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Q<br />
l i t t é r a t u r e Q U É B É C O I S E<br />
ENTREVUE<br />
NEIL SMITH<br />
Le paradis<br />
de<br />
l’imaginaire<br />
© Julie Artacho<br />
Et si le paradis ressemblait davantage<br />
à un morne agrégat d’HLM qu’à une<br />
douillette nébuleuse de nuages? C’est ce que<br />
suggère Neil Smith dans Boo, fable d’une<br />
éblouissante imagination sur l’amitié sans<br />
laquelle la vie serait un enfer.<br />
Par Dominic Tardif<br />
18 • LES LIBRAIRES • NOVEMBRE - DÉCEMBRE 2015<br />
À l’âge de 8 ans, Neil Smith s’installe avec sa famille dans la très mormone ville<br />
de Salt Lake City, en Utah. Foudroyant choc culturel pour le petit garçon de<br />
Verdun, fils d’une famille n’obéissant à aucun Dieu. « Je n’avais jamais pensé au<br />
paradis avant ce moment-là », se rappelle celui qui habite aujourd’hui Montréal.<br />
Bien qu’il écrive dans sa langue maternelle (l’anglais), Smith s’exprime avec la<br />
douce élégance du francophile qu’il a toujours été, et du traducteur qu’il est<br />
devenu. « Tous les enfants de mon école, eux, y croyaient fort au paradis, ce<br />
qui me confrontait forcément à mes propres croyances. Je ne comprenais pas<br />
pourquoi les mormons ne cherchaient pas à savoir comment se déroulait la vie<br />
là-bas. Comment on se brosse les dents là-bas, par exemple. »<br />
À partir de ces amusantes questions improbables, un explosif carburant pour un<br />
enfant à l’imagination fertile, le jeune Neil Smith forgera ses propres réponses,<br />
qui ne cesseront de lui tourner en tête. Elles ressurgiront, quasi intactes, une<br />
trentaine d’années plus tard, au moment d’écrire Boo, son premier roman,<br />
successeur attendu de Big Bang (Les Allusifs), un recueil de nouvelles au cœur<br />
duquel rôdait déjà la mort.<br />
Oliver Dalrymple, préado de 13 ans singulièrement intelligent surnommé<br />
Boo en raison de son teint livide, aboutit dans le monde-meilleur-mais-passi-meilleur-que-ça<br />
du Village, après que son cœur l’eut lâché, devant la case<br />
de sa polyvalente. Le Village, c’est le paradis, oui, mais un paradis strictement<br />
réservé aux enfants américains de 13 ans, qui y auront 13 ans pour l’éternité<br />
(ou presque).<br />
Et ça ressemble à quoi, le Village? Ça ressemble à « [u]n vaste ensemble de<br />
bâtiments abritant des habitations à loyer modique », observe Oliver, narrateur<br />
de Boo, roman en forme de longue lettre adressée à ses parents. « Nos<br />
dortoirs en briques rouges de trois étages sont des immeubles de ce type. Les<br />
autres bâtiments (écoles, bibliothèques, réfectoires, centres communautaires,<br />
entrepôts) sont des structures anonymes, mais solides. » On se brosse les dents<br />
avec quoi, au Village? Avec du bicarbonate de soude!<br />
N’est-ce pas un peu grisâtre comme idée du paradis? Nous sommes loin de<br />
l’éden d’eau fraîche et de randonnée à dos de nuages promis par le catholicisme.<br />
« Quand j’étais petit, j’avais un esprit très scientifique, se souvient l’auteur, alors il<br />
était clair que parce qu’il y avait autant de gens au paradis, il faudrait forcément<br />
que les gens vivent dans des appartements. Quand je me demandais ensuite<br />
quel genre de nourriture on mangerait là-bas, il m’apparaissait évident qu’il<br />
s’agirait de nourriture végétarienne, parce que de la viande, c’est la mort, et la<br />
mort n’a pas sa place au paradis. J’essayais de penser de façon logique, même<br />
si ce n’est pas la spécialité des religions, en général. »