Lettere e frammenti - Galleria Agnellini Arte Moderna
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Anne-Lise Quesnel<br />
Jacques Villeglé et l’atelier d’Hepérile éclaté<br />
Jacques Villeglé,<br />
Rotonda di Via Besana,<br />
Milano, 1970<br />
Photo André Morain<br />
Les recherches sur les caractères typographiques sont au<br />
cœur des préoccupations esthétiques de Jacques Villeglé.<br />
Que ce soit par la création d’un alphabet socio-politique<br />
ou par la réalisation d’affiches lacérées, Villeglé démontre,<br />
dès les prémices de son œuvre, son attachement pour la<br />
mise en scène de l’écrit. Le concept d’“illisibilité” tient<br />
souvent une place centrale dans les affiches dont les lacérations<br />
rendent les slogans publicitaires incompréhensibles.<br />
Les lettres écorchées, ainsi que les mots mutilés par<br />
les déchirures successives, s’amalgament devenant finalement<br />
une véritable cacophonie lexicale.<br />
Le goût de Villeglé pour détourner le message d’origine<br />
s’exprime au début des années cinquante lorsqu’il met au<br />
point, en collaboration avec Raymond Hains, une nouvelle<br />
technique artistique destinée à “éclater” les caractères<br />
de l’alphabet afin de les rendre indéchiffrables. Les deux<br />
artistes partent alors en quête d’un texte qu’ils transformeront<br />
grâce à leur procédé, annihilant sa sémantique et sa<br />
présentation formelle. Leur choix s’oriente vers un poème<br />
phonétique de Camille Bryen, Hepérile, édité dans un<br />
opuscule éponyme. Villeglé et son ami réalisent ainsi une<br />
nouvelle publication de l’ouvrage, mais sous un aspect<br />
visuel méconnaissable et désormais intitulé Hepérile éclaté.<br />
L’œuvre, incontestablement originale, exprime leur rejet<br />
de la typographie classique au profit d’une sorte d’“abstraction<br />
du langage écrit”. Les strophes rédigées en ultralettres<br />
confèrent au poème une nouvelle dimension artistique.<br />
Les caractères “éclatés” sont obtenus grâce à l’hypnagogoscope,<br />
appareil photographique inventé par Raymond<br />
Hains, dont la principale caractéristique est de<br />
déformer le modèle grâce à l’installation d’un verre cannelé<br />
devant l’objectif. L’éclatement mécanique n’étant pas<br />
assez concluant pour la retranscription par l’imprimerie,<br />
Villeglé redessine chaque cliché de l’hypnagogoscope.<br />
Toutefois, la paternité d’Hepérile éclaté revient avec raison<br />
à Hains, relayant au second plan l’intervention de Villeglé,<br />
malgré son importance capitale. L’implication de l’artiste<br />
est à réexaminer au vu des dizaines de dessins préparatoires<br />
qui, jusqu’à présent, n’avaient fait l’objet d’aucune<br />
publication. 1<br />
Les archives inédites de Villeglé permettent d’établir une<br />
chronologie précise de son cheminement artistique qui<br />
aboutira à la création de l’ultra-lettre. En outre, cette<br />
étude conduit à s’interroger sur la reconnaissance de son<br />
travail dans la réalisation de ce surprenant livre d’artiste et<br />
propose de corriger quelques idées préconçues, tendant à<br />
faire croire que l’apport de Villeglé serait moins important<br />
que celui de Hains dans les différents projets photographiques<br />
et cinématographiques qu’ils menèrent conjointement<br />
entre 1949 et 1954.<br />
Enfin, Hepérile éclaté est né dans un contexte littéraire où<br />
les grandes figures de la poésie contemporaine s’engagent<br />
dans un style neuf, renoué avec la pertinence des avantgardes<br />
poétiques du début du XX e siècle. Ce remarquable<br />
“livre d’artiste”, devenu incontournable, permet à Villeglé<br />
d’inscrire son œuvre dans le renouveau poétique de<br />
l’après-guerre. En redessinant les caractères de notre<br />
alphabet, Villeglé transpose le langage pour le rendre indéchiffrable<br />
et met au point, bien avant l’alphabet sociopolitique,<br />
sa propre police de caractères. Hepérile éclaté<br />
joue donc un rôle essentiel dans le parcours de l’artiste. Sa<br />
réalisation repose sur les concepts chers à Villeglé que sont<br />
l’appropriation, le détournement et l’illisibilité, terreau de<br />
son œuvre future.<br />
L’hypnagogoscope par Jacques Villeglé<br />
La dénomination de l’hypnagogoscope, machine de prises<br />
de vues adaptable sur un appareil photographique ou sur<br />
une caméra, est aussi étrange que son utilité. N’existant<br />
malheureusement plus, les dessins réalisés par Villeglé<br />
demeurent les seuls témoignages visuels qui nous permettent<br />
d’imaginer à quoi il ressemblait. 2<br />
Le 12 février 1950, l’artiste croque dans un carnet à dessins<br />
cette incroyable machine à faire éclater les formes.<br />
L’hypnagogoscope est ici une installation verticale où un<br />
appareil photographique à soufflet est orienté vers le sol.<br />
Les verres cannelés sont maintenus entre deux livres dans<br />
la partie médiane de l’appareil et le sujet à photographier,<br />
en l’occurrence des textes, se trouve à l’autre extrémité.<br />
Placés devant l’objectif, les verres cannelés ont<br />
pour fonction de faire éclater le modèle. Par les jeux de<br />
la diffraction, ils déforment les caractères, les rendent<br />
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