il y<br />

a eu un mouvement iconoclaste -. La réforme protestante aura été particulièrement vigilante,<br />

dans le cas du calvinisme en France, pour supprimer tous ces soi-disant intermédiaires entre<br />

Dieu et l’homme qui ne font que rendre l’homme idolâtre et lui cacher le vrai visage de Dieu<br />

qui ne se révèle qu’à celui à qui il veut bien.<br />

Au contraire, les catholiques diront : Dieu s’incarne, Dieu parle dans le temps, Il est présent<br />

ici ; il y a une médiation du semblable qui passe à travers le corps car le corps et l’âme sont<br />

créés par Dieu. C’est un acte de foi et de confiance qui est pratiqué par le chrétien.<br />

Ce sont donc deux pédagogies fondamentalement différentes et qui avaient engendré des<br />

actes brutaux, il faut bien le dire, car tout le problème des guerres de religion avait été celui<br />

de la Vérité, bien sûr ; mais si on coupe la Vérité de la Charité, vous savez très bien ce qu’il<br />

en advient : celui qui est dans l’erreur n’a pas droit à la professer, ni même, dans certains<br />

cas, de continuer à vivre. Si bien que ces guerres de religion ont beaucoup détruit.<br />

Par ailleurs, le pouvoir royal qui était considéré comme sacré par la majorité des français a<br />

été largement désacralisé, surtout sous le règne de Henri III.<br />

Et lors, que dire si le Roi, qui devrait être légitime par droit de naissance, est protestant<br />

comme Henri IV au moment où est assassiné Henri III ? Cela a troublé beaucoup d’esprits et<br />

je dirais que les gens de religion ont détruit, au moins perturbé, un certain sentiment de la<br />

L’état religieux de la France 6/17 Philippe BONNICHON<br />

à l’époque de Madame Acarie 25 Mars 2000


Madame Acarie Conférences Histoire 17/172 Edition Complète<br />

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légitimité. Au fond, où est le vrai en politique ? Où est le bien ? Que faut-il faire ? A qui se<br />

rallier ? Ce sont des questions qui sont loin d’être faciles à trancher dans le secret de chaque<br />

conscience. Du coup, on regarde à l’étranger : les protestants vers les princes allemands en<br />

particulier ou d’autres pays comme les Provinces Unies, et les catholiques vers l’Espagne ;<br />

vers l’Espagne, en commettant parfois une certaine confusion du politique et du religieux,<br />

confusion volontiers entretenue par le roi d’Espagne lui-même. Face à un royaume divisé<br />

comme la France où l’hérésie risquerait de l’emporter – à dire vrai elle n’a jamais risqué<br />

quantitativement de l’emporter – le roi d’Espagne se présente comme le défenseur de la<br />

religion authentique et de la catholicité. Derrière lui, les « bons catholiques » s’étaient<br />

regroupés dans le parti de la Ligue, elle-même organisée de manière presque<br />

révolutionnaire. Paris était donc, autour de 1590, une ville révolutionnaire dont les bourgeois<br />

étaient armés, dont les quartiers étaient divisés, sous l’autorité d’un certain nombre de chefs,<br />

comme monsieur Acarie, qui obéissaient en principe aux Guise jusqu’à leur assassinat, et<br />

qui, finalement, souhaitaient en quelque sorte la victoire de l’Espagne. Ce qu’évidemment<br />

beaucoup de français, qu’on appelait « les bons français », aussi bien chez les catholiques<br />

que chez les protestants, rejetaient. Ce sont ces « bons français » qu’Henri IV a regroupé<br />

derrière lui en abjurant, pour la troisième fois d’ailleurs dans sa vie. Il abjure cette fois-ci<br />

définitivement pour donner à tout son royaume un signe : il est sacré, non pas à Reims mais<br />

à Chartres (parce que Reims est tenu par les Ligueurs, justement). Il est donc bien le roi de<br />

France.<br />

A partir de ce moment-là, la résistance de Paris n’a plus de raison d’être et le royaume se<br />

rallie progressivement à Henri IV. Il est certain que ceux qui avaient été en pointe,<br />

notamment dans la résistance politique et armée, au nom d’un catholicisme intransigeant,<br />

des gens très sincères comme monsieur Acarie, vont être disgraciés, seront en tout cas<br />

emprisonnés et exilés pendant plusieurs années.<br />

Donc, ces guerres civiles n’ont cessé que parce que, au bout de plus de trente ans, les deux<br />

partis ont compris, l’un, le parti majoritaire, que de toute façon ou ne pouvait pas exterminer<br />

la minorité, à supposer que ce fût souhaitable ou pensable, et l’autre, le parti minoritaire,<br />

L’état religieux de la France 7/17 Philippe BONNICHON<br />

à l’époque de Madame Acarie 25 Mars 2000


Madame Acarie Conférences Histoire 18/172 Edition Complète<br />

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celui des protestants, qu’on ne pouvait pas faire basculer la France dans le camp de la<br />

réforme protestante. Ce qui évidemment aurait entraîner l’Europe entière, compte tenu du<br />

poids territorial, démographique et politique du royaume.<br />

Alors c’est à partir de cette constatation qu’est établi un « modus vivendi ». L’Édit de Nantes<br />

établit une paix de religion pour, pratiquement l’essentiel du 17ème siècle, jusqu’à son<br />

abolition en 1685. C’est une chose tout à fait étonnante dans l’Europe du temps : la France<br />

est pratiquement le seul pays d’Europe, de chrétienté du monde, où les sujets, certains<br />

sujets, puissent ne pas professer la religion du souverain… Donc un « modus vivendi » dont<br />

chacun sait qu’il n’est que temporaire ; d’ailleurs le préambule de l’Édit de Nantes le dit bien :<br />

« Tous nos sujets adorent Dieu mais tous ne peuvent le faire encore de la même façon et<br />

d’une seule voix » ; donc, ce qui est donné, c’est du temps, pour la conversion. Peut-être la<br />

conversion des catholiques à un vrai catholicisme et la conversion des protestants au<br />

catholicisme aussi. Voilà où intervient madame Acarie et ceux qui suivent ; si les hautes<br />

eaux religieuses, la ferveur religieuse étaient peut-être du côté de la Réforme, au début du<br />

16ème siècle, en France, au 17ème siècle, la ferveur religieuse va passer du côté<br />

catholique ; et si beaucoup de catholiques étaient devenus protestants au siècle précédent,<br />

les conversions du protestantisme au catholicisme seront nombreuses, réelles et sincères<br />

malgré l’épisode forcé de la fin de la période, sous Louis XIV, avec la politique de coercition<br />

qui précède la Révocation de l’Édit de Nantes.<br />

Nous aurons, grâce à une certaine élite, un rayonnement de la religion catholique dans cette<br />

société, à partir d’un ébranlement initial. Mais on n’en est en pas encore là en 1600.<br />

En 1600, dans cette France dévastée, il y a en même temps que des ruines à relever, un<br />

enseignement à faire passer, parce que le peule est ignorant et que le clergé l’est presque<br />

autant, surtout le bas-clergé.<br />

L’état religieux de la France 8/17 Philippe BONNICHON<br />

à l’époque de Madame Acarie 25 Mars 2000


Madame Acarie Conférences Histoire 19/172 Edition Complète<br />

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A l’époque, le clergé est immergé dans le système bénéficial. Le bénéfice ecclésiastique est<br />

un revenu de terre ou d’argent dont on jouit, en principe, pour remplir un office, c’est-à-dire<br />

un ministère. Mais si l’essentiel est que l’office soit rempli, dans la mentalité du temps, le<br />

bénéfice prime l’office. Si donc celui qui est titulaire du bénéfice ne veut ou ne peut pas<br />

remplir l’office, il le délègue à quelqu’un d’autre, moyennant finance, un salaire, un petit<br />

salaire, ce qu’on appelle « la portion congrue » pour bien des prêtres des paroisses. Le<br />

résultat c’est que beaucoup de bénéficiers ne sont pas ceux qui remplissent l’office et ceux<br />

qui remplissent ne sont pas faits pour cela, très souvent mal payés, mal formés. De toute<br />

manière il y a course au bénéfice. L’argent de l’Église à qui appartient-il ? Aux bénéficiers ?<br />

en principe , non. Il appartient aux pauvres et à Dieu ? À Dieu pour lui rendre un culte, aux<br />

pauvres parce qu’ils sont le signe de Dieu ici-bas. Donc l’Église en ce temps remplit des<br />

devoirs : l’enseignement, la charité, l’entr’aide, enfin, pratiquement tous les budgets de nos<br />

ministères sont à sa charge, outre le culte. Voyez le travail que saint Vincent de Paul et<br />

d’autres ont fait… Voilà vers quoi il faut orienter l’argent de l’Église. Ce qui est scandaleux,<br />

ce n’est pas que l’Église ait de l’argent ou des bénéfices ou des revenus, ce qui est<br />

scandaleux ce n’est pas qu’un évêque ait cent mille livres de rente, la question est de savoir<br />

ce qu’il fait de ces cent mille livres de rente… Le 17ème siècle ne va pas changer les<br />

structures – le système bénéficial restera ,jusqu’à la Révolution – mais va changer l’esprit qui<br />

les anime. Ainsi, quand un bénéficier, quand un chanoine va se convertir, ce chanoine va<br />

prendre au sérieux les devoirs de sa charge. Il n’a qu’à dire l’office dans l’église-cathédrale,<br />

ce n’est pas énorme ; il va fa ire du supplément, s’il se convertit. Il va prendre un ministère ; il<br />

va faire comme Jean Baptiste de la Salle, il va faire autre chose, aller plus loin. Un curé qui<br />

se convertit, c’est saint Vincent de Paul, qui faisait la chasse aux bénéfices et qui va devenir<br />

missionnaire et mettre son talent au service d’une charité active et rayonnante. Les<br />

structures restent les mêmes, mais l’esprit va être changé.<br />

J’ouvre déjà les perspectives sur 1650, mais c’est pour vous faire saisir d’où l’on vient et où<br />

l’on va. En tout cas, en 1600, il est certain que le clergé en France n’est pas formé. Or, le<br />

Concile de Trente est passé par là, et, en principe et en fait, en Italie par exemple, il a<br />

changé ces pratiques et ces abus. Le Concile s’est terminé trente ans auparavant ; il a<br />

donné lieu à des exemples épiscopaux : comme saint Charles Borromée à Milan. Mais en<br />

L’état religieux de la France 9/17 Philippe BONNICHON<br />

à l’époque de Madame Acarie 25 Mars 2000


Madame Acarie Conférences Histoire 20/172 Edition Complète<br />

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France en 1600, pas encore, parce que les guerres de religion ont fait prendre du retard,<br />

parce que, pour les catholiques français, la réforme tridentine n’est pas faite et que cela<br />

supposerait qu’elle soit appliquée. D’ailleurs les décrets du Concile de Trente ne sont pas<br />

encore reçus comme lois, dans le royaume de France… Par conséquent toute la réforme qui<br />

va se faire, grâce à madame Acarie et à ceux qui sont autour d’elle, toute cette réforme va<br />

se faire parce que le clergé décide pour lui, quoiqu’il n’y soit pas obligé par la loi, d’appliquer<br />

les décrets du Concile de Trente. C’est donc en, quelque sorte une loi intériorisée, une loi qui<br />

formellement n’oblige par les français, pour toutes sortes de raisons (le gallicanisme a sa<br />

part). Puisque la réforme de l’Église n’est pas encore faite en France, et pour qu’elle se<br />

fasse, cela supporte ferveur, et ferveur qui suppose – en tout cas l’historien le constate à<br />

l’époque – une élite sociale, peut-être pas toujours sociale, une élite spirituelle, certainement,<br />

autour de figures de proue ou de figures qui ont un rayonnement extraordinaire en leur<br />

temps. Je nommerai à nouveau saint François de Sales et madame Acarie précisément ; la<br />

réforme de Port-Royal aussi, qui, avant être « janséniste », est une conversion à l’enseigne<br />

de la vie religieuse ; d’ailleurs, la mère Angélique Arnault a connu saint François de Sales<br />

qui l’a poussée à faire cette réforme. Saint François de Sales n’a rien d’un janséniste !<br />

J’avais parlé d’une société assez fermée au surnaturel, d’autant plus attentive ou anxieuse<br />

d’ailleurs, devant les manifestations de l’extraordinaire : par exemple, les sorcières ou<br />

certaines prédications... Madame Acarie débusquera une fausse prophétesse qui appelait à<br />

la « réforme » et qui n’était peut-être pas inspirée par l’Esprit de Dieu. On a donc une<br />

certaine avidité affective pour les choses extraordinaires d’une part, et on a, d’autre part, un<br />

humanisme pratique, une sagesse très terre à terre, une religion « mondaine » comme celle<br />

que critiquera plus tard Pascal : une morale du « je donne pour que tu me rendes », des<br />

relations de « marchand à marchand » (le père Garasse prend cette figure), ce qui est<br />

indécent, évidemment, entre l’homme et Dieu.<br />

J’ai dit enfin un clergé à réformer, et j’y reviens quant à son instruction (il n’y a pas de<br />

séminaire ou fort peu), quant à la vocation au célibat, quant à la course aux bénéfices. Le<br />

haut clergé est encore, en ce temps, nécessaire au gouvernement ; il n’y a peut-être pas<br />

L’état religieux de la France 10/17 Philippe BONNICHON<br />

à l’époque de Madame Acarie 25 Mars 2000


Madame Acarie Conférences Histoire 21/172 Edition Complète<br />

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suffisamment encore de gens de robe, d’officiers du roi pour permettre que la politique et<br />

l’administration soient faites par les laïcs. Ce sont les évêques qui ont l’instruction, l’habitude<br />

du monde, l’habitude du commandement et il est naturel qu’en ce temps-là on les utilise pour<br />

un domaine qui n’est pas le leur. Le résultat c’est qu’ils ne résident pas dans leur diocèse et<br />

que souvent, malgré eux d’ailleurs, ils n’exercent pas leur ministère d’évêque.<br />

Le bas clergé est ignorant ; on trouve des curés bellâtres, comme le malheureux Grandier<br />

qui sera brûlé sous Richelieu, ou des gens d’Église mousquetaires, comme plus tard encore<br />

les Sourdis qui conduiront des armées navales pour le compte du même Richelieu. Donc la<br />

réforme est à faire, la réforme catholique s’entend. Quelle réforme ? La réforme passe par<br />

l’habit. L’habit, c’est ce qui nous met à part, c’est ce qui nous caractérise : l’habit permet de<br />

savoir à qui l’on a affaire. Cela mettra très longtemps à ce que les ecclésiastiques portent un<br />

habit particulier. Réforme de l’habit, réforme de la résidence, réforme de la formation des<br />

prêtres dans des séminaires, réforme de la discipline, de l’obéissance aux évêques.<br />

Donc, autour de 1600, le clergé est tellement confondu avec « le siècle » que l’image et<br />

l’idéal du prêtre semblent, dans la pratique, absents. Le prêtre, comme le Concile de Trente<br />

l’a rappelé, conformé en sa personne même par le sacrement de l’Ordre à la personne du<br />

Christ, est celui qui peut et qui seul peut rendre Dieu, Jésus-Christ, réellement présent aux<br />

hommes. Il est médiateur, en somme, par les sacrements, pour les hommes. D’où<br />

l’importance de ce sacrement de l’Ordre, pour l’Incarnation dans le mystère eucharistique,<br />

sur lequel Marie de l’Incarnation, madame Acarie, insistera tellement. Mais nous avons dit<br />

que les décrets du Concile ne sont pas encore reçus en France en 1600.<br />

Certes, il y a quelques points d’ancrage : quelques ordres religieux, les Capucins pour le<br />

peuple, les Jésuites pour les gens un peu plus cultivés (malgré leur exclusion momentanée).<br />

Donc, il y a quelques points sur lesquels une volonté réformatrice pourrait s’ancrer. Et puis, il<br />

y a quelques îlots de ferveur. Parce qu’enfin si le tableau était uniformément tragique, on ne<br />

comprendrait pas très bien par quel miracle on en serait sorti. La ferveur s’appuie sur une<br />

spiritualité qu’on appelle la « devotio moderna » qui veut imiter Jésus-Christ ; « L’imitation de<br />

L’état religieux de la France 11/17 Philippe BONNICHON<br />

à l’époque de Madame Acarie 25 Mars 2000


Madame Acarie Conférences Histoire 22/172 Edition Complète<br />

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Jésus-Christ » est un livre qui depuis le 16ème siècle surtout est très lu et qui sera encore<br />

très lu. C’est une spiritualité de rencontre personnelle avec la personne du Christ ; ceci pour<br />

tout chrétien qui le veut bien et pas seulement pour ce « spécialiste » en somme, de la vie<br />

chrétienne qu’est le moine ou la moniale vivant derrière une clôture ; cette spiritualité est<br />

développée dans certains groupes qui, d’un point de vue socio-culturel ont une importance<br />

réelle, à l’époque qui nous intéresse, chez les gens de robe souvent. Ce sont des gens qui<br />

ont la culture, qui ont le pouvoir, qui ont l’habitude, dans le cas du Parlement de Paris, de la<br />

lutte contre les protestants. Beaucoup ont été ligueurs, ceci au nom de l’intégrité du pouvoir<br />

royal. On est frappé de voir combien ces gens se connaissent entre eux, ont des liens de<br />

parenté ; c’est comme cela d’ailleurs qu’ils rayonnent dans la société. Madame Acarie eut<br />

pour mère une Lhuillier ; elle est cousine des Séguier ; Pierre de Bérulle a pour mère une<br />

Séguier ; un Pierre Séguier sera chancelier de France ; c’est-à-dire le deuxième personnage<br />

de l’État et les femmes de la famille Séguier seront nombreuses au Carmel. Famille Séguier,<br />

famille de Bérulle, famille de Marillac, famille Avrillot ; Barbe Avrillot, madame Acarie,<br />

appartient à ce milieu, milieu qui est un peu le même aussi que celui de la famille Arnaud et<br />

de Marion, ces réformateurs de Port-Royal. Autres familles de ce milieu : celle de madame<br />

de Chantal née Frémiot, la pénitente de saint François de Sales ; famille de la présidente<br />

Brûlard ; c’est aussi une grande famille de robe et madame Brûlard avait également été une<br />

pénitente de saint François de Sales.<br />

Sous le règne d’Henri IV donc, il y avait là tout un milieu apte à rayonner dans la société,<br />

d’autant qu’il avait des appuis à la Cour, avec certaines grandes dames ou certains évêques<br />

réformateurs, je pense à celui déjà nommé qui était alors coadjuteur de Genève, c’est-à-dire<br />

saint François de Sales. Autrement dit, dans ce contexte troublé, déchristianisé de la France<br />

de l’époque, il existait une élite réceptive et l’expérience de madame Acarie, dans le Paris<br />

d’après la Ligue, va créer un choc.<br />

Mon sujet, aujourd’hui, n’est pas de vous parler de madame Acarie. Je rappelle seulement<br />

qu’elle est de ce milieu de robe, que dans sa jeunesse elle aurait bien voulu être religieuse,<br />

ce qu’elle ne pourra réaliser qu’après son veuvage et dans un Ordre qu’elle ne connaissait<br />

L’état religieux de la France 12/17 Philippe BONNICHON<br />

à l’époque de Madame Acarie 25 Mars 2000


Madame Acarie Conférences Histoire 23/172 Edition Complète<br />

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pas encore, bien sûr. Elle a été mariée (elle était elle-même une très riche héritière) à un<br />

jeune homme de fortune importante et elle a eu des expériences très contrastées dans sa<br />

vie. Partie d’un milieu très fortuné, fortune qu’elle reconstituera en partie en 1600 grâce à<br />

ses talents ; sans l’avoir recherché, elle aura connu la pauvreté, l’humiliation lors de la<br />

disgrâce de son mari qui, nous l’avons dit, avait tenu un rôle important dans la Ligue<br />

parisienne. Elle subit des infirmités très douloureuses notamment après une chute de cheval.<br />

Elle s’est dévouée aux pauvres, à l’hôpital, pendant la guerre civile, dans sa propre maison<br />

aussi. Elle a pratiqué toute sa vie conjugale l’obéissance à son époux, voyant dans ses<br />

volontés, parfois contradictoires, la volonté du Christ.<br />

Elle est d’un très grand réalisme ; elle saura rétablir les affaires de sa famille et elle est par<br />

son rayonnement personnel appréciée du Roi Henri IV et de la reine. Son hôtel va être<br />

fréquenté par beaucoup de gens qui se soucient de la réforme religieuse et spirituelle de la<br />

France aux alentours des années 1600 : Dom Beaucousin, chartreux, messieurs Gallemant<br />

et Duval qui, avec Pierre de Bérulle, jeune prêtre à l’époque, seront les supérieurs du Carmel<br />

en France. Elle connaît le Carmel par des lectures, peut-être par l’intermédiaire de monsieur<br />

de Brétigny qui est d’une famille franco-espagnole et qui rêve depuis plus de dix ans<br />

d’introduire le Carmel réformé en France. Saint François de Sales viendra à l’hôtel Acarie<br />

fréquenté par de grandes dames comme madame de Maignelay, madame de Bréauté,<br />

madame de Longueville, madame de Joyeuse, toutes femmes de Cour, qui y ont leurs<br />

entrées et qui ont de l’influence. Ainsi, l’influence de ce monde va être mise au service d’un<br />

rayonnement spirituel, parce qu’enfin madame Acarie on en parle. Ce n’est pas seulement<br />

sa vertu ou sa charité, mais aussi les états mystiques qu’elle se garde bien d’étaler, mais qui<br />

finissent par transpirer, qui attirent la curiosité du monde. Une femme dont tous se rendent<br />

compte qu’elle vit en prière permanente, ce qui ne la distrait pas de faire ce qu’elle a à faire<br />

dans son devoir d’état. Considérons les parties de « l’âme » comme dit saint François de<br />

Sales, « la sensible et la supérieure » : hé bien ! la sensible chez elle est entièrement<br />

subordonnée à la supérieure, celle justement où, dans la volonté et le fond du cœur, Dieu<br />

peut rencontrer l’homme et l’homme se laisser rencontrer par Dieu. Oraison permanente,<br />

mais grande méfiance de ce qu’elle appelle « l’imagination ». Pas de piété en l’air. Cela doit<br />

se traduire par une charité rayonnante. Voilà les traits majeurs de sa spiritualité qui est<br />

L’état religieux de la France 13/17 Philippe BONNICHON<br />

à l’époque de Madame Acarie 25 Mars 2000


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connue et se fait sentir sensiblement dans le Paris de ce temps ; beaucoup viennent lui<br />

demander conseil.<br />

Je disais le devoir d’état. Saint François de Sales l’avait magnifié dans « l’Introduction à la<br />

vie dévote ». Dans ce livre qui a eu longtemps un des plus gros tirages en France, il affirmait<br />

que la perfection chrétienne, la recherche de la perfection de l’Évangile, peut être vécue en<br />

toute condition et n’est pas la spécialité, justement de ceux qui y consacrent toute leur vie<br />

dans un cloître. Cela est un des aspects de la « dévotion moderne ». On peut dire que cette<br />

dévotion, madame Acarie en a été l’exemple vivant, dans son hôtel parisien, avant de<br />

devenir carmélite à Amiens, et ici, à Pontoise. Donc le devoir d’état.<br />

L’oraison permanente, autre trait majeur de sa spiritualité, c’est l’imitation du Christ, avec<br />

une science que, à la suite de madame Acarie, tout le 17ème siècle observera et à laquelle il<br />

portera une attention considérable : SE DÉCONCENTRER de l’amour-propre, de l’amour de<br />

soi ; on a une véritable terreur de l’amour-propre c’est-à-dire que la personne se mette en<br />

quelque sorte à la place de Dieu. L’amour-propre s’oppose à l’amour de Dieu et la meilleure<br />

pierre de touche c’est l’abandon de l’amour-propre dans l’obéissance ; c’est là que l’on peut<br />

rencontrer la spiritualité de sainte Thérèse et aussi de saint Ignace de Loyola (pour madame<br />

Acarie, c’est sainte Thérèse d’Avila).<br />

Dans cette société qui a le sens du service du Roi et, à la rigueur, comprend le service du roi<br />

du ciel, la gloire de l’homme va coïncider avec son anéantissement ; parce que<br />

l’anéantissement de l’homme (la Croix) c’est la gloire de Dieu et, du coup, c’est la<br />

glorification de l’homme. Voilà ce paradoxe de l’anéantissement pour la résurrection : c’est,<br />

semble-t-il, un point-clé. Ainsi comprend-on que la voie naturelle est celle de l’humilité, qui<br />

est la voie de la petitesse de l’enfance spirituelle et en même temps celle de la charité<br />

active ; car, en madame Acarie, la contemplation et l’action, bien sûr, sont unies et doivent<br />

l’être ; sans cela la contemplation serait fausse. Là encore, saint François de Sales nous<br />

l’avait expliqué dans son « Traité de l’amour de Dieu ». Dieu ici-bas est le Dieu caché. Le<br />

Dieu caché sous les espèces eucharistiques ; il est réellement présent mais c’est ce Dieu<br />

L’état religieux de la France 14/17 Philippe BONNICHON<br />

à l’époque de Madame Acarie 25 Mars 2000


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caché qui va informer (au sens de donner forme) une grande partie de la spiritualité de ce<br />

XVIIème siècle. Ainsi l’action de madame Acarie dans l’Église de France de cette époque est<br />

triple :<br />

• D’abord, il s’agit dans cette France des années 1600 d’introduire le Carmel ; c’est la<br />

source de la conversion pour tout un siècle. Le Carmel réformé de sainte Thérèse est<br />

espagnol ; ce qui vient d’Espagne, les français n’en veulent pas : l’affaire paraît<br />

impossible. Madame Acarie envoie son cousin Pierre de Bérulle négocier en Espagne au<br />

moment, justement, où tout semblait rater. Finalement cela réussit, alors que tout moyen<br />

humain était, comme dit Bérulle « faillant », c’est-à-dire que vraiment l’homme n’y pouvait<br />

plus rien ; c’est Dieu qui a tout fait. Pendant ce temps-là, madame Acarie faisait dresser<br />

les plans et bâtir un monastère à Paris pour accueillir les religieuses espagnoles, sans<br />

avoir l’argent pour le faire ; mais l’argent, elle a fini par le trouver et elle préparait de<br />

futures moniales françaises à l’arrivée des compagnes de sainte Thérèse.<br />

• Ensuite, introduction des Ursulines ; cela, c’est le rayonnement ; après la contemplation,<br />

l’action par l’enseignement dans une société à rechristianiser. L’influence des Ursulines,<br />

pour l’enseignement des femmes en France, mériterait toute une conférence.<br />

• Enfin, en 1611, la création de l’Oratoire par Bérulle. Bérulle fournit aux évêques, il le dit<br />

lui-même, ce dont le pape peut disposer grâce aux Jésuites : des gens qui soient<br />

entièrement dans leur main pour faire l’apostolat auquel ils les destinent. L’Oratoire,<br />

dégagé du système bénéficial, va permettre la réforme du clergé en France.<br />

Chronologiquement, c’est après ce tournant de 1604 à 1611, qui va de l’introduction du<br />

Carmel en France à la création de l’Oratoire, que se déploie toute la réforme catholique<br />

jusqu’à l’efflorescence que j’évoquais en commençant.<br />

Dès l’origine de cette réforme du clergé en France, il est clair qu’il y a une liaison entre le<br />

Carmel et le clergé, entre un Ordre de moniales contemplatives et la réforme des prêtres<br />

séculiers. C’est d’ailleurs explicitement ce qu’a voulu sainte Thérèse d’Avila et à quoi se<br />

référera la « petite » sainte Thérèse de Lisieux. Une union de Marthe et Marie qui enracine<br />

l’apostolat, si fécond dans la France du 17ème siècle, sur la contemplation ; et la<br />

contemplation du Christ et du mystère du Christ : c’est une spiritualité christocentrée. On<br />

l’expliquera théologiquement : Pierre de Bérulle insiste sur l’hypostase, sur l’union dans la<br />

L’état religieux de la France 15/17 Philippe BONNICHON<br />

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seule personne du Christ de ses deux natures. Le sens de l’homme ne se trouve que dans<br />

l’obéissance au divin. D’où ce qu’on peut appeler une révolution copernicienne : l’homme<br />

doit se décentrer de lui-même comme la terre tourne autour du soleil. Le soleil c’est Dieu,<br />

c’est Jésus-Christ. « Ce n’est plus moi qui vis, comme dit Saint-Paul, mais Jésus-Christ qui<br />

vit en moi ». Le père Bourgoing, le successeur de Bérulle, l’explique bien. L’homme ne peut<br />

se connaître, ni même être, qu’en se décentrant de lui-même en Jésus-Christ ; or, Jésus-<br />

Christ s’est incarné, fait visible. Dieu passe par le corps et les sens ; c’est la piété baroque,<br />

comme on dit, le sentiment, la médiation de l’image, qui distingue les catholiques des<br />

protestants. Mais faut-il s’arrêter aux consolations sensibles voire à l’extraordinaire ? Non<br />

surtout pas ; ce n’est qu’un signe. Il faut qu’il y ait, comme disent les spirituels du temps<br />

« extase en la vie » et non pas simplement en l’imagination et la pensée. Extase en la vie, ce<br />

n’est possible que par la présence réelle de Dieu parmi les hommes. Or cette présence, c’est<br />

l’Eucharistie, où Dieu est caché ; d’où le rôle donné à l’adoration de Jésus dans l’Eucharistie,<br />

de sa réception, des processions, des fêtes-Dieu dans lesquelles il se manifeste, pour la<br />

société hiérarchisée du temps : il prend possession des corps sociaux, des lieux et des<br />

cœurs.<br />

Importance du prêtre, donc, qui réalise cette présence de Dieu parmi les hommes ; d’où ces<br />

congrégations nouvelles : l’Oratoire, Saint-Sulpice, les Eudistes, les Lazaristes, toutes ces<br />

créations du 17ème siècle, ces nombreux ordres missionnaires.<br />

En somme tout se tient dans la réforme catholique, qui est encore à faire au début de ce<br />

17ème siècle, mais qui grâce, justement, à ce que font en 1604 madame Acarie et Bérulle<br />

en 1611, va devenir possible. Rayonner à partir de milieux influents dans une société<br />

hiérarchisée où l’impulsion donnée d’en haut peut être relayée ensuite.<br />

Voilà, en grande partie la réussite de madame Acarie ; elle-même n’a pu le faire que par<br />

obéissance, foi persévérante, humilité ; tout moyen humain faisant défaut ; dans son cas à<br />

elle, la bienheureuse Marie de l’Incarnation, la dévotion mariale va de pair avec le culte de la<br />

Présence Réelle, comme d'ailleurs Bérulle le préconisera lui-même. Car dans l'Incarnation<br />

L’état religieux de la France 16/17 Philippe BONNICHON<br />

à l’époque de Madame Acarie 25 Mars 2000


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comme dans l’Eucharistie, la parfaite obéissance, le vrai dépouillement se trouve dans le<br />

FIAT, c’est-à-dire l’oblation de soi.<br />

J’ai voulu observer, comme historien, les conditions de la force de conversion pour toute une<br />

société. Ainsi, ce qui aura valu pour les gens du 17ème siècle pourrait bien être d’un riche<br />

enseignement pour nous aussi, en ces premières années d’un autre millénaire.<br />

Je vous remercie de votre attention.<br />

L’état religieux de la France 17/17 Philippe BONNICHON<br />

à l’époque de Madame Acarie 25 Mars 2000


Madame Acarie Conférences Histoire 28/172 Edition Complète<br />

<strong>MADAME</strong> <strong>ACARIE</strong> « LIT » THÉRÈSE D’AVILA,<br />

C’ÉTAIT IL Y A QUATRE SIÈCLES<br />

OU<br />

L’HISTOIRE <strong>DE</strong> L’INTRODUCTION<br />

DU CARMEL RÉFORMÉ EN FRANCE<br />

Conférence de Christian RENOUX,<br />

Maître de conférences, Université d’Orléans<br />

7 Octobre 2001 Carmel de Pontoise<br />

©Amis de Madame Acarie<br />

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Madame Acarie Conférences Histoire 29/172 Edition Complète<br />

TABLE<br />

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1. Introduction ................................................................................................................ 3<br />

2. « De la grâce des livres » .......................................................................................... 4<br />

3. L’an 1601 ................................................................................................................... 5<br />

4. Un étrange dégoût ..................................................................................................... 8<br />

5. L'inattendu ............................................................................................................... 10<br />

6. Les théologiens........................................................................................................ 15<br />

7. Le signe espéré ....................................................................................................... 17<br />

8. La Duchesse de Longueville.................................................................................... 20<br />

9. La réalisation du projet ............................................................................................ 22<br />

10. Une alliance féconde ............................................................................................... 25<br />

Madame Acarie « lit » 7 Octobre 2001 Christian RENOUX<br />

Thérèse d’Avila 2/25


Madame Acarie Conférences Histoire 30/172 Edition Complète<br />

1. INTRODUCTION<br />

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Longtemps, l'introduction en France des carmélites, réformées en Espagne en 1562 et<br />

installées en Italie en 1584, resta une entreprise vaine. Mais, en juillet 1602, le Roi Henri IV<br />

accorda des lettres patentes pour la fondation du premier monastère à Paris.<br />

Une pieuse laïque parisienne, Barbe Acarie (1566-1618), était à l'origine de ce succès.<br />

Quelques mois auparavant, elle s'était fait lire dans son hôtel de la rue des Juifs, la<br />

traduction française des œuvres de Thérèse d'Avila (1515-1582). De cette rencontre, entre<br />

l'œuvre de la mystique espagnole et les attentes de l'extatique parisienne, allait naître un des<br />

épisodes les plus riches de l'histoire du Carmel et les plus marquants de l'histoire du<br />

catholicisme moderne. L'intérêt de cet événement tient à sa fécondité, au nombre et à la<br />

qualité des personnages qui y participèrent, mais aussi, à ses dimensions théologiques,<br />

politiques et internationales. Il faut relire cette aventure, encore mal connue dans son détail,<br />

aventure qui de toute évidence fut collective.<br />

Madame Acarie « lit » 7 Octobre 2001 Christian RENOUX<br />

Thérèse d’Avila 3/25


Madame Acarie Conférences Histoire 31/172 Edition Complète<br />

2. « <strong>DE</strong> LA GRÂCE <strong><strong>DE</strong>S</strong> LIVRES »<br />

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Le père André Duval, décédé en 1638, ami et premier biographe de madame Acarie, fournit<br />

en 1621 la trame des événements dont il fut un témoin et l'un des acteurs principaux. Son<br />

récit débute ainsi :<br />

« Dieu ayant réservé en son éternelle prescience l'honneur de l'établissement<br />

du Carmel de France à la bien heureuse sœur Marie de l'Incarnation [...], la<br />

chose se passa de cette manière. C'est que les livres de la sainte Mère<br />

Térèse [...] ayant été traduits d'espagnol en français par le Révérend Père<br />

Dom du Chèvre, Prieur lors de la chartreuse de Bourgfontaine, se débitèrent à<br />

Paris et furent lus par les personnes de dévotion. Or comme ceux là hantans<br />

en la maison de sœur Marie de l'Incarnation lui en eurent fait cas, elle désira<br />

qu'on lui en lu quelques chapitres ».<br />

Le père Duval ne date pas cet épisode, mais les dates d'édition des œuvres de Thérèse<br />

d'Avila en français permettent cependant de resserrer la chronologie. Les trois ouvrages<br />

principaux de la religieuse espagnole sont imprimés à Paris, chez Guillaume de la Noue, à<br />

l'enseigne du Nom de Jésus. Ce libraire a obtenu un privilège unique pour les trois ouvrages<br />

le 22 décembre 1600. Paraît en premier La Vie de la Mère Therese de Iesus. Fondatrice des<br />

Religieuses et religieux Carmes deschaussès et de la premiere regle, Nouvellement traduict<br />

d'espagnol en Françoys par I.D.B.P. et L.P.C.D.B. L'achevé d'imprimer est du 31 janvier<br />

1601. Viennent ensuite le Traité du Chasteau ou les Demeures de l'âme et Le Chemin de<br />

Perfection dont les achevés d'imprimer sont respectivement du 26 février 1601 et du 28 mars<br />

1601. L'imprimeur a donc sorti un volume par mois. Les trois ouvrages ont reçu une<br />

approbation commune, délivrée par T. Blanzy et L. Dumont. Ils sont imprimés avec le même<br />

frontispice, gravé par Karel van Mallery et comprenant, entre autres, une représentation de<br />

celle qui n'est encore que mère Thérèse de Jésus. Le traducteur de l'ensemble est Jean de<br />

Brétigny, ce prêtre d'origine espagnole, qui a aussi financé l'impression, comme il avait déjà<br />

financé la première édition espagnole des œuvres de la fondatrice. Il a consacré plusieurs<br />

mois à cette traduction, aidé en partie par le père du Chèvre.<br />

Madame Acarie « lit » 7 Octobre 2001 Christian RENOUX<br />

Thérèse d’Avila 4/25


Madame Acarie Conférences Histoire 32/172 Edition Complète<br />

3. L’AN 1601<br />

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Plusieurs raisons laissent penser que les œuvres de Thérèse d'Avila n'ont pas tardé à arriver<br />

chez les Acarie. D'abord, Germain Habert de Cérisy, dans La vie du cardinal de Bérulle,<br />

parue en 1646, affirme que « en l'an mille six cents une sainte Thérèse désirant nous faire<br />

part de ses bénédictions, apparut à Mademoiselle Acarie et lui donna la charge de travailler<br />

à l'établissement de son ordre dans ce Royaume ». L'histoire générale du Carmel de<br />

Pontoise, reprend à son compte cette date : « Dieu [...] permit que l'an 1601, madame Acarie<br />

eût connaissance des livres de notre sainte Mère Thérèse, nouvellement traduits et apportés<br />

en France ». En 1800, J-B Boucher adopte la même date : « En l'année 1601 [...] la divine<br />

providence [...] suscita d'une manière extraordinaire Madame Acarie pour être la fondatrice<br />

du Carmel en France ».<br />

Ensuite, l'hôtel Acarie était, depuis plusieurs années, un centre de dévotion important à Paris<br />

et les nouveautés en matière de littérature spirituelle devaient y être rapidement portées.<br />

Enfin, madame Acarie connaissait personnellement tous les acteurs de cette aventure<br />

éditoriale. En effet, Jean de Brétigny avait travaillé à la traduction des trois traités de la sainte<br />

espagnole à Aumale, chez l'abbé Jacques Gallemant, qui l'avait recueilli tout exprès dans son<br />

presbytère à l'été 1598. Or, depuis leur rencontre à Saint Gervais vers 1597, Jacques<br />

Gallemant était un des directeurs de conscience de Madame Acarie qui lui avait rendu visite,<br />

avec son mari, Pierre Acarie, à Aumale, en 1599, et qui, à cette occasion, avait certainement<br />

fait connaissance avec Jean de Brétigny. En 1601, Jacques Gallemant séjourna, à l'invitation<br />

de Pierre Acarie, dans leur hôtel parisien de la rue des Juifs, pendant six semaines, à<br />

l'occasion du Jubilé célébré cette année-là. De plus, le père du Chèvre, qui avait collaboré à<br />

la traduction en relisant les pages de Jean de Brétigny, vivait à la chartreuse de<br />

Bourgfontaine en Picardie, où Pierre Acarie avait été assigné en résidence au lendemain de<br />

la défaite de la Ligue parisienne. Madame Acarie s'y était rendue pour y retrouver son mari et<br />

elle y avait certainement fait la connaissance du père du Chèvre. Il est même fort probable<br />

que c'est elle qui a conseillé à Jean de Brétigny, par l'intermédiaire de l'abbé Jacques<br />

Madame Acarie « lit » 7 Octobre 2001 Christian RENOUX<br />

Thérèse d’Avila 5/25


Madame Acarie Conférences Histoire 33/172 Edition Complète<br />

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Gallemant, de s'adresser à ce chartreux dont elle savait qu'il parlait l'espagnol, pour la<br />

révision de sa traduction. Enfin, le père Thomas Blanzy, l'un des deux docteurs qui a<br />

approuvé l'édition française des trois ouvrages de Thérèse d'Avila, a été le professeur du fils<br />

aîné de Madame Acarie au collège de Calvy, à la Sorbonne. Il fut aussi un temps le<br />

confesseur des filles Acarie dont l'une, Marguerite, fit justement sa première communion en<br />

