22.06.2013 Views

Rapport d'expertise requis pour le Tribunal Penal International sur le ...

Rapport d'expertise requis pour le Tribunal Penal International sur le ...

Rapport d'expertise requis pour le Tribunal Penal International sur le ...

SHOW MORE
SHOW LESS

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

QUELQUES ELEMENTS D’ANALYSE POLITOLOGIQUE DE L’HECATOMBE<br />

RWANDAISE DE 1994<br />

RAPPORT D’EXPERTISE REQUIS POUR LE TRIBUNAL PENAL INTERNATIONAL<br />

SUR LE RWANDA DANS L'AFFAIRE : LE PROCUREUR CONTRE JEAN DE DIEU<br />

KAMUHANDA<br />

ICTR-99-54A<br />

<strong>Rapport</strong> établi par Nkiko NSENGIMANA<br />

Docteur ès Sciences Politiques<br />

Lausanne, décembre 2002.<br />

INTRODUCTION.<br />

La défense m’a demandé d’éclairer l’auguste <strong>Tribunal</strong> <strong>sur</strong> quelques aspects du processus politique<br />

et du génocide rwandais. Il s’agit, ainsi que <strong>le</strong> cahier des charges 1[1] me l’assigne de :<br />

Evoquer <strong>le</strong>s raisons qui ont conduit <strong>le</strong> Président Habyarimana à accepter <strong>le</strong> multipartisme.<br />

Décrire <strong>le</strong> climat prévalant entre <strong>le</strong>s partis politiques, particulièrement entre <strong>le</strong> MRND, MDR, FPR.<br />

Evoquer <strong>le</strong>s raisons qui ont conduit aux Accords d’Arusha, au protoco<strong>le</strong> d’entente entre <strong>le</strong>s partis<br />

politiques, à la répartition des portefeuil<strong>le</strong>s ministériels et à la représentation régiona<strong>le</strong> au sein du<br />

Gouvernement.<br />

Evoque <strong>le</strong> climat de terreur au Rwanda entre avril et juil<strong>le</strong>t 1994.<br />

Identifier <strong>le</strong>s objectifs et définir la notion de complice dans <strong>le</strong> contexte rwandais de 1994.<br />

Evoquer la Constitution applicab<strong>le</strong> en 1994 et indiquer si el<strong>le</strong> a été effectivement appliquée.<br />

Dire si <strong>le</strong> génocide a été planifié et s’il pouvait être évité.<br />

Dans <strong>le</strong> but de faciliter au <strong>Tribunal</strong> une bonne compréhension des aspects me soumis et vu que tous<br />

éléments d’éclairage <strong>requis</strong> n’étaient pas nécessairement liés, j’ai cherché à mettre ensemb<strong>le</strong> <strong>le</strong>s<br />

éléments semblab<strong>le</strong>s, et dans la me<strong>sur</strong>e du possib<strong>le</strong>, j’ai présenté <strong>le</strong>s faits d’une manière<br />

diachronique. Je n’ai donc pas développé <strong>le</strong>s points dans l’ordre du cahier des charges. Et quand la<br />

question ne précisait pas concrètement <strong>le</strong> cadre, j’ai essayé de lui en imprimer. D’ores et déjà, je ne<br />

prétends pas avoir épuisé l’analyse de tous <strong>le</strong>s objets <strong>sur</strong> <strong>le</strong>squels <strong>le</strong> <strong>Tribunal</strong> voudrait des<br />

clarifications plus exhaustives. Aussi espéré-je que la phase ora<strong>le</strong> me permettra d’élucider<br />

davantage tel ou tel aspect qui lui paraîtra partiel, voire controversé.<br />

Aussi dans un premier titre, aborderai-je la question généra<strong>le</strong> de l’ouverture au multipartisme au<br />

Rwanda et mettrai en exergue <strong>le</strong>s déterminants internes et externes. Dans un deuxième titre, je<br />

décrirai <strong>le</strong> climat prévalant entre <strong>le</strong>s partis politiques par la présentation de la configuration<br />

politique, <strong>le</strong>s relations entre <strong>le</strong>s partis dominants ainsi que <strong>le</strong>s fruits importants qu’ils ont récoltés<br />

dans la compétition politique. Ces partis sont <strong>le</strong> MRND, <strong>le</strong> MDR et <strong>le</strong> FPR. Dans un titre troisième,<br />

j’aborderai la question du protoco<strong>le</strong> d’entente entre <strong>le</strong>s partis politiques participant au<br />

gouvernement du 16 avril 1992. Dans cette partie, ce sont <strong>le</strong>s mobi<strong>le</strong>s à l’origine du protoco<strong>le</strong><br />

d’entente, <strong>le</strong>s clauses majeures dudit protoco<strong>le</strong> et la répartition des portefeuil<strong>le</strong>s ministériels qui<br />

seront retenues.<br />

1[1] ICTR, Offer of Appointment under a Consultant Contract, Ref. ICTR/PER/02/fm, 25 June 2002.


Le titre quatrième privilégiera l’aspect de la répartition régiona<strong>le</strong> des ministères sous la deuxième<br />

République. Après en avoir élucidé <strong>le</strong>s mobi<strong>le</strong>s, une présentation sous forme de tab<strong>le</strong>au statistique<br />

sera effectuée. Le titre cinquième développera <strong>le</strong>s raisons à la base de l’Accord de Paix d’Arusha.<br />

Les raisons internes et <strong>le</strong>s raisons externes seront à tour de rô<strong>le</strong> examinées. Le titre sixième a décrira<br />

<strong>le</strong> climat prévalant entre avril et juil<strong>le</strong>t 1994. Pour effectuer une tel<strong>le</strong> description, il sera nécessaire<br />

de faire un flash back <strong>sur</strong> <strong>le</strong> climat de peur et de blocage visib<strong>le</strong> avant avril 1994 à la suite de quoi<br />

<strong>le</strong> climat de terreur pendant <strong>le</strong>s cent jours du jour du génocide sera situé. Le titre septième analysera<br />

la notion de complice, notion qui a connu une mutation progressive au cours de la guerre et du<br />

génocide. Quatre étapes d’utilisation différente du terme seront sériées : la période d’octobre 1990 à<br />

juin 1991, la période de juin 1991 à octobre 1993, cel<strong>le</strong> d’octobre 1993 au 6 avril 1994, enfin cel<strong>le</strong><br />

du 6 avril à la prise du pouvoir par <strong>le</strong> FPR en juil<strong>le</strong>t 1994.<br />

Le titre huitième abordera la question du régime constitutionnel applicab<strong>le</strong> dès <strong>le</strong> 6 avril 1994. Pour<br />

ce faire, je montrerai d’abord comment la situation dans laquel<strong>le</strong> <strong>le</strong> Rwanda se trouvait était inédite.<br />

J’analyserai ensuite <strong>le</strong>s artic<strong>le</strong>s de la Constitution du 10 juin 1991 et ceux de l’Accord d’Arusha<br />

indiquant la procédure à suivre. Enfin, au vu des dispositions constitutionnel<strong>le</strong>s, je trancherai la<br />

question. Dans un ultime titre, je développerai la question comp<strong>le</strong>xe et polémique de la planification<br />

du génocide. Je dirai, dans un premier temps, ce que <strong>le</strong> génocide tutsi n’est pas. Dans un deuxième<br />

temps, je dirai ce qu’il est. Enfin, j’aborderai la question de savoir si <strong>le</strong> génocide aurait pu être évité.<br />

Ma conclusion reviendra <strong>sur</strong> <strong>le</strong>s faits majeurs qui caractérisent l’histoire immédiate rwandaise, à<br />

savoir la démocratie, la guerre et <strong>le</strong> génocide. El<strong>le</strong> interpel<strong>le</strong>ra l’auguste <strong>Tribunal</strong> <strong>sur</strong> son rô<strong>le</strong> dans<br />

la réconciliation.<br />

Titre 1 : L’OUVERTURE AU MULTIPARTISME.<br />

Le multipartisme au Rwanda s’est exercé dans un contexte spécifique : la guerre. Le génocide, <strong>le</strong>s<br />

crimes contre l’humanité et <strong>le</strong>s crimes de guerre commis au Rwanda de 1990 à 1994 et au-delà<br />

s’inscrivent dans un contexte politique de crise particulier : l’ouverture au multipartisme et la<br />

guerre. Si <strong>le</strong> deuxième élément s’est greffé <strong>sur</strong> l’autre, il n’en reste pas moins qu’il a accéléré <strong>le</strong><br />

premier, en même temps qu’il l’a vicié. Démocratiser en situation de guerre, la gageure impossib<strong>le</strong>.<br />

On ne peut donc pas par<strong>le</strong>r de l’un sans évoquer l’autre. Aussi tenterai-je dans ce premier titre d’en<br />

élucider <strong>le</strong>s déterminants internes et externes qui <strong>le</strong>s ont rendu possib<strong>le</strong>.<br />

LES DETERMINANTS INTERNES.<br />

Quels sont <strong>le</strong>s déterminants internes majeurs qui ont amené au multipartisme ? Si vous me<br />

permettez, j’en recenserais principa<strong>le</strong>ment cinq : <strong>le</strong> régionalisme, l’ethnisme latent, l’émergence<br />

de l’opposition interne et la perte des soutiens, la pauvreté du monde rural, la guerre.<br />

Le régionalisme ou <strong>le</strong> conflit nord-sud.<br />

La prise du pouvoir par coup d’état du Général Habyarimana en 1973 a inauguré un processus de<br />

marginalisation politique, voire d’élimination physique, de l’élite du sud du pays. Cette élite est<br />

restée, durant <strong>le</strong> long règne de Habyarimana, sous-représentée dans <strong>le</strong>s hautes sphères politiques,<br />

administratives et militaires du pays. Les projets de développement agrico<strong>le</strong> financés gracieusement<br />

par la Banque mondia<strong>le</strong> et <strong>le</strong> Fonds européen de développement se sont concentrés au nord du pays<br />

(3 préfectures), laissant au sud (7 préfectures) quelques miettes. Il en est de même dans l’accès à<br />

l’éco<strong>le</strong> où <strong>le</strong> sud, par l’invention d’associations des parents d’élèves et la création d’éco<strong>le</strong>s privées<br />

peu coûteuses, a su conserver <strong>le</strong> niveau d’instruction des enfants.


