Lettere e frammenti - Galleria Agnellini Arte Moderna
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Gérard Xuriguera<br />
Jacques Villeglé, prédateur-poète de la cité<br />
Dès l’entame de la moitié du XX e siècle, dans le sillage de<br />
Dada, l’art a porté un regard neuf sur l’objet industriel. Les<br />
éléments, les produits, les techniques de la civilisation de<br />
fabrication, furent annexés par des artistes téméraires et<br />
leur sens déplacé en fonction de leur potentiel esthétique et<br />
poétique. Cette approche pouvant être aussi comprise<br />
comme un exorcisme répondant aux manœuvres de déshumanisation<br />
de l’art, aux excès de la peinture de matière et<br />
à la soumission au chevalet. Attitude de rupture, donc, à<br />
une époque gouvernée par l’hégémonie picturale abstraite,<br />
qui allait conduire deux pionniers, Jacques Villeglé et Raymond<br />
Hains, vers un langage basé sur la présentation et<br />
non plus la représentation, mettant en équation le statut de<br />
l’objet et son mode de formulation dans un rapport objectif/subjectif,<br />
à compter d’une prédation inédite des données<br />
brutes et quantitatives de la réalité urbaine, selon le<br />
concept consacré.<br />
L’art véhicule depuis toujours le poids des mots qui mentent,<br />
qu’il a pour mission de mettre en images, c’est-à-dire<br />
d’imaginer, comme d’autres le traduisent en musique et<br />
psalmodient les mythes manipulateurs. De mémoire<br />
humaine, le dessin a toujours été le support d’un dessein.<br />
Dessein magnifié par l’imagier, lorsqu’il entend vivre de sa<br />
pratique, car il est alors à la merci de ses commanditaires<br />
riches ou puissants. Ainsi, une œuvre ne vaut que pour<br />
ceux qui la désirent, dans le but de conforter leur statut.<br />
Pas même un esquisse ne demeure innocente, si elle est<br />
requise ou simplement acquise.<br />
De la sorte, pour échapper au rôle de propagandiste auquel<br />
est astreinte toute entreprise créatrice sous la coupe de la<br />
religion ou de ses répliques profanes liées aux idéologies et<br />
à leurs modernes mythologies, des artistes contemporains<br />
ont entrepris le projet d’une décapante défiguration, afin<br />
de libérer le regard de tout ce qui pouvait le captiver et susciter<br />
la vénération. Deux voies ont vu le jour pour déverrouiller<br />
la vision et casser le rite possessif de l’iconolâtrie: la<br />
non-figuration chaude ou froide qui dissout le discernable,<br />
et ce qu’on pourrait qualifier de collection, puisqu’il s’agit<br />
de présenter des objets collectés à cette fin. Cette seconde<br />
option est cependant paradoxale, en ce que la non-figuration<br />
renvoie ici à des réalités identifiables, mais détruites ou<br />
déchirées, sinon détournées de leur sens par une accumulation<br />
annihilante, ou autre processus d’annulation de la<br />
mécanique édifiante.<br />
A ce stade, pour mieux envisager les détours de la problématique<br />
de Villeglé, des affiches lettrées ou graphées à son<br />
alphabet socio-politique, on en distinguera les étapes<br />
essentielles. Entré en art dans un monde en ruines, il ne<br />
pouvait que vouloir l’émanciper de tous les messages, l’arracher<br />
à toutes les volontés de puissance qui le vouèrent<br />
aux dévotions idéologiques meurtrières. Adolescent dans<br />
un Paris étranglé par la propagande de l’occupation étrangère,<br />
quand le libre exercice de la création risquait d’être<br />
fatal, il intègre pourtant l’Ecole des Beaux-Arts, d’abord en<br />
section peinture, puis en architecture en 1945. Dans la<br />
France renaissante, la reconstruction offre de multiples<br />
perspectives aux maîtres dans l’art de bâtir. Or, ce qui fascine<br />
le jeune Breton, c’est ce qui reste des édifices et<br />
découle de la destruction.<br />
Après quoi, en 1947, il se met à ramasser des débris du<br />
Mur de l’Atlantique, comme d’autres vont se procurer plus<br />
tard des pans de celui de Berlin, quoique dans une intention<br />
autre, dans la mesure où la finalité pour ces derniers<br />
consiste à récupérer des fragments de fresques qui firent<br />
l’assaut du rideau de fer. Cette fortification effondrée, ses<br />
ferraillages broyés dans lesquels Villeglé voyait des œuvres<br />
sculptées à l’aveugle par la guerre, tous ces morceaux<br />
déchus constituèrent le commencement d’un style, qu’il<br />
n’a cessé de creuser.<br />
En 1949, à la suite de la découverte d’un autre univers de<br />
dévastation dans le champ labouré des informations<br />
murales, il réalise, avec son complice Raymond Hains, son<br />
premier décollage. Et, il va continuer à instruire, à sa<br />
manière avec ingéniosité, des mélanges d’images et de mots<br />
amputés, séduit par les plages résiduelles des palissades, des<br />
panneaux encollés de publicité et autres placards d’organisations<br />
partisanes, que des mains anonymes ont mis à mal.<br />
Autant de documents malmenés par des ennemis inconnus,<br />
dont les messages tissent d’étranges témoignages,<br />
d’une autre guerre, sans nom ni raison apparente.<br />
Cette “armée des ombres” par temps de paix, en lutte<br />
contre le marché du matraquage mental, Jacques a souhaité<br />
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