1601, pendant le jubilé.<br />

De plus, en 1601, madame Acarie n'ignorait ni l'existence de Thérèse d'Avila, ni son œuvre<br />

de réforme au sein de l'ordre du Carmel. Elle savait que Jean de Brétigny voulait introduire<br />

en France cette réforme thérésienne dès 1585, et qu'il avait échafaudé à cet effet, de<br />

nombreux projets qui tous avaient échoué. Lors de sa dernière tentative, allié avec monsieur<br />

Gallemant, il avait soumis sa nouvelle idée à un groupe de théologiens parisiens -<br />

transformer un groupe de tertiaires de Saint Dominique d'Aumale en carmélites - D'après un<br />

de ces biographes, cette « assemblée [des théologiens] était composée de monsieur André<br />

Duval, Docteur en Sorbonne, de monsieur de Bérulle, Aumônier du Roi et ensuite Cardinal,<br />

de monsieur Gallemant qui vint lui-même plaider sa cause, de Dom Beaucousin vicaire des<br />

Chartreux de Paris, et du père Archange Gardien des capucins de Rouen ». Or ces<br />

théologiens faisaient tous partie de ce qu'on appelle le cercle Acarie, à commencer par<br />

Bérulle, parent de madame Acarie. Par conséquent, madame Acarie eut forcément<br />

connaissance de cette réunion dont il est difficile de préciser la date, mais qui eut lieu avant<br />

les événements qui nous intéressent ici, soit au tout début de l'année 1601.<br />

Ces théologiens avaient peu goûté le projet des pères Gallemant et Brétigny. Ils firent en<br />

particulier remarquer que « ceux qui voulaient établir cette réforme en devaient avoir le<br />

véritable esprit et que l'instruction des petites filles n'était nullement convenable à cet institut<br />

qui était entièrement adonné à la contemplation ». Et ils ajoutèrent « que pour entreprendre<br />

une chose de cette importance, il fallait quelque révélation expresse ». Le père Duval<br />

informa Jean de Brétigny de cet avis, en lui disant que « la Volonté de Dieu devait se<br />

manifester particulièrement à l'égard des nouvelles institutions, que ce caractère ne<br />

paraissait pas assez marqué dans celle qu'il avait à cœur d'ériger ». Jean de Brétigny ne fut<br />

pas « du même sentiment parce qu'il ne croyait pas qu'il fut nécessaire d'attendre des<br />

révélations ». Il aurait alors défendu sa position dans une lettre adressée à monsieur Duval.<br />

De son point de vue, pour prendre cette décision de fonder, « il n'était pas nécessaire d'avoir<br />

Madame Acarie « lit » 7 Octobre 2001 Christian RENOUX<br />

Thérèse d’Avila 6/25


Madame Acarie Conférences Histoire 34/172 Edition Complète<br />

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recours à des voies surnaturelles qui peuvent être sujettes à illusion ; mais que la règle sûre<br />

pour se conduire était d'examiner si le dessein était bon en lui-même, conforme à la conduite<br />

de l'Église, approuvé par les hommes doctes et pieux, utile enfin à la gloire de Dieu ». Il<br />

concluait : « Je persévère toujours dans les désirs que Dieu m'a inspirés, mais sans vouloir<br />

qu'il use de miracles pour réduire les hommes à condescendre à mes volontés ».<br />

L'opposition entre une voie ordinaire et une voie extraordinaire dans le discernement des<br />

volontés divines est ici exprimée avec une clarté remarquable.<br />

Notons également que madame Acarie participa activement en 1601 avec les pères<br />

Gallemant et Brétigny à la réforme de l'Abbaye normande de Montivilliers, et en 1601-1602,<br />

avec les pères Gallemant et Beaucousin (son confesseur) et monsieur Gautier, avocat<br />

général au Grand Conseil, à la réforme de l'Ordre de Fontevrault.<br />

Madame Acarie « lit » 7 Octobre 2001 Christian RENOUX<br />

Thérèse d’Avila 7/25


Madame Acarie Conférences Histoire 35/172 Edition Complète<br />

4. UN ÉTRANGE DÉGOÛT<br />

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La lecture en français des œuvres de Thérèse d'Avila, au printemps 1601, permit donc<br />

surtout à madame Acarie de découvrir directement, et non plus à travers les propos des uns<br />

et des autres, la pensée et la spiritualité de la réformatrice espagnole. Selon le père Duval,<br />

qui insiste sur ce fait, la réaction de la pieuse parisienne à cette lecture fut double. Dans un<br />

premier temps, elle resta insensible : « Elle les écouta attentivement et n'y prenant pas tant<br />

de goût au commencement, et s'étonnant de ce que cette sainte Mère avait pu fonder un si<br />

grand ordre en l'Église ». Ces « dégoûts et refroidissements » étonnèrent les témoins, nous<br />

précise Duval, « vu qu’à la moindre parole de Dieu, ou de l'Écriture Sainte, telle qu'elle fut,<br />

elle était toujours ravie ». C'est pour cette raison d'ailleurs, qu'elle ne lisait pas elle-même les<br />

livres mais qu'elle se les faisait lire.<br />

Jusqu'à ses derniers jours, madame Acarie regretta cette première réaction et s'en voulut<br />

d'avoir eu alors un tel dégoût face à des œuvres qui deviendront vite ses livres de référence.<br />

La béatification de Thérèse d'Avila en 1614 paraît avoir redoublé les remords de celle qui<br />

était devenue entre temps sœur Marie de l'Incarnation. Plusieurs carmélites vinrent<br />

témoigner au procès de canonisation qu'elle mit un soin, qui sembla excessif, à décorer<br />

l'église des carmélites d'Amiens lors des fêtes en l'honneur de la béatification de la<br />

fondatrice des carmélites.<br />

En bon théologien, le père Duval sentit bien, lui aussi, la difficulté en rédigeant la biographie<br />

de Barbe Acarie et il chercha, plus ou moins convaincu, à donner une explication spirituelle à<br />

ce dégoût initial : « C'était sans doute le diable, qui, prévoyant ce qui est arrivé depuis, lui<br />

causait ces dégoûts et refroidissements ». L'hypothèse est judicieuse mais elle suppose que<br />

madame Acarie a été grossièrement trompée par le diable en cette occasion, ce qui n'est<br />

pas flatteur, surtout lorsque l'on cherche à obtenir une canonisation. C'est certainement la<br />

raison pour laquelle le même père Duval supprime cet épisode dans sa déposition, donnée<br />

par écrit et en latin, lors du procès de canonisation en 1630 : « Récemment nous furent<br />

transmises la vie admirable et les œuvres de la bienheureuse Thérèse. Cette lecture<br />

Madame Acarie « lit » 7 Octobre 2001 Christian RENOUX<br />

Thérèse d’Avila 8/25


Madame Acarie Conférences Histoire 36/172 Edition Complète<br />

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intéressa merveilleusement Marie ; elle admirait surtout la force et les vertus de la vierge qui<br />

avait pu élever un ordre si remarquable depuis les fondements jusqu'à la cime ». Dans ce<br />

second récit revu et corrigé, les premières réactions de madame Acarie sont en tout à<br />

l'opposé de celles du récit de 1621, puisque le dégoût a laissé la place à l’intérêt et<br />

l'étonnement incrédule à l'admiration.<br />

Dans une lettre insérée après sa mort dans le même procès de canonisation de 1630, le<br />

père Coton (+1626), jésuite et confesseur de madame Acarie, donne une autre explication à<br />

cette première réaction étrange : « Elle sentait de la difficulté à cause des visions et<br />

révélations qui sont décrites en la vie de Thérèse d'Avila desquelles elle avait une grande<br />

aversion […] à cause qu'en ce temps la plupart des personnes qui s'adonnaient à la<br />

spiritualité, elle les voyait engagées dans la tromperie et illusion diaboliques ». Le père<br />

Coton fait certainement ici allusion à Nicole Tavernier, cette mystique de Reims, dont<br />

madame Acarie avait découvert l'esprit « faux » quelques années auparavant, et peut-être<br />

aussi à Marthe Brossier dont la possession diabolique a occupé le cercle Acarie en 1599.<br />

Ce dégoût pour les visions avait pu être aussi inculqué à madame Acarie par les nombreux<br />

religieux, défenseurs de la mystique dite abstraite, qu'elle fréquentait. Cette école abstraite,<br />

inspirée par les maîtres de la mystique rhéno-flamande, voulait que l'âme ne s'arrête pas aux<br />

concepts et aux images, y compris à celles de l'humanité du Christ, dans son chemin d'union<br />

à Dieu. Les nombreux récits de visions du Christ qui se trouvent dans l'autobiographie de<br />

Thérèse d'Avila avaient donc de quoi rebuter les adeptes de cette école spirituelle. La lecture<br />

du « Traicté du Chasteau ou Demeures de l'âme », paru le mois suivant, ne dut pas produire<br />

un effet fort différent sur les sentiments de madame Acarie puisque Thérèse d'Avila l'avait<br />

conçu comme un traité sur l'oraison et sur les plus hauts états mystiques.<br />

Madame Acarie « lit » 7 Octobre 2001 Christian RENOUX<br />

Thérèse d’Avila 9/25


Madame Acarie Conférences Histoire 37/172 Edition Complète<br />

5. L'INATTENDU<br />

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Par contre, le Chemin de perfection, qui paraît en dernier, à la fin du mois de mars 1601,<br />

rendait un son différent des deux ouvrages précédents et contenait des éléments qui ne<br />

pouvaient pas laisser madame Acarie insensible. Cet ouvrage commence en effet par le<br />

rappel des causes directes de la réforme du Carmel en 1562, dans le « chapître premier,<br />

auquel il est traicté de la cause qui me meut à faire ce Monastère, si estroict ». On lit dans la<br />

traduction de 1601 : « au commencement de la fondation de ce Monastère de Saint Joseph<br />

[...] les pertes dommages et massacres que les luthériens faisoyent en France veindrent à<br />

ma cognoissance, et comme cette malheureuse secte prenoit accroissement, ce qui me<br />

donna un grand ennuy ». Thérèse d'Avila explique alors comment, « femme et miserable »,<br />

elle ne voyait pas ce qu'elle pouvait faire pour éteindre cet incendie de l'hérésie, si ce n'est<br />

d'aider par la prière les docteurs et les prédicateurs qui défendaient l'Église catholique. Pour<br />

cela, il lui semblait qu'il fallait réunir des amies véritables de Jésus qui suivraient les conseils<br />

évangéliques à la perfection (chap.I).<br />

Ces pages, écrites entre 1565 et 1573, étaient en mesure d'éveiller l'attention de madame<br />

Acarie qui, née en 1566, avait grandi durant les guerres de Religion. Ce n'est pas sans<br />

émotion qu'elle découvrait que la religieuse espagnole avait, dès le début des événements,<br />

partagé les soucis, les révoltes et les combats des catholiques français face aux protestants,<br />

qu'elle qualifiait étrangement de « luthériens » mais dont elle disait si bien, dans ce chapitre<br />

premier, qu'ils étaient « infectez d'un mal contagieux », qu'ils s'étaient « gagné un bon<br />

chastiement par leurs mesmes mains » et qu'ils avaient « avec leurs plaisirs et delices tant<br />

assemblé de feu éternel ». Et madame Acarie se reconnaissait pleinement dans la formule<br />

finale de Thérèse d'Avila : « Qu'ils le gardent pour eux ». Cette émotion apparaît, conservée<br />

vivante dans les carmels français, dans les premières phrases des Chroniques de l'Ordre<br />

des Carmélites, ce mémorial de l'Ordre en France rédigé par des religieuses à la fin du<br />

18ème siècle :<br />

« On ne peut lire les admirables écrits de sainte Thérèse sans être frappé du<br />

zèle ardent qui embrasait son cœur pour le salut de la France. L'état<br />

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Thérèse d’Avila 10/25


Madame Acarie Conférences Histoire 38/172 Edition Complète<br />

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déplorable où ce royaume se trouva réduit pendant la vie de cette grande<br />

sainte, par les excès des hérétiques, lui fit verser des torrents de larmes ;<br />

aussi n'eut-elle d'autre but, en établissant à Avila le premier monastère de sa<br />

réforme, que de réparer en quelque sorte les sacrilèges attentats des<br />

partisans de Luther et de Calvin contre la majesté divine. Cette séraphique<br />

mère s'en explique [...] au premier chapitre de son livre du Chemin de<br />

perfection »<br />

Cette seule évocation du péril protestant des années 1560 n'eut pas à elle seule la vertu de<br />

mettre madame Acarie en mouvement car, en 1601, l'heure n'est plus aux guerres civiles et<br />

aux massacres. Dès 1594, elle avait dû accepter la défaite militaire et politique de la Ligue<br />

parisienne. La famille Acarie avait d'ailleurs chèrement payé cette défaite par l'exil de Pierre<br />

Acarie, le « laquais de la Ligue », à Bourgfontaine puis à Luzarches et à Ivry. De plus, depuis<br />

1598, elle devait accepter, à son corps défendant, de vivre sous le régime de l'Édit de<br />

Nantes qui reconnaissait un statut qu'elle jugeait beaucoup trop favorable aux protestants,<br />

comme le rappelle Jean-Baptiste Truchot lors de son procès de canonisation : « Je suis<br />

témoing de la peine qu'elle ressentoit lors qu'elle consideroit que l'on toleroit l'heresie en<br />

France. Et que l'on donnoit des pensions à ceux qui preschoient et enseignoient ceste<br />

pernicieuse doctrine. La seule pensee de cela luy estoit insupportable. Elle a faist voir a<br />

diverses occasions l'aversion quelle avoit a ceste sorte de personnes ». Dans ces conditions,<br />

l'efficacité de la réforme thérésienne dans la lutte contre l'hérésie en France pouvait être<br />

quelque peu dérisoire et madame Acarie pouvait décidément se dire que toutes ces extases<br />

et ces visions rappelées dans la vie de sœur Thérèse de Jésus avaient été bien vaines pour<br />

secourir les catholiques français et éteindre le feu de l'hérésie.<br />

Cependant, nous pouvons raisonnablement supposer que madame Acarie, contrairement<br />

peut-être à ses biographes, dut avoir assez de patience pour écouter la lecture du Chemin<br />

de perfection jusqu'au chapitre III. Dans ces lignes, le texte, vieux de près de quarante ans,<br />

parut d'une actualité étonnante à l'ancienne ligueuse. Voici comment Thérèse d'Avila<br />

s'adressait à ses filles : « Revenant au principal pour lequel Notre Seigneur nous a<br />

assemblees en ceste maison, [...] je dis que voyant tant de grands maux et que les forces<br />

humaines ne sont pas suffisantes pour arrester et esteindre le feu de ces heresies, lequel<br />

s'augmente si fort [...] ». Que les forces humaines aient été incapables en France de faire<br />

disparaître le protestantisme, madame Acarie et son entourage venaient d'en faire l'amère<br />

expérience. Pas besoin d'en discuter longtemps pour les en convaincre. Mais le texte de<br />

Madame Acarie « lit » 7 Octobre 2001 Christian RENOUX<br />

Thérèse d’Avila 11/25


Madame Acarie Conférences Histoire 39/172 Edition Complète<br />

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Thérèse d'Avila correspondait encore plus étroitement à la situation des anciens ligueurs :<br />

« [...] il m'a semblé qu'il estoit besoing de faire, tout ainsy comme quand les ennemys en<br />

temps de guerre, ont couru et ravagé le pays, et que le Seigneur d'iceluy se voyant pressé<br />

[...] ». Le pays des anciens ligueurs, cette France catholique qui, à leurs yeux, est le pays de<br />

Jésus, leur Seigneur, a été bien ravagé et leurs ennemis sont demeurés, à leur goût, trop<br />

puissants et très dangereux. Face à cette situation, le Chemin de perfection avançait une<br />

solution : « Le Seigneur d'iceluy se voyant pressé se retire en quelque ville qu'il faict bien<br />

fortifier ». Utilisant la métaphore classique du combat spirituel, Thérèse d'Avila proposait<br />

donc aux catholiques vaincus de construire des forteresses capables de résister aux<br />

attaques des ennemis protestants. Les capitaines de ces forteresses seraient les<br />

« prédicateurs et théologiens » qui doivent avancer « fort au chemin de perfetion ».<br />

Et surtout Thérèse promettait la victoire finale ou presque : « et pour ce que ceux qui sont<br />

dans la ville avec luy sont gens d'eslite [...] Le Seigneur gaigne souvent la victoire, ou à tout<br />

le moins s'il ne la gaigne pas, ses ennemis ne le surmontent point pour ce que quand il n'y a<br />

point de traistre ils ne peuvent rien gaigner sur luy".<br />

Voilà qui pouvait rassurer des catholiques français inquiets. Le rôle des carmélites serait de<br />

soutenir les assiégés et leur capitaine par leur prière : « il faut que nous nous efforcions<br />

d'estre telles, que nos prières et nos oraisons puissent valoir et servir de quelque chose pour<br />

ayder ces serviteurs de Dieu". « Mais pourquoy ay-je dict tout cecy? c'est à cette fin mes<br />

sœurs que vous entendiez, que ce que nous devons demander à Dieu : c'est qu'il y ayt de<br />

bon Chrétiens de reste en ce petit chasteau, et que pas un d'eux ne s'en aille avec les<br />

ennemis". Elle ne précisait pas si les religieuses priaient depuis le cœur du château fortifié<br />

mais cela semblait aller de soi.<br />

La perfection recherchée des carmélites n'avait donc comme but que de mener plus<br />

parfaitement le combat spirituel, le seul combat utile puisque les moyens humains (et en<br />

particulier militaires) n'avaient pas été efficaces. Toutes les conséquences de ce<br />

changement de perspective devaient en être tirées pour l'obéissance des catholiques :<br />

« désormais, précisait-elle, il faut que le bras Ecclésiastique nous garde, et maintienne, et<br />

non pas le séculier ».<br />

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Thérèse d’Avila 12/25


Madame Acarie Conférences Histoire 40/172 Edition Complète<br />

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Ce discours d'une femme adressé à d'autres femmes ne pouvait que toucher madame<br />

Acarie. Une telle clarté, dans le but et dans les moyens, et une telle coïncidence entre ce<br />

qu'elle vivait et ce dont parlait cette religieuse espagnole morte vingt ans auparavant ne<br />

pouvaient que l'émouvoir, que la mettre en mouvement. Le Chemin de perfection put donc<br />

révéler à madame Acarie un nouveau visage de Thérèse d'Avila, différent de celui de la<br />

seule religieuse extatique et visionnaire.<br />

On peut cependant avancer que cette émotion n'effaçait pas la première impression négative<br />

qui demeurait forte dans l'esprit de madame Acarie qui avait si bien intégré les catégories de<br />

la mystique abstraite. Chez cette pieuse parisienne, un conflit intérieur entre ses réticences<br />

face aux expériences mystiques, si centrales dans les textes thérésiens, et son attrait pour la<br />

réforme thérésienne, comme réponse politico-religieuse à ses attentes de femme de ligueur,<br />

était inévitable. Elle allait devoir choisir. Un des biographes de madame Acarie, le père<br />

Marin, a senti ce conflit : « Le nombre prodigieux d'extases, de ravissements, luy firent<br />

perdre le goust [de Thérèse d'Avila] ; cela pourtant n'empescha pas qu'elle n'en retint<br />

l'impression, et les images dans sa mémoire; que son esprit ne les admirast, et que<br />

l'admiration fit qu'elle les regarda avec quelque sorte d'estime. Cette estime, comme une<br />

étincelle, demeura couverte dans son cœur ».<br />

Comme dans plusieurs autres biographies pieuses, ce conflit trouva sa solution dans une<br />

expérience mystique. Ici, le dénouement vint d'une apparition de Thérèse d'Avila qui<br />

annonça à madame Acarie que Dieu voulait l'introduction du Carmel en France. « Comme<br />

elle estoit en oraison, voicy la sainte Mere Terese qui luy apparut visiblement, et l'avertit que<br />

Dieu vouloit qu'on s'employast à fonder en France des monastères de son Ordre », nous<br />

rapporte le père Duval. Le père Manrique précise ainsi le récit en 1631 : « Un jour priant<br />

Dieu elle apperceut une Religieuse venerable et ancienne d'un habit enfumé; mais entourée<br />

de rayons de gloire. Elle la recognût par ses portraicts, et en ce qu'elle luy dit, que Dieu<br />

vouloit qu'elle fit venir son Ordre en France, et qu'on y fondast tant de Monastère qu'on<br />

pourroit ». Le père Coton explicite la nature de ces « rayons de gloire », dont parle le père<br />

Manrique, et montre comment cette vision fut avant tout pour madame Acarie une révélation<br />

sur la véritable identité de la religieuse espagnole : « allant de sa maison ouïr la Sainte<br />

messe au petit Saint Anthoine, il lui sembla tout à coup de veoir la gloire qui respondoit aux<br />

perfections de la bienheureuse mere Thérèse et du depuis elle honnora grandement ceste<br />

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Thérèse d’Avila 13/25


Madame Acarie Conférences Histoire 41/172 Edition Complète<br />

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sainte ». La « gloire » de Thérèse d'Avila était celle des élus du Paradis et elle lui avait été<br />

accordée du fait de ses « perfections ». Cette vision permet donc à madame Acarie de<br />

discerner en vérité l'esprit de Thérèse d'Avila et de ses œuvres. Elles ne sont pas tromperies<br />

diaboliques mais bien fruits de l'action divine et récompensées comme telle.<br />

Paradoxalement, c'est donc une vision de Thérèse d'Avila qui réconcilie madame Acarie<br />

avec les visions de Thérèse d'Avila ! Ce que ses biographes se gardent de souligner. Le<br />

père Duval note seulement que cette vision a été rapportée par madame Acarie elle-même à<br />

son directeur, le père Beaucousin.<br />

Madame Acarie « lit » 7 Octobre 2001 Christian RENOUX<br />

Thérèse d’Avila 14/25


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6. LES THÉOLOGIENS<br />

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Convertie, il restait à madame Acarie à convaincre les théologiens qui l'entouraient et qui<br />

seuls pouvaient rendre possible cette fondation. La règle était de soumettre les expériences<br />

mystiques, en particulier féminines, au discernement des confesseurs. Madame Acarie s'y<br />

soumit et s'ouvrit de sa vision au père Beaucousin : « elle ne put se tenir, quelque résistance<br />

qu'elle fist, de prier ce bon Père de considérer le tout devant Dieu ». André Duval raconte<br />

ensuite comment le père Beaucousin, convaincu qu'il s'agissait là de la volonté divine,<br />

décida de prendre les moyens pour faire aboutir le projet. En fait, c'est le cercle Acarie qui se<br />

mobilisa une nouvelle fois, comme lors de l'examen du projet Gallemant quelques temps<br />

plus tôt, mais cette fois les théologiens se réunissent pour examiner un projet de Barbe<br />

Acarie. La réunion regroupe, outre le père Beaucousin, Messieurs Bérulle, Duval et<br />

Gallemant. André Duval, tous les biographes de madame Acarie et les premiers historiens<br />

du Carmel français mentionnent aussi la présence de Jean de Brétigny.<br />

La date de cette réunion n'est pas non plus sans poser problème. On sait simplement qu'elle<br />

eut lieu au lendemain de la première vision de madame Acarie et avant une seconde vision,<br />

dont nous reparlerons et qui se situe avant mars 1602 ; il se serait écoulé « sept à huit<br />

mois » entre cette première réunion et la seconde vision. Ce qui nous rapporte au moins au<br />

début de l'été 1601, en juin ou juillet. Cette date serait cohérente avec la lecture, chez les<br />

Acarie, des œuvres de Thérèse d'Avila au printemps, le Chemin de perfection étant imprimé<br />

fin mars. Nous ne disposons pas d'autres éléments de datation.<br />

La réponse des doctes théologiens réunis par Dom Beaucousin fut négative. André Duval<br />

écrit simplement : « l'affaire estant proposée, on y trouva de si grandes difficultés qu'on la<br />

jugea impossible; et dit on a ceste bien heureuse qu'elle ostast cela de son esprit, au moins<br />

jusques à ce que Dieu eust détourné les grands empeschemens qu'il y avoit à la suite des<br />

guerres de la Ligue ». Le calme ne paraissait pas assez rétabli dans le Royaume, mais<br />

surtout Henri IV, à cause de l'affront fait à son ambassadeur à Madrid, venait de « défendre<br />

à ses sujets toutes communications avec les Espagnols ». Cette interdiction, qui ne tomba<br />

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Thérèse d’Avila 15/25


Madame Acarie Conférences Histoire 43/172 Edition Complète<br />

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que le 3 août 1601 et qui ne concernait que le commerce avec l'Espagne, s'inscrit plus<br />

largement dans « une conjoncture internationale très tendue, dans un climat de guerre froide<br />

entre les puissances catholiques ». Malgré la paix de Vervins (1598), le traité de Lyon<br />

(janvier 1601) et les efforts nombreux du pape Clément VIII, la France d'Henri IV et<br />

l'Espagne de Philippe III restaient sur la défensive. Dans ces conditions, toute tentative pour<br />

obtenir d'Henri IV l'arrivée de religieuses espagnoles en France paraissait compromise par<br />

avance. Surtout si la demande venait de la femme d'un ancien ligueur.<br />

Cependant, ces considérations politiques ne furent pas les seuls arguments avancés par les<br />

théologiens pour justifier leur réponse négative à la demande de madame Acarie. Le père<br />

Ange Manrique rapporte, dès 1631, que ces théologiens « conclurent enfin d'attendre que<br />

Dieu fist paroistre davantage sa volonté, le priant d'ouvrir la voye à ce qu'il commandoit, qui<br />

paraissoit lors fort close; que s'il ne le faisoit ils auroient sujet de croire que cest vision seroit<br />

plustost illusion, qui espargneroit leurs peines ». Cette réserve et cette volonté de juger une<br />

révélation par son accomplissement sont des constantes du discernement des esprits tel que<br />

la Bible l'enseigne déjà à propos des prophéties et tel que les théologiens l'ont enseigné au<br />

cours des siècles. En 1642, Maurice Marin, qui évoque par ailleurs des « difficultés<br />

invincibles », reprend ces arguments spirituels mais note un accord des théologiens sur les<br />

visions :<br />

« Ils demeurèrent tous d'accord, qu'encore qu'il n'y eust rien à craindre, ny du<br />

costé de la Bien heureuse ny de celuy de la révélation, qu'il estoit néantmoins<br />

constant, qu'aux choses de cette nature, la trop grande facilité estoit<br />

estrèmement dangereuse et la retenue sans péril [...] que les lumières divines,<br />

comme celle du soleil ne paroissent pas tout à coup, mai peu à peu, et rayon<br />

à rayon : que pour ne rien hasarder, il falloit attendre un plus grand jour et que<br />

celuy qui avoit manifesté son dessein, découvriroit aussi les moyens et les<br />

voyes de l'exécuter".<br />

Après ce refus, Barbe Acarie obéit, sans récriminer et en montrant un certain détachement<br />

par rapport à sa vision : « Elle ne s'estonna poinct de ce rebut [...] faisant bien plus estat de<br />

l'advis de ses directeurs que de ses révélations, elle demeura tranquille et se résolut de n'y<br />

penser plus ». Cette obéissance est de loin le critère principal du discernement des esprits.<br />

Se soumettre au jugement des confesseurs et des théologiens est une preuve de<br />

soumission à la volonté divine qui s'exprime ordinairement par la bouche de ses ministres.<br />

Une insoumission en la matière eut pu être une preuve de présomption.<br />

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7. LE SIGNE ESPÉRÉ<br />

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Mais cet acte d'obéissance fit naître un conflit intérieur chez madame Acarie, divisée entre<br />

son désir de fonder pour obéir au message qu'elle croyait avoir reçu dans sa première vision<br />

et le refus de ses conseillers spirituels de lui permettre de le réaliser. Comme la première<br />

fois, ce conflit se dénoua dans une expérience mystique, « sept à huit mois » plus tard, nous<br />

raconte André Duval, « la saincte Mère luy apparut pour la seconde fois plus fortement et<br />

puissament qu'à la première, luy commandant de mettre derechef sur le bureau ceste affaire,<br />

l'asseurant que non-obstant toutes les difficultez qu'on y trouvoit, elle reussiroit ». S'ouvrant à<br />

nouveau à son confesseur, madame Acarie obtint une nouvelle réunion de théologiens. Le<br />

groupe comprenait d'abord André Duval, Dom Beaucousin et Pierre Bérulle. Il semble que<br />

Dom Beaucousin ait demandé à madame Acarie de venir défendre elle-même sa cause.<br />

C'est du moins ce que rapporte le père Robert Duval dans la vie restée manuscrite de son<br />

oncle André Duval : « Lors Dom Beaucousin, vicaire de Chartreux, fut poussé de Dieu de<br />

dire : « laissons la raison humaine, et écoutons parler le Saint Esprit par la bouche de son<br />

humble et fidèle servante, Mademoiselle Acarie ». André Duval laisse entendre que<br />

l'unanimité ne se fit pas immédiatement : « En ceste assemblée, après plusieurs raisons de<br />

part et d'autre, l'affaire fut conclue en sa substance ». Cette fois-ci la réponse fut donc<br />

positive car les théologiens qui étaient tous les amis de madame Acarie « la jugerent<br />

conduite par l'esprit de Dieu et concluerent que la pensée qu'elle leur avoit exposé venant de<br />

Dieu il falloit travailler sans remise ni deffiance à la rendre par l'assistance de Dieu efficace<br />

et utile de maniere que l'on ne pensa plus qu'aux moyens de l'executer ». La seconde vision<br />

de madame Acarie répondait bien au désir des théologiens de voir Dieu se manifester plus<br />

clairement et attendre plus aurait été le fruit d'une curiosité coupable et une dangereuse<br />

mise à l'épreuve de Dieu. Par ailleurs, la situation politico-religieuse semblait plus favorable<br />

qu'à l'été 1601. Les relations avec l'Espagne s'étaient en effet améliorées dès janvier 1602<br />

avec la libération à Madrid des prisonniers français et le rétablissement du commerce entre<br />

les deux pays. La décision prise, restait à trouver les moyens. Le génie de madame Acarie<br />

fut grand en la matière.<br />

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Thérèse d’Avila 17/25


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La date de cette seconde réunion n'est pas donnée mais l'on sait par une lettre de madame<br />

Acarie envoyée le 19 mars 1602 à Jacques Gallemant et à Jean de Brétigny pour les inviter<br />

à se joindre au groupe que la décision de fonder est déjà prise à cette date et qu'elle a été<br />

prise sans l'avis des deux ecclésiastiques normands. Dans cette missive, on sent la volonté<br />

de madame Acarie de ménager leur susceptibilité en les invitant à « descendre en sa maison<br />

pour avoir plus de commodité de les informer de l'affaire des Carmélites, afin qu'ils puissent<br />

plus convenablement traiter avec les autres de l'assemblée et qu'elle pût apprendre plus<br />

librement leurs sentiments et leur découvrir les siens avec plus de sincérité, comme à<br />

personnes qu'elle sçavoient estre appelé de Dieu pour achever cette affaire".<br />

Notons que le groupe initial s'est aussi ouvert à un nouveau personnage qui, lui non plus,<br />

n'assista pas aux premières réunions décisives : François de Sales. Il précise lui-même dans<br />

une lettre à Clément VIII : « j'ai assisté à presque toutes les séances qui se sont tenues à ce<br />

sujet ». Il est difficile de savoir quand et comment le coadjuteur de l'évêque de Genève a été<br />

introduit dans le groupe. Il était à Paris depuis janvier 1602 pour régler la question des<br />

paroisses du pays de Gex entré dans le royaume de France, à la suite du traité de Lyon,<br />

signé le 17 janvier 1601. Tout auréolé de sa récente mission dans le Chablais, le jeune<br />

prélat prend de nombreux contacts avec les milieux catholiques parisiens. Il se fait<br />

rapidement remarquer par ses sermons et André Duval affirme que c'est Dom Beaucousin<br />

qui convoqua « Monsieur de Sales Evesque de Genève qui preschoit lors à Paris en grande<br />

réputation ».<br />

François de Sales donne une autre version des événements, dans une lettre au pape<br />

Clément VIII en novembre 1602 : « Catherine d'Orléans, princesse de Longueville qui, en ce<br />

temps, se proposait de fonder en cette ville de Paris un monastère de femmes de l'ordre des<br />

Carmélites réformées, m'adjoignit à quelques théologiens excellents en piété et en doctrine,<br />

pour lui dire mon avis et jugement à ce sujet ». Cette présentation des faits n'est peut-être<br />

que toute diplomatique pour laisser entendre au pape que cette fondation a été voulue par la<br />

duchesse de Longueville, « princesse distinguée par le sang illustre qui coule dans ses<br />

veines; et plus encore, par son amour pour Jésus Christ qu'elle a choisi pour Époux », et non<br />

par une simple laïque parisienne. Cependant, il est fort probable que François de Sales<br />

représentait réellement les intérêts de la duchesse de Longueville dans ces réunions. En sa<br />

qualité d'évêque, il est le personnage le plus important du groupe et les autres membres « le<br />

Madame Acarie « lit » 7 Octobre 2001 Christian RENOUX<br />

Thérèse d’Avila 18/25


Madame Acarie Conférences Histoire 46/172 Edition Complète<br />

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choisirent pour leur Directeur et Père spirituel : ils lui découvroyent les plus cachez replis de<br />

leur conscience, et tiroient une merveilleuse suavité et lumière de ses advis et de sa<br />

direction ». La plus assidue dans cette direction fut certainement madame Acarie. François<br />

de Sales écrira qu'il l'a « confessée plusieurs fois et presque ordinairement six mois<br />

durant ». Comme on sait que François de Sales a quitté Paris au début du mois de<br />

septembre 1602, puisqu'il est à Lyon le 19 septembre, on peut supposer qu'il rejoint le<br />

groupe dès mars 1602.<br />

Madame Acarie « lit » 7 Octobre 2001 Christian RENOUX<br />

Thérèse d’Avila 19/25


Madame Acarie Conférences Histoire 47/172 Edition Complète<br />

8. LA DUCHESSE <strong>DE</strong> LONGUEVILLE<br />

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Or, dans sa lettre du 19 mars 1602 à J. Gallemant et J. de Brétigny, madame Acarie « les<br />

advertit que Mademoiselle de Longueville s'en rendroit Fondatrice ». Il semble donc<br />

qu'aussitôt contactée Catherine d'Orléans ait souhaité avoir l'avis de François de Sales sur le<br />

sérieux et la faisabilité du projet avant d'entreprendre quelque démarche que ce soit auprès<br />

du roi et de Rome. Cette entrée en scène de la duchesse de Longueville et de François de<br />

Sales est déterminante dans l'introduction du Carmel en France. Les biographes de madame<br />

Acarie racontent comment cette dernière réussit à intéresser la duchesse de Longueville à<br />

son projet de fondation. André Duval situe cette rencontre après la seconde apparition de<br />

Thérèse d'Avila et présente l'affaire comme miraculeuse : « Il restoit encore que le<br />

Monastère fust fondé par quelque personne de qualité, à quoy il pleût à Dieu de pourvoir<br />

d'une façon spéciale et Miraculeuse ». Il raconte comment madame Acarie alla attendre la<br />

duchesse de Longueville à la sortie d'une église pour obtenir de l'argent dans le cadre de<br />

ses activités charitables ; Marie Tudert, veuve de Jean Séguier et devenue ensuite carmélite<br />

à Paris, précisa en décembre 1630 que cette rencontre eut lieu à la porte de l'église Saint<br />

Germain l'Auxerrois qui était l'église du Palais du Louvre. Madame Acarie, comme elle le<br />

raconta, bénéficia alors d'une parole intérieure qui l'éclaira sur le rôle de la duchesse de<br />

Longueville : « En cet intervalle une voix du ciel luy dit au coeur, Gardez vous de parler à la<br />

Princesse de la necessité de ces pauvres pour lesquels vous estes venue, mais parler luy de<br />

la fondation du Monastère; c'est celle-là que j'ay choisie pour estre la fondatrice". Madame<br />

Acarie obéit à son inspiration et la duchesse accepta sur le champ : "cest bonne et vertueuse<br />

Princesse sy offrit très volontiers, et promit de s'employer envers le Roy pour luy faire<br />

agréer » l'établissement du Carmel.<br />

Ce recours à la princesse de Longueville était très astucieux. En effet, Catherine d'Orléans<br />

était un personnage important à la Cour. Par sa mère, Marie de Bourbon-Saint-Pol (1539-<br />

1601), elle était cousine d'Henri IV. Catholique fervente, elle était une des proches de Marie<br />

de Médicis qui la chargea, à la mi-février 1602, de trouver à la dernière minute un<br />

prédicateur pour prêcher le Carême puisque celui qui était prévu se trouvait brusquement<br />

Madame Acarie « lit » 7 Octobre 2001 Christian RENOUX<br />

Thérèse d’Avila 20/25


Madame Acarie Conférences Histoire 48/172 Edition Complète<br />

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empêché. Le choix de Catherine d'Orléans tomba sur Mgr François de Sales dont elle venait<br />

de faire la connaissance.<br />

Les sermons de Carême devant la Reine et la Cour au Louvre donnèrent lieu à de<br />

retentissantes conversions de protestants au catholicisme et firent remarquer le prédicateur.<br />

Il lui fut même demandé de venir prêcher devant le Roi.<br />

Tout naturellement, la princesse de Longueville pensa à lui quand elle chercha à être<br />

éclairée par une personne de confiance sur la sollicitation que lui avait faite madame Acarie,<br />

fin février ou début mars, au sujet du Carmel.<br />

Cette collaboration entre la duchesse de Longueville et le cercle Acarie est assez étonnante<br />

: quelques années seulement après la fin des guerres de Religion, elle réunit, en effet,<br />

d'anciens ligueurs et l'une des plus célèbres victimes de la Ligue. En effet, sœur d'Henri l er<br />

(1568-1595), duc de Longueville et gouverneur de Picardie resté fidèle à son cousin le roi,<br />

Catherine d'Orléans fut retenue prisonnière à Amiens avec sa mère, sa belle-sœur et<br />

d'autres membres de sa famille. Sa détention fut très rude, si l'on en croit un libelle du duc de<br />

Nevers. Elle dura plus de trois ans, jusqu'à leur échange, le 21 janvier 1592, contre Henri de<br />

Lorraine-Vaudémont (1570-1601), comte de Chaligny et frère de la reine Louise de Lorraine,<br />

fait prisonnier à la bataille d'Aumale. Catherine d'Orléans, comme sa sœur Marguerite, avait<br />

renoncé au mariage pour se consacrer à la piété et aux œuvres charitables. C'est dans ce<br />

dernier domaine qu'en ce début d'année 1601 madame Acarie était en relation avec la<br />

princesse de manière, semble-t-il, assez habituelle.<br />

Madame Acarie « lit » 7 Octobre 2001 Christian RENOUX<br />

Thérèse d’Avila 21/25


Madame Acarie Conférences Histoire 49/172 Edition Complète<br />

9. LA RÉALISATION DU PROJET<br />

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François de Sales rejoint donc le groupe après que la décision de fonder ait été prise. Les<br />

réunions du groupe de discernement vont alors se multiplier dans les mois suivants pour<br />

trouver les moyens de réussir l'affaire, ce qui n'allait pas de soi. François de Sales le<br />

confirme dans une lettre à Clément VIII : « Nous nous assemblâmes pour cet effet pendant<br />

plusieurs jours ». Un de ses biographes, C. A. de Sales nous précise le rythme et le lieu des<br />

réunions : il « se faisoit pour lors de sainctes assemblées en la maison du sieur Acarie,<br />

auprès de Marie Avrillot sa femme [...] de deux en deux, ou trois en trois jours ». Ces<br />

réunions durèrent au moins jusqu'à la signature des lettres patentes en juillet 1602 et<br />

certainement après.<br />

Par rapport aux réunions de l'été 1601, celles du printemps et de l'été 1602 bénéficiaient,<br />

nous l'avons vu, d'un climat international moins lourd. Les relations avec l'Espagne, qui<br />

s'étaient améliorées dès janvier 1602, n'en restaient pas moins tendues. L'affaire de<br />

l'ambassade ne fut d'ailleurs vraiment réglée qu'avec l'arrivée à Paris des prisonniers<br />

français, relâchés par le roi d'Espagne et rendus au roi de France par l'intermédiaire du<br />

pape, le 18 juillet 1602, le jour même de la signature des lettres patentes du Roi. Cependant<br />

cette affaire avait été entre temps éclipsée par celle, autrement plus sérieuse, du complot du<br />

maréchal Biron. Ce dernier, arrêté le 14 juin pour trahison et complot avec l'Espagne et la<br />