Vers la fin de l’année 1990, <strong>le</strong> pouvoir rwandais était aux mains d’une petite minorité hutu «akazu »<br />

de la région du Bushiru. Pour l’opposition politique, essentiel<strong>le</strong>ment hutu du sud, <strong>le</strong> FPR était<br />

considéré comme un allié de tail<strong>le</strong> dans <strong>le</strong> combat contre <strong>le</strong> régime Habyarimana 2[2] . L’opposition<br />

était donc favorab<strong>le</strong> au retour des réfugiés et au partage du pouvoir. Même aujourd’hui, après près<br />

d’une décennie d’exil, l’appartenance commune à l’ethnie hutu ne constitue pas un élément<br />

fédérateur susceptib<strong>le</strong> de rassemb<strong>le</strong>r la « communauté hutu » et de faire cause commune dans la<br />

lutte politique contre <strong>le</strong> régime de Kigali <strong>pour</strong>tant accusé de crimes contre l’humanité et de crimes<br />

de guerre contre <strong>le</strong>urs parents hutu. Signe que <strong>le</strong> contentieux nord-sud n’a pas encore été vidé.<br />

L’ethnisme latent.<br />

Le règne de Habyarimana coïncide aussi avec une certaine «dormance » du problème ethnique<br />

hutu-tutsi. En effet, <strong>le</strong> Président Habyarimana a dû compter <strong>sur</strong> l’alliance avec l’élite commercia<strong>le</strong><br />

tutsi <strong>pour</strong> se stabiliser. Au niveau interne, l’antagonisme hutu-hutu, ref<strong>le</strong>t du problème nord-sud,<br />

jusqu’au déc<strong>le</strong>nchement de la guerre en 1990 par <strong>le</strong> FPR, voire plus tard, était de loin plus<br />

inquiétant que <strong>le</strong> problème hutu-tutsi. Que l’on prenne la précaution de lire la presse de cette<br />

époque, on découvrira que la question ethnique était absente. J’avancerais même qu’el<strong>le</strong> était en<br />

train de s’estomper 3[3] . On trouvait dans la cour rapprochée du Président plus d’élites tutsi que de<br />

hutu du sud. Alors qu’on comptait plusieurs détenus politiques hutu, il n’y avait pas de détenu<br />

politique tutsi, cela jusqu’à l’éclatement de la guerre.<br />

Au niveau populaire, comme <strong>le</strong>s tutsi habitaient tous pratiquement <strong>le</strong> sud, il n’existait pratiquement<br />

plus de signe visib<strong>le</strong> de ségrégation entre hutu et tutsi. Tous étaient confrontés de manière éga<strong>le</strong> aux<br />

problèmes de la pauvreté, de l’exiguïté des terres, de l’accès aux soins et à l’éducation. Au contraire<br />

des solidarités socia<strong>le</strong>s à travers <strong>le</strong>s mariages, la constitution des coopératives de toutes sortes, la<br />

création d’associations de parents d’élèves étaient progressivement créées. Au niveau national, <strong>le</strong>s<br />

tutsi étaient marginalisés plus à cause de <strong>le</strong>ur origine régiona<strong>le</strong> que de <strong>le</strong>ur identité ethnique. Au<br />

niveau local, il n’existait pas de contentieux ethnique palpab<strong>le</strong>. Cela <strong>pour</strong> dire que jusqu’à<br />

l’éclatement de la guerre en 1990, l’ethnisme est resté latent et confiné au niveau des élites<br />

politiques.<br />

Le FPR a attaqué <strong>le</strong> pays au moment où <strong>le</strong> problème ethnique était en train de s’estomper devant la<br />

montée des revendications socia<strong>le</strong>s (paysannerie) et la contestation du <strong>le</strong>adership du nord<br />

(régionalisme). Il s’agissait d’une phase d’intégration termina<strong>le</strong>, phase sociologiquement fragi<strong>le</strong> par<br />

excel<strong>le</strong>nce. En recrutant presque exclusivement ses troupes dans <strong>le</strong>s rangs tutsi de l’intérieur, <strong>le</strong><br />

FPR a fis<strong>sur</strong>é un échafaudage de cohésion interne qui n’avait pas encore atteint son niveau<br />

d’équilibre stab<strong>le</strong>. Les démons de l’ethnisme ont alors été réhabilités et pouvaient faire valoir, à tort<br />

bien sûr, que <strong>le</strong>s tutsi de l’intérieur constituaient la cinquième colonne de la rébellion. Les temps de<br />

guerre ne sont pas ceux où la raison prévaut : l’espace est accaparé par <strong>le</strong>s radicaux.<br />

L’émergence de l’opposition interne et la perte des soutiens.<br />

En 1983, se passe un événement politique et judiciaire important qui bou<strong>le</strong>verse la donne politique<br />

alors consensuel<strong>le</strong>. Le ministre des affaires socia<strong>le</strong>s, Félicien Gatabazi, est accusé de détournement<br />

de biens destinés aux réfugiés. Il est écarté du gouvernement et mis en prison. M. Gatabazi, dans la<br />

2[2] El<strong>le</strong> <strong>le</strong> manifestera notamment à travers la rencontre de Bruxel<strong>le</strong>s du 29 mai au 3 juin 1992, dans laquel<strong>le</strong><br />

l’opposition non armée, appelée « Forces démocratiques de changement – FDC- » scel<strong>le</strong>ra dans <strong>le</strong> communiqué<br />

conjoint du 3 juin un accord politique avec la rébellion de concertation et de coordination permanente de l’information,<br />

la diplomatie et la sensibilisation de la population.<br />

3[3] La journaliste belge de la « Libre Belgique » dans sa livraison du 25 mai fait la même analyse et avance que la viel<strong>le</strong><br />

opposition hutu-tutsi d’antan qui entraîna en 1959 la révolte des premiers n’était plus <strong>le</strong> premier élément de tension<br />

politique. El<strong>le</strong> avait cédé <strong>le</strong> pas à l’antagonisme entre sud et nord.


subti<strong>le</strong> répartition géographique des postes ministériels et de la haute administration 4[4] , était comme<br />

l’un des principaux <strong>le</strong>aders du sud 5[5] du pays. D’autres <strong>le</strong>aders de la même trempe, à savoir<br />

Madame Félicula Nyiramutarambirwa 6[6] et Frédéric Nzamurambaho sont aussi évincés.<br />

L’opposition, alors latente, des gens du Sud qui avait diffici<strong>le</strong>ment digéré <strong>le</strong> coup d’Etat de 1973 et<br />

<strong>le</strong> sort tragique réservé aux élites politiques de la première République, s’exprime désormais de<br />

manière ouverte.<br />

Il est communément admis qu’un pouvoir tombe davantage à cause de la perte des soutiens et de la<br />

loyauté que de la force de l’opposition à laquel<strong>le</strong> il est confronté. Dans <strong>le</strong> cas du Rwanda, l’on peut<br />

constater que <strong>le</strong> régime a commencé à battre de l’ai<strong>le</strong> depuis 1985 avec la crise caféière. A la fin<br />

1989, il était complètement essoufflé qu’une journaliste belge de la « Libre Belgique » publia un<br />

artic<strong>le</strong> au titre prophétique annonçant la fin du régime 7[7] . Avec l’effritement catastrophique des prix<br />

du café dès 1985 qui induisit une diminution drastique des recettes de l’Etat, 8[8] ajouter à cela <strong>le</strong>s<br />

me<strong>sur</strong>es draconiennes d’ajustement structurel du Fonds Monétaire, <strong>le</strong> pouvoir ne dispose plus de<br />

ressources financières <strong>pour</strong> entretenir sa nombreuse cour et <strong>le</strong>s clients gravitant autour.<br />

Le cerc<strong>le</strong> des fidè<strong>le</strong>s se réduit alors considérab<strong>le</strong>ment créant une opposition nouvel<strong>le</strong> au sein même<br />

du régime. La crise économique s’accentuant, l’alliance scellée entre <strong>le</strong> pouvoir et l’élite<br />

commercia<strong>le</strong> tutsi commence el<strong>le</strong> aussi à fléchir. Cette élite n’arrive plus, en effet, à trouver <strong>le</strong>s<br />

ressources afin d’assumer sa contrepartie dans ladite entente 9[9] . Il convient aussi d’ajouter que ces<br />

ressources sont devenues d’autant plus limitées qu’el<strong>le</strong>s commençaient déjà à financer l’effort de<br />

guerre de la rébellion 10[10] .<br />

La contestation politique devient plus manifeste. A l’opposition traditionnel<strong>le</strong> alors latente<br />

composée de l’élite méridiona<strong>le</strong> se greffe une autre, née du fait que <strong>le</strong> pouvoir ne pouvait plus<br />

entretenir <strong>le</strong>s nombreux cerc<strong>le</strong>s concentriques de soutien. Le groupe politique du Nord, véritab<strong>le</strong><br />

détenteur du pouvoir, n’est plus cohérent en lui-même. On assiste à des rivalités fortes entre l’élite<br />

politique de la préfecture de Gisenyi, région originaire du Président de la République, et l’élite de la<br />

préfecture de Ruhengeri. Au sein même de l’élite de Gisenyi, une fracture « shiru », à savoir <strong>le</strong><br />

réduit, et « goyi », <strong>le</strong> deuxième cerc<strong>le</strong>, se dresse.<br />

Il apparaît donc que contestant une gouvernance de plus en plus obsolète, l’opposition,<br />

essentiel<strong>le</strong>ment hutu, d’abord confinée au sud, s’est progressivement élargie à certaines parties du<br />

4[4]<br />

Une loi non écrite inaugurée dès l’avènement de la deuxième République en 1973 voulait que, en vue de s’as<strong>sur</strong>er<br />

une clientè<strong>le</strong> politique doci<strong>le</strong>, chaque préfecture dispose d’au moins d’un portefeuil<strong>le</strong> au niveau du Gouvernement, du<br />

Comité central du parti unique MNRD et de la haute administration. Les préfectures de Gisenyi et de Ruhengeri<br />

disposaient bien entendu de plusieurs. Cela explique notamment <strong>pour</strong>quoi <strong>le</strong> Président Habyarimana, à la faveur de la<br />

constitution du premier gouvernement multipartite du 16 avril 1992, <strong>pour</strong> s’as<strong>sur</strong>er de la représentation de chaque<br />

préfecture, exigea parité dans la répartition des 19 portefeuil<strong>le</strong>s ministériels entre l’opposition politique et son parti.<br />

Avec <strong>le</strong> multipartisme, cela répondait bien sûr aussi à une stratégie é<strong>le</strong>ctora<strong>le</strong>.<br />

5[5]<br />

L’appellation « sud » recouvre en fait <strong>le</strong> sud et <strong>le</strong> centre du pays, c’est-à-dire principa<strong>le</strong>ment <strong>le</strong>s préfectures de<br />

Gitarama, Butare, Gikongoro, Kibuye. Par extension, el<strong>le</strong> incluait aussi <strong>le</strong>s préfectures de Cyangugu, Kigali et Kibungo.<br />

6[6]<br />

El<strong>le</strong> meurt en 1989 dans un accident de voiture jamais élucidé. Sont aussi morts dans des accidents de route non<br />

expliqués <strong>le</strong> ministre de la santé François Muganza ainsi que l’abbé Silvio Sindambiwe, journaliste de l’illustre journal<br />

Kinyamateka. Ils représentaient tous <strong>le</strong>s têtes montantes de l’opposition.<br />

7[7]<br />

Journal, La Libre Belgique : « Rwanda : la république a trente ans. Une révolution inachevée ? Une atmosphère de<br />

fin de règne », 31 octobre 1989.<br />

8[8]<br />

Nota bene. Le café intervenait <strong>pour</strong> plus de 70% des exportations tota<strong>le</strong>s du pays.<br />

9[9]<br />

Dès <strong>le</strong> coup d’Etat de juil<strong>le</strong>t 1973, afin de mieux contrô<strong>le</strong>r l’opposition hutu du sud, <strong>le</strong> régime Habyarimana noue<br />

alliance avec l’élite commercia<strong>le</strong> tutsi et soutien sa consolidation en lui accordant beaucoup d’avantages commerciaux<br />

et fiscaux qui lui permettent de dominer <strong>le</strong>s secteurs pétrolier, bancaire, import/export et <strong>le</strong>s marchés publics. La<br />

contrepartie est la prise de participation fictive dans <strong>le</strong>s sociétés, la distribution de dividendes et de prébendes ainsi que<br />

l’entretien du réseau de contre-espionnage privé du régime.<br />

10[10]<br />

Lire <strong>le</strong> livre de Kajeguhakwa, Va<strong>le</strong>ns, De la terre de paix à la terre de sang et après ?, Paris, Remi Perrin, 2001,<br />

359 p. Une véritab<strong>le</strong> épopée et une construction patiente de la revanche politique !


