Eux et nous - Rencontres Internationales de Genève

Eux et nous
morts, ceux qui sont morts pour une bonne cause, ceux qui sont
morts sans savoir que c’était pour la bonne cause, et ceux qui sont
morts pour une mauvaise cause. En 1986, Alfred Bräger, chrétien-
démocrate très conservateur, dit : « Alle verdienen Ehre » —
« Tous méritent d’être honorés ». J’ai trouvé cela scandaleux.
C’est de nouveau une identification généralisante, inacceptable.
Mais il n’est pas moins inacceptable de dire que chacun était un
assassin. Je me permets de rappeler la remarquable jurisprudence
de Nuremberg. Quand on faisait partie d’une organisation déclarée
criminelle, on devait être mis en accusation. Mais il fallait prouver
qu’on était personnellement criminel. Seule la France, dans une loi
de 1948, a essayé de renverser le fardeau de la preuve, en
décrétant qu’il fallait prouver son innocence. Cela a sauté en 1953,
au procès d’Oradour, quand on a découvert qu’il y avait des
Alsaciens dans l’unité qui a détruit le village.
En Allemagne, il y a en revanche un type de souvenir que je
trouve prodigieux et que j’aimerais voir ailleurs. Le 27 janvier
1995, année de la commémoration, le président de la République
fédérale d’Allemagne, Roman Herzog, se présente modestement à
l’entrée de ce qui fut le camp d’Auschwitz-Birkenau, et il est reçu
amicalement par Jean Kahn, président de la Confédération des
mouvements juifs français et de la Confédération des
communautés juives d’Europe. C’est cela, un passé surmonté :
accepter de prendre en charge les crimes commis au nom de la
collectivité permet de construire un avenir commun avec les
héritiers des victimes. Le geste fameux de Willy Brandt à Varsovie
allait déjà dans ce sens. Il y a une identification avec un passé vis-
à-vis duquel aucun Allemand vivant aujourd’hui et âgé de moins
de 75 ans ne porte la moindre part de culpabilité.
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