Savoie, est décapité le 31 juillet. Certains essayèrent alors, en vain, de compromettre un<br />

sujet du duc de Savoie bien en vue à Paris, François de Sales.<br />

Il semble que ce dernier, et avec lui la duchesse de Longueville, obtinrent assez vite la<br />

certitude que le projet venait de Dieu et était réalisable. Néanmoins, les sujets de discussion<br />

ne manquèrent pas, en particulier sur l'organisation interne de la future fondation et ses<br />

relations avec les carmélites et les carmes espagnols. L'échec de la dernière tentative de J.<br />

Gallemant et de J. de Brétigny permet de comprendre les éléments décisifs qui permirent à<br />

madame Acarie et à ses amis de parvenir à leurs fins. Pour l'Histoire générale du Carmel de<br />

Pontoise, une des raisons de l'échec des ecclésiastiques normands fut l'impossibilité<br />

Madame Acarie « lit » 7 Octobre 2001 Christian RENOUX<br />

Thérèse d’Avila 22/25


Madame Acarie Conférences Histoire 50/172 Edition Complète<br />

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d'atteindre le Roi, dont dépendait en définitive la fondation : « à cause des guerres, personne<br />

n'osa en parler au Roi ». La Fondation des Carmélites réformées précise même qu'il ne fut<br />

pas possible à Brétigny et à ses amis de pénétrer au Conseil d'État pour obtenir les lettres<br />

patentes. Sur ces deux points, madame Acarie disposait des moyens d'aboutir.<br />

L'obtention de la signature des lettres patentes qui autorisaient la fondation du premier<br />

carmel dans le royaume de France fut l'affaire de Catherine de Longueville, qui n'eut pas de<br />

mal à approcher Henri IV, son cousin. Celui-ci pouvait lui faire confiance en matière<br />

religieuse puisqu'il pouvait raisonnablement penser qu'elle ne nourrissait pas d'arrièrepensées<br />

politiques dans cette démarche. Il résista cependant un peu, ce 18 juillet 1602.<br />

Selon le père Duval, le roi<br />

« ne goûta pas de prime abord la venue des mères d'Espagne, comme si la<br />

France disait-il, fût dépourvue de religieuses pour donner commencement à<br />

cette œuvre Mais quand elle eut représenté à Sa Majesté que c'étaient de<br />

pauvres religieuses qui demeureraient en une clôture fort étroite, et que n'y<br />

ayant personne de cette réformation en France, il était à propos d'en faire<br />

venir d'Espagne, il s'y accorda et commanda les expéditions nécessaires ».<br />

Les difficultés envisagées par le cercle Acarie n'étaient donc pas imaginaires et le parrainage<br />

de la duchesse de Longueville fut fort utile en cette occasion. C'est encore du nom et de la<br />

renommée de cette dernière que se servit le cercle Acarie pour obtenir de Rome la bulle de<br />

fondation. Denis de Santeuil, qui partit régler l'affaire à Rome, fut envoyé porter au pape une<br />

supplique rédigée par la duchesse de Longueville et une lettre du Roi, datée du 23 octobre<br />

1602 qui commençait ainsi : « Nostre cousine la damoiselle de Longueville ayant désir<br />

d'establir en nostre ville de Paris une communauté de filles, et femmes veuves de l'Ordre<br />

nostre Dame des Carmes réformées qui prieront Dieu pour le bien et l'advancement des<br />

affaires de la République chrétienne et la conservation de la paix entre les Princes d'icelle".<br />

François de Sales, retourné dans son diocèse et chez qui s'arrêta Santeuil, confia à ce<br />

dernier une lettre personnelle pour le Souverain pontife qui rappelle la façon dont la<br />

duchesse de Longueville l'avait personnellement engagé dans cette aventure. C'est encore<br />

la duchesse de Longueville qui obtint, en octobre 1602, le bâtiment du premier carmel en<br />

intervenant par deux fois auprès du cardinal de Joyeuse, alors abbé de Marmoutier, dont<br />

dépendait le prieuré de Notre Dame des Champs, pour qu'il en cède les droits. Le 29 avril<br />

1603, si la première pierre du nouveau monastère est posée par la duchesse de Nemours,<br />

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Thérèse d’Avila 23/25


Madame Acarie Conférences Histoire 51/172 Edition Complète<br />

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au nom de Marie de Médicis, première fondatrice, la seconde l'est par Catherine et<br />

Marguerite de Longueville et ce sont elles - en tant que fondatrices - qui versèrent, à chaque<br />

étape, les sommes nécessaires. Quand, le 13 novembre 1603, Clément VIII fulmine la bulle<br />

d'érection de l'Ordre des carmélites en France, le texte est rédigé comme une réponse à la<br />

supplique de la duchesse de Longueville. C'est encore le nom et le prestige de la duchesse<br />

de Longueville qui furent mis à contribution en Espagne quand Bérulle négocia avec les<br />

carmes espagnols, à partir de février 1604. Enfin, les premières carmélites espagnoles,<br />

conduites par Jean de Brétigny, arrivèrent dans la capitale française le 15 octobre 1604 et<br />

furent accueillies conjointement par la duchesse de Longueville, accompagnée de sa sœur,<br />

et par madame Acarie, entourée des ses filles.<br />

Ce souci de mettre en avant une princesse dans des négociations avec les pouvoirs royaux<br />

et pontificaux est conforme aux mœurs du 17ème siècle. Madame Acarie n'aurait pas pu<br />

seule atteindre ce but. D'après le père Manrique, Anne de Jésus de Lobera, une des<br />

premières carmélites venues d'Espagne, demanda d'ailleurs, un jour à madame Acarie,<br />

naïvement ou peut-être avec un sourire complice, « comment une seule femme particulière<br />

avoit tant eu de crédit à Rome, en Espagne, et en France, [et] où elle prenoit l'argent qui<br />

s'estoit despensé ès voyages, ès bastiments, ès affaires ? ».<br />

Madame Acarie « lit » 7 Octobre 2001 Christian RENOUX<br />

Thérèse d’Avila 24/25


Madame Acarie Conférences Histoire 52/172 Edition Complète<br />

10. UNE ALLIANCE FÉCON<strong>DE</strong><br />

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La fondation du carmel français apparaît donc comme une aventure collective qui reposa sur<br />

de nombreuses alliances nouées entre des groupes et des personnages fort différents. Le<br />

noyau central, composé de madame Acarie, de Pierre de Bérulle, de Dom Beaucousin et<br />

d'André Duval, sut s'élargir, grâce semble-t-il au tact de madame Acarie, d'abord aux prêtres<br />

normands qui pouvaient se considérer comme les premiers porteurs du projet, Jean de<br />

Brétigny et Jacques Gallemant, puis à la duchesse de Longueville et à François de Sales,<br />

qui détenaient, eux, les clés permettant d'ouvrir les portes du Louvre et du Vatican. Pour<br />

permettre l'aboutissement de ce projet, madame Acarie avait choisi de demeurer au second<br />

plan et son nom n'apparut nulle part dans les documents officiels de la fondation. Le titre<br />

même de fondatrice ne lui revenait pas d'office. Cependant, le Pape PIE VI le lui reconnut, le<br />

24 mai 1791, dans le Bref de béatification de la « Servante de Dieu, MARIE <strong>DE</strong><br />

L’INCARNATION, converse et FONDATRICE EN France de l'Ordre des Religieuses de<br />

la Bienheureuse Vierge Marie du Mont Carmel, dites déchaussées ».<br />

Cette causerie est extraite d’une longue conférence (37p), publiée sous le titre : « Madame<br />

Acarie lit Thérèse d’Avila au lendemain de l’Édit de Nantes » dans « CARMES ET<br />

CARMELITES EN FRANCE DU XVIIè SIECLE A NOS JOURS »<br />

Actes du Colloque de Lyon (25-26 septembre 1997)<br />

Réunis par Bernard Hours ,<br />

Aux Editions du Cerf, Paris 2001.<br />

Madame Acarie « lit » 7 Octobre 2001 Christian RENOUX<br />

Thérèse d’Avila 25/25


Madame Acarie Conférences Histoire 53/172 Edition Complète<br />

<strong>MADAME</strong> <strong>ACARIE</strong>,<br />

BIOGRAPHIE SUCCINTE<br />

Conférence de Michel PICARD, Président<br />

de<br />

l’Association des Amis de Madame Acarie<br />

17 Octobre 1999 Carmel de Pontoise<br />

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Madame Acarie Conférences Histoire 54/172 Edition Complète<br />

TABLE<br />

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1. Introduction ................................................................................................................ 3<br />

2. Jeunesse de Barbe Avrillot ........................................................................................ 4<br />

3. Mariage et vie mondaine ........................................................................................... 6<br />

4. Métamorphose spirituelle de Madame Acarie ........................................................... 8<br />

5. Les épreuves ........................................................................................................... 11<br />

6. L'Introduction du Carmel en France......................................................................... 13<br />

7. Dernières années dans le monde............................................................................ 16<br />

8. Sa vie de carmélite .................................................................................................. 18<br />

9. Résumé ................................................................................................................... 21<br />

Biographie de Madame Acarie 17 Octobre 1999 Michel PICARD<br />

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Madame Acarie Conférences Histoire 55/172 Edition Complète<br />

1. INTRODUCTION<br />

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Nicolas et Marie Avrillot ont eu trois enfants qui sont morts à la naissance.<br />

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Marie Avrillot à nouveau enceinte, fit vœu, selon les usages de piété de son temps, d'habiller<br />

son 4° enfant en blanc, avec un bonnet blanc en l'honneur de la Vierge Marie, si cet enfant<br />

vivait.<br />

Il vécut ; c'était Barbe Avrillot qui deviendra Barbe Acarie puis Sœur Marie de l'Incarnation,<br />

carmélite, et sera béatifiée le 5 Juin 1791.<br />

Ainsi commençait, le 1° février 1566, une vie tout à fait extraordinaire qu'il est commode de<br />

raconter en sept paragraphes :<br />

1. Sa jeunesse, jusqu'à l'âge de 16 ans et demi.<br />

2. Son mariage en 1582 et sa vie mondaine pendant cinq ans.<br />

3. Sa métamorphose spirituelle, de 1587 à 1593.<br />

4. Les épreuves de 1594 à 1598.<br />

5. L'introduction du Carmel en France, de 1602 à 1604.<br />

6. Les dernières années dans le monde, jusqu'en 1614.<br />

7. Sa vie de carmélite de 1614 à 1618.<br />

Il convient préalablement de souligner l'ancienneté des faits : ils sont deux fois plus anciens<br />

que les événements de la Révolution française.<br />

Biographie de Madame Acarie 17 Octobre 1999 Michel PICARD<br />

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Madame Acarie Conférences Histoire 56/172 Edition Complète<br />

2. JEUNESSE <strong>DE</strong> BARBE AVRILLOT<br />

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Barbe naît donc le 1° février 1566, de Nicolas Avrillot, seigneur de Champlatreux (près de<br />

Luzarches), Maître des comptes de la Chambre de Paris, chevalier de la Reine de Navarre,<br />

bon chrétien qui sera très tôt ligueur convaincu, et de Marie Lhuillier, d'une famille encore<br />

plus ancienne que celle de son mari.<br />

Ce père est assez froid et même distant.<br />

Cette mère est sévère et même parfois violente.<br />

Barbe aura trois petits frères.<br />

Conformément au vœu de sa mère, elle est habillée en blanc avec un bonnet blanc jusqu'à 7<br />

ans (en 1573).<br />

Petite, « Elle n'avait aucun des défauts de l'enfance » écrira J.B.A. BOUCHER. ».<br />

Probablement pour préparer sa première communion, elle est confiée à sa tante Isabelle<br />

Lhuillier, clarisse à Notre-Dame de Longchamp.<br />

Elle y apprend à lire, à chanter, à bien dire son chapelet.<br />

A Longchamp, elle est « craintive et obéissante, ne disputant pas avec ses compagnes, leur<br />

cédant incontinent, fort aimable ». « Tout le monde y célèbre à l'envi sa précoce sagesse ».<br />

Sa formatrice, sœur Jeanne de Mailly, l'a incitée à la vertu de force et Barbe sera forte, très<br />

forte.<br />

Elle avait déjà le sens de la mortification : « Lorsqu'elle avait commis quelque petite faute,<br />

elle-même s'en allait accuser apportant le fouet pour qu'on la châtie ».<br />

A Longchamp, la règle est stricte : à 14 ans, les filles doivent choisir entre le noviciat de<br />

clarisse et la sortie.<br />

Donc en 1580, année pendant laquelle sévissent à PARIS la peste et le choléra, Barbe<br />

Biographie de Madame Acarie 17 Octobre 1999 Michel PICARD<br />

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Madame Acarie Conférences Histoire 57/172 Edition Complète<br />

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opère son choix : elle sera religieuse à l'Hôtel-Dieu pour servir les pauvres malades.<br />

Sa mère ne l'entend pas ainsi : elle sera mariée.<br />

Barbe réintègre en conséquence le foyer paternel.<br />

Comme elle refuse parures et bijoux, sa mère la soumet aux rigueurs de l'hiver, de sorte<br />

qu'elle aura un pied gelé et qu'un os sera atteint ; elle lui fait servir les morceaux de viande<br />

les plus grossiers et l'appelle « la grosse bonnière ».<br />

C'est dans cette atmosphère familiale que Barbe Avrillot épouse finalement Pierre Acarie à<br />

l'âge de 16 ans et demi.<br />

Biographie de Madame Acarie 17 Octobre 1999 Michel PICARD<br />

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Madame Acarie Conférences Histoire 58/172 Edition Complète<br />

3. MARIAGE ET VIE MONDAINE<br />

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Pierre Acarie était un peu plus âgé que Barbe ; il n'avait quand même que 22 ou 23 ans<br />

quand il s'est marié en août 1582 avec sa cousine au 7° degré (ses bisaïeuls ou arrière<br />

grands-parents maternels étaient trisaïeuls ou arrière-arrière grands-parents de Barbe).<br />

Il avait étudié le droit à ORLEANS.<br />

Pierre Acarie, fils unique et alors orphelin de père ; est vicomte de Villemor, seigneur de<br />

Montbrost et de Roncenay. Comme son beau-père Nicolas Avrillot il est membre de la Cour<br />

des Comptes de Paris, très riche, très catholique et futur ligueur.<br />

Le couple s'installe à Paris, dans le Marais, rue des Juifs devenue la rue Ferdinand Duval.<br />

La demeure est spacieuse, les domestiques nombreux.<br />

Les deux époux sont très amoureux l'un de l'autre et Barbe, d'ailleurs très belle, est admirée<br />

et choyée par sa belle-mère.<br />

Les trois premiers des six enfants naissent :<br />

• Nicolas, le 22 mars 1584, quand elle a 18 ans,<br />

• Marie, début juillet 1585,<br />

• Pierre, en mars 1587.<br />

Barbe s'occupe de près de leur éducation, puissamment aidée en cela par sa servante<br />

Andrée Levoix, amie intime qu'elle a connue à Longchamp. L'entente entre les deux femmes<br />

est complète, leur horreur du péché commune. Chaque jour, Andrée énumère ses<br />

manquements à Barbe, puis Barbe énonce les siens à Andrée (même si celle-ci se bouche<br />

les oreilles pour ne pas les entendre).<br />

Les enfants sont éduqués chrétiennement, bien sûr, assez sévèrement et surtout en<br />

bannissant le mensonge. Barbe Acarie a horreur du mensonge, c'est un trait capital de son<br />

caractère.<br />

Biographie de Madame Acarie 17 Octobre 1999 Michel PICARD<br />

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Madame Acarie Conférences Histoire 59/172 Edition Complète<br />

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Le salon Acarie réunit la jeunesse dorée de Paris ; la vie est mondaine, les fêtes<br />

nombreuses.<br />

Barbe est couverte de parures et de bijoux ; elle est le centre de ce petit monde ; on l'appelle<br />

« La belle Acarie » et elle aime çà.<br />

Elle y est si habituée que la rencontre d'une créature encore plus belle qu'elle lui donne « du<br />

ressentiment et du déplaisir fort sensible ». Elle est « touchée dans sa plus grande vanité ».<br />

Comme elle a du temps libre, elle lit ; "Elle est trop adonnée à la lecture des livres profanes,<br />

des écrivains amusants et des romans" écrira son biographe Duval 1 , et en particulier des<br />

Amadis qui sont des romans d'amour teintés d'érotisme.<br />

Un jour, Pierre Acarie découvre les lectures de sa femme ; il est scandalisé. Sans faire<br />

d'esclandre, il remplace ces romans par de pieuses lectures.<br />

C'est dans ces conditions que, vers 1587 probablement, à 21 ou 22 ans, elle lit la pensée<br />

suivante : « TROP EST AVARE A QUI DIEU NE SUFFIT ». Elle est transformée et sa vie<br />

change radicalement. Car Barbe Acarie n'agit pas dans la demi-mesure, c'est encore un trait<br />

de son caractère.<br />

1 André Duval était théologien, doyen de Sorbonne ; il a suivi Barbe Acarie pendant presque<br />

toute sa vie d’adulte et a longuement témoigné à son procès de béatification.<br />

Biographie de Madame Acarie 17 Octobre 1999 Michel PICARD<br />

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4. MÉTAMORPHOSE SPIRITUELLE <strong>DE</strong> <strong>MADAME</strong><br />

<strong>ACARIE</strong><br />

Barbe Acarie a donc décidé que Dieu lui suffit et le restant de ses jours sera une continuelle<br />

avancée vers Lui avec, semble-t-il, deux principes de base<br />

1. « Quand l'on donne son temps à Dieu, l'on en trouve pour tout le reste ».<br />

2. « L'esprit de Dieu n'est point oisif. Les personnes qui ne veulent rien faire sont plutôt<br />

charnelles que spirituelles".<br />

Alors « comme une personne infatigable, [elle] était à tout ce qu'elle pensait qui contentât le<br />

prochain ».<br />

Exemples :<br />

1. Après la bataille de Senlis en 1589, pendant la dernière guerre de religion, plus de 1200<br />

combattants étaient restés sur le champ de bataille ; l'hôpital Saint-Gervais était rempli<br />

de blessés. Barbe Acarie « allait avec sa belle-mère tous les jours les panser ».<br />

2. Pendant le siège de Paris de mai à août 1590, « À l'Hôtel-Dieu elle passait les journées<br />

entières avec telle consolation qu'elle n'en pouvait sortir ».<br />

3. Toujours pendant le siège de Paris, Barbe Acarie distribuait aux affamés « le pain de sa<br />

propre bouche. Cela avec tant de dextérité que ni son mari, ni sa belle-mère ne s'en<br />

aperçurent ».<br />

Biographie de Madame Acarie 17 Octobre 1999 Michel PICARD<br />

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Madame Acarie Conférences Histoire 61/172 Edition Complète<br />

A ce régime-là, Dieu répond par l'extase.<br />

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La première se produit dans l'église Saint-Gervais un jour de fête vers 8h au cours de la<br />

messe, probablement entre le 22 juillet et le 11 novembre 1590 (elle a 24 ans). Elle pensa<br />

« mourir de douceur ». « Jusqu'au soir, elle reste sans mouvement, hors des sens….<br />

presque sans respiration, à genoux cependant, et elle ne peut s'en retourner qu'après avoir<br />

été éveillée par une servante qui la secoue fortement ».<br />

Ces extases se multiplient. Elles ont plusieurs conséquences :<br />

• elles la plongent dans une grande humilité,<br />

• elles l'inquiètent jusqu'en été 1592 car Barbe craint qu'elles ne viennent du démon,<br />

• elle essaie de les repousser, de les cacher,<br />

• les médecins diagnostiquent une « exubérance de sang » et prescrivent des<br />

saignées qui l'anéantissent,<br />

• plus de cent fois, dit-elle, elle s'est couchée le soir en doutant de se relever le<br />

lendemain matin.<br />

A la même époque, et avec l'accord de son mari, elle quitte ses ornements mondains pour<br />

se vêtir d'habits très simples et d'étoffes de petit prix. Elle demande à sa belle-mère : « Ne<br />

peut-on trouver un habit qui se vête d'un seul coup » . Et encore : « A quoi bon tant d'atours,<br />

de colliers, de bracelets ? Ce sont tous fatras qui ne servent qu'à faire perdre le temps ».<br />

L'éducation des enfants Acarie repose principalement sur Barbe ; mais Andrée Levoix y<br />

veille ; « où Andrée est, là est la paix ». Mais un dilemme taraude Barbe : tout son temps à<br />

Dieu, bien sûr… mais elle doit aussi se soucier du bonheur de Pierre. Le capucin Benoît de<br />

Canfeld, le chartreux Beaucousin, l'excellent Gallemant la renvoient à son devoir d'état.<br />

Barbe Acarie, qui choisit systématiquement pour elle la solution la plus austère, traduit :<br />

obéissance totale aux moindres désirs de son mari. Et elle obéira, toujours, avec une<br />

humeur égale, aux demandes même les plus fantasques de Pierre.<br />

Désormais, elle gardera les yeux baissés devant les hommes afin de ne pas « être pour<br />

autrui une occasion de chute ». Elle prie, récitant notamment son chapelet avec sa fille<br />

Marie, âgée de 7 ans. Elle est déjà une conseillère écoutée : « Presque personne qui l'allât<br />

voir et ne s'en retournât touchée extraordinairement de Dieu ».<br />

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A partir de 1593 , elle éprouve les douleurs des stigmates le vendredi, le samedi et les jours<br />

de carême. Mais ces stigmates ne sont pas apparents.<br />

*<br />

* *<br />

Au cours de cette période plus particulièrement sociale (pour employer le langage actuel) et,<br />

bien sûr, mystique, Barbe Acarie a encore trois enfants :<br />

• Jean, le 6 février 1589,<br />

• Marguerite le 6 mars 1590,<br />

• Geneviève, en février 1592, celle-ci dans des conditions difficiles, l'extase de Barbe<br />

pendant son accouchement mettant en péril la mère et la fille.<br />

A cette époque, en 1593, Barbe Acarie a 27 ans. Elle reste très belle ; elle pratique fort<br />

l'oraison et, en toutes circonstances, la charité, l'obéissance et l'humilité ; elle traque ses<br />

péchés et même ses imperfections (qu'elle ne distingue pas les uns des autres) avec un<br />

sens aigu de la mortification ; sa santé n'est pas brillante et elle endure déjà de grandes<br />

souffrances physiques « avec un visage si égal et un cœur si ferme que ceux qui la<br />

considéraient étaient tout étonnés ».<br />

Biographie de Madame Acarie 17 Octobre 1999 Michel PICARD<br />

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5. LES ÉPREUVES<br />

Pierre Acarie est ligueur et même un ligueur très en vue.<br />

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Il a lutté contre Henri IV. Il craint fort une grave sanction et donne à sa femme procuration<br />

générale pour la gestion de ses biens. Deux semaines après cette démarche, il est banni de<br />

Paris et est obligé de s'enfermer chez les Chartreux de Bourgfontaine près de Soissons, le 5<br />

avril 1594.<br />

Ses biens sont confisqués. Il a d'autre part emprunté pour financer la Ligue ; les créanciers<br />

font saisir l'immeuble de la rue des Juifs et tout ce qu'il contient.<br />

Barbe met ses six enfants à l'abri et trouve asile chez une cousine qui lui prête une chambre<br />

et une alcôve rue de Paradis.<br />

Elle est soumise aux pires avanies et tellement démunie que la fidèle Andrée Levoix vend sa<br />

ceinture pour leur procurer à manger.<br />

Sur ce, Pierre, toujours prisonnier, est enlevé dans la cour de Bourgfontaine. Barbe<br />

emprunte et paie la rançon.<br />

Peu de temps après, vers juin 1595, Pierre Acarie est autorisé à se rapprocher de Paris ; il<br />

s'installe à Champlatreux, près de Luzarches, dans la famille de Barbe.<br />

Celle-ci, bonne écuyère, lui rend visite à cheval. En 1596, au retour de Champlatreux, elle<br />

est désarçonnée ; son pied reste coincé dans l'étrier et elle est traînée sur une longue<br />

distance. Son fémur est cassé en trois endroits ; elle souffre atrocement avant, pendant et<br />

après l'intervention du spécialiste Bailleul… qui oublie cependant de remettre en place un<br />

petit os. Non seulement, elle marche avec des béquilles, mais le petit os en question lui<br />

cause « le reste de ses jours grandes douleurs et faiblesses ».<br />

Aussi, en rendant visite à son fils aîné Nicolas au Collège de Calvy, l'année suivante, elle<br />

tombe dans l'escalier, se casse à nouveau la cuisse et est alitée trois mois.<br />

Pierre peut se rapprocher encore de Paris et s'installe dans sa propriété de campagne d'Ivry<br />

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(au sud-est de Paris); Barbe va le voir ; en 1598, elle glisse et tombe sur les marches de<br />

l'église; on la transporte à Paris sur un brancard ; elle est définitivement infirme.<br />

Pendant ces quatre dernières années, Barbe défend son mari dans les procès engagés par<br />

ses créanciers ; le 20 juin 1598, Pierre est contraint de se défaire à vil prix de son office de<br />

Maître des Comptes, mais, vers la même époque, l'immeuble de la rue des Juifs lui est<br />

restitué et toute la famille est réunie.<br />

A 32 ans, elle reste toujours aussi belle, gaie et agréable ; elle a vécu son dépouillement et<br />

ses accidents corporels avec une sérénité que seules son humilité et son intimité avec Dieu<br />

expliquent. Rappelons aussi ses extases épuisantes, ses stigmates effroyablement<br />

douloureux, ses chutes et finalement son infirmité.<br />

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6. L'INTRODUCTION DU CARMEL EN FRANCE<br />

Barbe Acarie déploie une très grande activité sociale de proximité, notamment en faveur des<br />

prostituées. Les plus grands religieux et les personnes les plus éminentes en sainteté et vie<br />

spirituelle viennent la consulter toute laïque qu'elle soit. La maison de la rue des Juifs ne<br />

désemplit pas.<br />

Pierre Acarie, aigri par l'Édit de Nantes, son exil, l'accaparement et même la docilité de sa<br />

femme à son égard, désœuvré et déçu, est difficile à vivre. Il reconnaîtra lui-même « que si<br />

sa femme devenait sainte, il avait beaucoup contribué à sa sainteté ».<br />

Barbe Acarie est aussi missionnaire ; elle intervient d'une façon ou d'une autre, dans la<br />

réforme de nombreux monastères :<br />

• Saint-Étienne de Soissons<br />

• Les Filles-Dieu à Paris et à Fontevrault<br />

• Foissy, Notre-Dame aux Nonnains et Notre-Dame des Prés près de Troyes<br />

• Notre-Dame de l'Humilité à Longchamp<br />

• Les Filles de Saint-Louis qui tenaient l'Hôtel-Dieu à Pontoise<br />

• Montmartre<br />

• Montivilliers, près du Havre.<br />

Quelques temps après le regroupement familial rue des Juifs, à l'automne 1601, Barbe<br />

Acarie a connaissance des livres de Thérèse d'Avila, réformatrice du Carmel en Espagne.<br />

Elle n'est pas emballée.<br />

Un peu plus tard 2 :<br />

« La Bienheureuse Thérèse apparut visiblement à [Barbe] qui faisait oraison et l'avertit<br />

que telle était la volonté de Dieu en ces termes : « De même que j'ai enrichi l'Espagne<br />

de cet Ordre très célèbre, de même toi qui restaures la piété en France, tâche de faire<br />

bénéficier ce pays du même bienfait ». Cette vision resta toujours présente à son esprit<br />

et fortement gravée au plus profond de son cœur ; elle en gardait évidemment le<br />

2 André Duval, 2236-330r.<br />

Biographie de Madame Acarie 17 Octobre 1999 Michel PICARD<br />

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Madame Acarie Conférences Histoire 66/172 Edition Complète<br />

secret.<br />

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Mais à la fin elle fut forcée malgré elle de s'en ouvrir au R.P. Beaucousin son directeur<br />

et de la confier [cette vision] à son examen, à son conseil et à ses prières. Cet homme<br />

d'une éminente piété et d'une parfaite prudence fit cet examen avec méthode et<br />

circonspection, et, après de longues méditations, il s'arrêta à cet avis, qu'après avoir<br />

réuni une assemblée d'hommes importants il fallait examiner […] les moyens de mener<br />

l'entreprise à bonne fin ».<br />

Messieurs Gallemant, de Brétigny, Bérulle et Duval se réunirent avec le R.P. Beaucousin,<br />

dans la cellule de celui-ci, examinèrent le projet et conseillèrent à Barbe de l'abandonner.<br />

Pourtant Jean de Brétigny, castillan par son père et normand par sa mère, rêvait depuis<br />

octobre 1585 d'introduire les carmélites réformées en France. Bien d'autres personnes<br />

avaient tenté cette opération mais n'avaient pas abouti. De nouveau l'affaire paraissait<br />

irréalisable.<br />

Sept ou huit mois plus tard encore, Thérèse d'Avila apparaît à Barbe Acarie, lui ordonne de<br />

remettre en consultation son ancien projet et lui promet qu'il se réalisera.<br />

Les cinq prêtres précités se réunissent à nouveau, et avec eux le futur Saint François de<br />

Sales et Barbe Acarie. Sur l'insistance de ces deux derniers, l'introduction du Carmel en<br />

France est décidée et les trois supérieurs de l'Ordre sont désignés : Duval, Gallemant et<br />

Bérulle, tous les trois aussi savants que pieux.<br />

Après plusieurs jours de discussions portant sur l'entreprise et les moyens de la réaliser ,<br />

trois décisions sont prises mi-juin 1602 par le petit groupe :<br />

1) Le premier monastère sera établi à Paris.<br />

2) On amènera des maîtresses espagnoles.<br />

3) On demandera à Rome que les voeux prononcés par les Carmélites soient les mêmes<br />

en France qu'en Espagne et en Italie.<br />

A partir de juillet 1602, le Chancelier Michel de Marillac apporte son aide précieuse à Barbe<br />

Acarie.<br />

Déjà depuis quelques mois, de jeunes personnes avides de renouveau spirituel, convergent<br />

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vers l'hôtel de la rue des Juifs et se placent sous la direction de Barbe Acarie. Avec Andrée<br />

Levoix, elles formeront finalement la Congrégation Sainte Geneviève qui comprendra aussi<br />

bien des jeunes filles que des jeunes veuves, triées sur le volet par Barbe Acarie pour<br />

devenir les premières carmélites françaises, ou des ursulines, ou d'autres religieuses.<br />

En voyage à Saint-Nicolas de Port, près de Nancy, Barbe a une vision : « Dieu me fit voir<br />

qu'Il voulait que je fusse religieuse en cet Ordre et sœur laie. Notre Mère Sainte-Thérèse<br />

intervint aussi ». Cette perspective d'être sœur laie et non pas sœur du chœur contrista<br />

beaucoup Barbe parce qu'elle ne pourrait pas chanter avec les autres sœurs et qu'elle serait<br />

réduite à réciter des « Notre Père ».<br />

De juin 1602 à avril 1603, et grâce à ses relations personnelles dans les plus hautes sphères<br />

du royaume, Barbe Acarie dirige les démarches qui permettront la construction du premier<br />

carmel dans le prieuré Notre-Dame des Champs, faubourg Saint-Jacques à PARIS.<br />

La première pierre est posée le 29 avril 1603 et Barbe Acarie dirige les travaux avec autant<br />

de douceur que de célérité, procurant les financements nécessaires en empruntant des<br />

sommes considérables.<br />

Parallèlement, elle constitue l'équipe qui doit ramener d'Espagne des carmélites ayant vécu<br />

avec Thérèse d'Avila et donc imprégnées de sa spiritualité. Barbe Acarie participe à<br />

l'organisation de l'expédition. La troupe quitte Paris le 26 septembre 1603; Il faudra presque<br />

une année de démarches et les interventions de Bérulle pour obtenir l'accord des Carmes<br />

sur l'envoi de six carmélites en France. A la demande insistante de Barbe Acarie, elles sont<br />

choisies non pas pour les grâces spéciales dont elles bénéficiaient, mais pour leur charité.<br />

Elles quittent Avila le 29 août 1604 et arrivent à Paris le 15 octobre 1604.<br />

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7. <strong>DE</strong>RNIÈRES ANNÉES DANS LE MON<strong>DE</strong><br />

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Le Carmel de l'Incarnation à Paris est bien plus grand que ne le prévoit les Constitutions<br />

espagnoles du Carmel ; il existe d'autre part des discordances très importantes entre cellesci,<br />

pour l'application desquelles on a amené en France à grand'peine six carmélites<br />

espagnoles, et la Bulle d'érection du Carmel en France. Il en résulte toutes sortes de<br />

difficultés.<br />

Mais deux mois seulement après l'arrivée des mères espagnoles, il faut ouvrir un nouveau<br />

Carmel. Barbe Acarie choisit Pontoise ; Michel de Marillac aménage en huit jours un petit<br />

immeuble appartenant à Duval. Le carmel Saint-Joseph accueille sa prieure le 15 janvier<br />

1605.<br />

A l'automne de la même année, Barbe Acarie organise un troisième carmel à Dijon. En 1606,<br />

elle choisit d'implanter le quatrième carmel à Amiens. En 1608, Tours. En juin 1609, Rouen.<br />

etc.<br />

A la même époque, les événements touchant la famille Acarie sont nombreux :<br />

• Marguerite, le 5° enfant, entre au Carmel de l'Incarnation à Paris le 15 septembre<br />

1605 à 15ans et demi,<br />

• Nicolas, l'aîné, se marie début 1606,<br />

• Barbe est très malade une première fois pendant trois semaines ; on craint qu'elle ne<br />

meure,<br />

• Marie et Geneviève entrent à leur tour au Carmel de l'Incarnation et prennent toutes<br />

deux l'habit le 23 mars 1608.<br />

• L'hiver 1608 étant particulièrement rude, l'hôtel de la rue des Juifs est plein de<br />

malheureux.<br />

• En juin 1610, Barbe Acarie est à nouveau en danger de mort pendant 6 semaines.<br />

• Le 17 novembre 1613, Pierre Acarie meurt à ivry après une courte mais très pénible<br />

maladie pendant laquelle Barbe, toute malade qu'elle fût aussi, l'assiste<br />

affectueusement.<br />

• Le 8 février 1614, elle règle avec deux de ses fils la succession de son mari, ne<br />

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gardant pour elle qu'une rente viagère, qu'elle donne le surlendemain aux carmels<br />

d'Amiens et de Paris.<br />

• Sa petite-fille et filleule Marie, fille de Nicolas, meurt à l'âge de six ans.<br />

• Le 15 février 1614, Barbe entre au Carmel d'Amiens comme sœur laie (ou converse).<br />

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8. SA VIE <strong>DE</strong> CARMÉLITE<br />

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Dieu « lui accordait ce qu'elle avait toujours si ardemment désiré […] être servante des<br />

servantes de Dieu ».<br />

Elle entre dans le carmel aidée par Edmond de Messa qui l'a accompagnée sur la route de<br />

Paris à Amiens, et soutenue par deux tourières. C'est dire son état de santé !<br />

Ses faits et gestes, ses paroles ne sont qu'humilité. Sœur Marie de l'Incarnation prend l'habit<br />

le 7 avril 1614.<br />

Elle aide à la cuisine et sert à tout ce qu'elle peut : « Il faisait bon la voir ainsi et entendre les<br />

paroles embrasées qu'elle disait sans y penser en frottant et nettoyant les écuelles et les<br />

pots […] cherchant des inventions pour les faire bien nets »".<br />

Marie de l'Incarnation « avait d'ordinaire à la main » les Évangiles. La prieure, Isabelle de<br />

Jésus-Christ, puis le supérieur Duval lui avaient commandé de parler aux novices et aux<br />

autres sœurs contrairement à la règle générale du silence. « Elle avait un don particulier<br />

pour affermir les faibles et les assurer contre les tentations et les scrupules ».<br />

Dès son entrée au carmel d'Amiens, elle est affligée d'une terrible hémorragie dont elle<br />

guérit miraculeusement. En 1615, elle souffre « de coliques et maux si violents que quatre<br />

sœurs bien fortes ne pourront suffire à la tenir parce que la violente surprise des douleurs la<br />

fera lever sur le lit ». Le jour des Rameaux 1615; elle est « d'un froid de mort par tout le<br />

corps […] ne lui restant plus de chaleur de l'estomac jusqu'au cœur ». Son confesseur et la<br />

prieure lui commandent de demander à Dieu de ne pas encore mourir. Aussitôt la chaleur<br />

revient dans son corps.<br />

Quelques jours plus tard, le 8 avril 1615, Marie de l'Incarnation fait profession.<br />

Le 22 mai 1616, Duval procède aux élections de la prieure et de la sous-prieure du carmel<br />

d'Amiens. Marie de l'Incarnation est élue prieure à l'unanimité. Elle ne peut cependant<br />

exercer cette fonction en raison de l'instruction reçue à Saint-Nicolas de Port en 1602 ou<br />

1603 : « Dieu me fit voir qu'il voulait que je fusse religieuse en cet ordre et sœur laie». Une<br />

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sœur laie ne peut pas être prieure. Cependant, les carmélites d'Amiens rappellent que la<br />

sœur laie espagnole Anne de Saint-Barthélémy est devenue prieure à Pontoise début 1605<br />

et elles estiment que leur unanimité vaut nouvelle instruction divine. Duval, supérieur, refuse<br />

et Anne du Saint-Sacrement alors sous-prieure à Paris est élue prieure à Amiens.<br />

La nouvelle mère prieure du Carmel d'Amiens, bien peu maternelle, gouverne d'une main de<br />

fer, « à la Turque » dit-on. Elle interdit notamment à Marie de l'Incarnation de guider les<br />

autres sœurs, sans prévenir celles-ci de cette interdiction. La Bienheureuse est en<br />

conséquence écartelée entre son devoir d'obéissance envers la prieure « son Jésus-Christ<br />

sur terre » d'une part, et à la fois son devoir d'obéissance envers les supérieurs et son devoir<br />

de ne pas déconsidérer la prieure devant les sœurs.<br />

Vers la Toussaint 1616, Gallemant décide avec les deux autres supérieurs de transférer<br />

Marie de l'Incarnation au carmel de Pontoise qu'elle aime tant. Elle y arrive le 7 décembre<br />

1616 ; elle est reçue avec ferveur et, de la cuisine ou de sa cellule, elle prodigue ses<br />

conseils aux novices, aux sœurs et même à la prieure. Tout est paix.<br />

Par ailleurs, Bérulle, l'un des supérieurs, devenu également visiteur du Carmel, veut à cette<br />

époque imposer un quatrième vœu aux carmélites, celui de servitude. Marie de l'Incarnation,<br />

qui ne donne peut-être pas tout à fait le même sens que Bérulle au mot servitude, est<br />

fondamentalement opposée à toute idée de servitude : le chrétien et plus spécialement la<br />

carmélite n'est pas esclave mais libre. Ce conflit lui est particulièrement pénible.<br />

La santé de Marie de l'Incarnation ne s'est pas sensiblement dégradée mais elle ne peut pas<br />

rester debout, elle marche avec beaucoup de difficultés et elle ne peut s'asseoir que sur son<br />

placet, sinon son fémur se déboîte avec grandes douleurs.<br />

Toutefois, en février 1618, Marie de l'Incarnation tombe gravement malade ; elle est atteinte,<br />

dirions-nous maintenant, d'hémiplégies par ramollissement rouge pneumonique. Elle souffre<br />

beaucoup avec, toujours, grande humilité et esprit de mortification, encore que le jour de<br />