Nord. Quelques éléments de ces élites du Nord sont même allés gonf<strong>le</strong>r <strong>le</strong>s rangs du FPR. Le<br />

pouvoir se concentre désormais dans <strong>le</strong>s mains de la famil<strong>le</strong> présidentiel<strong>le</strong> qui sera désormais connu<br />

sous <strong>le</strong> nom de « Akazu » ou « Clan de Madame », à savoir, <strong>le</strong> carré central prétorien du pouvoir.<br />

La paupérisation du monde rural.<br />

L’essouff<strong>le</strong>ment du système foncier a eu des conséquences désastreuses <strong>sur</strong> l’économie rura<strong>le</strong>. Les<br />

exploitations agrico<strong>le</strong>s familia<strong>le</strong>s de plus de deux hectares, représentant <strong>pour</strong>tant près de la moitié<br />

des terres cultivab<strong>le</strong>s concentrées par seu<strong>le</strong>ment 16% des propriétaires terriens 11[11] , produisent par<br />

hectare six fois moins que <strong>le</strong>s minuscu<strong>le</strong>s terres restantes de moins d’un demi hectare exploitées par<br />

<strong>le</strong>s 84% habitants restants. Ces terres mal exploitées appartiennent à ce que l’on <strong>pour</strong>rait appe<strong>le</strong>r<br />

une élite foncière absentéiste composée de fonctionnaires et de commerçants. Cela a accentué <strong>le</strong><br />

mécontentement.<br />

Ajouter à cela que la miniaturisation progressive de la propriété familia<strong>le</strong> due au système d’héritage<br />

de répartition équitab<strong>le</strong> entre tous <strong>le</strong>s éléments mâ<strong>le</strong>s, miniaturisation qui n’a pas été accompagnée<br />

de progrès technologique ad hoc, a conduit à l’épuisement rapide des réserves de terre, à la chute de<br />

la productivité des terres <strong>sur</strong>exploitées et à la complication du problème foncier. On comprend ainsi<br />

<strong>pour</strong>quoi la misère, la famine et <strong>le</strong>s maladies sont devenues <strong>le</strong> lot quotidien de la paysannerie et<br />

l’ont socia<strong>le</strong>ment marginalisé, creusant un grand fossé entre riches urbains et pauvres ruraux.<br />

Les inégalités socia<strong>le</strong>s relatives à l’accès à l’emploi, à l’éducation, à la santé et aux ressources<br />

économiques se sont donc accrues et la richesse nationa<strong>le</strong> profitait à un petit nombre de privilégiés<br />

du régime et à une élite militaro-commercia<strong>le</strong>. La classe paysanne a été frappée de p<strong>le</strong>in fouet par<br />

l’exclusion socia<strong>le</strong> et économique. Une famine endémique s’est installée dans <strong>le</strong> pays, en particulier<br />

dans <strong>le</strong>s hautes terres acides du sud du pays. La jeunesse qui forme plus de la moitié de la<br />

population s’est trouvée sans perspective quant à l’accès à la terre ou à un autre emploi. Ces deux<br />

phénomènes ont donné lieu aux premiers réfugiés écologiques qui émigrèrent vers la Tanzanie. Le<br />

non-accès à la terre par <strong>le</strong>s jeunes générations a créé un chômage structurel atteignant 30% dans <strong>le</strong><br />

monde rural.<br />

Ce phénomène sans précédent de grandes inégalités et de paupérisation de la paysannerie a été<br />

beaucoup dénoncée par l’élite paysanne issue du mouvement associatif. El<strong>le</strong> n’a pas hésité à<br />

dénoncer <strong>le</strong> pouvoir comme étant responsab<strong>le</strong> de la famine qui sévissait dans <strong>le</strong> pays. El<strong>le</strong> a été en<br />

cela appuyée par des <strong>le</strong>aders du mouvement associatif et a constitué un nouveau pô<strong>le</strong> de<br />

contestation politique 12[12] . C’est ce pô<strong>le</strong> qui forma <strong>le</strong> noyau du groupe des « 33 » qui, en septembre<br />

1990, demanda publiquement l’ouverture au multipartisme. Et ce sont <strong>le</strong>s organisations paysannes<br />

qui, trois mois plus tard, en p<strong>le</strong>ine guerre, défièrent <strong>le</strong> pouvoir central et réclamèrent la modification<br />

de la Constitution <strong>pour</strong> que cel<strong>le</strong>-ci rende possib<strong>le</strong> <strong>le</strong> pluralisme politique.<br />

Il convient enfin de souligner que cette paupérisation d’une frange importante de l’ensemb<strong>le</strong> de la<br />

société que constitue la paysannerie éclaire sous un ang<strong>le</strong> nouveau la vio<strong>le</strong>nce inouïe et <strong>le</strong> génocide,<br />

exécutés par de simp<strong>le</strong>s gens, qui se sont abattus <strong>sur</strong> <strong>le</strong> pays et se sont canalisés dans la zone<br />

contrôlée par <strong>le</strong> gouvernement vers <strong>le</strong>s groupes socia<strong>le</strong>ment minoritaires, en l’occurrence <strong>le</strong>s<br />

11[11] Les productions agrico<strong>le</strong>s, <strong>Rapport</strong>s de la Commission nationa<strong>le</strong> d’agriculture, République rwandaise, 1991.<br />

12[12] Ce sont <strong>le</strong>s représentants de la société civi<strong>le</strong> qui <strong>le</strong>s premiers, à savoir <strong>le</strong>s 20 et 21 décembre 1990 dans une tab<strong>le</strong><br />

ronde tenue à Kigali, proposèrent la modification de la Constitution afin de consacrer juridiquement <strong>le</strong> pluralisme<br />

politique et réclamèrent la tenue d’une conférence nationa<strong>le</strong> souveraine « Rukokoma » chargée de rédiger la<br />

Constitution et de déterminer la conduite de la transition. Cette idée de la Conférence nationa<strong>le</strong> sera ensuite reprise par<br />

l’opposition. Aucun des partis politiques n’ayant l’as<strong>sur</strong>ance de maîtriser ses conclusions, <strong>le</strong>s partis renoncèrent à la<br />

tenir. Voir <strong>le</strong>ttre du conseil de concertation des ONG « CCOAIB » du 4 janvier 1991 adressée au président de la<br />

commission nationa<strong>le</strong> de synthèse.


tutsi 13[13] . Il serait intéressant de savoir <strong>pour</strong>quoi <strong>le</strong> FPR s’est acharné et a continué par après à<br />

s’acharner avec la même hargne <strong>sur</strong> <strong>le</strong>s famil<strong>le</strong>s paysannes pauvres hutu, <strong>pour</strong>tant sans influence<br />

<strong>sur</strong> la gestion du pays. S’agissait-il sans doute du dessein de dégager <strong>le</strong>s terres et l’espace <strong>pour</strong> <strong>le</strong>s<br />

nouveaux réfugiés et <strong>le</strong>urs vaches afin d’honorer une promesse politique du FPR faite aux famil<strong>le</strong>s<br />

des réfugiés quand il <strong>le</strong>s sensibilisait à laisser <strong>le</strong>urs enfants s’enrô<strong>le</strong>r dans la rébellion.<br />

La guerre.<br />

Sentant venir la menace induite par un processus de démocratisation interne et d’inclusion socioethnique<br />

bien avancé et, par conséquent, l’effritement rapide des arguments qu’il aurait pu avancer<br />

<strong>pour</strong> justifier une décision aussi grave, <strong>le</strong> FPR a déc<strong>le</strong>nché la guerre. Cette analyse est confirmée<br />

par son commissaire politique M. Tito Rutaremara dans une interview à la Voix d’Amérique 14[14] . Il<br />

a dit en effet au journaliste :<br />

« Premièrement, si <strong>le</strong> Front a choisi la période, c’est parce que <strong>le</strong>s conditions au Rwanda, <strong>le</strong>s<br />

conditions objectives, devenaient mûres. Avant, on présentait <strong>le</strong> problème comme entre Hutu et<br />

Tutsi. Après, ça a changé entre <strong>le</strong> problème … entre <strong>le</strong> Nord et <strong>le</strong> sud, et puis même ça a changé<br />

entre Gisenyi et Ruhengeri, par après même ça a été changé entre Bagisu 15[15] et Bagoyi, jusqu’au<br />

moment même où <strong>le</strong> problème et <strong>le</strong>s conflits ont été entre <strong>le</strong> clan de la femme de Habyarimana et <strong>le</strong>s<br />

autres. Donc, on a vu que <strong>le</strong>s contradictions étaient mûres, que d’ail<strong>le</strong>urs <strong>le</strong>s Banyarwanda<br />

maintenant, d’aujourd’hui pouvaient voir que <strong>le</strong> problème n’est plus entre Hutu et Tutsi, mais que<br />

c’était entre <strong>le</strong>s Banyarwanda et une clique de gens qui voulaient prendre …. Rester au pouvoir, et<br />

prendre la richesse du pays. Pour ça on s’est rendu compte que <strong>le</strong> moment était ce moment là. Mais<br />

il y a eu des problèmes au Rwanda comme la faim et autres. Ils nous ont montré aussi ça. Il y avait<br />

aussi des conflits à l’intérieur de l’armée, ça nous a montré que <strong>le</strong> moment était ce moment-là ».<br />

Le Président Habyarimana savait bien tout <strong>le</strong> bénéfice politique qu’il pouvait tirer d’une<br />

démocratisation contrôlée en tant de guerre. Cel<strong>le</strong>-ci lui permettait de remonter sa popularité perdue<br />

et de scel<strong>le</strong>r autour de lui une grande coalition nationa<strong>le</strong> face à la guerre. Il pouvait ainsi maîtriser et<br />

réduire la force de l’opposition. Le FPR redoutait aussi que s’il laissait <strong>le</strong> processus normal de<br />

démocratisation continuer, celui-ci allait aboutir sans lui et voir dégonf<strong>le</strong>r ses appétits de pouvoir.<br />

L’opposition qui voyait l’embuscade lui tendu par <strong>le</strong> pouvoir en place et par la rébellion et qui<br />

craignait que <strong>le</strong> contexte de guerre ne <strong>le</strong> marginalisa définitivement, demanda à ce qu’il soit associé<br />

à la gestion de la guerre par l’entrée au gouvernement. C’est dire que <strong>le</strong> timing choisi <strong>pour</strong> lancer la<br />

guerre a profité du marasme socio-politique interne et cherchait à devancer la démocratisation des<br />

institutions publiques.<br />

LES DETERMINANTS EXTERNES.<br />

Venons en maintenant aux déterminants externes <strong>le</strong>squels permettent aussi de nous plonger dans la<br />

dimension régiona<strong>le</strong> du conflit. J’en décè<strong>le</strong> quatre principaux : la situation politique intérieure de<br />

l’Uganda, l’endiguement de l’islamisme, l’effritement du Mur de Berlin, la sécurité des<br />

approvisionnements en matières premières stratégiques.<br />

La situation politique intérieure ugandaise.<br />

13[13] Sur <strong>le</strong> lien entre vio<strong>le</strong>nce et rareté des ressources, voir GASANA, James, World Watch Review, « Remember<br />

Rwanda ? », volume 15, Number 5, September/October 2002, Washington DC, pp.24-33.<br />

14[14] Entretien au mois d’octobre 1990, juste après <strong>le</strong> déc<strong>le</strong>nchement de la guerre, avec <strong>le</strong> journaliste Bob Scot de la<br />

radio « Voice of America ». L’enregistrement est disponib<strong>le</strong> auprès de l’auteur.<br />

15[15] Confusion sans doute avec Bashiru.


