Eux et nous - Rencontres Internationales de Genève

Eux et nous
Goulag. Pourtant l’étiquette du mythe subsistait — on parlait de
« forces du progrès » — et la longue kyrielle des déçus du
communisme depuis Boris Souvarine jusqu’à Roger Garaudy, en
quelque sorte, n’y changeait rien. Jusqu’en 1989...
Un des grands historiens de la Révolution russe, l’historien
américain Richard Pipes, a récemment tenté dans un essai une
synthèse de ses travaux sur le plus grand événement du XX e siècle
— peut-être... Il résume le problème en trois « pourquoi ».
Pourquoi le régime tsariste est-il tombé si aisément ? Pourquoi
Lénine a-t-il gagné ? Pourquoi Staline a-t-il succédé à Lénine ?
L’originalité de Pipes est d’inverser les rapports hasard-
nécessité que, habituellement, on établit quand on répond à ces
trois « pourquoi ». Marxistes et leurs adversaires ont souvent
répondu aux deux premiers « pourquoi » par le déterminisme
économique et social, au troisième par le hasard. Pipes inverse. Le
tsarisme n’avait pas vocation à s’effondrer. Si Nicolas II avait suivi
l’avis de Raspoutine et fait comme fera Lénine un peu plus tard,
c’est-à-dire une paix p.017 séparée avec l’Allemagne et l’Autriche, il
aurait sauvé sa couronne, peut-être les puissances de l’Axe
auraient-elles gagné et sans doute alors il n’y aurait pas eu de
nazisme, ni de Seconde Guerre mondiale, et moins encore de
guerre froide ! Lénine, un fanatique très minoritaire, aurait aussi
très bien pu ne pas gagner. Tout le monde croyait son succès
éphémère, et ses rivaux socialistes-révolutionnnaires et
mencheviks ne l’ont soutenu qu’en raison de cette fragilité.
Inversement, Staline est le logique successeur de Lénine, à cette
seule différence près que Lénine ne liquidait pas ses camarades de
parti. Le stalinisme, c’est le léninisme plus l’élimination physique.
Les trois « pourquoi » de Pipes expliquent-ils le quatrième ?
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