Pâques, elle soit « ravie et hors des sens ». Un peu plus tard, elle révèle : « Si vous voyiez<br />

ce que je souffre vous auriez pitié de moi, et plus de ce qui est intérieur que ce qui paraît au<br />

dehors ». Car, à sa faiblesse physique, s'ajoute l'aridité spirituelle.<br />

La Bienheureuse Sœur Marie de l'Incarnation meurt le mercredi de Pâques 18 avril 1618 à<br />

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17 heures. Au dehors, la rumeur se propage, on ne sait comment : « Une multitude de<br />

peuple se trouva dehors et devant l'église ». On se disait les uns aux autres : « La sainte est<br />

morte, la sainte est morte ».<br />

Biographie de Madame Acarie 17 Octobre 1999 Michel PICARD<br />

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9. RÉSUMÉ<br />

En résumé :<br />

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� Très jeune, Barbe, d'une trempe déjà extraordinaire alors qu'elle n'a que quatorze-quinze<br />

ans, désire être religieuse et s'occuper des pauvres malades, justement à l'époque où<br />

sévit la peste et le choléra,<br />

� Mariée jeune, mère de famille, elle est admirée par tout le beau monde et devenue un<br />

peu frivole.<br />

� La sentence lue "Trop est avare à qui Dieu ne suffit" provoque sa conversion radicale qui<br />

se manifeste sous toutes les formes et en toute occasion<br />

• Sa prière, son dévouement à l'Hôtel-Dieu, sa disponibilité à tous, son souci des<br />

pauvres et des prostituées,<br />

• Ses extases qu'elle craint d'être d'origine démoniaque et qu'elle cache ;<br />

• Ses stigmates invisibles très douloureux,<br />

• Son extrême humilité et son obéissance absolue, notamment envers son mari au titre<br />

du devoir d'état,<br />

� Elle subit sans faiblir le bannissement de son mari, la saisie de leurs biens et tout<br />

particulièrement de l'hôtel de la rue des Juifs, son propre dénuement, sa chute de cheval,<br />

son infirmité,<br />

� Pierre Acarie est libéré, le patrimoine de la famille est rétabli. L'activité de Barbe porte<br />

désormais principalement sur l'orientation des jeunes religieuses, le conseil des<br />

personnes détenant une autorité religieuse, la réforme de communautés religieuses.<br />

� Barbe reçoit de Dieu par l'intermédiaire de Thérèse d'Avila l'ordre d'introduire le Carmel<br />

en France, son rôle éminent, primordial est déterminant pour la réalisation de ce projet,<br />

� Elle entre au Carmel d'Amiens ; elle y vit douloureusement des contradictions. Elle est<br />

transférée au carmel de Pontoise, apporte beaucoup à ses sœurs, et meurt le 18 avril<br />

1618, en odeur de sainteté.<br />

Biographie de Madame Acarie 17 Octobre 1999 Michel PICARD<br />

21/22


Madame Acarie Conférences Histoire 74/172 Edition Complète<br />

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Elle est béatifiée le 5 juin 1791 pour servir d'exemple aux Français plongés dans le désordre<br />

religieux résultant de la Révolution. Le 1° avril 1893, à l’occasion du premier centenaire de<br />

cette béatification, le Cardinal archevêque de Paris souhaite qu'elle devienne la patronne<br />

des familles parisiennes.<br />

Biographie de Madame Acarie 17 Octobre 1999 Michel PICARD<br />

22/22


Madame Acarie Conférences Histoire 75/172 Edition Complète<br />

<strong>MADAME</strong> <strong>ACARIE</strong> FACE<br />

AUX<br />

EPREUVES DU PROCHAIN<br />

Conférence de Michel PICARD, président<br />

de<br />

l’Association des Amis de Madame Acarie<br />

25 Mars 2001 Carmel de Pontoise<br />

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TABLE<br />

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1. Introduction ................................................................................................................ 3<br />

2. Le soin des blessés et des malades pauvres ............................................................ 6<br />

3. Son attention aux religieux ...................................................................................... 10<br />

4. Son attention à son personnel : ses relations avec les ouvriers et les artisans....... 12<br />

5. Son attention aux femmes ....................................................................................... 19<br />

1.1. Les prostituées....................................................................................................... 20<br />

1.2. Les autres femmes ................................................................................................ 23<br />

6. Charité de Barbe Acarie envers son mari................................................................ 25<br />

7. Conclusion ............................................................................................................... 29<br />

Madame Acarie 25 Mars 2001 Michel PICARD<br />

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Madame Acarie Conférences Histoire 77/172 Edition Complète<br />

1. INTRODUCTION<br />

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Marguerite de Gondy, marquise de Maignelay, a côtoyé Barbe Acarie dans le monde<br />

pendant 18 ans. Elle témoigne ainsi 1 :<br />

« J’ai remarqué une si grande adhérence de l’esprit de cette Bienheureuse à<br />

Dieu et une si facile conversion de retour de l’action à l’oraison qu’il semble<br />

que sa vie n’ait été qu’une continuelle oraison, mais active et agissante ».<br />

Frère Ephrem YON nous a parlé avec ferveur de la mystique Barbe Acarie ; voyons<br />

maintenant comment se comportait la très charitable Barbe.<br />

Un mot seulement sur sa charité après son entrée en religion. Elle avait sollicité d’être mise<br />

dans un carmel à la fois très démuni pour y vivre le plus pauvrement possible et éloigné de<br />

Paris pour échapper aux grands de ce monde. Elle arriva à Amiens en février 1614 avec<br />

l’idée, écrit André Duval 2 , de « Se dépouiller de toutes les choses créées et se revêtir de<br />

Dieu seul ». Elle est donc dans la joie et la gratitude de bénéficier du silence et de la clôture<br />

du monastère. En réalité, sa prieure, devinant tout le bien qu’elle peut procurer aux sœurs et<br />

en particulier aux novices, lui demande de leur parler, de les guider, de répondre à leurs<br />

questions. C’est ainsi qu’oubliant ses aspirations elle pratiquera sa charité pendant les<br />

dernières années de sa vie.<br />

Mais c’est sa charité dans le monde qui est l’objet du présent exposé. Elle se caractérise par<br />

sa continuité, son réalisme, son intensité et sa généralité quant aux personnes aidées.<br />

1 RITI 2236-403v.<br />

2 André Duval, La Vie admirable de la bienheureuse sœur Marie de l’Incarnation, appelée dans<br />

le monde Mademoiselle Acarie, religieuse converse de l’ordre du Mont-Carmel et fondatrice de cet<br />

ordre en France, Paris, Librairie Victor Lecoffre, 1893 p. 254.<br />

Madame Acarie 25 Mars 2001 Michel PICARD<br />

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Madame Acarie Conférences Histoire 78/172 Edition Complète<br />

Pour situer les faits, voici quelques repères :<br />

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• Sa naissance en 1566 et son mariage en 1582, à 16 ans et demi.<br />

• La naissance de six enfants de 1584 à 1592.<br />

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• Dès 1587, la lecture de la sentence « Trop est avare à qui Dieu ne suffit » et sa<br />

conversion radicale.<br />

• En 1590, ses premières extases et en 1593, les stigmates.<br />

• Presque dans le même temps, le bannissement de son mari, la ruine, l’accident de<br />

cheval, le fémur rompu à trois reprises.<br />

• En 1601 et 1602, la demande puis le commandement divins d’introduire le Carmel<br />

réformé en France.<br />

• En 1613 la mort de Pierre Acarie et l’entrée de Barbe au Carmel trois mois plus tard.<br />

• La mort de sœur Marie de l’Incarnation le 18 avril 1618.<br />

Par commodité, je diviserai mon exposé en cinq chapitres :<br />

1. Le soin des blessés et des malades pauvres.<br />

2. Son attention aux religieux<br />

3. Son attention à son personnel et ses relations avec les ouvriers et les artisans.<br />

4. Son aide aux femmes.<br />

5. Sa charité envers son mari.<br />

Mais cette distinction est trompeuse car Barbe Acarie agissait tout à la fois et en<br />

permanence en faveur de ces cinq catégories de personnes. Mère Marie de Saint-Joseph<br />

(Fournier), qui la connut quelques mois dans le monde et fut finalement sa prieure ici à<br />

Pontoise rapporte même 3 :<br />

« Ladite sœur Marie de l’Incarnation fit réponse qu’elle s’était vue avoir<br />

jusqu’à 25 affaires en même temps ».<br />

3 2233-53r.<br />

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Par « affaire », il faut entendre la prise en charge par Barbe Acarie d’une détresse, d’un<br />

souci, d’une maladie, d’une incapacité, d’un besoin, etc. car elle était attentive à tous ces<br />

aspects de la vie d’autrui.<br />

Le Père Coton, ancien supérieur des Jésuites en France, précise le cadre spirituel de toute<br />

cette activité spirituelle 4 ; son témoignage rejoint celui de Marguerite de Gondy cité<br />

précédemment,<br />

« [L’âme] de damoiselle Acarie, lors même qu’elle était au monde, était<br />

occupée au soin de sa maison, au service des pauvres et au salut de ceux qui<br />

la visitaient sans se couper et perdre Dieu de vue ».<br />

4 2233-62r.<br />

Madame Acarie 25 Mars 2001 Michel PICARD<br />

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2. LE SOIN <strong><strong>DE</strong>S</strong> BLESSÉS ET <strong><strong>DE</strong>S</strong> MALA<strong><strong>DE</strong>S</strong> PAUVRES<br />

La vocation religieuse originelle de Madame Acarie était le soin des blessés et des malades<br />

pauvres. Elle s'y était sentie appelée à l'âge de 14 ou 15 ans lorsque les blessés de la<br />

guerre de religion affluaient et que la peste sévissait à Paris.<br />

La volonté parentale de marier Barbe a contrecarré son entrée en religion mais son ardent<br />

désir de servir les malades et les pauvres est resté entier.<br />

Voici quelques précisions sur les conditions de vie et de soins médicaux à l'époque :<br />

1) Georges Bordonove écrit 5 :<br />

« Paris […] baignait dans un air nauséabond […].<br />

Dans les rues, la poussière s'agglutinait au crottin, aux immondices, aux<br />

déchets de toute nature […]<br />

[C']était […] un facteur de tuberculose, d'anémie chronique et d'épidémies de<br />

toutes sortes. S'y ajoutait un manque absolu d'hygiène […]<br />

[Les] Parisiens […] avaient la Seine - qui était polluée -, des puits où s'infiltrait<br />

le purin des écuries […] et 29 fontaines […] pour 300.000 habitants.<br />

L'attachement de Madame Acarie à la netteté, cité en octobre 1999 par Bernard YON, trouve<br />

peut-être son origine dans cet état général de saleté de Paris. Et pourtant l'atmosphère était<br />

bien pire dans les hôpitaux. André Duval explique 6 la répugnance ressentie par Barbe Acarie<br />

lorsqu'elle y pénétra :<br />

5<br />

Histoire secrète de Paris, tome 2, p. 94.<br />

6<br />

Op. cit., p. 69.<br />

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« Lorsqu'elle commença à s'adonner à la piété, elle avait quelque crainte<br />

naturelle, soit de l'infection du lieu, soit de l'horreur des plaies qu'il fallait<br />

panser ; néanmoins elle se forçait pour surmonter les appréhensions qui lui en<br />

venaient ».<br />

2) L'hôpital était un lieu de souffrances extrêmes. Ambroise Paré venait d'inventer la ligature<br />

des artères pour remplacer la cautérisation lors des amputations. L'atténuation de la<br />

souffrance n'était pas du tout d'actualité ; Barbe Acarie, toute vicomtesse qu'elle était, n'en<br />

bénéficia pas lorsque les spécialistes remirent à peu près en place son fémur cassé en trois<br />

endroits ; il en est encore moins question dans les hôpitaux où l'on soigne les pauvres.<br />

Bien au contraire, les hôpitaux étaient considérés comme des lieux de répression : les<br />

mendiants qui y étaient admis devaient effectuer des travaux souvent pénibles.<br />

C'est dans cette ambiance que se plongea Madame Acarie comme expliquent, chacun à sa<br />

façon, André Duval 7 , la marquise de Maignelay 8 et Michel de Marillac 9 :<br />

« On la voyait librement entrer aux hôpitaux pour panser les plaies qui<br />

faisaient bondir les cœurs aux plus résolus ».<br />

« Je crois qu'elle est la première entre les femmes de condition à être allée en<br />

ces lieux de misère ».<br />

« Je l'ai vue à l'hôpital des blessés près St Gervais, en l'année 1589, faire<br />

panser devant soi les pauvres malades, leur porter des linges, des onguents,<br />

des vivres, les consolant et fortifiant avec une assiduité, une grâce, une<br />

efficacité admirable […] d'autant plus encouragée qu'elle voyait ces pauvres<br />

malades tenus si salement et couchés ensemble dans le même lit, [ce] qui lui<br />

était grandement à contre-cœur à cause de son inclination à la netteté. [Elle]<br />

résista tant à son naturel qu'elle vint à désirer cette même condition. Je [la]<br />

voyais fort souvent parce que cet hôpital était proche de notre paroisse et<br />

[nous] avions l'occasion d'y passer ».<br />

7 Op. cit., p. 69.<br />

8 2236-396v.<br />

9 2236-781r.<br />

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De même Marie, l'aînée des filles de madame Acarie, témoigne 10 qu'en 1589 :<br />

« Elle allait avec sa belle-mère tous les jours pour les panser ».<br />

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Et la mère Jeanne de Jésus, sœur du chancelier Séguier, rapporte ce qu'elle tenait de leur<br />

mère 11 :<br />

« A l'Hôtel-Dieu [notamment pendant le siège de Paris de mai à août 1590],<br />

elle passait les journées entières avec telle consolation qu'elle n'en pouvait<br />

sortir ».<br />

Madame Acarie 25 Mars 2001 Michel PICARD<br />

Face aux épreuves du prochain 8/30<br />

*<br />

* *<br />

Il ne faut pas croire que, les guerres de religion terminées et avec elles les horribles<br />

blessures, madame Acarie s'est désintéressée des malades et des blessés. En réalité, écrit<br />

André Duval 12 :<br />

« Quand elle était aux champs [c'est-à-dire dans une maison près de Troyes],<br />

son occupation était de visiter les pauvres malades, de leur préparer ellemême<br />

les remèdes, de nettoyer leurs plaies quoique infectes, de les assister<br />

et consoler en tout ce qu'elle pouvait ».<br />

10 2236-516r.<br />

11 2235-835r.<br />

12 Op. cit., p. 72.


Madame Acarie Conférences Histoire 83/172 Edition Complète<br />

Michel de Marillac confirme ces soins 13 :<br />

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« C'était aux champs, son occupation à faire des onguents et médecines aux<br />

pauvres »<br />

Mais c'est bien sûr dans l'hôtel de la rue des Juifs, ou à proximité, qu'elle exerçait le plus<br />

souvent sa charité. Ainsi Michel de Marillac raconte 14 :<br />

« Dînant en compagnie en son logis, elle ouït crier un garçon de la maison qui<br />

était blessé. Elle se leva à l'instant, alla voir ce que c'était, pansa ce garçon et<br />

revint trouver la compagnie ».<br />

André Duval généralise 15 :<br />

« Elle emploie ses propres biens à soulager le corps humain en toutes ses<br />

infirmités, à tel point que, la peste sévissant à Paris, elle ne craignit pas de<br />

recevoir des étrangers dans une maison qui lui appartenait ».<br />

13 2236-779r.<br />

14 2236-780v.<br />

15 2236-334r.<br />

Madame Acarie 25 Mars 2001 Michel PICARD<br />

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3. SON ATTENTION AUX RELIGIEUX<br />

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« Il est comme nécessaire que des gens de bien demeurent au monde tant<br />

pour servir d'appui aux religieux que pour les secourir en leurs nécessités »,<br />

écrit André Duval 16 .<br />

C'était une conception bien restrictive du rôle des laïcs dans l'Église mais c'était celle de<br />

l'époque ; elle aide à mieux savourer la grandeur de la constitution conciliaire Gaudium et<br />

Spes et même toute la Doctrine sociale de l'Église .<br />

Tout naturellement, Barbe Acarie a aidé les prêtres. Citons encore André Duval 17 :<br />

« Il y eut un docteur nommé M. de la Rue […] Elle lui apprêtait de ses propres<br />

mains ce qu'il fallait, tant sa nourriture, que les médecines dont il usait […]<br />

Quand quelques uns étaient malades, s'ils n'étaient point de la ville, elle leur<br />

offrait son logis et toutes les autres choses dont ils avaient besoin […]<br />

Quand d'autres allaient prêcher à la campagne, si elle avait en ces lieux des<br />

connaissances, elle écrivait qu'on eût soin de les assister […]<br />

Il faut ici que je remarque, écrit A. Duval, l'obligation que je lui ai, car atteint<br />

d'une fièvre quarte (forme de paludisme) […] elle me fit venir en son logis où<br />

je demeurai près de deux mois […]<br />

Durant le grand hiver de 1608, elle envoya en beaucoup de couvents, une<br />

grande quantité de bois et plusieurs couvertures, craignant que les religieux<br />

ne mourussent de froid. C'est honte, disait-elle, à nous autres femmes, de les<br />

laisser tant endurer.<br />

Quand quelque pauvre prêtre avait besoin d'ornement d'église, elle lui en<br />

donnait, afin qu'il ne manquât point à dire sa messe journellement ».<br />

16 Op. cit., p. 10.<br />

17 Op. cit., p. 73 et 74.<br />

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Voilà cinq cas particuliers d'attention aux prêtres cités par André Duval, mais il reconnaît être<br />

mal informé 18 :<br />

« Dieu sait le nombre de charités qu'elle a exercées ; il n'est pas possible de<br />

les déclarer, parce qu'il y en a plusieurs qu'elle tenait fort secrètes, mais il y en<br />

a aussi beaucoup d'autres qu'elle ne pouvait cacher ».<br />

Son personnel en a tout spécialement bénéficié.<br />

18 Op. cit., p. 71.<br />

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4. SON ATTENTION À SON PERSONNEL : SES<br />

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RELATIONS AVEC LES OUVRIERS ET LES ARTISANS<br />

Pierre et Barbe Acarie étaient initialement riches. Ils vivaient le plus souvent dans leur hôtel<br />

rue des Juifs. Leurs terres étaient situées, pour l'essentiel, à l'ouest, à l'est et au sud de<br />

Troyes. Ils avaient aussi une maison de campagne à Ivry sur seine. Leur domesticité y était<br />

nombreuse.<br />

Pierre Acarie, bien qu'il fût conseiller en la Chambre des Comptes, n'était nullement porté à<br />

la gestion de ses propres affaires ; curieusement, il était même, selon Michel de Marillac 19 ,<br />

tout à fait inapte en ce domaine.<br />

C'était donc la mystique Barbe Acarie qui gérait tout et qui était ainsi le chef d'une petite<br />

entreprise comptant trois établissements et un personnel nombreux. C'est cette fonction<br />

d'employeur qui retiendra maintenant notre attention.<br />

Pour être fidèle au thème de mon exposé, j'évoquerai d'abord la conduite de Barbe face aux<br />

épreuves notoires de ses domestiques. Je l'étendrai ensuite aux simples besoins de ceux-ci<br />

que leur maîtresse ressentait ou pressentait<br />

« S'il arrivait, écrit André Duval 20 , que quelques serviteurs tombassent<br />

malades, elle avait soin que rien ne leur manquât et qu'ils fussent tenus<br />

proprement. Elle donnait charge de les traiter à ceux de la maison qu'elle<br />

savait plus portés à la charité, les visitaient souvent et parfois leur portait ellemême<br />

à manger, leur disant toujours quelques petits mots de Dieu, pour les<br />

encourager à endurer leur mal avec patience, les exhortant aussi de prendre<br />

tout ce que leur donnerait le médecin ».<br />

19 2236-780v.<br />

20 Op. cit., p. 54<br />

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Et cet historien de madame Acarie poursuit à propos des longues maladies 21 :<br />

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« S'il arrivait qu'ils fussent longtemps malades, elle recommandait fort qu'on<br />

ne leur fît point paraître d'ennui ».<br />

Il raconte aussi comment Barbe Acarie se conduisit dans une situation dramatique 22 :<br />

« Il arriva un jour qu'un sien petit laquais fut malade de la peste en sa maison.<br />

Aussitôt qu'elle s'en aperçut, elle n'en voulut rien dire aux autres serviteurs, de<br />

peur de les effrayer, mais elle l'assista elle-même et donna si bon ordre à tout,<br />

et avec tant de dextérité, que personne qu'elle n'en approchait, sans toutefois<br />

qu'aucun se doutât pourquoi elle-même le voulait soigner ».<br />

Michel de Marillac précise 23 qu' « elle l'envoya changer d'air aux champs ».<br />

Il s'agissait là de l'attitude de Barbe Acarie dans des cas particuliers mais elle exigeait de ses<br />

enfants le respect des serviteurs, elle se souciait de la formation de ceux-ci, voire de leur<br />

carrière comme on dit maintenant, et elle veillait à ce que les salaires soient payés.<br />

André Duval révèle 24 :<br />

« Elle voulait que ses filles parlassent aux serviteurs et servantes de la<br />

maison fort doucement et humblement, quand même ce n'eût été qu'un<br />

laquais ; de sorte qu'elles n'eussent pas osé lui dire : « Faites ceci ou cela » ;<br />

mais « Je vous prie » ou « S'il vous plaît », autrement elles en étaient<br />

reprises, et le laquais avait ordre de ne point leur obéir sans cela. Elle ne<br />

voulait pas qu'aucun de la maison les appelât autrement que par leur nom de<br />

baptême, sans adjonction de mademoiselle ».<br />

« La Bienheureuse, écrit encore André Duval, ne laissait pas […] d'en prendre<br />

un très grand soin, ne pouvant souffrir de les entendre jurer ou de savoir qu'ils<br />

le fissent en son absence, ni qu'ils jouassent aux cartes ou autres jeux de<br />

21 Op. cit., p. 54.<br />

22 Op. cit., p. 54.<br />

23 2236-781v.<br />

24 Op. cit., p. 49.<br />

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hasard, ou qu'ils eussent discorde entre eux […]. Elle voulait qu'ils parlassent<br />

doucement entre eux, et vécussent comme frères et sœurs charitablement » 25<br />

« Elle avait pareillement beaucoup d'égard à ce que tous ses serviteurs<br />

observassent les commandements de Dieu et de l'Église […] Elle leur donnait<br />

à ce sujet de bons livres, leur commandant de les lire soigneusement, et de<br />

n'être jamais oisifs » 26 .<br />

Mère Marie de Jésus (de Bréauté) confirme que<br />

« Elle avait soin qu'ils fussent bien composés en leur extérieur tant par la<br />

modestie en leurs actions, en leurs paroles et en leurs habits comme pour leur<br />

charité et douceur et pour le respect mutuel des uns aux autres 27 ».<br />

Le même témoin montre comme André Duval que Barbe Acarie avait en ce temps d'hérésie<br />

calviniste, le souci du salut de l'âme de ses serviteurs :<br />

« Elle avait un soin très particulier […] du salut de ses domestiques 28 »<br />

« Elle trouvait dans la presse de ses occupations le temps de s'entretenir avec<br />

eux des choses de Dieu et [de leur] enseigner les pratiques des vertus» 29 .<br />

Il est vrai que tous ses serviteurs collaboraient, à leur manière, à l'action charitable de leur<br />

maîtresse, c'est encore mère Marie de Jésus (de Bréauté) qui le déclare 30 :<br />

25 Op. cit., p. 52<br />

26 Op. cit., p. 53.<br />

27 2235-606v.<br />

28 2235-606v.<br />

29 2235-607r.<br />

30 2235-607r.<br />

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Madame Acarie Conférences Histoire 89/172 Edition Complète<br />

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« Le continuel abord de toutes sortes de personnes qui avaient recours à<br />

cette servante de Dieu tenait tous ses domestiques en action continuelle et<br />

dans un ordinaire empêchement ».<br />

André Duval raconte encore 31 , à propos du petit laquais Étienne que :<br />

« Sa bonne maîtresse le mit en métier chez un tapissier. Après avoir fait son<br />

apprentissage, il la revint voir, lui disant qu'il était dégoûté du monde, et qu'il<br />

avait fait vœu de virginité et de se consacrer au service de Dieu. C'est<br />

pourquoi, par l'avis de sa maîtresse, il se décida à servir de sacristain aux<br />

confesseurs et prêtres du monastère de l'Incarnation ».<br />

Admirons au passage le désintéressement de madame Acarie se séparant d'un petit laquais<br />

qu'elle apprécie beaucoup, le placement efficace de celui-ci puisqu'il est finalement reconnu<br />

tapissier, la confiance et la simplicité de ce laquais Étienne qui vient revoir son ancienne<br />

maîtresse et lui expose son insatisfaction, l'écoute de madame Acarie, son conseil et son<br />

respect pour Étienne qui prend lui-même la décision finale.<br />

Michel de Marillac, qui connaissait bien la société de l'époque, dénonce les pratiques<br />

malhonnêtes du monde auquel appartenait madame Acarie, avant de présenter le<br />

comportement de celle-ci 32 :<br />

« Opérant à la justice […] les exemples sont difficiles à remarquer pour ce que<br />

les rencontres en sont rares ».<br />

En d'autres termes : Dans la malhonnêteté générale, des conduites aussi justes que celles<br />

de madame Acarie étaient bien rares.<br />

A l'inverse :<br />

« Elle avait un si grand soin de payer ses serviteurs et servantes, et jamais<br />

aucun n'a eu sujet de plainte ».<br />

31 Op. cit., p. 55<br />

32 2236-810r.<br />

Madame Acarie 25 Mars 2001 Michel PICARD<br />

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Elle veillait d'ailleurs à rester désintéressée. André Duval nous rapporte à ce sujet une<br />

anecdote 33 :<br />

« Il arriva qu'un ouvrier qui travaillait d'ordinaire en sa maison étant devenu<br />

malade, la pria de lui vouloir faire quelque aumône, ce qu'elle fit ; en la faisant,<br />

il lui vint la pensée que cet homme était nécessaire à sa maison. Aussitôt elle<br />

se sentit intérieurement reprise d'avoir admis, en faisant cette charité au<br />

prochain, la considération du service qu'elle en pouvait tirer ».<br />

Ses attentions et son sens de la justice, sa charité ne se limitaient d'ailleurs pas à son<br />

personnel, mais s'étendaient aux ouvriers, aux artisans, aux cultivateurs qu'elle rencontrait.<br />

Michel de Marillac relate 34 :<br />

« Nous avons ensemble fait compte avec un grand nombre d'ouvriers,<br />

maçons, charpentiers, couvreurs, tailleurs de pierre, menuisiers, vitriers,<br />

plombiers, carreleurs et plusieurs autres, à tous lesquels elle gardait […]<br />

nettement la justice […] d'autant qu'elle avait une très particulière intelligence<br />

de la valeur de toutes choses et disait qu'il fallait rendre justice à Dieu aussi<br />

bien qu'aux ouvriers ».<br />

André Duval ajoute 35 :<br />

« Quand elle voyait que tout était bon et que les ouvriers avaient bien employé<br />

le temps, elle leur donnait quelque chose en plus de leur journée ».<br />

Et avec les marchands, selon Michel de Marillac 36 :<br />

« Elle avait encore une si parfaite connaissance des étoffes […] qu'elle ne<br />

marchandait jamais ou fort peu ; elle connaissait leurs chiffres, voyait leur<br />

papier et leur disait franchement : « Cela vous coûte tant, vous y devez<br />

gagner tant, voilà le prix qu'il vous faut ».<br />

Encore fallait-il que les gens aient du travail ; madame Acarie l'avait bien compris. Sa fille<br />

Marie déclare 37 :<br />

33 Op. cit., p. 59 et 60.<br />

34 2236-810v.<br />

35 Op. cit., p. 134.<br />

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« Un pauvre brodeur […] étant en nécessité et sans ouvrage, lui ayant fait<br />

compassion, elle lui fit faire plusieurs metz sans en avoir besoin, disant qu'elle<br />

trouverait bien à [les] donner [et] que ce brodeur qui était homme de bien ne<br />

pouvait lors trouver d'ouvrage pour subvenir à sa petite famille ».<br />

Sa bonté était parfois payée de noire ingratitude comme nous le conte Jeanne l'Epervier 38 :<br />

« Elle baillait de la besogne à faire à une pauvre damoiselle pour lui donner de<br />

quoi gagner sa vie. Au lieu de remerciement, cette damoiselle disait que ladite<br />

damoiselle Acarie lui retenait partie de son paiement et qu'elle ne la payait pas<br />

suffisamment »<br />

André Duval décrit avec précision les conséquences de la famine dans la région de Troyes<br />

et ce que fit la Bienheureuse en faveur des paysans affamés 39 . Je rappelle préalablement<br />

que Parmentier ne répandit la culture de la pomme de terre en France que vers 1775, c'està-dire<br />

près de 200 ans après la famine en question.<br />

« Après les troubles, il advint que la famine fut fort grande en Champagne où<br />

monsieur Acarie avait de belles terres. Notre Bienheureuse voyait le peuple<br />

errer par les champs pour trouver des racines, avec lesquelles il faisait du<br />

pain de brou ou marc de noix, n'ayant pas le moyen d'acheter du blé. Elle fut<br />

émue d'une si grande compassion, qu'elle chercha toutes sortes de moyens<br />

pour secourir ces pauvres gens en une si pressante nécessité. Elle s'avisa,<br />

nonobstant les grandes affaires qu'avait alors sa maison, de les faire travailler<br />

à des ouvrages dont elle n'avait nul besoin, tant pour leur faire gagner de quoi<br />

avoir du pain que pour fuir l'oisiveté, mère de tous les vices ».<br />

Quelques années après la parution du livre d'André Duval, Marie, l'aînée des filles Acarie,<br />

qui l’avait probablement lu et qui témoignait au procès de béatification, confirmera presque<br />

mot pour mot le récit ci-dessus, sauf sur un détail qui fait frémir ; selon elle, les paysans<br />

étaient réduits à ajouter à ce pain des « ardoises broyées 40 ».<br />

36 2236-811r.<br />

37 2236-518v.<br />

38 2235-580r.<br />

39 Op. cit., p. 72.<br />

40 2236-518r.<br />

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Ces deux témoignages sont particulièrement intéressants parce qu'ils permettent de dater<br />

les faits :<br />

• Ils se produisent après le bannissement de Pierre Acarie et la saisie de l'hôtel de la<br />

rue des Juifs mais avant la chute de cheval de Barbe.<br />

• Elle a 28 ans, 6 enfants et plus de mari ; sa fille Marie, qui témoigne, née en juillet<br />

1585 a 9 ou 10 ans ; le revenu des Acarie est probablement réduit par la saisie des<br />

biens et par la mauvaise récolte qui a provoqué la famine ; les "grandes affaires" de<br />

sa maison sont certainement un peu éclaircies mais on se doute que sa situation<br />

économique reste difficile.<br />

Ces considérations mettent en évidence l'extraordinaire élévation de la charité de madame<br />

Acarie et son cheminement : émue d'une si grande compassion, elle cherche une solution,<br />

elle la trouve, toute coûteuse qu'elle soit, et la met en œuvre avec deux buts : procurer à<br />

manger, combattre l'oisiveté mère de tous les vices.<br />

Voilà bien les deux objectifs constants de Barbe : sauver tout à la fois le corps et l'âme.<br />

Madame Acarie 25 Mars 2001 Michel PICARD<br />

Face aux épreuves du prochain 18/30<br />

*<br />

* *<br />

Résumons : on peut pratiquement dire que, depuis l'encyclique Rerum novarum en 1891, la<br />

Doctrine sociale de l'Église a tracé le chemin des relations sociales, mais que madame<br />

Acarie l'appliquait en quelque sorte déjà aux alentours de 1600.


Madame Acarie Conférences Histoire 93/172 Edition Complète<br />

5. SON ATTENTION AUX FEMMES<br />

Les hommes n'étaient pas exclus de sa charité ; on cite par exemple :<br />

• un opéré de la pierre,<br />

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• un homme qu'elle nourrit six mois de consommés et d'autres viandes,<br />

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• un vinaigrier dont elle a tenu la tête pendant qu’il était trépané, et qu’elle secourut<br />

ensuite,<br />

• les prisonniers qu'elle visitait et à la famille desquels elle envoyait à dîner quelques<br />

jours du mois 41 .<br />

Mais son attention aux femmes est la mieux connue. Et d'abord son attention aux<br />

prostituées. J'indique à ce sujet que l'expression « maladies vénériennes » est utilisée<br />

depuis le début du 17° siècle c'est-à-dire depuis l'époque que nous étudions.<br />

41 Nicolas Pinette de Charnay, 2235-489v.<br />

Madame Acarie 25 Mars 2001 Michel PICARD<br />

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Madame Acarie Conférences Histoire 94/172 Edition Complète<br />

1.1. LES PROSTITUÉES<br />

Jeanne l'Epervier rapporte une phrase de la Bienheureuse 42 :<br />

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« Ce serait un grand bien si l'on pouvait avoir une maison pour retirer les filles<br />

et femmes débauchées. Quand on n'empêcherait d'offenser Dieu que pour<br />

une nuit, ce serait toujours un grand bien ».<br />

En fait, c'est dans l'hôtel Acarie lui-même que les prostituées étaient accueillies, comme<br />

l'atteste le même témoin :<br />

« Aussi je voyais qu'en sa maison il y avait toujours une quantité de femmes<br />

débauchées qui la venaient trouver pour se retirer du vice ».<br />

André Duval précise encore 43 :<br />

« Elle y retirait souvent des personnes en danger d'être perdues, et d'autres<br />

qui s'étaient laissées emporter au péché ; et néanmoins sa maison était aux<br />

unes un asile, et aux autres une école de chasteté, qui les changeait<br />

incontinent en chastes colombes, ayant le vice en horreur et prenant la ferme<br />

résolution de ne plus tomber en de pareilles fautes ».<br />

Michel de Marillac renchérit 44 :<br />

« Je puis assurer qu'en tout ce temps que je l'ai hantée […] je ne l'ai jamais<br />

vue un moment qu'elle n'ait quelque pensionnaire de cette qualité et souvent<br />

plusieurs ».<br />

Mais cet accueil ne devait pas s'éterniser ; aussi explique le même Michel de Marillac 45 :<br />

« Il y avait autour de son logis, en la même rue ou au voisinage, plusieurs<br />

maisons de petits ménages chez lesquels elle faisait retirer de pauvres filles<br />

ou femmes, les unes actuellement débauchées, les autres dans le péril de<br />

42 2235-580v.<br />

43 Op. cit., p. 464<br />

44 2236-780r.<br />

45 2236-778v.<br />

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Madame Acarie Conférences Histoire 95/172 Edition Complète<br />

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l'être, auxquelles elle envoyait aux unes à vivre, aux autres elle donnait<br />

quelque argent pour y fournir et payer le louage de leur chambre.<br />

Outre cela, elle prenait le soin de les visiter et de les envoyer quérir pour<br />

savoir la manière de leur conduite, leur baillait de bons livres à lire, leur<br />

fournissait d'ouvrages à faire pour s'employer, qui en linge, qui en drap, qui en<br />

tapisserie, afin qu'elles ne fussent pas oiseuses.<br />

[…]<br />

Cela arrivait qu'elle mettait les unes en service avec des gens de bien, les<br />

autres étaient mariées, d'autres demeuraient gagnant leur vie en honnête<br />

travail, d'autres entraient en religion selon le moyen qu'elle leur procurait,<br />

ménageant leurs affaires comme si c'eût été ses filles. Elle fournissait à toute<br />

cette dépense tant du sien que de ce que d'autres y fournissaient par ses avis<br />

et persuasions ».<br />

Tout cela exigeait en effet d'importantes ressources. Mère Marie de Jésus (de Bréauté), qui<br />

a connu Barbe Acarie « au temps de sa jeunesse » 46 , qui lui rendait visite « deux ou trois<br />

fois par semaine » 47 et qui témoigne donc en laïque bien informée (même si elle est<br />

finalement entrée au Carmel), nous éclaire sur le sujet 48 :<br />

« Sa charité était si reconnue que ceux qui voulaient faire quelques grandes<br />

aumônes les lui envoyaient pour en faire la distribution selon les nécessités.<br />

Et je sais en particulier que le Roy Henry quatrième désirant donner quelques<br />

sommes d'argent aux pauvres envoyait prier cette servante de Dieu de se<br />

charger de les distribuer ».<br />

Mère Marie du Saint-Sacrement (de Saint Leu), précise à son tour 49 :<br />

« Cette bienheureuse ne se contentait pas d'employer tous ses biens pour le<br />

service de Dieu et du prochain mais elle demandait l'aumône aux personnes<br />

riches et pieuses pour y contribuer et [je] me souviens qu'en sa maison il y<br />

avait plusieurs bourses et une armoire où les aumônes de quelques grandes<br />

dames étaient, lesquelles cette bienheureuse donnait en garde à sa fille aînée<br />

pour distribuer à la nécessité et aux occasions ».<br />

46 2235-604r.<br />

47 2235-606v.<br />

48 2235-619r.<br />

49 2236-188v.<br />

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Mère Louise de Jésus (Jourdain), première carmélite professe de Pontoise, atteste dans une<br />

anecdote que Barbe Acarie rendait compte de l'emploi des sommes qui lui étaient<br />

confiées 50 :<br />

« Un jour faisant un compte avec quelques personnes, nous fûmes longtemps<br />

sans pouvoir trouver ce compte. Il y avait erreur de cent écus […] Elle prit ellemême<br />

les jetons et compta longtemps[…] ».<br />

En résumé, madame Acarie se comportait à elle seule comme une véritable association de<br />

bienfaisance de nos jours, réunissant des fonds et les gérant, catalysant des énergies,<br />

payant largement de sa personne et de sa fortune, prenant le mal à la racine et<br />

accompagnant les intéressées jusqu'à leur complet établissement.<br />

Elle était aussi attentive aux autres femmes.<br />

50 2236-723r.<br />

Madame Acarie 25 Mars 2001 Michel PICARD<br />

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1.2. LES AUTRES FEMMES<br />

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Voici quelques faits rapportés par André Duval dans son livre ou par Michel de Marillac dans<br />

sa déposition écrite au procès de béatification de sœur Marie de l'Incarnation :<br />

« Une demoiselle ayant été mise à l'inquisition avait trois filles fort belles, bien<br />

parées, bien saines, en grand danger de leur pudicité. Madame Acarie les<br />

plaça dans un logis proche du sien. Elle prit soin de les occuper et de les faire<br />

instruire. La seconde fut religieuse à Montivilliers 51 . ».<br />

« Une pauvre fille, séduite par un gentilhomme et délaissée, était presque au<br />

désespoir ; elle voulait se tuer, elle et son enfant, et se donnait de grands<br />

coups sur le ventre. Envoyée à Paris, elle est adressée à madame Acarie qui<br />

la retire doucement dans une maison proche où elle fut bien traitée et<br />

accoucha heureusement, avant de retourner dans son pays avec de bonnes<br />

instructions et bien disposée à la crainte de Dieu 52 ».<br />

« Une pauvre femme, réduite à une extrême nécessité, vint à Paris chargée<br />

de six enfants afin de trouver à les nourrir ; elle aboutit chez madame Acarie<br />

qui prit soin d'elle et de ses enfants. Mais cette femme, au bout de quelques<br />

temps, s'en alla sans dire adieu et lui laissa tous ses enfants sur les bras sans<br />

qu'on pût savoir où elle s'en était allée. Notre Bienheureuse se chargea de<br />

ces six enfants, et les recueillit avec autant d'amour et de charité que s'ils<br />

eussent été les siens propres, leur faisant apprendre un métier, pour qu'ils<br />

puissent un jour gagner leur vie 53 ».<br />

Cette attitude de madame Acarie à l’égard des enfants nous paraît très belle mais, replacée<br />

dans le contexte de l’époque, elle est très étonnante. C’est ce que le Père Dujardin nous<br />

expliquait le 25 mars 2000 à propos de l’enfance de Jésus, signe de son abaissement :<br />

l’enfance était alors considérée comme une période de « bassesse », de « pauvre<br />

humanité ».<br />

« Madame Acarie a fait longtemps coucher auprès d’elle une fille qui avait<br />

besoin d'une continuelle assiduité sur son esprit, quoiqu'elle fût malade et<br />