La victoire militaire et la prise du pouvoir par Museveni en 1986 a beaucoup profité aux rwandais<br />

réfugiés. En effet, ces derniers avaient constitué la colonne vertébra<strong>le</strong> de l’armée victorieuse. Avec<br />

Museveni, ils ont dominé l’armée où ils ont occupé <strong>le</strong>s postes stratégiques : état major,<br />

renseignement militaire, service informatique, service médical, <strong>pour</strong> ne citer que ceux-là.<br />

L’exercice de tel<strong>le</strong>s responsabilités a rendu <strong>le</strong>s rwandais deviennent très voyants. En outre, des<br />

hauts officiers rwandais 16[16] avaient été accusés de violation grave du droit humanitaire dans la<br />

répression de la rébellion du nord et de l’est. Ces deux éléments ont attiré l’hostilité des autres alliés<br />

politiques nationaux de Museveni, <strong>le</strong>squels l’ont menacé de rompre la coalition, convaincus qu’ils<br />

étaient que la présence des rwandais dans l’armée ne permettrait aucun accord de paix avec <strong>le</strong>s<br />

in<strong>sur</strong>gés.<br />

Le Président ugandais a fait alors d’une pierre deux coups. Premier coup : il se sépare des rwandais<br />

mais <strong>le</strong>s aide à conquérir <strong>le</strong> pouvoir dans <strong>le</strong>ur pays d’origine. Cela lui permet d’obtenir en retour la<br />

loyauté interne. Cette opération de « dérwandisation » de l’armée ugandaise NRA a réussi grâce<br />

notamment aux appuis financiers du FMI dans <strong>le</strong> cadre du programme d’ajustement<br />

structurel. Deuxième coup : en portant la guerre au Rwanda, il compte instal<strong>le</strong>r au pouvoir un allié<br />

sûr à sa frontière sud et agrandir en même temps sa sphère d’influence dans <strong>le</strong>s Grands Lacs,<br />

prologue à d’autres aventures régiona<strong>le</strong>s, tel <strong>le</strong> renversement de Mobutu. Le prétexte honorab<strong>le</strong><br />

d’invasion du pays était tout trouvé et convenait tout à fait avec la conjoncture internationa<strong>le</strong> :<br />

l’instauration de l’Etat de droit et de la démocratie 17[17] .<br />

L’endiguement de l’islamisme.<br />

Le Soudan a été depuis longtemps considéré par <strong>le</strong>s USA comme <strong>le</strong> bras avancé de l’islamisme. Si<br />

celui-ci devait agrandir sa zone d’influence vers <strong>le</strong> sud par <strong>le</strong> Congo Zaïre, frontalier avec huit<br />

autres pays, l’importance des va<strong>le</strong>urs politiques et économiques majeures, à savoir la démocratie et<br />

<strong>le</strong> libre marché <strong>pour</strong>raient se trouver très vite compromises en Afrique. La démocratisation et <strong>le</strong><br />

renouvel<strong>le</strong>ment de l’élite politique étaient donc considérés comme <strong>le</strong> rempart idoine contre<br />

l’islamisme.<br />

Le Président Mobutu, infréquentab<strong>le</strong> et maître d’un pays en déliquescence politique et économique,<br />

ne voulait pas démocratiser son pays. Il ne trouvait pas non plus l’urgence d’un tel combat contre<br />

l’islamisme. Il était de <strong>sur</strong>croît convaincu que de toute façon cette religion finirait tôt ou tard par<br />

être « africanisée » au sud comme il l’avait été dans la plupart des pays d’Afrique de l’ouest. Ce<br />

n’était évidemment pas l’avis des pays occidentaux qui voyaient déjà en l’autre géant africain, <strong>le</strong><br />

Nigeria, <strong>le</strong> futur foyer d’expansion de l’islamisme.<br />

Le Président Habyarimana, très lié à Mobutu, invité à participer à des rencontres des groupes de<br />

prière organisées aux Etats Unis qui échangeaient <strong>sur</strong> cette problématique, ne s’y rendit pas. Il<br />

refusa lui-même d’entrer dans cette croisade anti-islamiste, non seu<strong>le</strong>ment du fait que son pays était<br />

chrétien, catholique sans risque d’islamisation, ou qu’il entretenait des bonnes relations<br />

diplomatiques et commerciaux avec <strong>le</strong> colonel Kadhafi, mais <strong>sur</strong>tout par amitié avec <strong>le</strong> Président<br />

16[16]<br />

Il s’agit des commandants Chris Bunyenyezi et de Stephen Nduguta. Voir notamment, PRUNIER, Gérard,<br />

Rwanda : <strong>le</strong> génocide, Dagorno, p.93.<br />

17[17]<br />

Il s’agit bien de prétexte. En effet, ni <strong>le</strong>ur conception politique ni <strong>le</strong>ur pratique politique ne peut <strong>le</strong>ur conférer un<br />

statut démocratique. Je me souviens combien en 1992 dans <strong>le</strong>s négociations politiques d’Arusha <strong>le</strong>urs émissaires se sont<br />

vigoureusement opposés au premier protoco<strong>le</strong> <strong>sur</strong> l’Etat de droit. N’eût été la pression des pays occidentaux, <strong>le</strong>s dés<br />

étaient pipés <strong>pour</strong> <strong>le</strong> début des négociations. Les chefs politiques et militaires du FPR avaient auparavant servi des<br />

régimes qui étaient loin d’être des exemp<strong>le</strong>s de démocratie, à savoir ceux d’Oboté I en 1966, d’Amin Dada en 1971 et<br />

de Museveni en 1986 partisan du « no party system » !


Mobutu qu’il ne pouvait en aucun cas combattre. Il partageait enfin la même réticence à<br />

démocratiser 18[18] .<br />

Le Président Museveni, lui, avait vu l’intérêt politique et régional que <strong>pour</strong>rait lui amener <strong>le</strong><br />

renversement de Mobutu dans la lutte contre l’islamisme. Il considérait <strong>le</strong> Rwanda comme <strong>le</strong><br />

maillon faib<strong>le</strong> du puzz<strong>le</strong> francophone qui pouvait être déstabilisé sans s’attendre à trop<br />

d’interventionnisme français. Et vu sa position géographique, il constituait en même temps une<br />

porte d’entrée idéa<strong>le</strong> <strong>pour</strong> l’éviction de Mobutu et la continuation de sa campagne militaire vers<br />

l’Afrique centra<strong>le</strong>. Aussi <strong>le</strong> Président ugandais a-t-il demandé que l’on l’aida à consolider son<br />

pouvoir politique, <strong>le</strong>quel passait par l’appui militaire et politique du FPR et par l’instauration au<br />

Rwanda d’un pouvoir satellite. Voici Museveni devenu <strong>le</strong> seigneur de guerre régional, champion<br />

habillé sous <strong>le</strong>s cou<strong>le</strong>urs trompeuses de nouveau démocrate issu d’une nouvel<strong>le</strong> race de <strong>le</strong>aders<br />

africains.<br />

L’effritement du Mur de Berlin.<br />

La fin de la guerre froide et du communisme européen a écarté toute menace de guerre mondia<strong>le</strong> et<br />

a laissé, sans rival, <strong>le</strong>s Etats-Unis comme la seu<strong>le</strong> superpuissance mondia<strong>le</strong>. Le nouvel<br />

environnement international a remis en question l’ancien partage des zones d’influence convenu<br />

entre <strong>le</strong>s pays alliés occidentaux <strong>pour</strong> contenir la percée du communisme. La fin de ce dernier a<br />

ouvert désormais la concurrence politique, stratégique et économique. Afin de gagner de nouvel<strong>le</strong>s<br />

zones d’influence ou de renforcer cel<strong>le</strong>s existantes, l’instauration de la démocratie en Afrique<br />

centra<strong>le</strong> et de l’ouest permet, <strong>pour</strong> <strong>le</strong>s uns, <strong>le</strong> renouvel<strong>le</strong>ment des élites, <strong>pour</strong> <strong>le</strong>s autres la<br />

légitimation de cel<strong>le</strong>s qui sont en place.<br />

La Grande Bretagne, développant de tout temps une politique étrangère souvent liée à cel<strong>le</strong> des<br />

Etats Unis ne sera pas atteinte dans ses intérêts géopolitiques. Par contre la France, qui avait<br />

développé une politique plus autonome sera confrontée à une rude compétition avec <strong>le</strong>s deux pays.<br />

Toujours fidè<strong>le</strong>s à la théorie du maillon faib<strong>le</strong> ou du domino, <strong>le</strong>s Etats-Unis et la Couronne<br />

britannique vont, afin de concurrencer <strong>sur</strong> <strong>le</strong>ur propre terrain la France et l’Union européenne en<br />

filigrane, attaquer <strong>le</strong>s éléments faib<strong>le</strong>ment arrimés à l’influence de la francophonie, à savoir <strong>le</strong><br />

Rwanda, <strong>le</strong> Burundi et <strong>le</strong> Zaïre. Dans ces pays en effet, <strong>le</strong>s intérêts économiques, politiques, voire<br />

culturels français s’avèrent faib<strong>le</strong>s d’autant qu’ils sont en concurrence avec ceux d’un autre pays : la<br />

Belgique. Et si la France était arrivée à y supplanter la Belgique <strong>sur</strong> <strong>le</strong> plan militaire et politique,<br />

cette dernière y restait <strong>pour</strong>tant forte <strong>sur</strong> <strong>le</strong>s plans économiques et culturels. On n’efface pas non<br />

plus faci<strong>le</strong>ment soixante cinq ans de relations étroites.<br />

d. Le contrô<strong>le</strong> des approvisionnements stratégiques.<br />

On connaît bien <strong>le</strong>s richesses naturel<strong>le</strong>s de l’ex-Zaïre : un sol riche, avec ses cours d’eau, ses forêts,<br />

un sous-sol qui reste un scanda<strong>le</strong> géologique avec ses diamants, son or, son cuivre et autres métaux<br />

à la base des composants é<strong>le</strong>ctroniques. Certes <strong>le</strong>s richesses du Congo sont connues et intéressent<br />

plus d’une firme multinationa<strong>le</strong> qui seraient prêtes à se battre <strong>pour</strong> conquérir ou <strong>pour</strong> garder des<br />

droits de <strong>le</strong>s extraire et de <strong>le</strong>s exporter. Cela est vrai. Ce qui est nouveau cependant, c’est la<br />

question de la revivification quasi soudaine des ressources potentiel<strong>le</strong>s de ce pays.<br />