51 2236-781v.<br />

52 2236-779v.<br />

53 Op. cit., p. 71.<br />

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travaillée d'un dévoiement et qu'elle eût quasi toute la nuit le bassin sous<br />

elle 54<br />

Et cela dura plusieurs mois ».<br />

En clair, l'état de santé physique et psychique de cette personne nécessitait une attention et<br />

une aide constantes. C'est Barbe Acarie qui assura personnellement ce service toutes les<br />

nuits et pendant plusieurs mois.<br />

On peut utilement rapprocher cette attitude de Barbe de celle qu’elle a eue avec le laquais<br />

Vincent atteint de la peste : dans ce dernier cas, il y a péril de mort alors elle se réserve le<br />

soin de ce malade ; dans l’autre, il faut continuellement veiller sur une personne, alors c’est<br />

elle qui veille la nuit.<br />

Son aide aux femmes se prolongeait donc pendant le temps nécessaire à la remise à flot<br />

des intéressés ; elle pratiquait la charité dans la continuité et l'efficacité, avec beaucoup de<br />

réalisme.<br />

54 2236-780v.<br />

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Madame Acarie Conférences Histoire 99/172 Edition Complète<br />

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6. CHARITÉ <strong>DE</strong> BARBE <strong>ACARIE</strong> ENVERS SON MARI<br />

Que Barbe Acarie ait eu mille attentions pour son mari me paraît avoir été la moindre des<br />

choses car c'était son mari ; de plus le sort de Pierre Acarie n'était pas facile ; Boucher nous<br />

rapporte ses propres paroles 55 :<br />

« C'est une chose très incommode d'avoir une femme si vertueuse et de si<br />

bon conseil ».<br />

Elle recevait d'autre part tant de personnes dans l'hôtel de la rue des Juifs que le pauvre<br />

homme ne s'y sentait plus tellement chez lui. Marguerite Acarie révèle à ce sujet que 56 ,<br />

petite, elle a longtemps couché dans la chambre de sa mère. Barbe elle-même a assuré 57<br />

qu’elle a maintes fois donné son propre lit à une personne de passage. Pierre Acarie voyait<br />

peu sa femme, il était ravalé de fait à un rang bien modeste. Il avait bien des excuses, mais il<br />

est devenu très désagréable et pénible à supporter, c’est le moins qu’on puisse dire.<br />

Barbe, hyper sensible aux autres, avait évidemment une parfaite connaissance de l'inconfort<br />

de la situation de son mari. C'est probablement un peu pour remédier à cela autant que<br />

possible qu'elle lui obéissait en tout… même si elle avait bien d’autres raisons d’agir ainsi.<br />

Les témoignages abondent au sujet de cette obéissance et des formes de celles-ci :<br />

Michel de Marillac 58 :<br />

« Un extrême soin de détourner (de son époux) tout ce qui pouvait lui donner<br />

quelque peine ».<br />

55 J.M.A. Boucher Vie de la Bienheureuse Marie de l’Incarnation dite dans le monde<br />

Mademoiselle Acarie, Paris, Librairie Régis Ruffet, 1873, p. 91.<br />

56 2236-427r.<br />

57 Mère Marie de Saint-Joseph Fournier, 2236-108r.<br />

58 2236-753r.<br />

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Madame Acarie Conférences Histoire 100/172 Edition Complète<br />

Soeur Marie de Jésus (de Tudert) 59 :<br />

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« N'y avait chose au monde qui fût capable de la troubler que la pensée que<br />

son mari se fâcherait ».<br />

Mère Marie du Saint-Sacrement (de Saint Leu) 60 :<br />

« Avec quelle prudence elle s'accommodait aux humeurs de monsieur son<br />

mari et comme elle tâchait de le contenter en tout ».<br />

Certes, Barbe était bien aidée en cela par la passion qui l'animait et dont Soeur Marie de<br />

Jésus (de Tudert) rend pudiquement compte 61 :<br />

« Je lui ai ouï dire qu'elle n'estimait pas beaucoup la vertu d'une âme dont les<br />

passions ne s'émouvaient point ».<br />

Et Michel de Marillac qui, pendant les douze dernières années de la vie de Barbe dans le<br />

monde, ne resta jamais plus de deux jours sans la rencontrer pour l'aider dans ses affaires et<br />

projets, témoigne que cet amour ne faiblit jamais jusqu'à la mort de Pierre :<br />

« Jamais rien ne refroidit ni relâche l'amour tendre qu'elle avait envers lui, le<br />

plus grand que j'ai guère vu en personne ».<br />

Nous autres laïcs mariés connaissons ces périodes plus ou moins étendues d'amour<br />

aveugle pendant lesquelles le moindre désir de l'autre est entendu comme une douce<br />

obligation. Dans le couple Acarie, ce n'étaient pas des périodes mais la vie tout entière ;<br />

l'ancien serviteur Edmond de Messa l'atteste 62 :<br />

« Elle lui obéissait comme un enfant ».<br />

Quelle est la véritable portée d'une telle affirmation ?<br />

59 2235-540v.<br />

60 2236-209v.<br />

61 2235-560v.<br />

62 2236-384v.<br />

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1) L'obéissance des femmes à leur mari était dans les mœurs de l'époque de sorte qu'une<br />

certaine obéissance de Barbe envers Pierre était logique.<br />

2) Cependant, les témoins sont scandalisés par l’autoritarisme de Pierre envers sa femme.<br />

Cela prouve que, même à l’époque, il était très exagéré.<br />

3) Mais, justement, dans le ménage, Barbe jouissait d'un pouvoir que les autres femmes<br />

n'avaient pas : par suite du désintérêt et même, selon Michel de Marillac, de la curieuse<br />

inaptitude de Pierre à la gestion familiale, c'était Barbe qui encaissait les revenus et<br />

payait les dépenses de la famille. C'était certes une charge lourde et malaisée car entre<br />

autres choses Pierre achetait très chers pour les donner, beaucoup de livres sans<br />

prévenir sa femme. Il n'empêche que son pouvoir économique de fait conférait<br />

probablement à Barbe une relative autonomie.<br />

4) Son obéissance absolue n'en était que plus méritoire… et incompréhensible pour le<br />

vulgaire observateur.<br />

5) Quelques indices nous permettent cependant d'accepter intellectuellement une<br />

obéissance aussi totale :<br />

a) Cette obéissance n'était pas infantile : par exemple, lorsque Pierre interdisait à sa<br />

femme d'aller dès l'aube et jusqu'au soir sur le chantier de construction du monastère<br />

parisien, en 1603-1604, elle lui montrait que son absence était nuisible au bon<br />

déroulement des travaux ; mais finalement, elle s'en remettait à Dieu pour qu'il<br />

amenât son mari à changer d'avis.<br />

b) Comme le soulignait ici à notre attention le Père Houdret le 5 novembre 2000, Barbe<br />

cherchait toutes les occasions d'humilité. Il citait à ce sujet un passage du livre<br />

d'André Duval 63 : elle disait que :<br />

« L'humilité était un abîme en profondeur, parce qu'on ne peut aller jusqu'au<br />

fond de son néant, et la charité un abîme en hauteur, parce qu'on ne peut en<br />

atteindre la cime ».<br />

63 Op. cit., p. 362.<br />

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En obéissant à son mari, Barbe Acarie ne cherchait-elle pas à la fois à s'enfoncer dans un<br />

abîme d'humilité et à pratiquer encore plus haut la charité. C'est ce que déclare mère Marie<br />

de Jésus (de Bréauté) 64 :<br />

« Elle recevait les répréhensions de Monsieur Acarie avec une très profonde<br />

humilité ».<br />

c) Barbe obéissait non seulement à son mari mais aussi :<br />

• Dans le monde, à son confesseur et à son directeur 65 ,<br />

• En religion, à sa prieure qu'elle appelait son « Jésus-Christ en terre ».<br />

Cette dernière remarque me suggère une explication théologique :<br />

Tout comme le Fils, en tout égal au Père, s'est fait obéissant au Père, Barbe Acarie,<br />

égale à Pierre Acarie et même le surpassant largement à bien des égards, s'est faite<br />

obéissante à Pierre, par humilité et par charité, par amour. C'est une hypothèse qui<br />

m'est personnelle et je crois que l'épouse Barbe n'a pas obéi à l'époux Pierre parce<br />

qu'elle était la femme et qu'il était l'homme, mais je pense qu'elle voulait être<br />

infiniment petite et lui manifester un amour infiniment grand. Si elle avait été le mari<br />

elle aurait agi de même. Je le répète, c'est mon opinion personnelle.<br />

64 2235-628v.<br />

65 André Duval, op. cit., p. 60.<br />

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7. CONCLUSION<br />

Marie Acarie résume ainsi très clairement la charité de sa mère 66 :<br />

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« [Elle] s'offrait à tous d'un cœur si franc et se rendait si prompte à secourir<br />

que tout le monde venait à elle avec une entière liberté et confiance, à<br />

quelque heure que ce fût, au matin, au soir, pendant le repas, de sorte qu'elle<br />

n'avait pas une heure à elle ; tout le monde était le bienvenu […] Elle exerçait<br />

la charité si fortement et assidûment qu'elle ne donnait repos ni à son corps ni<br />

à son esprit ».<br />

Pourquoi tant d'ouverture aux autres dans le besoin ? Marie Acarie, André Duval et<br />

Marguerite de Gondy nous transmettent quatre axes de réflexion :<br />

« L'esprit de Dieu n'est point oisif. Les personnes qui ne veulent rien faire sont<br />

plutôt charnelles que spirituelles 67 ».<br />

« Quand l'on donne son temps à Dieu, l'on en trouve pour tout le reste 68 ».<br />

« Elle apprenait à ne négliger rien pour petit qu'il fût, quand elle y voyait<br />

quelque avantage pour le prochain 69 ».<br />

« Combien il y a de pauvres dans les rues du monde qui louerait Dieu<br />

autrement que je ne fais, s'ils étaient aussi bien chaussés que moi ?» 70 .<br />

Oraison et charité, charité et oraison, imbriquées l'une dans l'autre, étroitement associées.<br />

C'était la piété restaurée dont parla Sainte Thérèse d'Avila quand elle apparut à madame<br />

Acarie en 1601 :<br />

« La Bienheureuse Thérèse apparut visiblement à [Barbe] qui faisait oraison<br />

et l'avertit que telle était la volonté de Dieu en ces termes : "De même que j'ai<br />

enrichi l'Espagne de cet Ordre très célèbre, de même TOI QUI RESTAURES<br />

LA PIETE EN FRANCE, tâche de faire bénéficier ce pays du même<br />

bienfait 71 ».<br />

66<br />

2236-516v.<br />

67<br />

Marie, 2236-519r.<br />

68<br />

Marguerite de Gondy, 2236-403r.<br />

69<br />

André Duval, op. cit., p. 62.<br />

70<br />

André Duval, op. cit., p. 435, et sœur Marguerite de Saint-Joseph 2235-769r.<br />

71<br />

André Duval, op. cit., p. 330r.<br />

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C'était la pratique exclusive, générale et permanente de l'oraison et de la charité qui rendait<br />

Barbe Acarie apte et digne d'introduire le Carmel en France. Ce n'est pas un raisonnement<br />

humain, c'est une affirmation divine : "Toi qui restaures la piété…" introduis le Carmel en<br />

France.<br />

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L’AMITIE <strong>DE</strong> FRANÇOIS <strong>DE</strong> SALES<br />

POUR <strong>MADAME</strong> <strong>ACARIE</strong><br />

1 ère partie<br />

Conférence de Bernard YON, vice-président<br />

14 avril 2002 Carmel de Pontoise<br />

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TABLE<br />

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1. Introduction ................................................................................................................ 3<br />

2. Le contexte historique et religieux ............................................................................. 4<br />

3. François de Sales à Paris et le cercle Acarie : Les rencontres de 1602.................... 8<br />

3.1. Le but du voyage à Paris ........................................................................................ 8<br />

3.2. Prédications et rencontres à Paris ......................................................................... 13<br />

3.3. Le groupe de l’hôtel Acarie .................................................................................... 16<br />

4. La décision d’introduire le Carmel Réformé en France ........................................... 20<br />

4.1. La question de la direction spirituelle..................................................................... 20<br />

4.2. L’introduction du Carmel réformé en France ......................................................... 23<br />

4.3. Les deux lettres de François de Sales à Madame Acarie...................................... 28<br />

5. Le dernier voyage de François de Sales à Paris en 1618 - 1619............................ 30<br />

6. Quelques derniers mots en matière de conclusion.................................................. 33<br />

Amitié de François de Sales 14 avril 2002 Bernard YON<br />

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1 ère partie 2/34


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1. INTRODUCTION<br />

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Il y a 400 ans, au début de 1602, François de Sales, à Paris, rencontrait madame Acarie<br />

pour la première fois. Pendant les sept mois où il dut résider dans cette ville pour régler des<br />

affaires concernant son diocèse de Genève-Annecy, leurs rencontres furent nombreuses et<br />

laissèrent à François de Sales une très profonde impression. Il en naquit une amitié<br />

spirituelle qui durera toute leur vie et qui, fait remarquable, et peut-être moins connu, devait<br />

s’étendre aux six enfants de madame Acarie, Nicolas, Marie, Pierre, Jean, Marguerite et<br />

Geneviève.<br />

Amitié de François de Sales 14 avril 2002 Bernard YON<br />

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1 ère partie 3/34


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2. LE CONTEXTE HISTORIQUE ET RELIGIEUX<br />

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La relation des faits qui est parvenue jusqu’à nous, nous met en présence de l’avènement<br />

d’Henri IV au trône de France, de l’hostilité de l’Espagne et de la France, de la fin des<br />

guerres de religion, du renouveau du catholicisme au début du XVII ème siècle et de<br />

l’introduction des nouveaux ordres religieux, dont l’ordre du Carmel réformé, en France.<br />

Dans cette vue d’ensemble et après les déchirements dramatiques des guerres de religion,<br />

on ne peut qu’admirer, d’un côté la politique d’apaisement conduite par le nouveau roi,<br />

manifestée d’une part, par la conclusion de la paix de Vervins avec Philippe II d’Espagne (2<br />

Mai 1598) et, la même année, la signature de l’Édit de Nantes et d’autre part, la volonté de<br />

l’Église, volonté sans faille mais patiente et respectueuse de la royauté, pour obtenir<br />

restitution des biens et des bénéfices qui lui ont été usurpés par la Réforme, afin de<br />

retrouver les conditions matérielles nécessaires à la réinstallation de curés dans les<br />

paroisses dont ils furent expulsés par les protestants. Le roi Henri veut bien « rétablir le<br />

catholicisme dans ses droits », vaincre même « l’obstination et la dureté » des opposants,<br />

mais il est « besoin de les vaincre par des raisons conformes audit édit et de les en faire<br />

départir de leur bon gré, afin de ne violer la loi, sur l’observation de laquelle est bâtie la<br />

concorde et la tranquillité publique» 1 .<br />

Mais pourquoi est-ce le roi qui a pouvoir de « rétablir le catholicisme dans ses droits » ?<br />

Cette question mérite une réponse circonstanciée car, elle seule justifie le voyage de<br />

François de Sales à Paris en 1602 avec les conséquences importantes dont il sera fait<br />

mention dans ce texte. On se remémore les conditions vraiment extraordinaires de<br />

l’accession au trône de France du roi Henri IV : d’une part il était le chef du parti protestant,<br />

d’autre part il était l’héritier légitime du trône de sorte qu’il réunissait et confondait en sa<br />

1<br />

Lajeunie, E.J., Saint François de Sales, l’homme, la pensée, l’action, Ed. Guy Victor, Paris<br />

1966, T. II, p. 19O.<br />

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1 ère partie 4/34


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personne les deux doctrines contraires. Henri IV, éclairé par les prélats qui l’ont entouré au<br />

début de son règne, Vendôme, Lenoncourt, Renaud de Beaune, comprit tout le parti qu’il<br />

pouvait tirer du concordat de François 1 er pour jeter les bases d’une alliance durable du<br />

catholicisme français et de la couronne. L’ouvrage qui pratiquement eut force de loi jusqu’à<br />

la révolution en jetant les fondations des règles du Gallicanisme 2 , propose que l’ordre<br />

ecclésiastique parte de l’application du texte du Concordat et qu’il soit dorénavant interprété<br />

dans un sens favorable à la royauté : le roi dispose, par le droit de nomination, de tous les<br />

bénéfices majeurs – le roi est donc le véritable maître des biens du clergé - et il en délègue<br />

seulement la jouissance aux ecclésiastiques. Il choisit donc les bénéficiaires sous réserve de<br />

l’approbation du pape pour ce qui touche à la pureté de la doctrine. La pacification religieuse<br />

de la France, obtenue bien avant celles des autres provinces et états du nord de l’Europe, se<br />

résume donc entre ces deux termes : du côté catholique, église gallicane demiindépendante,<br />

du côté protestant, application de l’Édit de Nantes. « Le principe unique de<br />

cette double solution est l’abandon entre les mains du roi, par les deux causes rivales, de la<br />

partie de leurs prétentions sur lesquelles ni l’une ni l’autre ne voulait céder » 3 . C’est donc<br />

bien au roi de faire restitution des biens de l’Église mais, on le verra, il n’y consentira que<br />

dans le cadre strict de sa politique d’apaisement religieux.<br />

Par ces actes heureux, on est, en France, très loin de la solution imposée par Henri VIII en<br />

Angleterre et de la persécution qui y sévit en conséquence (aussi bien contre les<br />

Catholiques papistes, que les protestants Calvinistes puritains, notons le), en cette époque<br />

où règne dorénavant, sans partage, Élisabeth, digne fille d’Henri VIII (et d’Anne Boleyn)<br />

après la condamnation et décapitation de sa rivale, sa cousine, la catholique Marie Stuart<br />

(1587).<br />

2<br />

Pithou P, Le recueil des maximes et des libertés de l’Église gallicane, ouvrage dont la<br />

première publication est de 1594 et est dédiée à Henri IV.<br />

3<br />

Hanoteaux G, Histoire du Cardinal de Richelieu, Société de l’histoire nationale, Paris 1893, T<br />

I, p. 519.<br />

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1 ère partie 5/34


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Cependant, il demeure que la France de l’époque, comme l’a déjà dit dans ce cadre de<br />

conférences, Monsieur le professeur Bonnichon, est dans un état religieux déplorable. Les<br />

sages décrets du Concile de Trente (1545-1563) ne sont pas encore approuvés par le<br />

pouvoir royal et donc, pas encore appliqués dans notre pays 4 , ceci précisément à cause du<br />

gallicanisme. Le régime de la commende y règne donc. Il dissocie le titre de la fonction, le roi<br />

attribuant les bénéfices des évêchés et des abbayes à qui bon lui semble :<br />

« On les accorde (ces bénéfices) à des laïcs, à des enfants, à des femmes, voire même à<br />

des calvinistes. Beaucoup de ces évêques n’étaient pas prêtres… » 5 . Beaucoup de prêtres<br />

sont d’une ignorance à peine imaginable, l’ordination sacerdotale leur ayant été conférée<br />

sans formation préalable. Enfin de nombreux monastères vivent selon une règle relâchée et<br />

ont besoin de réforme.<br />

Toutefois, à cette époque, Monseigneur de Granier, évêque de Genève et son coadjuteur,<br />

François de Sales, prévôt du chapitre de la cathédrale saint Pierre de Genève (résidant tous<br />

deux, par force, à Annecy), sont des hommes de très haute sainteté comme le sont<br />

probablement, un bon nombre d’autres évêques (Monseigneur André Frémyot, évêque de<br />

Dijon et frère de Jeanne Françoise Frémyot, baronne de Chantal, est certainement de ceuxlà).<br />

Les décrets du Concile de Trente, dont celui qui prescrit aux évêques de créer un<br />

séminaire pour la formation religieuse des candidats à la prêtrise (Session XXIII, chap VII),<br />

seront finalement adoptés et appliqués en France. À l’exemple de Charles Borromée,<br />

évêque de Milan, dès 1606, Richelieu lui-même, dans son évêché de Luçon, commence la<br />

réforme de son clergé avant de reprendre en main les laïcs et la conversion des protestants.<br />

Ses statuts synodaux de 1613 ordonnent « aux prêtres de s’adonner soigneusement à la<br />

piété et à la vertu et de s’étudier à acquérir la science requise de leur ordre ». Ainsi « il a<br />

4 Le concile reçut les ambassadeurs de France dans les sessions XII du 1 er septembre 1521, où<br />

ces derniers demandèrent à être associés aux décisions qui seraient prises, en vertu du gallicanisme.<br />

Ces décisions, comme il se doit, ne furent inspirées que par les intérêts de l’Église et non pas ceux<br />

des princes et en particulier ceux de Henri II.<br />

5 Lajeunie, op. cit. T II, p. 191.<br />

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1 ère partie 6/34


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ouvert la voie dans laquelle s’avancera plus tard, Vincent de Paul et beaucoup d’autres » 6<br />

dont Bérulle que madame Acarie voit déjà comme un « futur réformateur du clergé séculier<br />

» 7 . La réforme des monastères et des ordres religieux sera aussi un important facteur de<br />

renouveau : réforme directe, faite notamment par madame Acarie (par exemple les Filles de<br />

saint Louis de l’Hôtel-Dieu de Pontoise) ainsi que par François de Sales dans son diocèse<br />

de Genève ; introduction en France d’ordres nouveaux ou réformés de l’étranger, le Carmel,<br />

l’Oratoire, les Ursulines ; fondations nouvelles enfin, la Visitation, les Lazaristes, etc. Tout ce<br />

travail spirituel de redressement a déjà ses racines dans le siècle précédent, en particulier<br />

par la fondation des Jésuites en 1534 par Ignace de Loyola (1491-1556) et par l’introduction<br />

des Capucins en 1573, patronnés par Henri III.<br />

Cette époque est enfin celle où, de bonne foi chez beaucoup, on se préoccupe de l’état de<br />

son âme, et cette préoccupation se fonde sur une furieuse envie d’apprendre et de ne croire<br />

que ce qui est juste. Par exemple, l’abbé de saint Cyran, Duvergier de Hauranne,<br />

compatriote et grand ami de Vincent de Paul 8 , fut un homme d’une activité intellectuelle<br />

considérable, et avec Jansénius, il continua « l’étude des Pères, surtout celle si ardemment<br />

commencée de saint Augustin. Ils s’y plongèrent tous deux, de telle sorte que,<br />

maternellement, madame de Hauranne s’en inquiéta : « vous tuerez ce bon flamand à force<br />

de le faire étudier » disait-elle à son fils, en lui représentant la santé fragile de Jansénius 9 .<br />

Chez les laïcs même, est présente la soif d’apprendre quelle est cette vérité par les livres de<br />

spiritualité : madame Acarie en est un exemple 10 , ainsi que Jeanne Françoise Frémyot de<br />

Chantal et Louise de Marillac.<br />

C’est dans ce contexte que prend place, à Paris, la première série de rencontres de François<br />

de Sales et de madame Acarie.<br />

6 Miquel Pierre, Saint Vincent de Paul, A. Fayard, Paris 1996, p. 209.<br />

7 Dagens Jean, Bérulle et les origines de la restauration catholique, DDB, Paris 1952, p. 189.<br />

8 Miquel Pierre, Saint Vincent de Paul, A. Fayard, Paris 1996, p. 209.<br />

9 Gazier Cécile, Ces messieurs de Port Royal, Librairie académique Perrin, Paris 1932, p. 6.<br />

10 Pierre Miquel, op. cit. p. 141, écrit : « Barbe Acarie… s’est fait traduire les ouvrages de sainte<br />

Thérèse d’Avila ». On verra dans la note 37 que cela n’est pas tout à fait exact.<br />

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1 ère partie 7/34


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3. FRANÇOIS <strong>DE</strong> SALES À PARIS ET LE CERCLE<br />

<strong>ACARIE</strong> : LES RENCONTRES <strong>DE</strong> 1602<br />

3.1. Le but du voyage à Paris<br />

Nous sommes en 1600. François de Sales, prévôt du chapitre de la cathédrale et coadjuteur<br />

(non encore ordonné évêque) de Monseigneur Claude de Granier, évêque de Genève, mais,<br />

par la force des choses, tous deux en résidence à Annecy, fait des efforts considérables dont<br />

seul un grand saint est capable, pour regagner au Catholicisme, les régions de la Savoie<br />

tombées dans le Calvinisme. On l’appelle déjà l’apôtre du Chablais tant son œuvre a été<br />

couronnée de succès dans Thonon et sa région. Il s’agit maintenant d’obtenir la restitution<br />

des biens, églises et presbytères et des bénéfices qui y sont attachés, pour rétablir des<br />

curés dans les paroisses qui ont été reconquises, notons le, dans la douceur évangélique<br />

seulement par la prédication publique et l’écoute des consciences droites.<br />

Dans l’application de la paix de Vervins, signée avec Philippe II (qui renouvelait purement et<br />

simplement les clauses du traité de Cateau-Cambrésis 11 ), le Duc de Savoie, Charles-<br />

Emmanuel – Prince de Piémont, ne tient pas les promesses qu’il a faites au roi de France.<br />

Henri IV, à son accoutumée, prend son bien là où il se trouve. Il envoie donc le maréchal de<br />

Biron occuper la Bresse, Crillon entre à Chambéry et Lesdiguières en Tarentaise et<br />

Maurienne. Henri IV lui-même se porte dans le pays de Beaufort. Charles-Emmanuel en<br />

campagne pour gagner le duché de Saluces, n’a pu repasser à temps le col du Grand Saint<br />

Bernard et n’a donc rien sauvé de ses provinces. Ni Berne, ni Genève ne sont entrés dans le<br />

conflit, Annecy s’est tenu coi.<br />

11 Malet & Isaac, L’histoire, l’âge classique, Hachette, Paris, 1959, p. 372.<br />

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1 ère partie 8/34


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Le jeudi 5 Octobre 1600, vers 5 heures du soir, le Duc Henri de Genevois-Nemours 12 ,<br />

introduisait dans son château d’Annecy, Henri IV, ce facile vainqueur. Aucune résistance ne<br />

se manifeste mais une réserve générale est observée par la population. (Ce même jour, le 5<br />

Octobre 1600, ce même Henri IV épouse par procuration à Florence, la princesse Marie de<br />

Médicis, fille du Grand Duc de Toscane.) « Le monarque était arrivé (à Annecy) ayant près<br />

de lui le duc de Vendôme, gouverneur de Bretagne, petit prince de six ans, dont la mère<br />

s’appelait Gabrielle d’Estrées ; il y avait dans l’escorte de sa majesté les ducs d’Épernon et<br />

de Nevers, le maréchal de Biron et, comblée d’honneurs, madame d’Entragues, marquise de<br />

Verneuil, à qui le roi, un an plus tôt, promettait qu’elle serait reine de France 13 » !<br />

La situation politique est un imbroglio délicat pour Monseigneur de Granier et son coadjuteur<br />

François de Sales : auquel des trois, Charles-Emmanuel - Duc de Savoie, Henri - Duc de<br />

Genevois-Nemours et Henri IV - roi de France, faut-il en référer dorénavant pour les affaires<br />

du diocèse, diocèse déjà partagé par les protestants et privé de sa résidence épiscopale :<br />

Genève. Après de légitimes hésitations, François de Sales, puis Monseigneur de Granier<br />

rencontrent Henri IV qui leur déclare : « Rien ne sera innové dans la province de Chablais<br />

contre ce qui a été fait pour la foi et je vous le promets au péril de mon sang 14 ». Malgré<br />

cette déclaration, les choses ne se passèrent pas telles que le roi l’avait promis : le Chablais<br />

fut placé sous le commandement de monsieur de Montglat, protestant, qui fit saisir les blés<br />

des curés du Chablais. Il fallut que François de Sales aille trouver le seigneur de Montglat<br />

12 Trochu Mgr Francis, Saint François de Sales, Ed. Vitte, Lyon, 1955, T I, p. 19, note 2 : « La<br />

Savoie, gouvernée par le Duc Emmanuel Philibert, comprenait plusieurs subdivisions dont le Duché<br />

de Genevois avec Annecy pour capitale – avant le 31 décembre 1564, ce n’avait été qu’un simple<br />

comté renfermant les arrondissements actuels d’Annecy et de Saint Julien, plus une partie du canton<br />

de Genève. Ce comté, le duc de Savoie Charles III, surnommé le Bon, l’avait inféodé en 1514 à son<br />

frère Philippe. Ce Philippe avait été nommé à cinq ans ! évêque de Genève, sans recevoir de<br />

consécration évidemment. A vingt ans, il abandonnait son évêché pour embrasser la vie laïque et<br />

recevoir en apanage le comté de Genevois. Comme il sympathisait avec Charles-Quint et l’Espagne,<br />

François 1 er , pour le gagner à la cause française, lui faisait épouser en 1528, Charlotte d’Orléans, fille<br />

de Louis, duc de Longueville, avec le duché de Nemours dans la corbeille de noces. Voilà comment<br />

son fils et successeur, Jacques de Savoie porte ici le titre assez singulier au premier abord, de duc de<br />

Genevois et de Nemours ».<br />

13 Trochu, op. cit., T I, p. 619.<br />

14 Mercier J, Souvenirs historiques d’Annecy, p. 620.<br />

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1 ère partie 9/34


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dans sa résidence des Allinges pour obtenir de lui « la mainlevée de tout ce qu’il avait fait<br />

saisir » 15 .<br />

La paix fut nonobstant signée à Lyon le 17 Janvier 1601, puis ratifiée par Charles-Emmanuel<br />

qui conservait le marquisat de Saluces, auquel il tenait fort, et cédait à la France un territoire<br />

beaucoup plus important : la Bresse, le Bugey, le Valromey et le pays de Gex.<br />

Ces faits, succinctement rapportés, permettent de se faire une idée de la complexité de<br />

l’exercice du pouvoir et des difficultés extrêmes dans le rétablissement du culte catholique<br />

dans les régions qui avaient été purement et simplement annexées par les calvinistes. Dans<br />

le pays de Gex, passé à la couronne de France, mais qui fait toujours partie du diocèse de<br />

Genève – Annecy, il se pose un grave problème : avant l’invasion protestante « on y<br />

comptait dix prieurés, quarante-deux paroisses, dix chapelles rurales, cinquante à soixante<br />

ecclésiastiques tant séculiers que réguliers » ; au moment de la réunion à la France, les<br />

réformés y possédaient vingt-trois temples, et il n’y avait plus aucune église catholique. Les<br />

huguenots vont-ils « conserver dans le pays de Gex les biens de l’Église dont ils sont les<br />

usurpateurs et non les propriétaires ? » 16 .<br />

Bon gré mal gré, puisqu’il s’agit de la restauration des intérêts supérieurs de l’Église<br />

Catholique, Monseigneur de Granier va donc s’adresser au roi, seul détenteur du pouvoir de<br />

restitution des bénéfices ecclésiastiques usurpés. Le 17 Octobre 1601, de Fontainebleau, le<br />

roi lui répond : « Très cher et bien aimé, ayant permis à nos sujet du bailliage de Gex le<br />

rétablissement de la religion catholique… » 17 puis suivent les dispositions à prendre avec le<br />

baron de Lux, lieutenant du roi au gouvernement de Bourgogne et de Bresse, Valromey et<br />

Gex.<br />

15 Premier procès de canonisation 1627-1632, Editions d’Annecy, T. II, p. 1022-1023.<br />

16 Alloing Louis, Le diocèse de Belley, Chaduc, Belley, 1938, p. 214.<br />

17 Lettre publiée dans l’édition d’Annecy, T XII, p. 81, note 2.<br />

Amitié de François de Sales 14 avril 2002 Bernard YON<br />

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L’évêque et François de Sales, fort instruits des atermoiements et déceptions qui ont marqué<br />

leur action dans le Chablais et, sans doute, peu assurés de l’application in situ des volontés<br />

royales comme l’a déjà fait voir l’affaire du Chablais rapportée ci-dessus, estiment qu’il faut<br />

tant de doigté que de telles affaires se traitent mal entre subordonnés. Il faut se rendre<br />

auprès du roi à Paris même, pour négocier le rétablissement des cures au pays de Gex. Les<br />

Genevois, d’ailleurs, y ont déjà envoyé en délégation les Sieurs Ajorrant et Chapeaurouge,<br />

pour y maintenir leur présence absolue, au nom de l’application de l’Édit de Nantes, dans ce<br />

bailliage qu’ils ont conquis de haute lutte voici maintenant 62 ans. Ils mettent dans leur jeu la<br />

puissante reine d’Angleterre, Elisabeth. Le roi « a la tête farcie de leurs doléances ».<br />

Monseigneur de Granier, incité en cela par le nonce à Paris, voudrait bien entreprendre le<br />

voyage, mais son état de santé déficient le lui interdit tout à fait. Il décide donc d’envoyer son<br />

prévôt du chapitre de la cathédrale (ayant rang de second dignitaire dans un évêché) qui, de<br />

plus, vient d’être nommé coadjuteur (évêque de Nicopolis). « Si Monseigneur de Nicopolis<br />

eût quatre corps, rapporte son biographe de Longueterre, on s’en fût servi aux quatre parties<br />

du monde. Toutes les charges et toutes les affaires étaient réservées à sa conduite ; on ne<br />

faisait rien sans son avis et l’on concluait tout par ses seules délibérations » 18 . On verra qu’à<br />

Paris, ses avis auront aussi du poids !<br />

Pour le moment il prépare son départ et, d’abord, au nom de Monseigneur de Granier, il<br />

rédige un mémoire pour le nonce de France et « une requête au Roi et à Nosseigneurs de<br />

son Conseil » 19 . Comme il est de coutume à l’époque, pour un tel voyage on ne part pas<br />

seul. Le groupe comprend son domestique, Georges Rolland qui lui est inséparable depuis<br />

sa mission du Chablais, le chanoine Philibert Roget, et son ancien précepteur devenu<br />

chanoine du chapitre de la cathédrale, le chanoine Déage. Également se joint à ce groupe,<br />

son très grand ami, Antoine Favre, alors président du conseil du Genevois ainsi que ses<br />

deux fils René et Claude. Le mercredi 2 Janvier 1602, notre groupe prend la route par les<br />

18<br />

De Longueterre, Vie de Saint François de Sales, Cœursilly, Lyon 1624, p. 190.<br />

19<br />

Mémoire pour le nonce, œuvres, édition d’Annecy, T XXII, p. 241 ; et requête au Roi, T XXII,<br />

p. 258.<br />

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grands chemins. Le Rhône est passé à Seyssel, et le 3 Janvier le groupe arrive dans une<br />

des propriétés d’Antoine Favre à Meximieux. Le 10 Janvier, il parvient à Dijon, et le baron de<br />

Lux tient à le loger dans son propre hôtel. C’est là, semble-t-il que François de Sales<br />

rencontre entre autres, le second président du parlement de Bourgogne, le Sieur Bénigne<br />

Frémyot, père de Jeanne Françoise, baronne de Chantal (et qui sera la grand-mère directe<br />

de la marquise de Sévigné). Enfin le 22 Janvier 1602 est la date de l’arrivée à Paris, 20<br />

journées d’un voyage accompli tantôt à cheval tantôt par coche.<br />

La première visite est à la nonciature apostolique. Le nonce indique à François de Sales que<br />

le ministre Villeroi, chargé des affaires étrangères et jouissant d’une très grande audience<br />

auprès du roi, est le premier à devoir être gagné à la cause du bailliage de Gex. Mais le Roi,<br />

lui-même absent de Paris pour une quinzaine de jours, ne sera de retour de Fontainebleau<br />

qu’au début de février. Disons tout de suite que François de Sales comprend que l’exécution<br />

de sa mission va lui demander du temps, en plus de doigté. En fait ce n’est qu’au bout de<br />

trois mois et par des concours de circonstances que certains ont qualifié de providentielles,<br />

qu’il obtiendra audience auprès du Roi lui-même. En effet, François de Sales est invité à<br />

prêcher à Fontainebleau, le dimanche de Quasimodo de 1602 (nous verrons plus loin par<br />

quel concours de circonstances cette prédication lui fut demandée). Il le fit devant une partie<br />

de la cour assemblée autour du Roi ainsi que de Monseigneur du Perron (pas encore fait<br />

Cardinal mais seulement évêque d’Evreux).<br />

C’est de ce dernier que viendra ce commentaire : « Je convaincrai bien les hérétiques mais<br />

je crois que pour les convertir, il faut les mener à monsieur de Genève (c’est ainsi que l’on<br />

désigne à Paris, François de Sales) parce qu’il a reçu de Dieu une grâce particulière pour<br />

toucher les cœurs » 20 . Peut-être, ce compliment a t-il été de nature à conforter Henri IV<br />

dans l’opinion favorable qu’il avait de François de Sales et en particulier sur la méthode<br />

pacifique employée : le Roi, semble-t-il, voulait la conversion des protestants mais jamais au<br />

prix de violences. Ainsi le Roi pouvait, sans crainte, faire droit aux demandes d’une personne<br />

20 Année Sainte, manuscrite, p. 124, citée par Mgr Francis Trochu, T II, p. 656.<br />

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telle que François de Sales. Ce Roi qui s’y connaissait pour juger les hommes, s’est exprimé<br />

alors sur ce personnage : « C’est un oiseau rare, il se trouve être à la fois dévot, docte et<br />

gentilhomme » et encore : « Monsieur de Sales est véritablement un homme de Dieu. Il ne<br />

sait point la manière de flatter et avec cette grande sincérité d’esprit qu’il montre partout, il<br />

est très modeste et ne se méprend jamais mais rend l’honneur à qui il le doit » 21 .<br />

Malheureusement la conspiration du baron de Lux et du Maréchal de Biron contre le roi<br />

Henri IV, en faveur du Roi d’Espagne, ennemi de la France et de son allié le plus constant, le<br />

du Duc de Savoie, entraveront la négociation. Le Maréchal de Biron, qui pourtant fut de la<br />

suite d’Henri IV entrant dans Annecy deux ans auparavant, ne pourra sauver sa tête et l’aura<br />

tranchée dans la cour du Louvre le 31 Juillet 1602. Ainsi, à la première patience pour obtenir<br />

audience il fallut à François de Sales en ajouter plus encore pour gagner une toute petite<br />

satisfaction. Au total le séjour durera sept mois pour obtenir, finalement, le rétablissement de<br />

seulement trois paroisses dans le bailliage de Gex.<br />

Ce temps « presqu’ inutilement employé plusieurs mois » 22 va être mis à profit cependant<br />

pour la prédication et la rencontre de toutes sortes de gens à Paris.<br />

3.2. Prédications et rencontres à Paris<br />

Du Paris où François de Sales fut étudiant pendant deux ans et demi , de 1582 à 1585, ses<br />

vieux maîtres avaient disparu. Toutefois des amitiés et relations familiales anciennes y<br />

demeuraient et en particulier à l’hôtel de Mercoeur où « une affection héréditaire, son père,<br />

son aïeul, son bisaïeul ayant eu l’honneur d’avoir été nourris pages en cette maison » 23 . Cet<br />

hôtel était fréquenté notamment par la Princesse de Longueville qui, un beau jour, fit part<br />

21<br />

De Sales Charles Auguste, Histoire du bienheureux François de Sales, François La Botière et<br />

Jean Juillard, Lyon, 1634, p. 202-203 et p. 206-207.<br />

22<br />

Lettre de Thorens au duc Charles-Emmanuel du 14 octobre 1602, Œuvres, édition d’Annecy,<br />

T XII, p. 123.<br />

23<br />

Oraison funèbre du duc de Mercoeur, épitre dédicatoire, Œuvres, édition d’Annecy, T VII, p.<br />

398-399.<br />

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d’un grand embarras : le prédicateur engagé pour prêcher le carême en la chapelle de la<br />

reine faisait faux bond et Marie de Médicis l’avait priée d’en chercher un autre. François de<br />

Sales n’était-il pas tout trouvé pour emplir cet office ? Cette occasion, semble-t-il, le fait<br />

connaître plus largement. Le supérieur général des Feuillants en fait une description : « Il<br />

avait la voix forte, intelligible et posée, le style très élégant, les termes bons, propres et naïfs,<br />

accommodés à ses pensées qui étaient claires, nettes et nullement confuses ni<br />

enveloppées ; ses conceptions rares, hautes et divines mais traitées par lui d’une façon<br />

commune et si facile que chacun en était capable jusqu’au plus simple peuple qui retenait<br />

aisément ses sermons… Plusieurs ignorants et qui ne savent pas combien cette facilité est<br />

difficile, s’imaginaient qu’ils en eussent fait autant que lui… Il accompagnait tout cela d’un<br />

geste grave et majestueux, mais qui ne tenait en rien du fastueux ni du sévère… » 24 .<br />

Cette éloquence qui vient du fond d’un cœur d’une profonde sainteté, est capable de<br />

provoquer des retours extraordinaires. Celui de Rachel Brochart, femme du Sieur de<br />

Raconis et seigneur de Perdreauville, nous intéresse particulièrement. Cette personne était<br />

une calviniste convaincue et Monseigneur du Perron lui-même, avait en vain, essayé de la<br />

faire changer. Une catholique fervente cependant, madame Acarie, avait persuadé Rachel<br />

de Raconis de venir au Louvre entendre la prédication de François de Sales. Le 25 février<br />

1602, sa prédication portait, pensent les historiens, sur le dernier jugement :<br />

« Ce n’est pas un sermon de dispute. Cependant il se trouva une demoiselle nommée<br />

mademoiselle Perdreauville qui était venue par curiosité ; elle demeura dans les filets<br />

et sur ce sermon prit résolution de s’instruire et dans trois semaines après, amena<br />

toute sa famille à confesse vers moi et fus leur parrain à tous en la confirmation.<br />

Voyez-vous, ce sermon là, qui ne fut point contre l’hérésie, respirait néanmoins contre<br />

l’hérésie, car Dieu me donna lors cet esprit en faveur de ces âmes. Depuis, j’ai toujours<br />

dit que qui prêche avec amour prêche assez contre les hérétiques, quoiqu’il ne dise un<br />

seul mot de dispute contre eux » 25 .<br />

24 De Longueterre, op. cit. p. 149-150.<br />

25 Œuvres, édition d’Annecy, T VII, p. 473.<br />

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Parmi les filleuls il y eut notamment Matthieu de Raconis et trois de ses sœurs dont l’une<br />

sera carmélite. La mère se convertira un peu plus tard. L’admission de la carmélite fera<br />

quelques difficultés précisément à cause de son ancienne appartenance au protestantisme,<br />

mais madame Acarie, avec sa connaissance profonde des âmes et ses jugements très sûrs,<br />

sera d’avis de l’admettre, ce qui, finalement, sera fait 26 .<br />

Nous possédons une seconde narration de cet épisode de la prédication de François de<br />

Sales, très proche de la première, mais qui mérite d’être rapportée, car elle provient d’un<br />

témoin notoire, la mère Angélique Arnauld :<br />

« Ce bienheureux m’a dit que prêchant une fois à Paris, il se sentit transporté tout hors<br />

de lui et par force, porté à charger son discours, qu’il avait pensé que c’était que Dieu<br />

avait quelque dessein pour la conversion de quelque âme, et que deux ou trois jours<br />

après, une demoiselle appelée Mme de Raconis, hérétique, l’était venue trouver pour<br />

se faire instruire en la foi, le mouvement lui en ayant pris à ce sermon, où<br />

mademoiselle Acarie l’avait menée par force ». 27<br />

La princesse de Longueville, la duchesse de Mercoeur (l’oraison funèbre de Philippe<br />

Emmanuel de Lorraine, duc de Mercoeur, en l’église Notre-Dame de Paris, sera prononcée<br />

par François de Sales le 27 Avril 1602), Rachel de Raconis, sont toutes des relations plus ou<br />

moins proches et amies de madame Acarie. Les historiens ont posé de multiples hypothèses<br />

pour savoir par qui, précisément, François de Sales était entré en relation avec le groupe de<br />

l’hôtel Acarie : Bérulle 28 , ou autres ? Point n’est besoin de tant de conjectures quand on<br />

constate la présence grandissante et agissante de François de Sales dans le Paris religieux<br />

26 Louise Abra de Raconis, née en 1567, entrée en 1605 au Carmel à l’âge de 38 ans, fit<br />

profession le 21 janvier 1606 à Pontoise où elle reçut le nom de Claire du Saint-Sacrement. Elle<br />

mourut à Pontoise le 17 juin 1666 : elle aura donc vécu jusqu’à lâge de 99 ans, dont 61 de vie<br />

religieuse ! S’agit-il d’une fille de Madame de Raconis ?<br />

27 Déposition de la mère Angélique Arnault sur les vertus de François de Sales, procès de<br />

béatification dit « de Paris », 1628, publié dans la Revue d’histoire et de littérature religieuse, Libraire<br />

Alphonse Picard et fils, Paris 1906, T XI.<br />

28 Trochu, op. cit., p. 666, affirme que Bérulle fut cet introducteur.<br />

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de l’époque. Il est donc dans l’ordre des choses, et par des liens multiples, que François de<br />

Sales rentre en contact avec l’hôtel Acarie.<br />

3.3. Le groupe de l’hôtel Acarie<br />

L’auditoire présent ici, connaît bien le groupe qui se réunit dans l’hôtel Acarie, situé, croit–on,<br />

entre la rue des Juifs et la rue des Ecouffes 29 . Outre monsieur de Bérulle (qui cherche<br />

encore son orientation spirituelle), on peut y rencontrer Philippe Cospeau, professeur de<br />

l’Université, controversiste et prédicateur déjà réputé (il sera évêque d’Aire, puis de Nantes<br />

et Lisieux) ; André de Sauzéa, professeur au collège d’Autun ainsi que Duval, prêtre zélé,<br />

savant docteur de Sorbonne et grand évangélisateur des pauvres ; Jacques Gallemant, curé<br />

d’Aumale, ami de Jean de Brétigny et grand admirateur des carmels thérésiens 30 ; le Père<br />

Coton, ( qui deviendra le confesseur d’Henri IV à partir de 1608) ; le Père Pacifique ; Jean de<br />

Brétigny dont le père était espagnol et qui, selon certains historiens 31 aurait connu saint Jean<br />

de la Croix en Espagne même et qui fut le premier traducteur des œuvres spirituelles de<br />

Thérèse d’Avila 32 ; Michel de Marillac dont on connaît le rôle éminent d’abord en tant que<br />

membre du parlement, pour l’accession d’Henri IV au trône, puis ensuite pour l’arrivée de<br />

Richelieu au Conseil du roi Louis XIII (après la mort de Luynes), puis la nomination de Garde<br />

des Sceaux et enfin la terrible disgrâce dont Richelieu l’a accablé pour sa fidélité à la reine<br />

mère après la journée des dupes (10 Novembre 1630) . On y rencontre aussi les dames<br />

nobles dont il a déjà été fait mention précédemment : les princesses d’Orléans, Catherine de<br />

Longueville et sa sœur Marguerite d’Estouteville, madame de Bréauté qui finira carmélite, la<br />

marquise de Meignelay…<br />

29<br />

Léon Minot, dans sa monographie de l’hôtel Acarie, citée par Mgr Francis Trochu (T I, p. 664)<br />

indique que la rue des Juifs est devenue la rue Ferdinand Duval (IV ème ) et l’hôtel Acarie correspondait<br />

au n° 11 de la rue actuelle. Cette indication est reprise par Christian Renoux.<br />

30<br />

Lajeunie, op. cit., p. 195.<br />

31<br />

Trochu, op. cit., p. 667.<br />

32<br />

Serouet Pierre, De la vie dévote à la vie mystique, de Sainte Thérèse d’Avila à Saint François<br />

de Sales, Editions carmélitaines 1958, chap. VIII, p. 99.<br />

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Il est sans doute superflu, pour cet auditoire, de présenter plus avant ce groupe. Toutefois<br />

quatre traits méritent d’être notés.<br />

Ce groupe, en langage peut-être trop moderne, est informel. Il ne provient pas de volonté<br />

supérieure ni royale ni ecclésiastique, ni n’a reçu de constitutions. Le lien essentiel qui unit<br />

les personnes qui, de ce fait, forment un groupe, est celui de la recherche de Dieu dans<br />

l’approfondissement de leur vie spirituelle dans l’esprit de l’époque tel que décrit plus haut.<br />

Le groupe se réunit souvent. Selon divers historiens, les réunions seraient tous les trois<br />

jours, voire une fois par semaine au minimum. Il est donc un lieu de vie courante et non pas<br />

une vague académie ou un salon aux activités épisodiques. On le devine donc, la<br />

participation à ce groupe est un facteur de progrès dans la « dévotion » ce mot devant être<br />

pris dans le sens que lui donne François de Sales dans L’introduction à la vie dévote.<br />

Les personnes de ce groupe soit ont des ministères dans l’Église, soit exercent déjà de<br />

hautes fonctions dans la société civile, soit sont des dames, la plupart de la haute noblesse.<br />

Certes toutes ces personnes sont authentiquement tournées vers le service des pauvres, si<br />

nombreux à cette époque, mais elles-mêmes sont issues principalement des milieux cultivés<br />

et, pour certaines, proches du pouvoir des grands du royaume et du roi lui-même.<br />

En observant de plus près l’orientation personnelle de chacun, on remarque, d’une part que<br />

le Carmel thérésien réformé est déjà connu et admiré de plusieurs et d’autre part que les<br />

nobles proviennent presque tous de l’ancien parti catholique ligueur, hormis les Longueville 33<br />

pourtant liés aux Soissons et aux Guise (et bien sûr les Acarie eux-mêmes). On sait combien<br />

la Ligue fut favorable à l’Espagne, pendant les dix années environ (1586 – 1596) où, dans<br />

33 Renoux Christian, Madame Acarie « lit » Thérèse d’Avila au lendemain de l’Édit de Nantes, p.<br />

145, indique que Catherine d’Orléans, restée avec son frère et sa belle-sœur, fidèles à leur cousin<br />

Henri IV, fut à cause de cela, retenue prisonnière par des ligueurs à Amiens, ainsi que plusieurs<br />

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les provinces, elle a exercé un véritable pouvoir de gouvernement. Le roi Philippe II, tandis<br />

qu’il espère placer sa fille Isabelle sur le trône de France, date ses édits de « sa bonne ville<br />

de Paris » 34 , le duc Henri de Guise étant à la fois dupe et complice. L’armée espagnole est<br />

partout présente et, en France, on déteste l’Espagnol. Henri IV rejette cette volonté de<br />

domination de la Castille sur la France ainsi que la théorie qui la soutient : « la monarchie<br />

universelle ».<br />

Parmi ce groupe, qui naturellement n’a pas de préventions très accusées contre la politique<br />

de Philippe II, mais qui, par la proximité du roi fraîchement arrivé au trône, doit se composer<br />

une attitude nouvelle vis à vis de l’Espagne, se trouve certains membres qui ont déjà tenté<br />

d’introduire le Carmel réformé en France. La maréchale de Joyeuse (la mère du Cardinal de<br />

Joyeuse qui consacra cette chapelle en 1610 - voir l’inscription au bas du vitrail de la nef)<br />

aurait envoyé Brétigny (non encore prêtre à cette époque, son ordination sacerdotale ayant<br />

eu lieu le 7 Mars 1598) en Espagne en 1592-1593 et aurait obtenu du roi lui-même la<br />

permission d’installer à Rouen six Carmélites « les voulant d’Espagne même » 35 Ce premier<br />

projet fut suivi d’un nouveau projet, quelque peu différent, conçu en 1596 par Gallemant luimême,<br />

pour introduire les Carmélites dans sa paroisse d’Aumale ; projet lui aussi, avorté.<br />

Que connaissait François de Sales de la spiritualité espagnole lorsqu’il rencontra le groupe<br />

Acarie ? En particulier, avait-il lu les œuvres de Thérèse d’Avila, traduites par Brétigny dès<br />

1601 ? Seules des conjectures sont aujourd’hui possibles. Bien que François de Sales ait eu<br />

une très vaste culture spirituelle et qu’il ait lu les auteurs de son temps, lors de son séjour à<br />

Paris en 1602, il est probable qu’il n’ait pas encore eu de contact avec l’œuvre thérésienne 36 .<br />

En France, quelques personnes seulement ont eu l’occasion de lire la première traduction de<br />

membres de sa famille, lors de leur arrivée dans la ville le 27 décembre 1588. Cette détention fut très<br />

rude et dura plus de trois années jusqu’au 21 janvier 1592.<br />

34<br />

Hanoteaux, op. cit., T I, p. 515.<br />

35<br />

Serouet, op. cit., p. 93.<br />

36<br />

Serouet, op. cit., p. 68.<br />

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Brétigny, et probablement « en 1601, madame Acarie n’ignorait ni l’existence de Thérèse<br />

d’Avila, ni son œuvre de réforme au sein de l’Ordre du Carmel » 37 .<br />

François de Sales, versé dans les questions de la politique française par obligation et non<br />

par goût, ne voit pas dans l’Espagne le danger que la France y voit, car le duc de Savoie,<br />

comme on l’a écrit précédemment, est l’allié constant et loyal de Philippe II. Ainsi, sans<br />

aucune prévention, mais seulement attiré par le haut degré de vie spirituelle de ce groupe, il<br />

y participe de toute sa force : « Il n’y avait point de travaux qui détournassent le zèle de ce<br />

serviteur de Dieu, quoiqu’il fallût faire le chemin presque d’une lieue, depuis la rue Saint-<br />

Jacques jusques à celle qui est derrière le petit Saint-Antoine, lequel il faisait à pied, sans<br />

avoir égard au temps, ni de soleil ni de pluie, parmi la boue dont il y a toujours force à<br />

Paris » 38 .<br />

37<br />

Renoux Christian, op. cit., p. 124. Ce qui est dit ici diffère quelque peu du contenu de la note<br />

10 ci-dssus<br />

38<br />

De Longueterre, cité par Mgr Francis Trochu, T I, p. 668.<br />

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4. LA DÉCISION D’INTRODUIRE LE CARMEL RÉFORMÉ<br />

EN FRANCE<br />

Des relations entre de ces deux âmes d’élite nous ne savons directement que peu de<br />

choses. Est-ce un malheureux hasard qui a fait que sur les milliers de lettres que François<br />

de Sales a écrites, les neuf dixièmes ont été perdues ou détruites 39 et que parmi celles qu’il<br />

aurait écrites à madame Acarie, deux lettres seulement nous sont parvenues, l’une écrite en<br />

1606 et l’autre en 1612. Certains ont prétendu que de la rencontre de 1602 est née une<br />

correspondance qui dura 16 années, mais de cette correspondance il ne reste que ces deux<br />

lettres. Toutefois, au fil de la plume de François de Sales, la mention ou l’évocation de<br />

madame Acarie est fréquente (de 1603 à 1621, on a recensé 15 mentions et peut-être y en<br />

a-t-il d’autres encore) et nous savons par une lettre du 21 Janvier 1612 que l’un des fils de<br />

madame Acarie séjourna à Annecy en 1603-1604.<br />

Pourtant ce que nous savons est très important selon deux angles de vue : le premier<br />

concerne la direction spirituelle, le second l’introduction du Carmel réformé en France.<br />

Voyons de plus près.<br />

4.1. La question de la direction spirituelle<br />

Lorsque, à la fin de mai (ou bien courant de Juin) 1602, dom Beaucousin, chartreux,<br />

confesseur de madame Acarie fut, selon son souhait, envoyé comme prieur de la chartreuse<br />

de Cahors, celle-ci demanda à monseigneur de Sales de bien vouloir l’entendre en<br />

confession : « Cette sainte demoiselle se confessait volontiers à lui (François de Sales) et<br />

Amitié de François de Sales 14 avril 2002 Bernard YON<br />

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1 ère partie 20/34


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hors de la confession lui découvrait ses fautes et imperfections avec une grande<br />

franchise » 40 . Naturellement elle lui demanda de devenir, à présent, son nouveau confesseur<br />

( le 5 Juin 1602 date sa première confession).<br />

Après la mort de Marie de l’Incarnation (18 Avril 1618), François de Sales se sentira autorisé<br />

de prendre chez madame Acarie des exemples en vue de l’édification de certaines<br />

personnes dont il assume la direction spirituelle. À la mère Angélique Arnauld, abbesse de<br />

Port Royal, à Maubuisson (nous verrons par la suite pourquoi Maubuisson apparaît ici),<br />

François de Sales adresse cette lettre de Paris, en date du 15 ou 20 Juin 1619 :<br />

« Le bon père (il s’agit du Père Sans, général des Feuillants) a une opinion fondée en<br />

sa vertu et humilité, qu’on ne puisse pas passer un jour sans péché véniel, dont on se<br />

puisse accuser en confession. Mais l’expérience en ceci m’a fait voir le contraire, car<br />

j’ai vu plusieurs âmes bien examinées ne dire rien que je pusse remarquer être péché ;<br />

et, en autres, l’heureuse servante de Dieu, mademoiselle Acarie. Je ne dis pas que<br />

peut-être il ne se passât pas quelques coulpes vénielles mais je dis qu’elle ne les<br />

pouvait remarquer en son examen, ni moi reconnaître en sa confession, et que, par<br />

conséquent, j’avais raison de lui faire répéter l’accusation de quelque coulpe<br />

ancienne » 41 .<br />

On retrouve le même exemple dans l’un des entretiens spirituels aux Visitandines de la<br />

Galerie, l’avant-veille même du décès de François de Sales :<br />

« Il faut que je vous dise une chose qui m’arriva à Paris, confessant la bienheureuse<br />

Marie de l’Incarnation, qui était encore séculière. Après l’avoir confessée deux ou trois<br />

fois avec beaucoup d’attention, enfin je dis une fois à cette bienheureuse que je ne lui<br />

pouvais donner l’absolution, parce que les choses dont elle s’accusait n’étaient que<br />

minces imperfections et non péchés, et lui en fis dire un qu’elle eût fait autrement…<br />

Elle s’étonna fort que je lui dis ne trouver pas péché véniel et me remercia grandement<br />

de lui avoir donné cette lumière, m’assurant qu’elle n’avait jamais pensé à cette<br />

distinction » 42 .<br />

39<br />

Serouet, op. cit., p. 137.<br />

40<br />

Dom Jean de Saint François, Vie du bienheureux Messire François de Sales, Jean de<br />

Heuqueville, Paris, 1624, p. 163.<br />

41<br />

Œuvres, éditions d’Annecy, T XVIII, p. 390.<br />

42<br />

Œuvres, éditions d’Annecy, T VI, p. 204.<br />

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1 ère partie 21/34


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Dans une autre lettre, François de Sales fait connaître à sa correspondante, la mère de<br />

Chastel, vers la fin de 1618, comment Satan peut illusionner les âmes, en s’appuyant sur ce<br />

qu’il avait appris de madame Acarie :<br />

« Il y eut du temps de la bienheureuse sœur Marie de l’Incarnation, une fille de bas lieu<br />

qui fut trompée d’une tromperie la plus extraordinaire qu’il est possible d’imaginer.<br />

L’ennemi, en figure de Notre Seigneur, dit fort longtemps ses Heures avec elle, avec<br />

un chant si mélodieux qu’il la ravissait perpétuellement. Il la communiait fort souvent<br />

sous l’apparence d’une nuée argentée et resplendissante, dedans laquelle il faisait<br />

venir une fausse hostie dedans sa bouche. Il la faisait vivre sans manger chose<br />

quelconque…<br />

Cette fille avait tant de révélations qu’enfin cela la rendit suspecte envers les gens<br />

d’esprit. Elle en eut une extrêmement dangereuse, pour laquelle il fut trouvé bon de<br />

faire faire essai de la sainteté de cette créature ; et pour cela on la mit avec la<br />

bienheureuse sœur Marie de l’Incarnation, lors encore mariée, où étant chambrière et<br />

traitée un peu durement par feu M. Acarie, on découvrit que cette fille n’était nullement<br />

sainte et qu’il n’y avait chose du monde en elle qu’un amas de visions fausses.<br />

Et quant à elle, on connut bien que non seulement elle ne trompait pas malicieusement<br />

le monde, mais qu’elle était la première trompée, n’y ayant de son côté aucune autre<br />

sorte de faute, sinon la complaisance qu’elle prenait à s’imaginer qu’elle était sainte et<br />

la contribution qu’elle faisait de quelque simulation et duplicité pour maintenir la<br />

réputation de sa vaine sainteté. Et tout ceci m’a été raconté par la bienheureuse Marie<br />

de l’Incarnation » 43 .<br />

François de Sales, notons-le, qualifie naturellement de « Bienheureuse » madame Acarie.<br />

Avec l’assurance de présenter un exemple très sûr, il nous montre une âme ayant un<br />

jugement affûté (parfois à l’excès) pour reconnaître son péché en conscience et pour<br />

débusquer les tromperies du Malin. Autant dire que ces deux exemples nous rassurent<br />

encore davantage pour authentifier les dons mystiques exceptionnels dont madame Acarie<br />

fut gratifiée dès cette époque. Il fut certainement question, entre eux deux, d’autres faits<br />

mystiques, mais François de Sales observera une retenue dont il aura quelques regrets à la<br />

fin de sa vie :<br />

« Quelques mois avant sa mort, je (Jean de Saint-François) lui demandai s’il avait eu<br />

quelque connaissance plus particulière des grâces extraordinaires que Dieu<br />

communiquait à cette sainte damoiselle et que ceux qui ont parlé d’elle ont laissées par<br />

écrit. Il me répondit franchement que non. Pour ce, me disait-il, que d’abord quand il<br />

approchait de cette sainte âme, elle imprimait en la sienne un si grand respect à sa<br />

vertu, qu’il n’eut jamais la hardiesse de l’interroger de chose qui se passât en elle, et<br />

43 Œuvres, Lettre à la mère de Chastel, édition d’Annecy, T XVIII, p. 325.<br />

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n’avait voulu savoir de son intérieur rien plus que ce qu’elle lui en avait voulu<br />

communiquer de son propre mouvement…<br />

Or, disait-il, parlait-elle plus volontiers de ses fautes que de ses grâces ; et je la<br />

regardais non comme ma pénitente, mais comme un vaisseau que le Saint-Esprit avait<br />

consacré pour Son usage…<br />

Oh ! que je fis une grande faute de ne pas faire mon profit de sa très sainte<br />

conversation, car elle m’eût volontiers communiqué toute son âme » 44 .<br />

Ceci montre une fois de plus combien François de Sales reste émerveillé par la beauté de<br />

l’âme de madame Acarie et, naturellement, il adopte une attitude de réserve délicate en face<br />

d’elle. Son regret est de ne pas avoir suffisamment fait son profit de « sa très sainte<br />

conversation » ce qui pourrait suggérer que François de Sales ne se serait pas senti de taille<br />

suffisante pour assumer la direction spirituelle de madame Acarie à cette époque.<br />

4.2. L’introduction du Carmel réformé en France<br />

L’auditoire présent ici connaît, par le détail, le rôle de madame Acarie dans l’introduction du<br />

Carmel en France. Rappelons en résumé l’essentiel des faits :<br />

Madame Acarie reçoit un premier mandement de Thérèse d’Avila (qui n’est pas encore<br />

béatifiée, elle ne le sera qu’en 1614) probablement vers le « début de l’été 1601, en Juin ou<br />

en Juillet » 45 . Trois biographes ont rapporté la teneur et les circonstances de ce<br />

mandement : André Duval, le Père Coton et le Père Manrique. Le premier biographe, André<br />

Duval écrit qu’après la lecture de l’œuvre de Thérèse d’Avila « à peu de jours de là, la<br />

bienheureuse Thérèse apparut visiblement à Marie qui faisait oraison et l’avertit que telle<br />

était la volonté de Dieu en ces termes : « De même que j’ai enrichi l’Espagne de cet Ordre<br />

44 Dom Jean de Saint François, op. cit., p. 163 et 166.<br />

45 Renoux, op. cit., p. 136.<br />

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Madame Acarie Conférences Histoire 128/172 Edition Complète<br />

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très célèbre, de même toi qui restaures la piété en France, tâche de faire bénéficier ce pays<br />

du même bienfait » 46 . De la relation du Père Coton : « Allant de sa maison ouïr la sainte<br />

Messe au petit Saint Antoine, il lui sembla tout à coup de voir la gloire qui répondait aux<br />

perfections de la bienheureuse mère Thérèse … » certains ont pu déduire « que cette vision<br />

a eu lieu en pleine rue et non pas dans un oratoire ou une église, comme le laisse penser le<br />

récit de A. Duval » 47 .<br />

Qu’importe au fond le lieu où ce mandement fut reçu. Madame Acarie, comme il est de règle<br />

, soumet cette vision au discernement de son confesseur le Père Beaucousin qui est<br />

convaincu qu’il s’agit bien là de volonté divine. Fort de cette certitude, ô combien solide s’il<br />

s’agit de discerner la volonté de Dieu dans les visions reçues par d’humbles créatures, le<br />

Père Beaucousin décide, sans doute, de soumettre la réalisation de ce projet à l’examen des<br />

théologiens.<br />

Le projet lui-même, on l’a vu, n’est pas nouveau dans son essence, mais le fait que ce soit<br />

Barbe Acarie qui en soit maintenant chargé, est suffisant pour que soit justifié cet examen.<br />

Les « examinateurs » réunis sont certainement MM. Bérulle, Duval et Gallemant et peut-être,<br />

en plus, Jean de Brétigny, ce qui paraît être tout à fait dans l’ordre des choses possibles et<br />

normales. Ainsi Duval écrit :<br />

« Nous voilà donc réunis dans la cellule du révérend père Beaucousin, le susdit<br />

messire Gallemant, messire de Brétigny, messire de Bérulle, plus tard digne cardinal<br />

de l’Église romaine et moi. L’affaire est proposée à notre examen : on pèse les raisons<br />

pour et contre ; on examine les moyens de réalisation, mais à la vue d’immenses<br />

difficultés, d’immenses obstacles, tous, d’une seule voix, nous rejetons l’entreprise<br />

comme absolument impossible et, unanimement, nous conseillons à Marie<br />

d’abandonner ce dessein ou, au moins, de le laisser en suspens en attendant qu’il<br />

devienne plus facile à réaliser en d’autres circonstances, la puissance divine ayant<br />

écarté les obstacles » 48 . L’obstacle principal était la tension permanente avec<br />

l’Espagne et la suspicion qui aurait pu naître en faisant pénétrer des intérêts espagnols<br />

en France par l’intermédiaire, même déguisé, de supérieurs d’Espagne pour diriger de<br />

bonnes religieuses.<br />

46<br />

Picard Michel, Portrait de madame Acarie, chap. 14, livre en préparation.<br />

47<br />

Renoux, op. cit., p. 134, note 4.<br />

48<br />

Picard, op. cit. chap. 14, p. 3.<br />

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Mais cette objection n’est sans doute pas la seule. Les théologiens « conclurent enfin<br />

d’attendre que Dieu fît paraître davantage sa volonté, le priant d’ouvrir la voie à ce qu’il<br />

commandait, qui paraissait lors fort close (dans l’impasse) ; que s’Il ne le faisait, ils auraient<br />

sujet de croire que cette vision serait plutôt illusion, qui épargnerait leurs peines » 49 .<br />

Que l’on note bien les objections à ce stade de l’affaire : la volonté divine dans les visions,<br />

l’Espagne en lutte contre la France, et l’absence de fondateur (donateur de revenus) autorisé<br />

par lettres patentes du roi à cette fondation, ceci dans un cadre strictement gallican.<br />

Avant mars 1602, une seconde vision vient confirmer madame Acarie dans sa vocation et<br />

« remettre l’affaire sur le tapis ». « Sept à huit mois plus tard, nous dit A.Duval, la sainte<br />

Mère lui apparut pour la seconde fois, plus fortement et puissamment qu’à la première, lui<br />

commandant de mettre derechef sur le bureau cette affaire, l’assurant que nonobstant toutes<br />

les difficultés qu’on y trouvait, elle réussirait » 50 .<br />

Comme cela a été mentionné ci-dessus, Dom Beaucousin quittera Paris pour Cahors vers la<br />

fin de mai 1602 (ou plus probablement au début de juin, comme on va le voir ci-dessous).<br />

Quant à François de Sales, il est à Paris depuis le 22 Janvier 1602. Cette période est donc<br />

cruciale puisque la seconde vision de mars 1602 est certainement, comme la première,<br />

soumise par madame Acarie à son confesseur Dom Beaucousin. Celui-ci, déjà convaincu de<br />

l’intervention divine dans la première vision, ne peut que confirmer la véracité de la seconde<br />

vision et souhaite soumettre le contenu du mandement qu’elle contient à ce même groupe<br />

de théologiens auquel il s’ajoute, tout naturellement dirions-nous, François de Sales. Ce<br />

dernier a été mis au courant des visions par madame Acarie elle-même, et de la seconde<br />

vision en particulier, cela est fort probable.<br />

49 Renoux, op. cit., p. 137.<br />

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1 ère partie 25/34


Madame Acarie Conférences Histoire 130/172 Edition Complète<br />

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Les historiens ne sont pas tous exactement d’accord sur le déroulement de la réunion<br />

d’examen de la deuxième vision. La version la plus vraisemblable est que celle-ci se tint<br />

dans la chapelle des chartreux, ouverte au public, ce qui permit à madame Acarie d’être<br />

présente en personne au débat : « On a trouvé dans les tablettes de saint François de Sales<br />

que le cinquième jour de juin 1602, Melle Acarie, dite depuis la bienheureuse Marie de<br />

l’Incarnation, s’étant confessée à lui, lui avait communiqué son âme et ses finales résolutions<br />

pour avoir les carmélites en France » 51 . François de Sales laisse à madame Acarie la<br />

préséance : « c’était déjà la bienheureuse qui conduisait la barque », cependant qu’il donne<br />

discrètement son approbation.<br />

À cette approbation et compte tenu de ses accointances à Rome, il ajoutera une lettre (à<br />

laquelle il semble n’avoir jamais reçu de réponse) très belle, qui mérite d’être citée car,<br />

comme le dit Pierre Serouet « c’est un honneur pour le Carmel de France qu’un saint<br />

François de Sales ait daigné intervenir auprès du Saint-Père en faveur de sa fondation » 52 .<br />

Cette lettre, en latin, langue que François de Sales maniait avec facilité et élégance, est<br />

adressée au pape Clément VIII en date du 15 Novembre 1602 :<br />

«Très saint Père,<br />

Etant à Paris pour cette affaire de laquelle j’ai écrit, il n’y a pas longtemps, à votre<br />

sainteté, je n’ai pu éviter de prêcher devant le Roi, les Princes et le peuple : à cette<br />

occasion madame Catherine d’Orléans, Princesse de Longueville très illustre, non<br />

seulement par le sang de très grands Princes de sa maison, mais aussi par la charité<br />

de Jésus-Christ, qui aurait dessein de fonder un monastère de Carmélites, m’appela<br />

avec quelques théologiens, pour consulter sur cette fondation. Nous trouvâmes que la<br />

chose était bien considérée, que le conseil prenait son origine de Dieu, et qu’il serait<br />

profitable à plusieurs, à sa plus grande gloire. Une seule difficulté se présenta à nous :<br />

de faire venir des Pères de ce même ordre pour leur gouvernement ; ce qui était très<br />

difficile : mais elle se vida par l’exemple d’un monastère de même règle, qui est sous la<br />

charge d’un Père de la Congrégation de l’Oratoire. Ainsi donc l’on a choisi trois<br />

hommes doués de bonnes mœurs et bien versés aux affaires, pour les gouverner : et<br />

par ce moyen on a satisfait aux difficultés, qui pourraient survenir dorénavant par<br />

l’injure des temps et des lieux. Il ne reste rien maintenant, sinon que le saint Siège<br />

50 Renoux, op. cit., p. 139.<br />

51 Trochu, op. cit., T I, p. 673.<br />

52 Serouet, op. cit., p. 114.<br />

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Apostolique autorise cette affaire ; et déjà le Roi y a baillé son consentement, contre<br />

l’espérance de plusieurs. C’est pourquoi ce messager se va jeter aux pieds de votre<br />

Sainteté, pour la supplier de bailler des Bulles Apostoliques, par lesquelles le tout se<br />

passe et s’achève heureusement : et moi, Très Saint Père, qui ai été présent en tous<br />

les conseils, quoi que je sois indigne que mon témoignage soit entendu, si assurai-je<br />

que ce sera au profit de la Chrétienté, que votre Sainteté autorisera de ses<br />

bénédictions ces célestes mouvements, en ce temps principalement et en ce lieu. Ainsi<br />

le demande très humblement cette vertueuse Princesse ; ainsi que plusieurs autres<br />

personnes et moi pareillement avec elles. Dieu fasse que votre Sainteté vive<br />

longuement en santé pour nous et pour tous les bons.<br />

Très Saint Père,<br />

Votre très humble et très obéissant et indigne serviteur,<br />

François, évêque de Genève» 53 .<br />

François de Sales atteste la véracité des visions et des mandements qu’elles contiennent, il<br />

contourne la difficulté des supérieurs espagnols en donnant sa caution à une solution<br />

originale de supérieurs français, oratorien pour l’un d’entre eux, et enfin, il introduit la<br />

Princesse de Longueville comme fondatrice (au sens de donatrice en fondation) ce qui<br />

facilite, en plus de Rome, la démarche d’acceptation auprès du roi Henri IV. On s’est<br />

beaucoup interrogé sur le rôle de François de Sales dans l’introduction du Carmel en<br />

France : fut-il essentiel ou secondaire ? Au vu de ce qui vient d’être rapporté, il ne fait pas de<br />

doute que ce soutien fut discret mais très fort pour aboutir à une décision qui était, pour le<br />

moins, malaisée. N’hésitons pas à écrire que tous avaient peur, et aucun n’avait le poids<br />

suffisant pour parvenir au but : François de Sales leur a procuré un important<br />

encouragement.<br />

53<br />

François de Sales, Epîtres spirituelles, Edition de sainte Jeanne de Chantal, 1626, livre<br />

premier, p. 17.<br />

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1 ère partie 27/34


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4.3. Les deux lettres de François de Sales à Madame Acarie<br />

Comme on l’a vu plus haut, ce ne sont que deux lettres qui sont parvenues jusqu’à nous,<br />

mais on peut très légitimement supposer qu’il y en eut d’autres. En tous cas nous savons,<br />

par d’autres lettres aussi, que le lien de François de Sales avec le Carmel réformé de<br />

France, a été très constant et étroit. Les deux lettres sont toutes deux, datées d’avant<br />

l’entrée de madame Acarie au Carmel (7 Avril 1614).<br />

La première, du 6 Mars 1606, est adressée de Chambéry à « Mademoiselle Acarie »,<br />

dénomination de l’époque pour les dames mariées :<br />

« On m’écrit de Dijon que monsieur de Bérulle et monsieur Gallemant y sont et même<br />

que monsieur de Bérulle vient de ce côté de deça et qu’il me fera l’honneur de<br />

s’avancer jusque où je serai. Je vous assure que cette seule nouvelle m’a déjà rempli<br />

de joie et de contentement et si cela m’arrive je le tiendrai pour une singulière faveur<br />

de Dieu… »<br />

La note explicative de cette lettre mentionne : « Vers cette date, en effet, les Carmélites de<br />

Dijon se trouvant logées trop à l’étroit, leurs supérieurs songeaient à leur procurer une autre<br />

habitation. C’est sans doute pour négocier cette affaire que MM de Bérulle et Gallemant<br />

séjournaient alors à Dijon » 54 .<br />

La seconde est du 21 Janvier 1612. Le duc Henri de Genevois Nemours, âgé et résidant<br />

maintenant de façon permanente au château d’Annecy, possède aussi un hôtel parisien. Sa<br />

mère, Anne d’Este (épouse en premières noces du Duc de Guise, veuve à 32 ans, épouse<br />

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ensuite en secondes noces Charles Emmanuel de Genevois Nemours) est morte en 1607 et<br />

son frère, Charles Emmanuel, vit en reclus au château de Pierre-Cise. Henri n’ayant pas de<br />

descendance, Bérulle probablement avait demandé à sa parente, madame Acarie,<br />

d’intervenir auprès de François de Sales, pour obtenir la vente de cet hôtel parisien pour y<br />

loger la congrégation naissante de l’Oratoire. Voici la réponse, bien dans le style quelque<br />

peu ampoulé de l’époque :<br />

« Mademoiselle,<br />

Croyez, je vous supplie, que je ressens toujours une très particulière consolation<br />

quand vous me faites le bien de m’envoyer de vos nouvelles et de m’assurer de votre<br />

sainte bienveillance. Si vous m’avez souhaité par delà, j’ai bien correspondu de mon<br />

côté, estimant qu’un voyage serait grandement utile, non aux autres mais à moi qui,<br />

par la conférence que j’aurais avec tant de gens de bien, rafraîchirais les résolutions et<br />

l’esprit qui m’est nécessaire en ma vocation.<br />

J’eusse désiré plus qu’il ne se peut dire, d’être utile au service de la Sainte<br />

Congrégation qui éclôt maintenant sous la direction de monsieur de Bérulle, laquelle<br />

j’ai opinion devoir être l’une des plus fructueuses qui ait jamais été à Paris ; mais je ne<br />

puis en point de façon, Notre Seigneur ne m’en trouvant pas digne, et l’affaire pour<br />

laquelle ledit seigneur Bérulle m’écrivit, impossible, à laquelle néanmoins j’eusse<br />

volontiers contribué de tout mon pouvoir, s’il y eût apparence de la voir réussir.<br />

Dieu, qui par sa miséricorde est auteur de cette bénite assemblée, la logera, la<br />

protègera et dilatera pour le salut et la perfection de plusieurs. Ainsi l’en supplié-je et<br />

qu’il vous fasse de plus en plus abonder en son saint amour, auquel je vous supplie de<br />

me recommander continuellement, comme un personne qui est à jamais,<br />

Mademoiselle… » 55 .<br />

Les termes de François de Sales ne sont certainement pas seulement ceux de l’exquise<br />

politesse dont il a fait montre tout au long de sa vie. Il dit certainement ce qu’il pense à savoir<br />

qu’une rencontre avec le groupe Acarie aurait d’abord été utile pour lui-même dans l’exercice<br />

de sa vocation. Il dit aussi combien il estime que l’Oratoire sera fructueux. Mais,<br />

contrairement à ce que pouvaient penser Bérulle et sa parente, il ne juge pas qu’une<br />

intervention de sa part auprès du Duc Henri ait la moindre chance d’aboutir. Donc il<br />

s’abstient, en dépit de ses bonnes relations à Annecy.<br />

54<br />

Œuvres, librairie E. Vitte, Lyon 1904, T XIII, vol. III, p. 153, lettre CCCXXXIII.<br />

55<br />

François de Sales, Lettres d’amitié spirituelle, éditées par A. Ravier, Bibliothèque<br />

européenne, DDB 1980, p. 415-416.<br />

Amitié de François de Sales 14 avril 2002 Bernard YON<br />

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5. LE <strong>DE</strong>RNIER VOYAGE <strong>DE</strong> FRANÇOIS <strong>DE</strong> SALES À<br />

PARIS EN 1618 - 1619<br />

Après des atermoiements qui durèrent neuf ans au moins, à la fin de Septembre 1618 un<br />

voyage à Paris est décidé par l’habile Charles-Emmanuel afin d’obtenir pour son fils, Victor-<br />

Amédée, prince de Piémont, un homme de trente et un an, la main de Christine de France,<br />

première fille d’Henri IV et de Maire de Médicis, par conséquent sœur de Louis XIII, une<br />

adolescente de douze ans (la seconde sœur de Louis XIII, Henriette, épousera l’infortuné<br />

Charles 1 er d’Angleterre). Pour une telle affaire, Charles-Emmanuel veut que l’escorte qui se<br />

présentera aux portes de Paris soit impressionnante : Monseigneur de Genève, François de<br />