Il convient de noter cependant que l’intérêt économique va bien au-delà de ce seul pays. C’est, en<br />

effet, l’ensemb<strong>le</strong> des pays qui entourent <strong>le</strong> Golfe de Guinée qui est concerné. Il s’agit de : Angola,<br />

<strong>le</strong>s deux Congo, Cameroun, Gabon, Guinée Equatoria<strong>le</strong>, Nigeria, Bénin, Ghana, Togo, Côte<br />

18[18] Au sommet franco-africain de la Bau<strong>le</strong> en France en 1990, il s’était fait <strong>le</strong> porte-paro<strong>le</strong> des Chefs d’Etat réticents à<br />

la démocratisation. Il y a défendu <strong>le</strong> paradigme <strong>sur</strong>prenant de « démocratie à l’africaine » à son sens déjà appliqué dans<br />

<strong>le</strong>s pays africains.


d’Ivoire, Liberia, Sierra Leone. Plus que <strong>le</strong>s autres matières premières, c’est <strong>le</strong> pétro<strong>le</strong> offshore qui<br />

est visé. Les découvertes récentes, ou plutôt <strong>le</strong>ur publication, seraient en passe de faire du Golfe de<br />

Guinée, avec <strong>le</strong> Moyen Orient et <strong>le</strong>s pays de l’Asie centra<strong>le</strong>, un des trois principaux centres<br />

d’approvisionnement mondial.<br />

Pourquoi cette mise en avant soudaine du Golfe de Guinée ? La première explication serait cel<strong>le</strong> de<br />

sécuriser politiquement ces nouvel<strong>le</strong>s zones stratégiques pétrolières par l’instauration de régimes<br />

démocratiques et par <strong>le</strong> renforcement d’une élite politique favorab<strong>le</strong> aux nouveaux enjeux<br />

économiques. La deuxième résiderait dans la montée irrésistib<strong>le</strong> en puissance à moyen terme de<br />

quelques pays du Moyen Orient qui <strong>pour</strong>raient développer durab<strong>le</strong>ment des politiques autonomes,<br />

voire conflictuel<strong>le</strong>s avec <strong>le</strong>s Etats-Unis. Entendez l’Irak et l’Iran, voire l’Arabie saoudite. Il s’agirait<br />

donc de développer et de contrô<strong>le</strong>r d’autres pô<strong>le</strong>s d’approvisionnement <strong>pour</strong> diminuer la<br />

dépendance au Moyen Orient, augmenter la sécurité d’approvisionnement et accentuer la pression<br />

politique <strong>sur</strong> certains pays du Moyen Orient potentiel<strong>le</strong>ment hosti<strong>le</strong>s.<br />

Titre 2 : LE CLIMAT PREVALANT ENTRE LES PARTIS POLITIQUES<br />

LA CONFIGURATION POLITIQUE<br />

Les caractéristiques.<br />

La scène politique rwandaise se répartissait, à partir de juil<strong>le</strong>t 1991, en trois pô<strong>le</strong>s. Deux pô<strong>le</strong>s sont<br />

à la fois politiques et militaires, il s’agit du MRND et du FPR dans <strong>le</strong> sens où l’un et l’autre<br />

disposaient d’une armée. Le troisième, non armé, était constitué principa<strong>le</strong>ment par <strong>le</strong>s partis de<br />

l’opposition MDR, PSD et PL. Les deux pô<strong>le</strong>s MRND et FPR voulaient utiliser la guerre comme<br />

outil de contrô<strong>le</strong> du processus politique. Le pô<strong>le</strong> non armé voulait entrer au gouvernement afin de<br />

pouvoir gérer la guerre et ainsi ne pas se trouver exclu du processus politique qui lui permettait de<br />

bénéficier, en cas de cessation définitive des hostilités, de ses retombées positives.<br />

Dans un pays essentiel<strong>le</strong>ment rural dégageant peu de revenu net, où <strong>le</strong> secteur privé formel restait<br />

réduit et où l’Etat constituait de loin <strong>le</strong> principal employeur, la classe politique était composée<br />

essentiel<strong>le</strong>ment de fonctionnaires aux ressources financières limitées qui avaient, de <strong>sur</strong>croît, un<br />

même référentiel bureaucratique. Focalisés <strong>sur</strong> la gestion à court terme du pouvoir 19[19] , entrer au<br />

gouvernement et « séquestrer l’Etat » restait la stratégie commune qui permettait aux partis d’élargir<br />

<strong>le</strong>s bases de la clientè<strong>le</strong> au sein de l’administration et de trouver <strong>le</strong>s moyens matériels et financiers<br />

de <strong>le</strong>ur action politique 20[20] . A voir <strong>le</strong>s programmes politiques des partis 21[21] , <strong>le</strong>s analyses des<br />

situations passées et présentes mises à part, <strong>le</strong>s propositions <strong>pour</strong> <strong>le</strong> futur étaient souvent identiques.<br />

Sans autre point de chute dans l’économie privée ou socia<strong>le</strong>, <strong>le</strong>s fonctionnaires ont eu aussi<br />

tendance à s’affilier au parti politique titulaire du portefeuil<strong>le</strong> ministériel qui <strong>le</strong>s emploie.<br />

19[19] On verra comment, dans <strong>le</strong> sens de s’as<strong>sur</strong>er <strong>le</strong> maximum de sièges dans <strong>le</strong> par<strong>le</strong>ment de transition, <strong>le</strong>s formations<br />

politiques qui redoutaient <strong>le</strong> renforcement de l’opposition non armée dans la période de transition ont créé une myriade<br />

de minuscu<strong>le</strong>s partis politiques satellites. Pour <strong>le</strong> MRND, il s’agit de : MFBP, PD, PARERWA, PDI/1, PECO, PPJR,<br />

RTD. Pour <strong>le</strong> FPR, il s’agit de : UDPR, PSR, PDI/2. Le cas de la CDR, proche de l’ai<strong>le</strong> dure du MRND est à mettre à<br />

part, compte tenu de l’autonomie réel<strong>le</strong> qu’il a développée ultérieurement.<br />

20[20] Craignant que <strong>le</strong>s militants à la base ne soient détournés par <strong>le</strong>s partis politiques concurrents moins exigeants, <strong>le</strong>s<br />

partis politiques n’ont pas instauré ni exigé à <strong>le</strong>urs adhérents de s’acquitter de la moindre cotisation. Il n’était pas rare<br />

de voir des militants échanger <strong>le</strong>s bons publics d’essence aux stations. Cela accrédite la stratégie de la séquestration de<br />

l’Etat empruntée par <strong>le</strong>s formations politiques.<br />

21[21] Avant-projet de Manifeste Programme et Statuts du MDR, Kigali, février 1992. Programme politique du FPR,<br />

Muvumba, mai 1992. Manifeste et Statuts du MRND, Journal officiel du 15 août 1991. Manifeste et Programme du<br />

PSD, mai,1991.


Les bases politiques et courants des formations dominantes : MRND, FPR, MDR.<br />

Le MRND 22[22] , <strong>le</strong> FPR 23[23] et MDR 24[24] sont sans conteste <strong>le</strong>s formations politiques dominantes du<br />

paysage politique de la période 1990 à 1994. «MRND». S’inscrivant dans une sociologie politique<br />

régiona<strong>le</strong> et ethnique différentes, ce sont ces trois formations qui cristallisent toute la lutte politique<br />

des années 50 à date. Plus que tous <strong>le</strong>s autres partis, ils tirent <strong>le</strong>ur légitimité du parcours de<br />

l’histoire. Dans l’imaginaire populaire et dans une représentation politique grossière, <strong>le</strong> FPR<br />

représente <strong>le</strong> pouvoir tutsi qui a régné jusqu’à la Révolution socia<strong>le</strong> de 1959. Le MDR représente <strong>le</strong><br />

pouvoir hutu du sud qui a mis fin au système de servage et à la monarchie. Le MRND représente <strong>le</strong><br />

pouvoir hutu du nord qui a géré <strong>le</strong> pouvoir depuis <strong>le</strong> coup d’Etat militaire de 1973. Ce sont donc des<br />

formations politiques concurrentes, peu coopératives et maximalistes entre el<strong>le</strong>s qui se disputent la<br />

suprématie politique, sinon l’exclusivité.<br />

Le MRND<br />

Le MRND, c’est <strong>le</strong> parti au pouvoir dont son président fondateur s’est hissé au pouvoir en 1973 par<br />

un coup d’Etat militaire. Sa base politique est définie <strong>sur</strong> un trip<strong>le</strong> axe régional, ethnique et<br />

militaire. Il est traversé en son sein par deux courants : <strong>le</strong> courant conservateur et <strong>le</strong> courant<br />

rénovateur. Sur <strong>le</strong> plan régional, ses militants se recrutent principa<strong>le</strong>ment dans <strong>le</strong>s trois préfectures<br />

du nord : Gisenyi, Ruhengeri et Byumba 25[25] . Sur <strong>le</strong> plan de l’origine ethnique des adhérents, <strong>le</strong><br />

parti mobilise l’é<strong>le</strong>ctorat essentiel<strong>le</strong>ment hutu 26[26] . L’armée est dominée, mais pas de manière<br />

exclusive, par <strong>le</strong> MRND. Sur <strong>le</strong>s 574 officiers que comptait l’armée à la fin du premier trimestre<br />

1993, 352 officiers, soit 61%, sont des ressortissants des 3 préfectures « fiefs » du MRND 27[27] .<br />

Le courant conservateur constitue <strong>le</strong>s caciques de l’ancien parti unique, al<strong>le</strong>rgique à l’évolution<br />

démocratique en cours. Réfractaire à tout changement, il ne veut pas de compromis politique avec<br />

l’opposition et veut as<strong>sur</strong>er l’exclusivité du pouvoir. Il veut utiliser et conduire seul la guerre <strong>pour</strong><br />

as<strong>sur</strong>er la suprématie militaire et politique du MRND 28[28] . Le <strong>le</strong>adership est as<strong>sur</strong>é par « l’akazu »,<br />

à savoir <strong>le</strong> cerc<strong>le</strong> rapproché du Président de la République. Son représentant est M. Joseph<br />

Nzirorera, <strong>le</strong> futur secrétaire national, chef réel incontestab<strong>le</strong> de la milice « Interahamwe 29[29] ».<br />

22[22]<br />

Se dénomme désormais Mouvement Républicain National <strong>pour</strong> la Démocratie et <strong>le</strong> Développement en<br />

remplacement de l’ancien parti unique du Mouvement révolutionnaire national <strong>pour</strong> <strong>le</strong> développement. Il ne change pas<br />

de sig<strong>le</strong> cependant.<br />

23[23]<br />

Se dénomme Front Patriotique Rwandais. Il s’agit de la mutation militaire du « Rwandese Alliance for National<br />

Unity).<br />

24[24]<br />

Mouvement Démocratique Républicain. Se veut la rénovation du MDR Parmehutu, Parti du mouvement de<br />

l’émancipation hutu, à la base de la Révolution socia<strong>le</strong> de 1959.<br />