Sales doit en être absolument, ce que ce dernier ne peut évidemment pas refuser à son<br />

prince.<br />

Le 7 novembre 1618, l’escorte arrive à Paris et dès le lendemain, le mercredi 8 Novembre,<br />

une réception est donnée au Louvre où François de Sales rencontre le roi Louis XIII. La<br />

négociation sera menée rondement, Richelieu voyant dans cette union un lien avec la<br />

Savoie, la trop fidèle alliée de l’Espagne. C’est ainsi que le 10 Février 1619, le cardinal<br />

François de la Rochefoucauld, grand aumônier de France, assisté de l’Evêque de Genève,<br />

bénira le mariage du prince de Piémont et de la princesse Christine.<br />

Mais revenons au mois de novembre 1618. Madame Acarie, au Carmel, Marie de<br />

l’Incarnation, n’est plus (depuis 18 Avril 1618). François de Sales pendant ce nouveau séjour<br />

dans la capitale, ne néglige pas les conférences données aux personnes du monde, comme<br />

naguère en 1602 mais qui s’assemblent désormais, tantôt chez les Carmélites, tantôt chez<br />

les Ursulines et tantôt chez les Visitandines dans leur premier couvent parisien. Quel chemin<br />

parcouru en l’espace de 16 ans ! François de Sales rencontre aussi Bérulle qui, comme il<br />

l’avait pressenti, a maintenant fondé l’Oratoire en France, ainsi qu’André Duval, à présent<br />

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tous deux supérieurs généraux de quelque vingt monastères. À son sujet l’Année sainte<br />

rapporte : « Le dix-huitième jour de l’année 1619, ces deux grands serviteurs de Dieu se<br />

confessèrent et se donnèrent mutuellement des avis spirituels sur leur conduite » 56 .<br />

C’est dans des circonstances peu loyales que Monsieur Arnauld obtint pour sa fille<br />

Jacqueline, appelée de son nom de confirmation Angélique, la crosse abbatiale de Port-<br />

Royal-des-Champs. Convertie à la stricte observance à l’âge de 18 ans, celle-ci rétablit une<br />

vie régulière dans cette abbaye. Mais cet autre monastère cistercien, Maubuisson, sis à saint<br />

Ouen l’Aumône, se trouvait encore en 1618 sous le gouvernement extravagant d’Angélique<br />

d’Estrées, sœur de la célèbre Gabrielle. En février 1618, Louis XIII, probablement décidé à<br />

en finir avec vingt-cinq années de dérèglements, donne l’ordre à mère Angélique Arnauld de<br />

réformer Maubuisson.<br />

Pendant ces premiers mois, la mère Angélique Arnauld rencontrera d’invraisemblables<br />

difficultés, ce sont ses propres confidences. Par l’intermédiaire du père d’une des jeunes<br />

filles de Maubuisson (Monsieur de Bonneuil), le 5 Avril 1619, ce père amena François de<br />

Sales au monastère. Par la suite François de Sales revint à Maubuisson plusieurs fois. Son<br />

passage est noté le 17 Juillet et puis vers la fin d’Août 1619. C’est ainsi que la mère<br />

Angélique a pu faire une déposition au procès de canonisation de François de Sales,<br />

déposition du plus grand intérêt pour nous. Elle y dit :<br />

Je l’ai vu cinq fois aller au couvent des carmélites de Pontoise pour rendre honneur à<br />

la bienheureuse sœur Marie de l’Incarnation, qu’il avait fort connue et dont il estimait la<br />

sainte vie et comme il en parlait une fois avec grande affection, partant pour aller dire<br />

la sainte messe en son monastère, il y eut quelqu’un qui lui demanda s’il dirait la<br />

messe en l’honneur de cette sainte sœur ; il répondit : « Oh non ! Dieu m’en garde, il<br />

faut avoir la parole du Saint Siège auparavant, mais je l’invoquerai bien en mon<br />

particulier » 57 .<br />

56 Trochu, op. cit., T II, p. 628.<br />

57 Procès de béatification dit de Paris, op. cit.<br />

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Est-il besoin de souligner que François de Sales, grâce à Marie de l’Incarnation, a célébré la<br />

messe ici même (mais pas « en l’honneur » de celle-ci car elle n’est pas encore « élevée sur<br />

les autels » selon l’expression consacrée). Un autre témoin du procès de canonisation dit :<br />

« Je rapporterai pour preuve l’estime que l’on faisait de cette bienheureuse ce que<br />

nous avons entendu de la bouche du bienheureux François de Sales évêque et prince<br />

de Genève. Un jour il vint exprès en cette ville et en ce monastère pour y faire ses<br />

dévotions à cause du saint dépôt qui y est ainsi qu’il nous le témoigna. Il dit la sainte<br />

messe, il nous donna une prédication… » 58 .<br />

Cette prédication ne nous est, malheureusement, pas parvenue. Mais l’on imagine François<br />

de Sales, déjà auréolé de sa grandeur, reconnue de ses contemporains tant à Annecy qu’à<br />

Paris, donner ici une prédication !<br />

58 Procès de béatification, témoignage 107 de mère Marie de saint Joseph (Fournier).<br />

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6. QUELQUES <strong>DE</strong>RNIERS MOTS EN MATIÈRE <strong>DE</strong><br />

CONCLUSION<br />

François de Sales eut une correspondance avec plusieurs enfants de madame Acarie et<br />

avec des carmélites des différents monastères fondés au cours des vingt premières années<br />

du XVII ème siècle. Dans une lettre datée de Septembre (ou Octobre) 1620 à la fille aînée de<br />

madame Acarie, alors prieure au Carmel d’Orléans, ayant reçu en religion le nom de Marie<br />

de Jésus, François de Sales écrit : « …Mais préparez-vous aussi de m’envoyer alors une<br />

image d’un portrait que vous avez, que j’eusse sans doute fait copier tandis que j’étais à<br />

Paris, si j’eusse su qu’il y en eut un au monde » 59 . Dans la lettre du 24 Avril 1621 adressée à<br />

Michel de Marillac, alors garde des sceaux de Louis XIII, en remerciement de l’envoi du<br />

portrait, il exprime aussi sa joie de la publication de la première biographie par André Duval<br />

(Mars 1621), biographie dont il aura un exemplaire en juin (ou Août) 1621. Il ne fait pas de<br />

doute qu’il lut le texte avec une profonde attention d’autant plus qu’il estime aussi<br />

grandement le biographe :<br />

« Monsieur,<br />

59 Œuvres, édition d’Annecy, Lettre MDCCV de septembre ou octobre 1620, à la mère Marie de<br />

Jésus, prieure du Carmel d’Orléans. Dans la note de la lettre du 20 ou 21 septembre 1619 adressée<br />

par François de Sales à la même (Œuvres, édition d’Annecy, lettre MDLIV Tome XIX, p. 23) on lit :<br />

« La fille aînée de sœur Marie de l’Incarnation, tandis que je fus à Paris il y a 20 ans, était non<br />

seulement ma fille spirituelle mais ma partiale (ma préférée), écrit François de Sales en 1620 ». La<br />

note poursuit : « Peut-être le naturel « bon, franc et naïf » de madame Acarie était-il la cause de cette<br />

inclination particulière, peut-être le saint compatissait-il aux luttes intérieures de la jeune fille, qui,<br />

malgré son attrait pour la vanité, ne pouvait se résoudre à se fixer dans le monde et n’avait cependant<br />

pas le courage d’entrer en religion. Un pèlerinage à Notre Dame de Liesse en 1607 mit fin à ses<br />

hésitations ; six mois après elle devenait sœur Marie de Jésus au Carmel de Paris et le 25 mars 1609<br />

elle prononça ses vœux en même temps que sa sœur Geneviève. Quand sa bienheureuse mère fit<br />

profession au monastère d’Amiens (1615), sœur Marie de Jésus s’y trouvait et l’année suivante elle<br />

fut élue sous-prieure. En 1620, elle prit la conduite de la maison d’Orléans où elle mourut le 2 juillet<br />

1641. Les avis de saint François de Sales « qui lui faisait assez fréquemment l’honneur de lui écrire »<br />

(disent les chroniques de l’ordre – Troyes 1856, T III, p. 185) l’aidèrent beaucoup dans son<br />

gouvernement).<br />

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Je vous rends mille actions de grâces du portrait de la bienheureuse sœur Marie de<br />

l’Incarnation et je ne sais ce que je pourrais recevoir de plus utile et agréable à mon<br />

âme ; puisque d’un côté j’ai un amour si plein de révérence pour cette sainte personne<br />

et d’autre part une si grande nécessité de réveiller souvent en mon esprit les pieuses<br />

affections que sa très sainte communication a excitées autrefois en moi, tandis que six<br />

mois durant j’étais presque son confesseur ordinaire et que sur tant de diverses<br />

occasions du service de Dieu, elle me parlait et entretenait presque tous les jours.<br />

On m’a dit que l’on avait écrit et fait imprimer sa vie ; et ce fut la mère prieure de Lyon<br />

que je vis l’autre jour étant là. Oh quel profit elle rendra et même aux séculiers, si la<br />

pièce de son histoire, du temps qu’elle fut au monde, a été bien représentée, comme je<br />

crois qu’elle l’est, puisque c’est monsieur Duval qu’il l’a composée. En somme si je suis<br />

amateur et admirateur de cette sainte âme et aime tous ceux qu’elle aimait en cette<br />

vie, et vous particulièrement, monsieur, de qui elle-même me procura la bienveillance,<br />

que je vous supplie de me conserver ; et vous remerciant derechef de ce saint portrait,<br />

je vivrai, Dieu aidant, et mourrai Vôtre très humble et très affectionné serviteur.<br />

François, Evêque de Genève » 60 .<br />

L’histoire du portrait mériterait un certain développement, mais il déborde le cadre de cette<br />

causerie. Il importe seulement de savoir que François de Sales ne le trouva pas très<br />

ressemblant, au plan de l’expression spirituelle s’entend. Nous allons entendre, dans la<br />

conférence de Sœur Anne Thérèse, quelle image vivante et profonde François de Sales<br />

avait conservée de Madame Acarie, image de près de vingt ans, car, on l’a dit, il ne la revit<br />

plus après son départ de Paris en 1602.<br />

Voici deux grandes âmes, fortement unies qui ont une forme de spiritualité souvent très<br />

proche l’une de l’autre. Lequel des deux influença l’autre ? La question vaut-elle seulement<br />

d’être posée ainsi ? Certains sont allés jusqu’à penser que madame Acarie est l’une des<br />

Philotées de François de Sales, en tous cas elle reste un exemple vivant de celles qu’il décrit<br />

dans son Introduction à la vie dévote.<br />

683.<br />

60 Œuvres complètes de Saint François de Sales, Albanel et Martin, Paris 1839, T III, p. 682-<br />

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1 ère partie 34/34


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ETRE BÉATIFIÉE EN 1791 :<br />

UNE NOUVELLE MISSION<br />

POUR<br />

MARIE <strong>DE</strong> L’INCARNATION<br />

Conférence de Gérard PELLETIER,<br />

historien et théologien<br />

5 Novembre 2000 Carmel de Pontoise<br />

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TABLE<br />

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1. Introduction ................................................................................................................ 3<br />

2. L’histoire mouvementée d’une cause ........................................................................ 5<br />

3. Les brefs de béatification et la situation de l’Eglise en France ................................ 10<br />

4. Pour une relecture de l’histoire ................................................................................ 16<br />

5. Conclusion ............................................................................................................... 22<br />

Etre béatifiée en 1791 : 5 Novembre 2000 Gérard PELLETIER<br />

Une nouvelle mission pour<br />

Marie de l’Incarnation 2/23


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1. INTRODUCTION<br />

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Le 10 mars 1791, par le bref Quod aliquantum, le pape Pie VI déclarait hérétique et<br />

schismatique la Constitution civile du clergé, nouvelle organisation de l’Église de France<br />

votée par l’Assemblée Nationale Constituante 1 . La volonté de réforme de l’Église mise en<br />

œuvre par l’État se trouvait clairement désavouée par le Saint-Siège, qui entendait que le<br />

domaine spirituel demeure libre de toute mainmise de la part du temporel. Le 13 avril, le bref<br />

Charitas tirait les conséquences canoniques des premiers sacres d’évêques constitutionnels<br />

en les déclarant suspendus de tout ministère, et menacés d’excommunication solennelle.<br />

Le 24 avril de cette même année, jour de Pâques, Pie VI réunissait la Curie à la chapelle<br />

Sixtine pour annoncer la prochaine béatification de la carmélite française Marie de<br />

l’Incarnation. Être béatifiée dans de telles circonstances ne peut manquer d’interroger tant le<br />

croyant que l’historien, sur le sens des événements, sur les corrélations entre les différentes<br />

données historiques qui nous sont connues. Une femme ayant été au cœur de la réforme<br />

catholique du début du 17 ème siècle se trouve élevée sur les autels et donnée en modèle au<br />

terme du siècle des Lumières, dans les débuts d’une Révolution qui allait se révéler<br />

sanglante pour l’Église et en particulier pour l’Ordre du Carmel. Or, ce travail de relecture<br />

des événements et d’analyse de leur portée spirituelle se révèle plus fructueux encore qu’on<br />

ne pouvait s’y attendre.<br />

1 Pour l’histoire religieuse de la Révolution française en général : Cousin Bernard, Cubells<br />

Monique et Moulinas René, La pique et la croix. Histoire religieuse de la Révolution française, Paris,<br />

Le Centurion, 1989 ; Latreille André, L’église catholique et la Révolution française, Paris, Hachette,<br />

1946-1950, 2 vol. ; Leflon Jean, La crise révolutionnaire (1789-1846), Histoire de l’Église depuis les<br />

origines jusqu’à nos jours XX, Paris, Bloud et Gay, 1949 ; Plongeron Bernard (dir.), Histoire du<br />

Christianisme vol. 10 : Les défis de la modernité (1750-1840), Paris, Desclée, 1997. Pour les textes<br />

de Quod aliquantum et de Charitas : Droits de l’Église et droits de l’homme, le bref Quod aliquantum<br />

et autres textes traduits et annotés par Jean Chaunu, Paris, Criterion, 1989.<br />

Etre béatifiée en 1791 : 5 Novembre 2000 Gérard PELLETIER<br />

Une nouvelle mission pour<br />

Marie de l’Incarnation 3/23


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Après avoir parcouru rapidement l’historique de la Cause de béatification de Marie de<br />

l’Incarnation, nous analyserons les deux brefs successifs de la béatification, permettant une<br />

mise en situation dont nous tirerons bien des conséquences.<br />

Etre béatifiée en 1791 : 5 Novembre 2000 Gérard PELLETIER<br />

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Marie de l’Incarnation 4/23


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2. L’HISTOIRE MOUVEMENTÉE D’UNE CAUSE<br />

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Pourquoi une béatification en 1791 ? Il faut d’abord répondre à cette question en reprenant<br />

simplement l’historique de la cause, sa chronologie. Le travail de l’historien sur ce plan est<br />

facilité par L’historique de la cause de la Bienheureuse Marie de l’Incarnation, manuscrit<br />

rédigé par le dernier postulateur, l’abbé Denis Nicolas Imbert de Chatenois et conservé aux<br />

archives du Carmel 2 . Sœur Marie de l’Incarnation, Barbe Acarie, née Avrillot entre après son<br />

veuvage au carmel d’Amiens en février 1614 3 . Elle rejoint la communauté de Pontoise le 7<br />

décembre 1616. Le 18 avril 1618, le père André Duval lui donne les derniers sacrements<br />

quelques instants avant sa mort. « Elle se trouva au ciel sans y penser », rapporte Mère<br />

Agnès de Jésus 4 . Une chose est certaine : elle était déjà appelée « la sainte de Pontoise ».<br />

La chronique du Carmel rapporte :<br />

« Cependant que tout estoit en larmes dans la maison, le bon monsieur<br />

Souvoye, curé de Saint Maclou, faisoit chanter […] dans notre église, en<br />

2 Le manuscrit porte sur la dernière page « achevé d’écrire le 2 octobre 1791 ». Il faudrait<br />

mener une critique textuelle du document pour déterminer si le postulateur peut à lui seul en être<br />

l’auteur, sachant qu’il est régulièrement question de lui à la troisième personne. Quelqu’un tenait-il<br />

une chronique au Carmel ?<br />

Nous tenons à préciser que notre étude repose sur ce document, nous n’avons pas à ce jour<br />

mener d’investigations dans les archives romaines et parisiennes.<br />

3 Pour la vie de Marie de l’Incarnation : la première vie est du père André Duval, La vie<br />

admirable de sœur Marie de l’Incarnation… Paris, 1621 ; Broglie Emmanuel de, « Acarie (Barbe) », in<br />

Dictionnaire d’Histoire et de Géographie Ecclésiastique, tome I, 1912, p. 254-259 ; Bremond Henri,<br />

Histoire littéraire du sentiment religieux en France ; tome II, L’invasion mystique, Paris, Bloud et Gay,<br />

1916 ; Broglie Emmanuel de, La bienheureuse Marie de l’Incarnation ; Me. Acarie, Paris, V. Lecoffre,<br />

1927 ; P. Bruno de Jésus-Marie, La belle Acarie, Paris, Desclée de Brouwer, 1942 ; Dajens Jean,<br />

Bérulle et les origines de la restauration catholique (1575-1611), Paris, Desclée de Brouwer, 1952 ;<br />

Marduel M., Me Acarie et le Carmel français, Paris, X. Mappus, 1963 ; Sr Marie-Thérèse de Saint-<br />

Joseph, « Marie de l’Incarnation », in Dictionnaire de Spiritualité, tome X, p. 486-487.<br />

Pour l’histoire du Carmel de Pontoise : Rigal Marcel, Le Carmel de Pontoise, Lisieux, L’Étoile<br />

d’or, 1960 ; Mellot Jean-Dominique, Histoire du Carmel de Pontoise, tome I, Paris, Desclée de<br />

Brouwer, 1994 (désormais cité HCP).<br />

4 HCP, p. 89.<br />

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Marie de l’Incarnation 5/23


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redoublements d’allelya […] Ce fut […] une chose merveilleuse que presque<br />

en un moment nostre église se trouva pleine de monde, sans estre<br />

aucunement avertis, louant Dieu et se disant l’un l’autre : « La sainte est<br />

morte ! la sainte est morte ! »La foule fut si grande pour la venir voir exposée<br />

que si la grille n’eust esté de la force qu’elle est, tout eust esté brisé » 5 .<br />

Les témoins révèlent comme signe particulier la beauté « de 25 ans » de la défunte, alors<br />

qu’elle a beaucoup souffert. Le culte spontané de la foule est soutenu par un nombre<br />

important de miracles, par une odeur merveilleuse qui se dégage de la tombe lors de ces<br />

miracles, par le fait qu’André Duval écrit aussitôt une vie de Marie de l’Incarnation, publiée<br />

en 1621. Il recense alors pas moins de 23 guérisons. Une idée du culte est donnée par les<br />

seuls chiffres suivants : du 18 avril au 3 juillet 1625, en moins de trois mois, on compte 1566<br />

offrandes de messes et 167 pèlerinages de groupes.<br />

Aussi la cause fut-elle ouverte dès 1622 sur la demande de Pierre Acarie, l’un des fils de la<br />

défunte, devenu prêtre du diocèse de Rouen (dont dépendait alors Pontoise). De 1622 à<br />

1629 se déroule l’enquête in genere auctoritate ordinaria, c’est-à-dire au niveau diocésain.<br />

Marie de Médicis et Bérulle font ensuite ouvrir le procès à Rome, in auctoritate apostolica. Le<br />

pape Urbain VIII Barberini 6 , ancien nonce à Paris de 1604 à 1607, a connu personnellement<br />

madame Acarie : tout semble devoir aller très vite. Le procès sur l’héroïcité des vertus<br />

débute en 1630, on reçoit les dépositions de 193 témoins ; on dresse une liste de 36<br />

miracles retenus.<br />

5 HCP, p. 90.<br />

6 Renoux Christian, « Urbain VIII », in Dictionnaire Historique de la Papauté, sous la direction<br />

de Philippe Levillain, Paris, Fayard, 1994, p. 1683-1687<br />

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Marie de l’Incarnation 6/23


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Mais Urbain VIII a décidé de mettre de l’ordre dans les procédures de canonisation, et la<br />

première mesure adoptée par le décret du 5 juillet 1634 est qu’il faudra attendre cinquante<br />

ans après le décès avant d’ouvrir une cause, et interdire catégoriquement tout culte public. Il<br />

n’y a pas d’exception pour Marie de l’Incarnation : le procès est bloqué au moins jusqu’en<br />

1688, et il faut retirer les cierges qui brûlaient sans cesse autour du mausolée. Commence<br />

également un feuilleton digne d’une série policière : la malle contenant les cinq volumes de<br />

l’enquête diocésaine se perd à Lyon, elle n’est retrouvée qu’en 1656, déposée à la<br />

Congrégation des Rites en 1664 seulement, classée par erreur dans les positions du diocèse<br />

de Paris. On ne peut manquer de remarquer que la cause était confiée à des pères de<br />

l’Oratoire, alors présents à la paroisse Saint-Louis des Français de Rome. La querelle<br />

janséniste, où l’Oratoire est impliqué, n’a pas dû favoriser la cause. Voilà a priori un dossier<br />

bien endormi pour longtemps.<br />

Comment réveiller une cause ? Il faut pour cela une princesse de France devenue carmélite,<br />

madame Louise, fille de Louis XV, devenue mère Thérèse de Saint-Augustin, bientôt prieure<br />

du carmel de Saint-Denis 7 . Elle juge nécessaire, devant le refroidissement de la piété et la<br />

querelle janséniste, de remettre en valeur l’exemple de madame Acarie. Elle fait publier en<br />

1778 une nouvelle biographie, par l’abbé de Montis. Elle confie le dossier aux Lazaristes,<br />

une de ses relations à la cour pour intéresser à cette cause l’ambassadeur du roi auprès du<br />

pape, le cardinal de Bernis 8 , qui fait nommer ponent de la cause l’un des personnages les<br />

plus prestigieux de la Curie de Pie VI, le cardinal Henri, duc d’York 9 , le dernier des Stuart.<br />

7 HCP, p. 209 sv. Sur Thérèse de Saint-Augustin, voir Dictionnaire de spiritualité, Paris, 1991, p.<br />

664-666 (Jean-Paul Besse) ; Hours B, Madame Louise, princesse au Carmel, Paris, 1987.<br />

8 Né le 22 mai 1715, mort à Rome le 3 novembre 1794, créé cardinal par Clément XIII le 2<br />

octobre 1758. Ministre de Louis XV, puis archevêque d’Albi en 1764, il se rend à Rome pour le<br />

conclave élisant Clément XIV en 1769. Il y reste en qualité d’ambassadeur du roi de France auprès du<br />

pape. Masson Frédéric, Le cardinal de Bernis depuis son ministère, 1758-1794, Paris, 1884 ; Vicchi<br />

Leone, Les Français à Rome sous la Convention, Fusignano, 1892 ; Vaillot René, Le cardinal de<br />

Bernis, la vie extraordinaire d’un honnête homme, Paris, 1985.<br />

9 Né le 6 mars 1725, mort le 13 juillet 1807. Fils de Jacques III, il est créé cardinal le 31 Juillet<br />

1747, évêque de Frascatti en 1761. De Camillis M., in Enciclopedia Cattolica, tome XI, 1953, p. 1434 ;<br />

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C’est alors, en 1781, que le dossier est enfin retrouvé dans les archives de la Congrégation,<br />

au moment où Pontoise renvoyait un exemplaire des cinq volumes. Seize lettres de<br />

demande de béatification parviennent au pape qui, chose remarquable, y répond<br />

personnellement. Louis XVI s’implique dans l’affaire. Le décret de réouverture de la cause<br />

est du 7 janvier 1784. De mai à septembre, il y a enquête locale sur l’absence de culte, et<br />

Marie de l’Incarnation en profite pour accomplir l’un de ses miracles les plus retentissants :<br />

Mademoiselle Françoise Geneviève Philippe, née en 1761, infirme, atteinte de crises de<br />

vomissement chroniques, qui a été ramenée à Pontoise pour y mourir, est invitée à suivre<br />

une neuvaine à Notre-Dame-du-Mont-Carmel en priant la future bienheureuse. Lors de la<br />

messe du 16 juillet, elle se lève d’un bond pour aller communier, alors qu’on la croyait en<br />

train de rendre le dernier soupir. Nous retrouverons plus loin cette personne.<br />

Pour l’heure, revenons à Rome : la congrégation des Rites accorde par un vote unanime des<br />

cardinaux l’héroïcité des vertus le 15 octobre 1788. Le 4 janvier 1791, trois miracles de 1622,<br />

1624 et 1625 sont retenus officiellement. Pie VI les entérine le 10 avril 1791. Le décret du<br />

préfet de la Congrégation autorisant la béatification est du 24 avril 1791, saint jour de<br />

Pâques, le décret pontifical du 24 mai, et la liturgie de béatification est célébrée le dimanche<br />

5 juin. Sur la gauche du chœur de la basilique Saint-Pierre, une estrade reçoit les officiels :<br />

Marie-Adélaïde et Marie-Thérèse Victoire 10 , les deux tantes du roi Louis XVI, autrement dit<br />

les sœurs aînées de Madame Louise, décédée entre-temps le 23 décembre 1787. Elles<br />

étaient venues à Rome non pour célébrer cet événement spirituel, mais parce qu’une<br />

Révolution les avait amenées à fuir leur pays dans la crainte. Pie VI et le cardinal de Bernis<br />

les avaient reçues avec un faste proportionné à leur opposition à la Révolution de France, à<br />

leur désir de voir se rétablir l’ancien ordre des choses.<br />

Bindeli P., Enrico Stuart, Cardinale Duco di York, Frascatti, 1982.<br />

10 Nées en 1732 et 1733. Elles arrivent à Rome le 16 avril 1791 et sont logées à l’ambassade<br />

de France par le cardinal de Bernis, qui leur abandonne un étage entier. Honneur exceptionnel,<br />

quelques jours après la réception au Vatican, le pape se déplace pour leur rendre visite à leur<br />

domicile, et les combler de cadeaux.<br />

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Cette coïncidence entre l’aboutissement d’une cause française à Rome et les événements<br />

de Paris amène à lire avec attention le décret du 24 avril et le bref du 24 mai. La vie de la<br />

nouvelle bienheureuse est relue avec une grille de lecture qu’il convient de décrypter.<br />

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3. LES BREFS <strong>DE</strong> BÉATIFICATION ET LA SITUATION <strong>DE</strong><br />

L’EGLISE EN FRANCE<br />

A ce stade de l’exposé, il convient de présenter rapidement un homme, et son regard sur<br />

l’Église qu’il préside. Gianangelo Braschi, né le 25 décembre 1717 11 , est devenu pape en<br />

février 1775 au terme d’un conclave de plus de quatre mois, marqué par les divisions du<br />

Sacré-Collège au lendemain de la suppression de la Compagnie de Jésus 12 par le pape<br />

Clément XIV 13 . Braschi est devenu pape grâce au cardinal de Bernis qui attire l’attention<br />

des cardinaux sur cet homme, ancien trésorier de la Chambre Apostolique, qui a traversé la<br />

crise précédente sans que l’on sache vraiment ce qu'il pense : aussi peut-il satisfaire les<br />

deux partis, celui des Couronnes, soumis aux Bourbons, hostile aux Jésuites, et celui des<br />

zelanti défenseurs de l’indépendance de l’Église. Braschi choisit le prénom Pie pour rendre<br />

hommage à Saint Pie V, et dès sa première encyclique de Noël 1775 (année jubilaire), il<br />

fustige la philosophie des Lumières qu’il voit avec horreur se répandre dans l’Église.<br />

L’orientation théologique de son pontificat sera clairement de renforcer la primauté de<br />

juridiction du pape sur l’Église, pour relever celle-ci de la déconsidération générale qui la<br />

touche. Mais il se heurtera sans cesse aux prétentions des souverains éclairés : l’empereur<br />

Joseph II réforme l’Église de ses États, ferme les monastères de contemplatifs et forme son<br />

clergé dans des séminaires jansénisants. Le grand duc Léopold de Toscane soutient<br />

l’évêque de Pistoie Scipion de Ricci dans un synode diocésain réformateur en 1786 14 . Les<br />

11 Caffiero Marina, « Pie VI », in Dictionnaire Historique de la Papauté, sous la direction de<br />

Philippe Levillain, Paris, Fayard, 1994, p. 1330-1334. Les deux dernières biographies de ce pape<br />

sont : Gendry Jules, Pie VI, sa vie, son pontificat, 1717-1799, Paris, 1907 ; Pastor Ludwig von, Storia<br />

dei Papi, vol. XVI/3, Rome, 1934.<br />

12 Le bref Dominus ac Redemptor supprime purement et simplement la Compagnie de Jésus le<br />

21 juillet 1773, Clément XIV cédant aux pressions des souverains catholiques d’Europe.<br />

13 Boutry Philippe, « Clément XIV », in Dictionnaire Historique de la Papauté, sous la direction<br />

de Philippe Levillain, Paris, Fayard, 1994, p. 394-397.<br />

14 Sur ce synode de Pistoie, voir Carreyre Jean, « Pistoie (synode de) », in Dictionnaire de<br />

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archevêques électeurs de la région rhénane s’opposent à la création d’une nonciature à<br />

Munich. Mais encore, la Tsarine Catherine II réorganise l’Église catholique de Russie et<br />

protège les jésuites, imposant sa volonté au pape. Louis XVI sera pour le Saint-Siège le<br />

souverain d’Europe le plus calme, n’ayant à régler que l’affaire du cardinal-collier.<br />

C’est donc un pape meurtri par tant d’humiliations et d’oppositions que vient toucher la<br />

Révolution française. Dès mars 1790 15 , Pie VI a mis en garde Louis XVI sur le danger des<br />

réformes projetées dans l’Église gallicane. Les vœux religieux ont déjà été supprimés dans<br />

la loi civile, les biens de l’Église mis à la disposition de la Nation. Le texte de la Constitution<br />

civile du clergé a été envoyé à Rome par le roi pour que l’Église valide canoniquement<br />

certains aspects de la réforme : la nouvelle carte des diocèses et métropoles, la désignation<br />

des évêques et des curés par élection, la suppression des chapitres et leur remplacement<br />

par un conseil épiscopal, l’extension des facultés de dispenses des évêques au détriment de<br />

la cour de Rome ; Pie VI aurait bien parlé plus tôt, mais de Bernis l’en dissuade, et surtout,<br />

devant la tournure des événements et la course effrénée aux réformes, le pape attend de<br />

connaître les prises de positions de l’épiscopat gallican, ordinairement si distant de Rome,<br />

pour parler ouvertement. D’où l’attente de l’été 1790 à mars 1791 : Pie VI sait que seuls<br />

quatre évêques ont prêté serment à la nouvelle constitution quand il proclame sa<br />

condamnation par le bref Quod aliquantum.<br />

Les deux textes qu’il s’agit d’étudier sont donc rédigés dans ce contexte précis : la<br />

condamnation de la Constitution civile du clergé. La vie de madame Acarie est relue selon<br />

Théologie Catholique, vol. XII/2, Paris, 1935, p. 2134-2230 ; Lamioni Claudio, Il sinodo di Pistoia del<br />

1786, Rome, 1991, Stella Pietro, Il giansenismo in Italia, vol. II/1, Rome, 1995 ; pour la réédition des<br />

actes : Stella Pietro, Atti e decreti del concilio diocesano di Pistoia dell’anno 1786, Florence, 1986, 2<br />

vol.<br />

15 Discours Communicamus vobiscum en consistoire du 29 mars 1790, en Guillon Nicolas<br />

Sylvestre, Collection des Brefs et instructions de N.S.P. le pape Pie VI, Paris, Leclere, 1798, vol. I, p.<br />

2-13.<br />

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ces événements. Le décret du cardinal Archinto s’ouvre ainsi :<br />

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« Pendant qu’en France la puissance et l’unité de l’Église sont outragées par<br />

tant et de si odieuses entreprises et que le Cœur vraiment paternel du<br />

Souverain Pontife Pie VI en est affecté de la plus vive douleur ; ce même<br />

royaume lui fournit un objet consolant dans la personne de la Vénérable<br />

Servante de Dieu Marie de l’Incarnation ».<br />

Plusieurs thématiques apparaissent clairement.<br />

D’abord celle de la résistance à l’hérésie protestante. Il n’est point question de<br />

l’appartenance de monsieur Acarie à la Ligue, de son exil par Henri IV. Mais à l’heure où<br />

l’Église de France est à nouveau divisée par un schisme et une hérésie derrière laquelle on<br />

pointe du doigt protestants et jansénistes, les vertus de Marie de l’Incarnation sont posées<br />

comme modèles : « La Servante de Dieu mettait tout en œuvre pour extirper entièrement les<br />

hérésies ».<br />

Parmi les conséquences de cette action, le fait d’agir pour que les prêtres soient bien armés<br />

contre l’hérésie : comment ne pas penser ici aux divisions du clergé français entre jureurs et<br />

réfractaires ?<br />

« Elle n’épargnait ni ses peines ni son argent pour obtenir des prêtres et<br />

dignes ministres de Jésus-Christ qui travaillassent à faire rentrer dans le sein<br />

de l’Église ceux qui en étaient malheureusement écartés, et pour ensuite<br />

affermir par de bons enseignements ceux qui venoient à résipicence ».<br />

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Venir à résipiscence, c’est ce qui est attendu du clergé jureur. Les brefs pontificaux ne<br />

manqueront pas de les appeler au retour dans l’unité hiérarchique de l’Église. Et lorsque les<br />

États du pape devront loger dans l’urgence plus de 3.000 prêtres chassés de leur pays,<br />

Rome veillera à ce qu’ils reçoivent « de bons enseignements », enfonçant un coin dans les<br />

traditions gallicanes 16 .<br />

Ce clergé est dépouillé de ses biens, privé de sa liberté et de sa possibilité d’offrir aux fidèles<br />

un culte resplendissant. On supprime les chapitres, privant les cathédrales et collégiales des<br />

offices sacrés. Or la bienheureuse veillait à la beauté de la liturgie. « Nos autels avoient-ils<br />

besoin d’ornemens, ou falloit-il en fournir pour le Sacrifice quelques’uns qui fut plus précieux,<br />

ses mains y étoient employées ou celles de dames chrétiennes qui à sa recommandation<br />

s’en occupaient ».<br />

La législation ne reconnaît plus les vœux religieux et supprime les ordres, en particulier les<br />

contemplatifs : madame Acarie fit tout pour implanter en France la réforme de Sainte<br />

Thérèse, consciente de la nécessité de cette refondation de la vie contemplative au<br />

lendemain des malheurs du schisme protestant.<br />

Enfin, et surtout, Marie de l’Incarnation portait un grand respect aux évêques et au pape :<br />

« Marie de l’Incarnation a toujours fait une grande estime de l’autorité que<br />

Dieu a donné à son Église, elle a eu à cœur de lui obéir en tout, même aux<br />

établissements et usages qui paroissoient les moins importans, elle respectoit<br />

les évêques comme des anges envoiés du Ciel. Sa foi lui faisoit envisager<br />

surtout le Souverain Pontife comme Celui en qui la puissance et le degré<br />

d’élévation étoit le plus éminent, aussi ne prononçoit elle son nom qu’avec un<br />

témoignage particulier de respect de manière que tout ce qui émanoit du chef<br />

visible de l’Église étoit reçu de sa part avec joie et contentement ».<br />

16 Picheloup René, Les ecclésiastiques français émigrés ou déportés dans l’État pontifical,<br />

1792-1800, Publications de l’Université Toulouse-Le mirail, série A, tome 15, 1972.<br />

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Une manière d’appeler les prêtres, qui pour moitié environ ont prêté le serment civique, à<br />

rentrer dans l’obéissance à leurs évêques, et aux évêques à rester unis autour du Saint-<br />

Père, ce qui n’allait pas de soi ; le bref Quod aliquantum fut publié avec un mois de retard à<br />

Paris, et le comité des évêques groupés dans la capitale discutait encore des libertés<br />

gallicanes. Que l’on pense au fait que le 3 mai, l’effigie de Pie VI allait être brûlée par des<br />

révolutionnaires dans les jardins du Palais-Royal, amorçant la rupture des relations<br />

diplomatiques entre Paris et Rome. La conclusion du décret s'impose :<br />

« C’est pourquoi il est indubitable que cette Servante de Dieu voiant du haut<br />

du Ciel qu’en France (sa patrie) la discipline de l’église est renversée de fond<br />

en comble, que son régime est soumis au civil sous lequel il est comme en<br />

esclavage, que les droits sacrés de l’épiscopat sont enchaînés que les<br />

pasteurs sont chassés de leurs sièges, que l’autorité suprême du Saint Siège<br />

et sa juridiction sont à présent étrangères à ce royaume ou on ne les<br />

reconnoit plus ; il est hors de doute disons-nous que cette Vénérable ne voie<br />

qu’avec indignation le désordre et le renversement de toute l’économie<br />

ecclésiastique et religieuse ; et qu’en présentant à ses patriotes égarés<br />

l’exemple de ses vertus ils pourront revenir de leurs égarements. Il nous est<br />

donc permis d’espérer de la bonté de Dieu que proposant aux fidèles de<br />

rendre un culte public à Marie de l’Incarnation les françois pour l’honorer<br />

dignement imiteront ses vertus et que le fruit qu’ils en recueilleront consistera<br />

en ce que la charité patriotique de cette Servante de Dieu fera refleurir en<br />

France la vraie religion.<br />

Comme souvent dans ces circonstances, le bref pontifical du 24 mai est moins explicite sur<br />

les différents exemples de vertus de la bienheureuse ; mais le ton demeure le même. Elle a<br />

lutté contre l’hérésie de Calvin et servi la religion catholique. Le bref s’arrête un moment sur<br />

l’humilité de Marie de l’Incarnation, qui ne voulut être dans sa fondation qu’une simple<br />

converse, et qui fut soumise un temps au gouvernement de sa propre fille 17 . La remarque est<br />

17 Au carmel d’Amiens, Marie de l’Incarnation eut pour sous-prieure sa fille Marie (sœur Marie<br />

de Jésus) durant moins d’un an. La prieure était également une ancienne fille spirituelle, sœur Anne<br />

du Saint-Sacrement, qui d’ailleurs lui mena la vie dure, provoquant sans doute le transfert vers<br />

Pontoise. HCP, p. 78.<br />

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d’autant plus importante que les considérations sur les attitudes spirituelles demeurent rares<br />

dans les brefs de Pie VI, mis à part la soumission aux décrets de la providence, alors bien<br />

incompréhensible. Le Saint-Père semble appeler chacun à l’obéissance à l’Église,<br />

l’insubordination et l’esprit de liberté étant des plaies semées par cette philosophie des<br />

Lumières. Dès son encyclique de 1775, Pie VI recommandait aux évêques de veiller à la<br />

formation du clergé, à la beauté du culte, à l’éloignement de la philosophie incrédule :<br />

« Et après s’être enveloppés de ces ténèbres et avoir arraché tout sentiment<br />

de religion de leurs cœurs, ces philosophes pervers entreprennent ensuite de<br />

rompre tous les liens dont les hommes sont unis entre eux, et avec leurs<br />

souverains, et qui les contiennent dans le devoir. Ils fatiguent les oreilles du<br />

peuple à force de leur crier que l’homme est né libre, et ils soutiennent qu’il ne<br />

doit reconnoitre l’empire de personne, que par conséquens la société civile<br />

n’est autre chose qu’un assemblage d’hommes imbéciles dont la stupidité se<br />

prosterne devant les prêtres qui les trompent, et devant les rois qui les<br />

oppriment, de manière que l’union du sacerdoce avec l’empire ne forme<br />

qu’une conspiration horrible contre la liberté, qui est l’appanage naturel de<br />

chaque homme. Qui ne voit pas que tous ces délires et tous les autres de<br />

même nature enveloppés de mille artifices deviennent d’autant plus<br />

préjudiciables au repos et à la tranquilité publique, qu’on diffère la punition<br />

due à ces impiétés, et que les âmes rachetées par le sang de Jésus-Christ<br />

souffrent un préjudice d’autant plus grave que les discours pernicieux de ces<br />

hommes étendent de plus en plus leurs ravages, qu’ils s’ouvrent une entrée<br />

dans les académies publiques, dans les maisons des grands, dans les cours<br />

des rois, et, ce qu’on ne peut dire qu’avec horreur, jusque dans le sanctuaire<br />

même » 18 .<br />

A ce premier niveau de lecture des textes doit s’ajouter une autre relecture : celle de<br />

l’histoire spirituelle du Carmel de France et de sa place dans la Révolution par le martyre des<br />

seize carmélites de Compiègne.<br />

18 Lettre encyclique Inscrutabile divinae sapientiae, du 25 décembre 1775, § 7. Traduction du<br />

cardinal de Bernis. Archives du ministère des Affaires Étrangères, correspondance politique, Rome,<br />

reg. 874, P. 381-396.<br />

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4. POUR UNE RELECTURE <strong>DE</strong> L’HISTOIRE<br />

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La reprise de l’histoire spirituelle du Carmel ne peut manquer de charger encore de<br />

signification ce rapport entre la politique religieuse de Pie VI et la béatification de Marie de<br />

l’Incarnation.<br />

D’abord, Pie VI œuvre avec fermeté contre le jansénisme. Les écrits pamphlétaires contre<br />

« la secte » sont très nombreux à Rome dans les années de la Révolution, et le grand travail<br />

théologique de la Curie est alors, par le travail de trois congrégations particulières<br />

successives, de préparer la condamnation du synode de Pistoie par une constitution<br />

apostolique. Celle-ci sera publiée le 28 août 1794 sous le nom d’Auctorem fidei. Or, il est<br />

remarquable de noter combien le carmel Saint-Joseph de Pontoise fut durant le 18 ème siècle<br />

le fer de lance de la protection de l’Ordre contre ce courant religieux. En 1728, le confesseur<br />

du carmel avait été changé par crainte d’influence janséniste. Monseigneur Louis Bernard de<br />

la Taste, visiteur général des carmels de France, eut à cœur de déjanséniser plusieurs<br />

carmels, dont ceux de Saint-Denis, de l‘Incarnation de Paris, et de Troyes. Il le fit en y<br />

amenant des carmélites de Pontoise 19 . C’est dans ce Carmel purifié que Madame Louise<br />

fera profession.<br />

Second élément, l’œuvre en France de la commission des réguliers. Devant la crise de<br />

confiance dans la vie religieuse, et la mauvaise santé spirituelle de bien des couvents, cette<br />

commission, sous la conduite de Monseigneur Loménie de Brienne 20 , l’un des futurs<br />

19 HCP, p. 188 sv.<br />

20 Né en 1727, créé cardinal le 15 décembre 1788, mort le 6 février 1794. Lors de la Révolution,<br />

il est archevêque de Sens et prête le serment civique, ce qui lui vaut d’être « décardinalisé » par Pie<br />

VI. Sur la commission des réguliers, voir Chevallier Pierre, Loménie de Brienne et l’ordre monastique<br />

(1766-1789), Paris, 1960, 2 vol.<br />

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évêques jureurs, fit fermer de 1766 à 1784 près de 430 maisons religieuses, et dissoudre<br />

plusieurs Ordres. Or, par la qualité de son recrutement, son absence de lien avec le<br />

jansénisme, et l’œuvre de madame Louise, le Carmel français traversa la crise la tête haute.<br />

À la veille de la Révolution, il est l’Ordre ayant certainement la plus haute santé spirituelle. Il<br />

y a même encore une fondation à Alençon en 1780. Le recrutement n’a pas faibli à Pontoise,<br />

tandis que les maisons des jésuites, des bénédictins et des bénédictines ont été fermées. 35<br />

religieuses sont là en 1790. Le recrutement se fait mieux dans les classes moyennes de la<br />

bourgeoisie urbaines 21 . À cela ajoutons que lors de la fermeture des carmels des Pays-Bas<br />

autrichiens à cause de la politique de Joseph II, les carmélites se réfugient dans les<br />

communautés françaises : de mars 1783 à mai 1790 et août 1791, 9 religieuses de Courtrai<br />

et de Bruges font partie du carmel Saint-Joseph. La notion de persécution, les<br />

conséquences du réformisme inspiré par les Lumières et par le jansénisme ne sont donc<br />

pas, à la veille de 1789, des idées vagues, mais vécues déjà concrètement par la<br />

communauté.<br />

Ceci peut expliquer la lucidité et le prophétisme présent dans le Carmel de France. Lucidité<br />

de madame Louise qui écrivait en 1782 à Pie VI :<br />

« La tempète qui a ravagé une partie du carmel (des États de l’empereur) a<br />

répendu la désolation… Au milieu de nos pleurs la certitude où nous sommes<br />

que le cœur paternel de Votre Sainteté partage notre affliction nous console et<br />

nous soutient ; mais cette consolation… nous deviendroit infiniment plus<br />

sensible si dans ce moment-cy, il vous plaisoit de nous accorder une grace<br />

que nous sollicitons depuis plus d’un siècle et que toute la France a sollicitée<br />

et sollicite encore avec nous : c’est la canonisation de notre vénérable sœur<br />

Marie de l’Incarnation… quel triomphe (ce serait) pour nous… si, tandis que le<br />

monde nous regette, le (pape) proposoit à leur vénération une seconde<br />

fondatrice (de l’ordre) et la leur montroit couronnée dans le Ciel : quel force,<br />

quel courage inspireroit dans la retraite du monde, cette couronne que vous<br />

feriés briller… quelle ressource pour nos pauvres sœurs, en se laissant<br />

arracher l’habit qu’elles portent, de pouvoir invoquer celle dont en quelque<br />

21 HCP, p. 198.<br />

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maniere elles le tiennent ! » 22 .<br />

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« Se laisser arracher l’habit » : ce sera bientôt le sort des carmélites de France, expulsées<br />

par exemple de Compiègne le 14 septembre 1792, de Pontoise le 30 septembre.<br />

Prophétisme au carmel de Compiègne, avec l’histoire du songe de sœur Elisabeth Baptiste<br />

en 1693, ayant vu la communauté au ciel vêtue de blanc, invitée à suivre l’agneau « sauf<br />

deux ou trois sœurs ». Cette tradition du carmel de Compiègne revint à l’esprit des sœurs<br />

dans une récréation de Pâques 1792, et fut consignée par écrit dans le livre des Fondations<br />

du monastère 23 .<br />

Parlant du carmel de Compiègne, nous ne pouvons relever ce jeu de la providence. Celle<br />

que l’on appelle « l’historienne » des carmélites de Compiègne, sœur Joséphine Marie de<br />

l’Incarnation, n’est autre que mademoiselle Philippe, la miraculée du 16 juillet 1784. Deux<br />

ans après sa guérison, pressée intérieurement de remercier le Seigneur en se consacrant<br />

dans la vie religieuse, elle entre au carmel de Compiègne où elle prononce ses vœux le 22<br />

juillet 1788 24 . Elle aurait pu être arrêtée avec ses sœurs, si elle n’avait été retenue à Paris<br />

pour régler une affaire de pension. La communauté de Compiègne est formée de la<br />

génération des filles spirituelles de madame Louise, sous la direction de mère Thérèse de<br />

Saint-Augustin Lidoine qui en avait repris le prénom de profession. Relier ainsi les carmels<br />

de Pontoise et de Compiègne n’est pas un artifice, mais nous renvoie à la vocation première<br />

du carmel, dans le sens de la vocation au martyre, la volonté de s'offrir à Dieu pour le<br />

22 Historique de la Cause, p. 158-159. Cité par HCP, p. 214-215.<br />

23 Père Bruno de Jésus-Marie, Le sang du Carmel, Paris, Cerf, 1992, p. 17 (désormais noté<br />

SC) ; Marie de l’Incarnation, La relation du martyre des seize carmélites de Compiègne, les<br />

documents originaux inédits publiés par William BUSH, Paris, Cerf, 1993, p. 9 et 33 sv (désormais<br />

noté RM).<br />

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rétablissement de la religion, recherchée par Sainte Thérèse d’Avila et consciemment<br />

assumée par le carmel français depuis sa réforme thérésienne. Il s’agissait alors de lutter<br />

contre la réforme protestante qui avait dévasté les couvents. Il s’agissait aujourd’hui de<br />

répondre aux Lumières et au jansénisme. Madame Philippe rapporte comment, après sa<br />

guérison, elle fut l’objet de sollicitations des « zélés partisans de l’évêque d’Ypres » 25 . C’est<br />

dans ce cadre spirituel que se comprend d’une part le culte au Sacré-Cœur répandu dans le<br />

carmel 26 , et en particulier à Compiègne par la reinte Marie Leszczynska qui l’avait rapporté<br />

de Pologne ; les religieuses de Compiègne seront accusées par Fouquier-Tinville de liens<br />

avec les vendéens à cause des images du Sacré-Cœur trouvées dans leurs maisons.<br />

D’autre part, se comprend ici l’acte de consécration professé par les sœurs de Compiègne<br />

de 1792 à leur mort, lors de chaque eucharistie, de s’offrir en holocauste pour la cessation<br />

des tourments de la France 27 .<br />

C’est parvenu à ce niveau de compréhension plus spirituel des événements que peut se<br />

dévoiler la portée réelle, au sens des desseins de Dieu, des liens entre la Révolution et la<br />

béatification de Marie de l’Incarnation. Le hasard des circonstances historiques fait que ce<br />

sont les carmélites de Compiègne qui sont arrêtées et guillotinées, non celles de Pontoise.<br />

Mais la réforme de madame Acarie portait ses fruits via celle de madame Louise. L’intuition<br />

fondatrice de Thérèse d’Avila sur le martyre d’oblation, (qui sera parfaitement reconnue et<br />

assumée par Thérèse de Lisieux), trouve ici un aboutissement concret dans les horreurs de<br />

notre histoire nationale. On ne peut manquer de remarquer que dix jours après le martyre<br />

des religieuses de Compiègne, Robespierre est renversé et la grande Terreur prend fin. À<br />

Rome, Pie VI a connaissance des martyrs de France, il charge même le vicaire général du<br />

diocèse de Digne en émigration, l’abbé Pierre d’Hesmivy d’Auribeau, de dresser un premier<br />

24<br />

Pour sa biographie, voir SC, p. 217-243 et RM, p. 9-63.<br />

25<br />

SC, p. 228.<br />

26<br />

SC, p. 36sv.<br />

27<br />

SC, p. 27sv.<br />

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inventaire des témoignages 28 . L’historien note le fléchissement de l’attitude du pape en<br />

1793 : après les martyrs de septembre et la mort de Louis XVI, il se fait plus silencieux,<br />

tenant ferme l’affirmation de ses prérogatives, mais ne répondant plus aux nombreuses<br />

questions soulevées par les ecclésiastiques français autour de serments successifs<br />

demandés par la république. 1794 est l’année de la publication d’Auctorem Fidei : la dernière<br />

condamnation doctrinale du jansénisme. Il semble qu’ensuite, le souverain pontife se soit<br />

remis au cours de l’histoire, resserrant le cercle de ses confidents (Bernis est mort entre<br />

temps), témoin dépassé de la campagne d’Italie du général Bonaparte, de l’occupation de<br />

Rome par le général Berthier en 1798. Il accepte avec amertume, mais confiance en Dieu,<br />

les peines de l’exil à Sienne, puis à Florence, avant de vivre un dernier voyage vers Valence<br />

en France, où il meurt le 29 août 1799. L’expression « le martyr de Valence » par laquelle<br />

Pie VI est parfois désigné par les historiens royalistes du siècle suivant 29 ne désigne pas<br />

comme tel un jugement de l’Église, mais peut renvoyer au chemin spirituel suivi par cet<br />

homme, qui est bien un souverain temporel de son siècle, et en même temps un souverain<br />

pontife qui tente de faire sortir l’Église d’une inertie spirituelle trop dangereuse.<br />

Dans le chapitre des coïncidences, relevons encore que la constitution Auctorem fidei ne<br />

connaîtra sa première traduction et édition française qu’en 1850 ; elle est l’œuvre de<br />

Monseigneur Clément Villecourt, évêque de La Rochelle, qui, lorsqu’il était vicaire général de<br />

l’archevêque de Sens et supérieur du carmel de cette ville, avait recueilli les témoignages de<br />

sœur Joséphine Marie de l’Incarnation, madame Philippe, préparant ainsi le dossier de<br />

l’ouverture de la Cause de béatification des martyres de Compiègne 30 . Antijansénisme,<br />

résistance à l’esprit de la Révolution et vie contemplative sont liés une fois encore dans la<br />

28<br />

Mémoires pour servir à l’histoire de la persécution française, Rome, Salvioni, 1794-1795, 2<br />

vol.<br />

29<br />

Par exemple, Granel Armand, Le martyr de Valence, Toulouse, Privat, 1919.<br />

30<br />

Sur Monseigneur Villecourt : Boutry Philippe, « Autour d’un bicentenaire, la bulle Auctorem<br />

fidei (18 août 1794) et sa traduction française (1850) par le futur cardinal Clément Villecourt », in<br />

Mélanges de l’Ecole française de Rome, Italie et Méditerranée 106 (1994), p. 205-216.<br />

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personne de ce prélat du 19 ème siècle. Une autre coïncidence se révèle encore. Pour<br />

financer l’aboutissement de la cause en cour de Rome, le postulateur de Marie de<br />

l’Incarnation ne pouvait espérer recevoir des subsides de France, en 1791. Pie VI lui permit<br />

donc de puiser dans les biens de la cause de Benoît Joseph Labre, ce saint clochard, ce<br />

pèlerin vagabond mort à Rome en odeur de sainteté le 16 avril 1783, objet immédiat d’un<br />

culte populaire. Dans son carmel de Saint-Denis, madame Louise avait une image de Labre.<br />

Les zelanti romains eurent tôt fait de contrôler cette nouvelle dévotion populaire en ouvrant<br />

la cause très rapidement, et en mettant en valeur l’aspect résistance au siècle des Lumières<br />

présenté par la vie de ce pauvre mendiant. Il fut ainsi un grand saint de la contrerévolution<br />

31 .<br />

31 Hilaire Yves-Marie (dir.), Benoît Labre, errance et sainteté, histoire d’un culte 1783-1983,<br />

Paris, 1984 ; Caffiero Marina, « Una santità controrivoluzionaria ? Il caso di Benedetto Giuseppe<br />

Labre » in La Rivoluzione nello Stato della Chiesa, 1789-1799, a cura di L. Fiorani, p. 329-351 ;<br />

Caffiero Marina, « Le modèle de l’ermite pèlerin : le cas Benoît Labre » in Rendre ses vœux, les<br />

identités pèlerines dans l’Europe moderne (16 ème -18 ème siècles), Paris, 2000, p. 315-335.<br />

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5. CONCLUSION<br />

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L’histoire mouvementée de la Cause de Marie de l’Incarnation ne s’arrête pas tout à fait avec<br />

sa béatification. Il faut suivre le devenir de son corps. D’abord, l’écho local de la cérémonie<br />

romaine ne peut être que limité. Malgré les sympathies dans la population, le carmel Saint-<br />

Joseph subit les désagréments des inventaires et de la menace de dispersion. Le 5 janvier<br />

1791, le maire de Pontoise flanqué de huit officiers et d’un secrétaire greffier vient au carmel<br />

demander à chaque religieuse son intention : toutes déclarent vouloir continuer la vie<br />

commune. 32 . Le confesseur du carmel, l’abbé Jacques Robert Amiot, est réfractaire. Les<br />

sœurs ne reçoivent point la procession de la Fête-Dieu du prêtre constitutionnel en 1791, et<br />

elles en sont inquiétées. Pas question donc de manifester la solennité de la béatification.<br />

« Le fanatisme et l’irreligion » firent renoncer à afficher les décrets envoyés par Rome dit<br />

l’Historique de la Cause 33 . Les carmélites tentent de diffuser une petite brochure 34 , qui est<br />

saisie et interdite par la municipalité. La teneur des propos des brefs pontificaux suffit à<br />

comprendre la dimension contre-révolutionnaire que revêtait la brochure. 1792 sera l’année<br />

des nouveaux inventaires, puis de l’expulsion du 30 septembre. Mais auparavant, mère<br />

Marie-Catherine a pris des précautions pour protéger sa bienheureuse, selon une<br />

proposition de l’ancien maire royal, Jacques de Monthiers, seigneur de Nucourt 35 . Après<br />

l’acceptation de la communauté, dans la nuit du 21 au 22 septembre, le corps de Marie de<br />

l’Incarnation est transporté chez une voisine. Au matin du 23, après un autre déménagement<br />

discret entre maisons voisines, une malle est chargée sur une voiture à impériale. Las ! les<br />

chevaux s’emballent et renversent la voiture à la porte de la ville, provoquant un<br />

attroupement de 300 personnes. Une demoiselle Desneux, qui vient d’aller prier sur le<br />

32 HCP, p. 239 sv.<br />

33 HCP, p. 330.<br />

34 Béatification de madame Acarie dite en religion sœur Marie de l’Incarnation, converse et<br />

fondatrice de l’Ordre des carmélites de France, par N.S.P. le pape Pie VI…, Paris, Crapart, 1791, 50p.<br />

35 Voir le récit du transfert en HCP, p. 257-259.<br />

Etre béatifiée en 1791 : 5 Novembre 2000 Gérard PELLETIER<br />

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Marie de l’Incarnation 22/23


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mausolée de la bienheureuse, mue intérieurement, déclare connaître le propriétaire de cette<br />

malle et la fait mettre chez elle (le seigneur se garde bien d’intervenir publiquement). Plus<br />

tard, Jacques de Monthiers peut reprendre la précieuse malle et la déposer dans la chapelle<br />

de son château, où elle reposera jusqu’en 1822. C’est alors, et alors seulement, que<br />

Pontoise célébrera avec éclat sa sainte, en même temps que le retour des carmélites au<br />

cœur de la cité.<br />

Au terme d’un tel parcours, il y a d’abord lieu de rendre grâce pour la fidélité de l’ordre du<br />

Carmel au cœur de l’histoire de France. Fidélité de l’oraison qui s’enracine dans la véritable<br />

humilité pour laisser toute la place à Dieu, selon Thérèse d’Avila, fidélité qui peut aller<br />

jusqu’au don effectif de sa vie. On peut être saisi par la destinée personnelle de ces hommes<br />

et de ces femmes qui périrent durant la Révolution : ils étaient nés sujets du roi très-chrétien,<br />

dans un pays catholique, fille aînée de l’Église. Ils périrent à Paris ou ailleurs, alors qu’un<br />

réveil religieux les avait préparés tout juste à temps pour le témoignage suprême.<br />

Dans un second temps, une question vient à l’esprit autour de cette articulation subtile, peutêtre<br />

encore trop mystérieuse, entre la spiritualité du Carmel, celle de « l’école française » et<br />

celle du jansénisme et de l’antijansénisme. Tout au long du 17 ème et du 18 ème siècles, nous<br />

voyons se nouer et se dénouer des écoles, des tendances spirituelles, autour des mystiques<br />

de l’Incarnation, de la sainte humanité du Christ, puis du Sacré-Cœur. Au terme du siècle<br />

des Lumières, Marie de l’Incarnation peut rappeler à ses sœurs la profondeur et le réalisme<br />

de l’engagement de la prière dans la vie du monde, même dans des circonstances<br />

historiques dramatiques. Et cela fonde la pérennité et l’actualité de cette vocation pour tous<br />

les temps.<br />

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Une nouvelle mission pour<br />

Marie de l’Incarnation 23/23


Madame Acarie Conférences Histoire 162/172 Edition Complète<br />

<strong>MADAME</strong> <strong>ACARIE</strong>:<br />

QUELQUES REGARDS SUR SA<br />

VIE AU CARMEL<br />

Mère Marie Thérèse FAVIER, OCD<br />

Décembre 2002 Carmel de Pontoise<br />

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TABLE<br />

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1. Sœur converse...........................................................................................................3<br />

2. La direction des âmes ................................................................................................7<br />

3. Un regard sur les derniers jours .................................................................................9<br />

Madame Acarie: quelques Décembre 2002 Marie-Thérèse FAVIER<br />

regards sur sa vie au Carmel 2/11


Madame Acarie Conférences Histoire 164/172 Edition Complète<br />

1. Sœur converse<br />

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"Je ne suis pas venue pour porter un voile blanc sur ma tête, mais pour être la<br />

dernière de toutes" 1 .<br />

En 1616, après neuf années dans les Flandres, la Mère Marie du Saint-Sacrement (Melle de<br />

Saint Leu ) était rappelée en France pour d'autres fondations 2 . Avant de se rendre à<br />

Pontoise, son couvent de profession, elle devait s'arrêter quelques semaines au monastère<br />

d'Amiens. Grande était sa joie d'y revoir Mademoiselle Acarie qu'elle avait laissée dans le<br />

monde en 1605. Elle allait la retrouver carmélite, professe déjà depuis dix huit mois. "Comme<br />

je l'avais connue au monde si parfaite et vertueuse – dépose-t-elle au Procès- et d'une vie si<br />

sainte et extraordinaire, je me promettais que je verrais bien encore de l'accroissement de la<br />

grâce de ses rares vertus en ce changement de condition, ce que je trouvais en vérité. Je<br />

trouvai donc cette bienheureuse en cette condition et en toutes ses pratiques, si simple, si<br />

humble, et si abaissée et comme en elle-même qu'il semblait qu'elle dût se cacher en des<br />

coins pour ne paraître pas, comme n'étant rien.<br />

Comme je connaissais sa capacité, ses vertus, ce qu'elle avait été au monde et ce que<br />

l'Ordre lui devait et les âmes et moi en particulier, je demeurai si étonnée et en<br />

admiration que je me jettai à genoux pour la saluer, ce qui la rendit si honteuse qu'elle<br />

semblait s'en devoir anéantir. Et la Mère Sous-prieure du couvent, sa fille aînée me fit<br />

lever au plus tôt en me disant que cela lui donnait peine et qu'il la fallait traiter selon sa<br />

condition pour la rendre contente" 3 .<br />

La Mère Marie du St Sacrement est émue, et qui ne le serait devant l'attitude de l.'humble<br />

converse? Attitude d'autant plus émouvante qu'elle révèle quelque peu ses sentiments<br />

1<br />

Mère Marie de Jésus Acarie, Riti 2236 – 533v<br />

2<br />

Orléans, Reims.<br />

3<br />

Mère Marie du St Sacrement de St-Leu, Riti 2236 – 193v-194r<br />

Madame Acarie: quelques Décembre 2002 Marie-Thérèse FAVIER<br />

regards sur sa vie au Carmel 3/11


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intimes :"prendre l'esprit de sa condition , cet esprit qui est humble, petit, soumis à<br />

tous, qui n'a point de raison, qui ne parait rien, qui obéit à tout" 4 . Tel est le programme<br />

que s'est proposé au jour de sa vêture, Madame Acarie devenue Sœur Marie de<br />

l'Incarnation..<br />

"Etre la dernière de toutes" n'est pas un vain mot sur les lèvres de la Bienheureuse. Elle<br />

l'est dans son estime et veut l'être dans l'estime des autres : "Si j'avais quelque grâce à<br />

demander à Dieu en la terre, disait-elle, ce serait qu'il lui plût me faire la grâce de<br />

cheminer par la voie du mépris du Fils de Dieu, être vile à mes yeux, vile aussi aux<br />

yeux d'autrui" 5 .<br />

"Etre vile à ses yeux", elle l'est au point qu'on l'entend souvent se traiter d'orgueilleuse,<br />

d'incorrigible, tandis qu'autour d'elle on ne se lasse pas d'admirer son éclatante vertu.<br />

"Etre vile aux yeux d'autrui". Là elle échoue. Plus elle s'abaisse, plus le Seigneur l'exalte :<br />

une lumineuse et surnaturelle beauté accroît encore, surtout au temps de l'oraison, sa<br />

beauté naturelle. Malgré ses efforts pour les cacher, les ravissements et les extases ne<br />

peuvent passer inaperçus et c'est pour l'humble converse un sujet de grande confusion.<br />

Dès qu'elle sort de ces ravissements presque quotidiens, c'est pour se livrer avec une<br />

joyeuse activité à ses travaux de sœur laye.<br />

Aide de cuisine, "elle s'estime bienheureuse de pouvoir souffler le feu ou tenir une poêle sur<br />

le feu. . . saler le pot," 6 éplucher les herbes. "Il fait bon la voir là, le matin après avoir<br />

communié, apprêter tout pour le dîner,. . . en telle ferveur d'esprit et un visage si rempli de<br />

joie, servant à tout ce qu'elle peut,. . . coupant le pain, dressant les potages" 7 . "J'ai encore<br />

4<br />

Sœur Marie du St Sacrement de Marillac, Riti 2235 – 694v<br />

5<br />

Mère Françoise de Jésus de Fleury, Riti 2235 – 359v<br />

6<br />

Sœur Marguerite de St Joseph Langlois, Riti 2235 – 775r<br />

7<br />

Sœur Marie du St Sacrement de Marillac, Riti 2235 – 694r<br />

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regards sur sa vie au Carmel 4/11


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de bons bras" 8 disait-elle, toute joyeuse de consacrer ses dernières forces au service de la<br />

communauté. Tout la porte à Dieu. "En épluchant les herbes, elle ne se lassait point de Le<br />

louer et tournait et retournait les feuilles, admirant sa Providence . . . de même, en voyant<br />

des fleurs, des fruits, des petites mouches, des fourmis, elle bénissait Dieu avec un visage<br />

plein de joie et de grande ferveur" 9 Elle a obtenu de laver tous les jours les "escuelles" 10 : elle<br />

s'y hâte afin que ses compagnes (les sœurs du voile blanc) puissent se rendre plus<br />

promptement à la récréation. Celles qui, à tour de rôle, partagent avec sœur Marie de<br />

l'Incarnation l'office des écuelles, attendent comme une grâce ce moment désiré; car ici<br />

comme en ses moindres actions, "ce n'est pas tant ce qu'elle fait que l'esprit [intérieur] avec<br />

lequel elle le fait " 11 qui remplit ses sœurs d'admiration.<br />

Si aimable est sa compagnie que chacune voudrait l'avoir pour voisine de récréation. Là<br />

comme partout, elle cherche la dernière place, la plus incommode afin de favoriser ses<br />

sœurs.<br />

Elle fait preuve d'une charité infatigable envers les sœurs malades, elle passait des journées<br />

presqu'entières auprès de quelques unes, quoiqu'elle fût bien malade elle-même, et se<br />

fâchait contre la malade fort gracieusement quand elle ne voulait lui permettre de la servir et<br />

lui disait : "Ce n'est pas nous aimer que de nous refuser cette consolation"! 12<br />

En 1614, prenant congé des Religieuses de Longchamp, elle leur avait dit : "Je m'en vais<br />

pour servir les servantes de Dieu et de sa Sainte Mère". 13 Converse, elle réalise le plan<br />

divin; elle sera fidèle jusqu'au bout au vouloir d'En-Haut, et elle aimera "chèrement sa<br />

vocation de sœur laye". 14<br />

8<br />

Sœur Anne de St Laurent de St Lieu, Riti 2236 – 68v<br />

9<br />

Sœur Marguerite de St Joseph Langlois, Riti 2235 – 762r-v<br />

10<br />

Plats et bols en terre cuite.<br />

11<br />

Mère Agnès de Jésus des Lyons, Riti 2236 – 25v<br />

12<br />

Sœur Marie du St Sacrement de Marillac, Riti 2235 – 664r-v<br />

13<br />

Sœur Denise Coste Blanche, Riti 2233 – 61r / Mère Marie du St Sacrement de St Leu, Riti 2236 – 193v<br />

14<br />

Sœur Marie du St Sacrement de Marillac, Riti 2235 – 694r<br />

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regards sur sa vie au Carmel 5/11


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Dans une occasion que les circonstances rendent plus émouvante, son cœur maternel se<br />

révèle encore dans sa virile tendresse, car le cloître élève et surnaturalise les sentiments les<br />

plus légitimes, il ne les étouffe pas. C'est à Amiens, malade à l'extrémité pendant son<br />

noviciat, la Bienheureuse vient de recevoir l'extrême onction; le médecin qui s'est retiré<br />

hochant la tête, ne lui donne plus qu'une heure de vie. Dans la ruelle du lit, "à genoux proche<br />

d'elle", Marie de Jésus, sa fille aînée est là, priant et pleurant. La Bienheureuse "se tournant<br />

vers elle et la voyant pleurer lui dit fort amoureusement : hé vous pleurez, hé vous pleurez;<br />

est-ce là m'aimer, êtes-vous marrie de mon bien ?" "Car elle ne pouvoit souffrir de voir<br />

pleurer" ajoute la narratrice, "mais l'objet [nous dirions le spectacle] tirait des larmes en<br />

abondance quelque force qu'on se fit". 15<br />

15 Idem, Riti 2235 – 672v<br />

Madame Acarie: quelques Décembre 2002 Marie-Thérèse FAVIER<br />

regards sur sa vie au Carmel 6/11


Madame Acarie Conférences Histoire 168/172 Edition Complète<br />

2. La direction des âmes<br />

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Dans le monde, il avait fallu un ordre exprès de Dom Beaucousin pour faire accepter à<br />

Madame Acarie la direction des âmes qui voulaient se mettre sous sa conduite. Semblable<br />

injonction de l'obéissance l'oblige, contre son gré, à prendre en religion, la direction des<br />

novices. "Une converse, disait-elle, doit plus écouter en se taisant, qu'elle ne doit se<br />

faire entendre en parlant" 16 .<br />

Virile et suave sera sa direction. La Bienheureuse veut des novices épanouies et à l'aise<br />

dans leur vie spirituelle; mais elle les veut généreuses aussi et elle les accoutume peu à peu<br />

au détachement. Elle leur apprend à patienter avec elles-mêmes et n'approuve pas celles<br />

qui veulent acquérir la perfection tout d'un coup : "Marcher au petit pas" 17 avec confiance et<br />

humilité, voilà ce qu'elle recommande. Puis elle enseigne à découvrir les subtilités de l'amour<br />

propre, de cet "orgueil qui est tout grouillant en nous" …"à faire chaque chose<br />

parfaitement en son temps : bien chanter au chœur; être bien ferventes à l'oraison;<br />

bien manger au réfectoire; être bien gaies et se bien réjouir à la récréation" 18 .<br />

Dans ses instructions aux novices, le plus souvent la Bse commente un petit livre qui l'a<br />

beaucoup aidée : "Le Combat Spirituel" et on remarque qu'elle ne dépasse guère le<br />

troisième chapitre, celui qui traite de " la confiance en Dieu" 19 . Cette chère confiance, l'âme<br />

de sa vie spirituelle, devient le thème de ses plus chaudes exhortations.<br />

Elle combat la routine qu'elle redoutait tant pour elle-même; l'attachement à certaines<br />

pratiques de dévotion : "Souvent, dit-elle, les âmes viennent à s'engager à leurs dispositions<br />

16<br />

André Duval, Riti 2236 – 358r<br />

17<br />

Sœur Marie du St Sacrement de Marillac, Riti 2235 – 677r<br />

18<br />

Idem, Riti 2235 – 717r / Mère Marie de St Joseph Fournier, Riti 2236 – 144r<br />

19<br />

Mère Françoise de Jésus de Fleury, Riti 2235 – 331r<br />

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regards sur sa vie au Carmel 7/11


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et exercices et, encore que leurs chaînes soient d'or, ne laissent pas d'être chaînes qui les<br />

lient et les empêchent d'être entièrement à Dieu" 20 . Elle veut de vraies carmélites : "Qu'estce<br />

passer sa vie en oraison et attendre le Royaume de Dieu? …Il faut que les carmélites<br />

soient toutes des Moyse, des Elie; il faut qu'elles aient tousjours les mains et les yeux levés<br />

vers le ciel" 21 .<br />

"Elle n'aime pas quand on met son principal soin à éviter les fautes extérieures : cela<br />

procède souvent de l'orgueil, remarque-t-elle, il vaut mieux marcher avec une sainte liberté,<br />

joie et ouverture de cœur 22 . . .il faut qu'une religieuse porte son cœur en sa main" 23 . Aussi<br />

leur enseigne-t-elle ce qu'elle a toujours fait elle-même : tirer partie de ses fautes. Un jour à<br />

l'infirmerie d'Amiens, contrairement à ses habitudes d'activité, la Bse se trouvait un instant<br />

inoccupée. Survient la Mère Prieure; à son approche, la Bse saisit rapidement son ouvrage<br />

mais aussitôt s'accuse, et avec quelle humilité ! de n'avoir pas voulu être prise en défaut. 24 "O<br />

mes sœurs, nous ne sommes que ce que nous sommes devant Dieu! Pourquoi vouloir<br />

paraître devant les créatures?" 25<br />

Par dessus tout, elle tire "ce qui regarde la pratique des vertus, des Sts Evangiles et du reste<br />

des Stes Ecritures, travaillant à fonder sur elles les âmes auxquelles elle rend assistance", 26<br />

dans le but de les acheminer à la contemplation et à l'imitation de Jésus-Christ. Elle a dans<br />

sa cellule, une grande image du Christ en croix. "Elle entrecoupait souvent son discours et<br />

nous montrant le crucifix : Eh bien, que dirons-nous, pouvons-nous trouver quelque<br />

chose dure? Qu'y-a-t'il de quoi nous puissions nous plaindre, voyant le Fils de Dieu<br />

réduit à telle extrémité ?". 27<br />

20<br />

Sœur Marie du St Sacrement de Marillac, Riti 2235 – 717r<br />

21<br />

Mère Marie de St Joseph Fournier, Riti 2236 – 94v / Mère Françoise de Jésus de Fleury, Riti 2235 – 325v<br />

22<br />

Mère Marie de St Joseph Fournier, Riti 2236 – 143r<br />

23<br />

Mère Marie de St Joseph Fournier, Riti 2236 – 142v<br />

24<br />

Sœur Marguerite de St Joseph Foucher, Riti 2235 – 439r<br />

25<br />

Sœur Marie du St Sacrement de Marillac, Riti 2235 – 654r<br />

26<br />

Mère Jeanne de Jésus Séguier, Riti 2235 – 815r<br />

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regards sur sa vie au Carmel 8/11


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3. Un regard sur les derniers jours<br />

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La première nuit de la maladie qui dura plus de deux mois, la sœur qui la veille, l'entend<br />

"chanter fort doucement les litanies de la Vierge, et le Libera me, comme on le chante pour<br />

les défunts, et de si bon courage que cela faisait voir la joie de son âme" 28 à l'approche du<br />

jour qu'elle désirait tant. Mais vite, les souffrances sont extrêmes et au corps et en l'âme.<br />

Pourtant rien n'altère la sérénité de la Bse dont les dernières semaines pourraient s'intituler<br />

le chant des Miséricordes : "Miséricorde infinie de Dieu pour sa créature . . . Bonté<br />

infinie. . .Quelle miséricorde de Dieu sur moi! " 29 , telles sont les paroles qui reviennent le<br />

plus souvent sur ses lèvres. "Je ne veux rien de particulier en ma mort" avait-elle répondu<br />

à la Mère Prieure qui lui parlait d'un secours extraordinaire de Dieu;<br />

"Je veux mourir délaissée comme a fait mon Sauveur sur la Croix; je ne veux d'autre<br />

assistance que celle de sa grâce laquelle je le prie de ne me point dénier". 30<br />

Son désir de Dieu est extrême comme ses souffrances. "Ah! Venez grand Jésus, venez, ne<br />

tardez plus . . . Quand sera-ce que nous chanterons le grand alléluia? . . . Oh! Quels maux,<br />

quelles douleurs . . . je n'en puis plus . . . Seigneur, pouvez pour moi . . . ". 31<br />

Celles qui la veillent n'éprouvent aucune fatigue. Jadis, sa fille Marie, Edmond de Messa<br />

avaient expérimenté la même faveur pendant ses maladies. On remarque une beauté<br />

extraordinaire sur son visage alors qu'un feu mystérieux semble brûler sa poitrine. "Mon<br />

cœur brûle, mon cœur brûle" 32 dit-elle sous l'étreinte qui la consume.<br />

27<br />

Sœur Marie du St Sacrement de Marillac, Riti 2235 – 652v<br />

28<br />

Sœur Anne de St Laurent de St Lieu, Riti 2236 – 76v<br />

29<br />

Mère Agnès de Jésus des Lyons, Riti 2236 – 37v-38r<br />

30<br />

Idem, Riti 2236 – 18v<br />

31<br />

Idem, Riti 2236 – 38r, 23v, 46r / Mère Jeanne de Jésus Séguier, Riti 2235 – 867r<br />

32<br />

Sœur Marie du St Sacrement de Marillac, Riti 2235 – 734r<br />

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regards sur sa vie au Carmel 9/11


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N'avait-elle pas fait écrire dans son livre des Constitutions, "Désirer entrer en tout<br />

dénuement et pauvreté pour Notre Seigneur Jésus-Christ, de tout ce qui est au monde"? 33<br />

Le Vendredi Saint, 13 avril, elle supplie qu'on la transporte au chœur : elle veut, en adorant<br />

la Croix, remercier Dieu des grâces reçues pendant sa vie et lui demander de nouvelles<br />

souffrances. La plainte d'il y a vingt ans se fait de plus en plus pressante : "Le désir de<br />

souffrir me fera mourir". 34 L'entourage ému de tant d'héroïque patience, l'est plus encore<br />

de ce nouvel appel à la souffrance. Car pense-t-on, est-il possible de souffrir davantage? Et<br />

la Communauté recueille les dernières paroles comme on recueille un testament. 35<br />

Au monastère d'Amiens, alors que la Bse se croyait proche de sa fin, elle avait dit :"Il fait bon<br />

mourir fille de la Vierge, il fait bon mourir carmélite". 36 Aujourd'hui elle ajoute : "Au ciel, je<br />

demanderai à Dieu que les desseins de Jésus-Christ, son Fils, soient accomplis pleinement<br />

sur vous toutes". 37<br />

L'obéissance lui enjoint une dernière bénédiction à ses enfants et la Bse leur donne de loin<br />

ce gage suprême de l'amour maternel.<br />

"On la voyait manifestement changer de visage et venir à une beauté angélique. Sa<br />

dernière parole fut qu'elle pensait à Dieu" 38 et, recevant l'Extrême Onction ,"elle expira<br />

avec une douceur admirable". Duval, cessant les onctions, dit : "elle est passée, elle<br />

jouit déjà de Dieu". 39<br />

C'était le mercredi de Pâques, 18 avril 1618, pendant que dans l'église du monastère, un<br />

groupe de musiciens venus on ne sait comment ni pourquoi, chantait de joyeux motets de<br />

33<br />

St Jean de la Croix, Montée du Carmel, livre I, chapitre 13<br />

34<br />

Sœur Marguerite de St Joseph Langlois, Riti 2235 – 795r<br />

35<br />

Sœur Marie du st Sacrement de Marillac, Riti 2235 – 735v<br />

36<br />

Sœur Françoise de Mère de Dieu Richard, Riti 2235 – 381r<br />

37<br />

Mère Agnès de Jésus des yons, Riti 2236 – 38r<br />

38<br />

Idem, Riti 2236 – 48r<br />

39<br />

cf sœur Marie du St Sacremnt de Marillac, Riti 2235 – 737r<br />

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regards sur sa vie au Carmel 10/11


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Pâques, accompagnés de force "Alleluia". 40 Pour la Bse, l'alléluia de la terre se poursuivait<br />

dans le "grand Alleluia" de l'Eternité . . .<br />

Marie de l'Incarnation entrait dans la Patrie sous "le signe du Grand Roy" 41 –ainsi aimait-elle<br />

appeler la voix de la cloche- l'Angélus du soir tintait au monastère :<br />

Regina caeli, laetare, alleluia !<br />

Mère Marie-Thérèse FAVIER, + en 1998, à 102 ans.<br />

40 Mère Jeanne de Jésus Séguier, Riti 2235 – 870r<br />

41 Mère Marie du St Sacrement de St Leu, Riti 2236 – 196r<br />

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regards sur sa vie au Carmel 11/11

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