25[25]<br />

Les préfectures de Cyangugu, Kigali et Kibungo viennent en deuxième position. Les adhérents sont par contre<br />

marginaux dans Gitarama, Butare, Gikongoro et Kibuye.<br />

26[26]<br />

Alors qu’au début du processus démocratique, un bon nombre de tutsi avait adhéré au MRND et que l’on pouvait<br />

même <strong>le</strong>s trouver au sein de l’appareil dirigeant du parti, celui-ci se verra vider de presque ses adhérents tutsi après <strong>le</strong><br />

discours pyromane et raciste prononcé <strong>le</strong> 22 novembre 1992 lors d’un meeting politique à Kabaya Gisenyi par M. Léon<br />

Mugesera, un des pontes politiques du MRND. Jean Rumiya, tutsi, ancien membre du comité central claquera la porte<br />

après avoir accusé Mugesera d’appe<strong>le</strong>r ouvertement au meurtre et de lancer l’épuration ethnique.<br />

27[27]<br />

Voir GASANA, James, Rwanda : du Parti-Etat à l’Etat Garnison, L’Harmattan, Paris, 2002, pp. 192 et 217.<br />

28[28]<br />

Et ainsi, faire admettre aux yeux de l’opinion que <strong>le</strong> MRND reste <strong>le</strong> parti à la fibre patriotique qui défend seul la<br />

souveraineté nationa<strong>le</strong> et l’intégrité territoria<strong>le</strong> du pays.<br />

29[29]<br />

« Interahamwe » signifie : « Ceux qui partagent un dessein commun » ou « Ceux qui ont grandi ensemb<strong>le</strong> ». Cette<br />

milice sans lien juridique mais proche du MRND, a été créé par deux anciens membres éminents du MRND Kigali : M.<br />

Désiré MURENZI et M. A. GASANA. Ces derniers disputaient <strong>le</strong> <strong>le</strong>adership préfectoral à une autre grande figure du<br />

MRND, M. Faustin Munyazesa. Les deux premiers sont ressortissants de la même commune Gikomero. M. Murenzi<br />

était <strong>le</strong> président des « Interahamwe ». Directeur général d’une importante société publique de lubrifiants<br />

« PETRORWANDA », il y a été ensuite évincé par « l’akazu » et a rejoint <strong>le</strong> FPR. M. Gasana, après avoir été ministre<br />

des affaires étrangères est aujourd’hui ambassadeur du gouvernement rwandais à Washington.


Le courant réformateur voit lui l’intérêt politique du MRND à se comporter comme tout autre parti<br />

normal et à chercher à élargir sa base populaire. Il obligera même <strong>le</strong> Président de la République à<br />

démissionner 30[30] du poste de président du parti <strong>pour</strong> que <strong>le</strong> MRND n’ait pas à assumer seul <strong>le</strong><br />

passif de l’action gouvernementa<strong>le</strong>. Il est prêt à s’entendre avec <strong>le</strong>s autres partis intérieurs<br />

notamment <strong>sur</strong> la conduite de la guerre et des négociations. Il recherche <strong>pour</strong> ce faire à imposer la<br />

neutralité de l’armée. Le représentant de ce courant est M. James Gasana, ministre de la défense. Il<br />

sera évincé plus tard par « l’akazu » et contraint à l’exil.<br />

Le FPR<br />

Le FPR, c’est <strong>le</strong> parti des réfugiés dont la majorité avait été obligée de s’exi<strong>le</strong>r suite à la Révolution<br />

socia<strong>le</strong> de 1959. Le FPR constitue l’opposition armée extérieure. Sa base politique se définit <strong>sur</strong> <strong>le</strong><br />

doub<strong>le</strong> axe ethnique et militaire. Parti dont <strong>le</strong>s membres sont soumis à une obéissance sans fail<strong>le</strong> au<br />

chef. Sur <strong>le</strong> plan ethnique, <strong>le</strong>s militants se recrutent essentiel<strong>le</strong>ment parmi <strong>le</strong>s tutsi. Toutefois,<br />

quelques exilés d’origine hutu 31[31] sont repérab<strong>le</strong>s dans la direction politique du parti mais non dans<br />

cel<strong>le</strong> de l’armée. Sur <strong>le</strong> plan intérieur, il est en concurrence avec <strong>le</strong> parti libéral « PL » dans <strong>le</strong>quel il<br />

puise <strong>le</strong>s jeunes éléments tutsi <strong>pour</strong> <strong>le</strong>s enrô<strong>le</strong>r dans son armée.<br />

Sur <strong>le</strong> plan militaire, <strong>le</strong> FPR est propriétaire exclusive d’une armée : l’armée patriotique rwandaise<br />

« APR ». Cette dernière constitue la chevil<strong>le</strong> ouvrière du mouvement politique. Le militaire est<br />

premier, <strong>le</strong> politique suit. Celui-ci ne peut <strong>sur</strong>vivre en son absence. Le politique est pensé à partir du<br />

militaire, et non l’inverse. Le <strong>le</strong>adership, de loin <strong>le</strong> plus dominant, est constitué des militaires issus<br />

de l’armée ugandaise. Le chef incontesté, après la mort du général charismatique Fred Rwigema,<br />

<strong>le</strong>quel fut vice-ministre de la défense dans <strong>le</strong> gouvernement ugandais, est bel et bien <strong>le</strong> major<br />

Kagame, un homme froid, sans horizon politique particulier mais efficace.<br />

Il est diffici<strong>le</strong> d’affirmer qu’au sein du FPR il a existé des courants. On peut glaner çà et là des<br />

réf<strong>le</strong>xions et dire que <strong>le</strong> fait qu’il y ait des personnalités de haut rang dans l’organigramme politique<br />

qui n’avaient pas de place dans l’organigramme militaire, en l’occurrence <strong>le</strong> colonel A<strong>le</strong>xis<br />

Kanyarengwe qui était de <strong>sur</strong>croît <strong>le</strong> président du FPR, est bien la preuve de l’existence de courants<br />

au sein du FPR. Le fait que <strong>le</strong> chef politique prétendu d’un front de lutte n’avait pas d’emprise <strong>sur</strong><br />

la branche militaire constitue l preuve a contrario de la primauté du militaire. Il n’en est rien, M.<br />

Kanyarengwe, ancien dignitaire du régime Habyarimana, constituait davantage la caution « hutu »<br />

dont <strong>le</strong> mouvement manquait cruel<strong>le</strong>ment qu’autre chose. Tel<strong>le</strong>ment l’aspect militaire prédominait<br />

que <strong>le</strong>s querel<strong>le</strong>s de chapel<strong>le</strong> et <strong>le</strong>s rivalités claniques étaient peu admises.<br />

Le MDR<br />

Le MDR, c’est <strong>le</strong> parti de l’opposition démocratique non armée. De son ancienne dénomination<br />

MDR-Parmehutu, parti du mouvement de l’émancipation hutu, dont la légitimité, tirée de la<br />

Révolution socia<strong>le</strong> de 1959 et de son parti pris <strong>pour</strong> <strong>le</strong> menu peup<strong>le</strong>, était restée intacte, <strong>le</strong> nouveau<br />

parti, relooké, se veut son héritier. Cet ancrage dans <strong>le</strong> mouvement social hutu faisait autant peur au<br />

pouvoir de Habyarimana qu’au FPR. Si l’on adopte la même définition par axe régional et ethnique,<br />

<strong>le</strong> MDR recrute sa base dans <strong>le</strong>s régions du sud. Sur <strong>le</strong> plan ethnique, il est composé<br />

majoritairement de hutu. Au départ, même si plusieurs tendances s’y expriment, la volonté<br />

d’indépendance vis-à-vis des deux autres formations dominantes, à savoir <strong>le</strong> MRND et <strong>le</strong> FPR,<br />

30[30] C’est lors du congrès du parti tenu <strong>le</strong>s 3-4 juil<strong>le</strong>t 1993 que <strong>le</strong> courant réformateur obtint <strong>le</strong> départ du Chef de l’Etat<br />

au poste de président du parti. Ce dernier sera assumé par M. Mathieu Ngirumpatse. Il était <strong>le</strong> candidat du compromis<br />

entre <strong>le</strong>s deux tendances.<br />

31[31] C’est <strong>le</strong> cas notamment du colonel A<strong>le</strong>xis Kanyarengwe, propulsé, sans base, à la tête du FPR. Mais aussi du<br />

fonctionnaire international Seth Sendashonga ou du banquier Pasteur Bizimungu. Les militants hutu au sein du FPR se<br />

comptent fina<strong>le</strong>ment <strong>sur</strong> <strong>le</strong>s doigts d’une seu<strong>le</strong> main !


l’emportait <strong>sur</strong> <strong>le</strong>s forces centrifuges. Avec <strong>le</strong> temps, <strong>le</strong> MDR finira par éclater en trois courants : un<br />

courant pro-FPR, un courant pro-MRND 32[32] , un courant indépendant.<br />

Sur <strong>le</strong> plan régional, <strong>le</strong> parti est dominé par l’axe dit « Umugongo 33[33] » des préfectures Gitarama et<br />

Ruhengeri. Et si au départ, <strong>le</strong> <strong>le</strong>adership de M. Faustin Twagiramungu, originaire de la préfecture<br />

de Cyangugu est largement accepté, c’est avant tout parce qu’il est <strong>le</strong> gendre de l’ancien Président<br />

de la République, feu Grégoire Kayibanda. Les préfectures de Gikongoro, Butare constituent <strong>le</strong><br />

second cerc<strong>le</strong> de <strong>le</strong>adership et de recrutement. Les préfectures de Kibuye, Kigali, Cyangugu,<br />

Kibungo et Byumba constituent <strong>le</strong> troisième cerc<strong>le</strong>. Vient enfin la préfecture de Gisenyi.<br />

Le courant pro-FPR, minoritaire, est composée <strong>sur</strong>tout des adhérents tutsi, et paradoxa<strong>le</strong>ment, de<br />

certaines famil<strong>le</strong>s des anciens politiciens de la première République, cel<strong>le</strong>-là même qui a été auteur<br />

de la Révolution socia<strong>le</strong>. Sous <strong>le</strong> <strong>le</strong>adership de Faustin Twagiramungu, celui-ci est d’avis que toute<br />

alliance qui <strong>pour</strong>rait venir à bout du régime de Habyarimana est la bienvenue. C’est la tendance<br />

« jyogui ». Le courant pro-MRND qui se confirme <strong>sur</strong>tout après la mort du Président burundais,<br />

Melchior Ndadaye, <strong>sur</strong>venue <strong>le</strong> 21 octobre 1993, est composé d’adhérents hutu qui sont prêts à se<br />

liguer avec <strong>le</strong> MRND <strong>pour</strong> faire barrage à la prise du pouvoir par <strong>le</strong> FPR. Le discours politique de<br />

cette tendance a des re<strong>le</strong>nts ethniques. C’est <strong>le</strong> « hutu power » représenté par <strong>le</strong> tandem Froduald<br />

Karamira et Donat Murego. Le troisième courant est d’avis que la fin de la guerre et la confirmation<br />

du processus démocratique rou<strong>le</strong>nt <strong>pour</strong> <strong>le</strong> MDR. Il voudrait donc maintenir la ligne<br />

d’indépendance vis-à-vis des deux blocs militaires : <strong>le</strong> MRND et <strong>le</strong> FPR. L’exil forcé de son <strong>le</strong>ader,<br />

M. Dismas Nsengiyaremye, <strong>le</strong> 31 juil<strong>le</strong>t 1993, affaiblira <strong>le</strong>dit pô<strong>le</strong> et fera <strong>le</strong> lit des deux tendances<br />

restantes 34[34] .<br />

LES RELATIONS ENTRE LES PARTIS DOMINANTS.<br />

Les stratégies majeures.<br />

La raison même de l’existence d’un parti politique, c’est l’exercice du pouvoir. Pour ce faire, il doit<br />

exercer un rapport de force <strong>sur</strong> terrain qui lui permet d’y accéder, seul ou en coalition avec d’autres.<br />

Comme cela a été dit plus haut, <strong>le</strong> MRND, <strong>le</strong> FPR et <strong>le</strong> MDR sont <strong>le</strong>s formations politiques<br />

hégémoniques et concurrentes. El<strong>le</strong>s constituent <strong>le</strong>s trois pô<strong>le</strong>s d’attraction du jeu politique. Les<br />

alliances se défont et se font autour ces trois bords politiques.<br />

De ces trois pô<strong>le</strong>s, deux sont militaires et privilégient la stratégie militaire <strong>pour</strong> dominer <strong>le</strong>s autres.<br />

Il s’agit du MRND et du FPR. Pour ces partis, gagner la guerre constitue l’enjeu décisif qui <strong>le</strong>ur<br />

permet de caporaliser <strong>le</strong>s autres formations politiques et d’occuper tout l’espace politique. Nous<br />

examinerons plus tard cet aspect quand il sera question d’aborder la notion de complice et<br />

d’analyser comment cette stratégie a été utilisée <strong>pour</strong> obtenir la loyauté des masses. Pour <strong>le</strong>s deux<br />

pô<strong>le</strong>s militaires la démocratisation des institutions publiques est donc considérée comme un pis<br />

al<strong>le</strong>r. Et si <strong>le</strong> MRND peut espérer, grâce à son ancrage régional et à son emprise <strong>sur</strong> l’administration<br />

32[32] L’appellation pro-hutu <strong>pour</strong>rait aussi convenir.<br />

33[33] Géographiquement, appelé <strong>le</strong> « Plateau dorsal ».<br />

34[34] Quand M. Nsengiyaremye rentre d’exil fin novembre 1993, il s’évertuera, sans beaucoup de succès à colmater <strong>le</strong>s<br />

brèches d’un parti qui était en train de prendre l’eau d’un peu partout. Il réussira néanmoins à empêcher la tenue d’un<br />

congrès extraordinaire qui allait consacrer la légalité de la tendance pro-MNRD et renouer <strong>le</strong> contact politique avec M.<br />

Twagiramungu. Lorsque la guerre éclate <strong>le</strong> 6 avril 1994 et <strong>le</strong> génocide se déverse ensuite <strong>sur</strong> l’étendue du territoire<br />

national, ces deux événements empêcheront définitivement la mise en application des modalités de réforme du parti et<br />

de participation commune au gouvernement de transition que <strong>le</strong>s deux <strong>le</strong>aders venaient de convenir. Voir liste des<br />

membres du gouvernement de transition à base élargie du 18 mars 1994 dans GUICHAOUA, André, Les crises<br />

politiques au Burundi et au Rwanda, Paris, Karthala, 1995, p.755.


publique et l’économie, sauver <strong>le</strong>s meub<strong>le</strong>s dans une compétition démocratique ouverte, <strong>le</strong> FPR sait,<br />

compte tenu de la faib<strong>le</strong>sse de son é<strong>le</strong>ctorat 35[35] , qu’il est perdant dans <strong>le</strong> jeu démocratique.<br />

Le troisième pô<strong>le</strong>, central, dominé par <strong>le</strong> MDR, est non armé. C’est <strong>le</strong> pô<strong>le</strong> des « Forces<br />

démocratiques de changement –FDC- », composé en plus du MDR, du Parti social démocrate et du<br />

Parti libéral 36[36] . Il est partisan de la stratégie de compétition politique pacifique. Alors que la<br />

guerre constitue un « atout » politique <strong>pour</strong> <strong>le</strong>s deux premiers pô<strong>le</strong>s, <strong>pour</strong> <strong>le</strong> pô<strong>le</strong> non armé, tant que<br />

la guerre perdure, cel<strong>le</strong>-ci constitue un handicap majeur qui l’empêche de s’émanciper. D’où son<br />

parti pris en faveur des négociations dont la conclusion favorab<strong>le</strong> lui donnerait la suprématie<br />

certaine <strong>sur</strong> <strong>le</strong> MRND et <strong>le</strong> FPR.<br />

Les alliances<br />

La guerre ou la démocratie. Voilà la ligne majeure de partage <strong>sur</strong> laquel<strong>le</strong> <strong>le</strong>s relations et <strong>le</strong>s<br />

alliances vont se nouer et se défaire. Quand <strong>le</strong> rapport de force tire vers la persistance de l’état de<br />

guerre, <strong>le</strong> pô<strong>le</strong> MRND et <strong>le</strong> pô<strong>le</strong> FPR sont renforcés et cherchent à contraindre <strong>le</strong> pô<strong>le</strong> de<br />

l’opposition non armée à ne s’identifier que par rapport à l’un ou à l’autre. On est complice de<br />

l’ennemi ou on est allié 37[37] . Le pô<strong>le</strong> FDC cherchera à son tour à prendre appui <strong>sur</strong> la puissance<br />

militaire du FPR <strong>pour</strong> affaiblir la position du MRND. Il cherchera en même temps à imposer <strong>le</strong>s<br />

négociations afin d’éviter l’emprise de la guerre dans la détermination des rapports de force. Aussi,<br />

quand <strong>le</strong> processus de paix prend <strong>le</strong> dessus, <strong>le</strong> pô<strong>le</strong> FDC, s’appuyant <strong>sur</strong> <strong>le</strong>s courants contradictoires<br />

internes des protagonistes, cherchera à amener <strong>le</strong>s deux pô<strong>le</strong>s dans <strong>le</strong> processus démocratique 38[38] .<br />

Ces derniers sont par contre prêts à se liguer <strong>pour</strong> affaiblir <strong>le</strong> pô<strong>le</strong> FDC. Ils utiliseront l’épouvantail<br />

de la satellisation des autres partis de l’opposition démocratique par <strong>le</strong> MDR <strong>pour</strong> amener<br />

progressivement à la dislocation du FDC.<br />

De manière succincte, l’on peut avancer que, tant <strong>pour</strong> <strong>le</strong> pô<strong>le</strong> MRND que <strong>pour</strong> <strong>le</strong> pô<strong>le</strong> FPR,<br />

l’adversaire principal est constitué par <strong>le</strong> pô<strong>le</strong> FDC, particulièrement <strong>le</strong> MDR, qu’ils cherchent à<br />

affaiblir et à disloquer, - et ils <strong>le</strong> réussiront – afin d’imposer un jeu des acteurs réduit seu<strong>le</strong>ment à<br />

deux. Pour <strong>le</strong> pô<strong>le</strong> FDC, l’adversaire principal est l’un quelconque des acteurs du pô<strong>le</strong> militaire qui,<br />

suivant la conjoncture, est <strong>le</strong> plus fort 39[39] . L’alliance naturel<strong>le</strong> avec <strong>le</strong> FPR que <strong>le</strong> pô<strong>le</strong> FDC<br />

pouvait penser nouer reste à cet effet un <strong>le</strong>urre vu que <strong>le</strong>s éléments constitutifs de la force et des<br />

bénéfices politiques attendus par l’un et l’autre s’avéraient diamétra<strong>le</strong>ment opposés.<br />

L’histoire politique. Voilà <strong>le</strong> deuxième élément qui détermine <strong>le</strong>s alliances. On se souvient de ce<br />

que <strong>le</strong> Président Habyarimana s’est hissé au pouvoir à la faveur d’un coup d’Etat militaire et a<br />

assassiné la quasi-totalité de l’élite politique du sud du pays dont l’ancien Président de la<br />

République, Grégoire Kayibanda. Ce dernier, considéré par la population hutu comme l’homme<br />

35[35]<br />

Le FPR ne puise en effet que dans l’é<strong>le</strong>ctorat des réfugiés qui représentent un <strong>pour</strong>centage très faib<strong>le</strong> par rapport à<br />

la population tota<strong>le</strong>. Et si l’on étend son é<strong>le</strong>ctorat à l’ensemb<strong>le</strong> la population tutsi de l’intérieur, il convient de souligner<br />

que cette dernière reste minoritaire en termes de poids démographique dans <strong>le</strong> sens où la population tutsi constituait<br />

seu<strong>le</strong>ment près de 10% de la population nationa<strong>le</strong>. Il convient d’ajouter aussi que <strong>sur</strong> ce même terrain, il se trouve en<br />

position faib<strong>le</strong>, car en compétition avec <strong>le</strong> PL.<br />

36[36]<br />

Le Parti démocrate chrétien a souvent joué l’ambiva<strong>le</strong>nce entre <strong>le</strong> pô<strong>le</strong> présidentiel et <strong>le</strong> pô<strong>le</strong> de l’opposition non<br />

armée. Le parti socialiste rwandais a aussi flirté un peu avec l’opposition non armée, beaucoup avec <strong>le</strong> FPR.<br />

37[37]<br />

Le PSD, <strong>le</strong> PL, mais aussi <strong>le</strong> courant Twagiramungu, selon la conjoncture, seront utilisés à cette fin par <strong>le</strong> MRND<br />

et <strong>le</strong> FPR.<br />

38[38]<br />

Les excel<strong>le</strong>nts rapports entre <strong>le</strong> Premier ministre Dismas Nsengiyaremye du MDR représentant <strong>le</strong> courant<br />

indépendant et <strong>le</strong> Ministre de la défense James Gasana du MRND, chef de fi<strong>le</strong> du courant rénovateur, faciliteront <strong>le</strong>s<br />

rapprochements.<br />

39[39]<br />

Emmanuel Gapyisi, un autre membre éminent du courant indépendant au sein du MDR, essaiera de développer et<br />

d’appliquer la stratégie du « ni <strong>le</strong> MRND, ni <strong>le</strong> FPR » à travers <strong>le</strong> forum « Paix et Démocratie », <strong>le</strong>quel voulait amener à<br />

la mise en quarantaine des deux pô<strong>le</strong>s militaires. Il sera assassiné <strong>le</strong> 18 mai 1993, probab<strong>le</strong>ment par <strong>le</strong> FPR. Cependant<br />

<strong>le</strong> MNRD ne fit rien non plus <strong>pour</strong> <strong>le</strong>ver <strong>le</strong>s soupçons qui pesaient <strong>sur</strong> lui dans cet assassinat politique. Voir aussi<br />

Gasana, J. op. cit., p.198.


politique qui a mis fin au système de servage et de corvée que cette dernière endurait sous la<br />

monarchie, est resté dans la mémoire col<strong>le</strong>ctive comme son libérateur. En l’assassinant,<br />

Habyarimana apparaît, aux yeux de ladite population, comme <strong>le</strong> fossoyeur de la Révolution socia<strong>le</strong><br />

de 1959, image dont il ne se départira jamais. Avec l’ouverture démocratique qui remet en sel<strong>le</strong> <strong>le</strong><br />

sud, il sait qu’il devra répondre de ses crimes 40[40] .<br />

Le FPR sait aussi que, malgré sa mue, en tant que représentant des réfugiés, est identifié comme<br />

l’héritier de la monarchie et du système de servage qui a prévalu avant la Révolution socia<strong>le</strong>. Il sait<br />

aussi que <strong>le</strong> fait d’avoir déc<strong>le</strong>nché la guerre contre <strong>le</strong> pays et sa population ne lui sera guère<br />

pardonner. En outre, il sait qu’en cas d’é<strong>le</strong>ctions, il emporterait un nombre réduit de suffrages<br />

incapab<strong>le</strong>s de <strong>le</strong> hisser au pouvoir. En ces circonstances, malgré <strong>le</strong>urs antagonismes, <strong>le</strong> MRND et <strong>le</strong><br />

FPR sont de manière objective prêts à faire cause commune <strong>pour</strong> contrer et casser <strong>le</strong> <strong>le</strong>adership de<br />

l’opposition non armée. En temps de paix, en effet, el<strong>le</strong> ne tarderait pas à s’imposer en tant que<br />

première force politique.<br />

Le climat entre <strong>le</strong> MRND, <strong>le</strong> MDR et <strong>le</strong> FPR<br />

Comme cela a été dit plus haut, <strong>le</strong>s trois mouvements politiques MRND, MDR et FPR sont bel et<br />

bien <strong>le</strong>s trois prétendants au trône. La concurrence s’avère rude entre eux et chacun, compte tenu de<br />

ses atouts et de sa stratégie, fourbit ses propres armes <strong>pour</strong> imposer et/ou légitimer son <strong>le</strong>adership.<br />

Cependant, cela n’empêchera nul<strong>le</strong>ment que des ententes et des connexions d’intérêts<br />

conjoncturel<strong>le</strong>s vont se nouer. Comme dans une triangulaire, de manière circonstanciel<strong>le</strong>, des<br />

coalitions à deux se formeront souvent <strong>pour</strong> évincer <strong>le</strong> troisième. Ensuite s’impose un jeu à deux<br />

acteurs dont l’issue et <strong>le</strong>s bénéfices appartiendront à celui qui <strong>pour</strong>ra faire prévaloir <strong>le</strong> plus solide<br />

rapport de forces.<br />

Afin d’illustrer <strong>le</strong>s relations d’abord triangulaires, ensuite bipolaires entre <strong>le</strong>s principa<strong>le</strong>s forces<br />

politiques, il convient de dessiner trois périodes. La première période va d’avril 1992 à janvier<br />

1993. C’est la phase de collusion objective entre <strong>le</strong> MDR et <strong>le</strong> FPR. La deuxième phase va de<br />

janvier à octobre 1993 et correspond au tissage d’intelligences entre <strong>le</strong> MRND et <strong>le</strong> FPR 41[41] . La<br />

troisième phase va d’octobre 93 à avril 94. El<strong>le</strong> cadre avec <strong>le</strong> triomphe de la bipolarisation, laquel<strong>le</strong><br />

fait engranger des bénéfices entre <strong>le</strong>s deux forces politico-militaires : <strong>le</strong> MRND et <strong>le</strong> FPR.<br />

La période avril 1992 – janvier 1993<br />

On voit ainsi que, dans un premier temps, à savoir la période entre avril 1992 et janvier 1993, <strong>le</strong><br />

climat entre <strong>le</strong> MDR et <strong>le</strong> FPR est au beau fixe. Il est déplorab<strong>le</strong> avec <strong>le</strong> MRND. Les bénéfices du<br />

MDR et du FPR de cette collaboration sont entre autres : l’entrée au gouvernement de l’opposition<br />

qui occupent la moitié des postes ministériels <strong>le</strong> 16 avril 1992, la conclusion à Bruxel<strong>le</strong>s <strong>le</strong>s 29 mai<br />

- 3 juin 1992 d’un partenariat politique entre <strong>le</strong>s partis d’opposition et <strong>le</strong> FPR, l’attaque de la vil<strong>le</strong><br />

de Byumba par <strong>le</strong> FPR <strong>le</strong> 5 juin 1992, la signature d’un accord de cessez-<strong>le</strong> feu <strong>le</strong> 12 juil<strong>le</strong>t 1992, <strong>le</strong><br />

début des négociations de paix et la signature du protoco<strong>le</strong> d’accord <strong>sur</strong> l’Etat de droit <strong>le</strong> 18 août<br />

1992, la signature du protoco<strong>le</strong> d’accord <strong>sur</strong> l’organisation des institutions démocratiques <strong>le</strong> 30<br />

octobre 1992, la signature du protoco<strong>le</strong> d’accord <strong>sur</strong> <strong>le</strong> partage du pouvoir <strong>le</strong> 9 janvier 1993.<br />

40[40] Le MRND a négocié avec <strong>le</strong> FPR, de manière exclusivement bilatéra<strong>le</strong> et secrète, une loi d’amnistie généra<strong>le</strong><br />

couvrant <strong>le</strong>s crimes politiques commis durant <strong>le</strong> long règne du Président Habyarimana. Celui-ci n’a jamais daigné<br />

évoquer cette question très sensib<strong>le</strong> avec l’opposition interne. L’assassinat des politiciens du sud par <strong>le</strong> régime<br />

Habyarimana est resté comme un bou<strong>le</strong>t politique indécrottab<strong>le</strong> qui a empêché ensuite une quelconque sérénité des<br />

rapports entre <strong>le</strong> Président Habyarimana et son opposition interne.<br />

41[41] C’est paradoxa<strong>le</strong>ment la période où la stratégie pacifique du MDR est en train de gagner des points, notamment<br />

l’acquisition de la conclusion de l’Accord de paix, que <strong>le</strong> MDR perd <strong>le</strong> terrain.


La collusion d’intérêts momentanés entre <strong>le</strong> MDR et <strong>le</strong> FPR a eu <strong>pour</strong> résultats défavorab<strong>le</strong>s <strong>pour</strong> <strong>le</strong><br />

MRND : la mise à la retraite des chefs d’états-majors de la gendarmerie et de l’armée, la<br />

réintégration des officiers militaires abusivement renvoyés, l’enquête internationa<strong>le</strong> <strong>sur</strong> <strong>le</strong>s<br />

violations des droits de l’homme.<br />

La période janvier 1993 – octobre 1993<br />

Dans un deuxième temps, la période entre janvier 1993 et octobre 1993 est marquée par une<br />

collusion d’intérêts objective 42[42] entre <strong>le</strong> MRND et <strong>le</strong> FPR. Ces deux derniers, redoutant<br />

l’application effective des accords de paix 43[43] et l’avantage très comparatif que cela apporterait,<br />

s’accordent <strong>pour</strong> affaiblir <strong>le</strong> gouvernement, ressusciter <strong>le</strong> climat de guerre et disloquer <strong>le</strong> pô<strong>le</strong> FDC,<br />

en particulier <strong>le</strong> MDR.<br />

Les avantages tirés par <strong>le</strong> MRND et <strong>le</strong> FPR sont :<br />

l’organisation par <strong>le</strong> MRND de manifestations caractérisées par la destruction des biens et des<br />

tueries de membres des partis d’opposition dans <strong>le</strong>s préfectures de Gisenyi, Ruhengeri, Byumba,<br />

Kibuye en dates du 18 au 27 janvier 1993 44[44] ,<br />

l’obtention de la direction des négociations de paix à Arusha par James Gasana, membre du MRND<br />

fin janvier 1993, la violation du cessez-<strong>le</strong>-feu et l’attaque de grande envergure du FPR qui massacre<br />

près de 40'000 habitants et met <strong>sur</strong> <strong>le</strong> chemin de l’exil intérieur 1'000’000 de déplacés <strong>le</strong> 8 février<br />

1993, <strong>le</strong> FPR occupe une grande partie de la préfecture de Byumba ainsi que de Ruhengeri dès <strong>le</strong> 8<br />

février 1993,<br />

la signature de l’accord de Kinihira créant la zone démilitarisée <strong>le</strong> 30 mai 1993, l’alliance avec<br />

Faustin Twagiramungu du MDR, juin 1993,<br />

l’éviction de James Gasana comme Ministre de la défense qui est contraint à l’exil <strong>le</strong> 20 juil<strong>le</strong>t<br />

1993,<br />

la signature de l’Accord de paix d’Arusha qui désigne Faustin Twagiramungu comme Premier<br />

ministre du gouvernement de transition <strong>le</strong> 4 août 1993, <strong>le</strong> jeu politique triangulaire MRND-MDR-<br />

FPR devient progressivement bipolaire MRND-FPR après l’éviction du MDR, l’émergence du<br />

courant pro-hutu « Power » proche du MRND <strong>le</strong> 23 octobre 1993.<br />

Les retombées négatives que <strong>le</strong> MDR connaîtra, sont :<br />

l’effritement de la coalition des partis de l’opposition intérieure dès fin janvier 1993,<br />

Le million de déplacés de guerre par la guerre devient un casse-tête de gestion humanitaire et<br />

politique,<br />

l’assassinat d’Emmanuel Gapyisi, membre éminent du MDR et fondateur du Forum Paix et<br />

Démocratie, <strong>le</strong> 18 mai 1993,<br />

l’accord d’éviction du Premier ministre Dismas Nsengiyaremye est scellé entre <strong>le</strong> MRND, <strong>le</strong> PSD<br />

et <strong>le</strong> PL, mi-juin 1993, avec un « visto bueno » du FPR.<br />

l’éviction du MDR qui éclate en deux, un pô<strong>le</strong> putschiste pro-MRND et pro-FPR représenté par<br />

Faustin Twagiramungu et un pô<strong>le</strong> du refus représenté par Dismas Nsengiyaremye, lors du Congrès<br />

MDR de Kabusunzu <strong>le</strong>s 23-24 juil<strong>le</strong>t 1993,<br />

l’éviction suivie de l’exil en France de Dismas Nsengiyaremye en juil<strong>le</strong>t 1993,<br />

42[42] A côté des négociations officiel<strong>le</strong>s entre <strong>le</strong> Gouvernement rwandais et <strong>le</strong> FPR se dérou<strong>le</strong>nt des négociations<br />

secrètes parallè<strong>le</strong>s entre <strong>le</strong> MRND et <strong>le</strong> FPR. Deux rwandais ont joué un rô<strong>le</strong> majeur dans ces contacts. Il s’agit du<br />

consul honoraire Char<strong>le</strong>s Shamukiga et du banquier Pasteur Musabe.<br />

43[43] Ceci explique <strong>pour</strong>quoi, redoutant l’entrée en vigueur de l’Accord de paix, <strong>le</strong>quel aurait renforcé <strong>le</strong> processus<br />

démocratique et, partant, l’opposition interne, <strong>le</strong>s mouvements politiques MRND et FPR ont créé beaucoup de partis<br />

lilliputiens <strong>pour</strong> s’as<strong>sur</strong>er des soutiens et accroître <strong>le</strong>ur capacité de contrô<strong>le</strong> du par<strong>le</strong>ment de transition prévu par <strong>le</strong>s<br />

accords de paix. Ces partis existaient parce qu’ils avaient été créés mais ne jouissaient d’aucun poids politique réel. Du<br />

fait même de <strong>le</strong>ur existence, ils avaient droit à un siège au sein du futur par<strong>le</strong>ment !<br />

44[44] Voir, <strong>Rapport</strong> de la Commission politico-administrative <strong>sur</strong> <strong>le</strong>s troub<strong>le</strong>s dans <strong>le</strong>s préfectures de Gisenyi, Ruhengeri<br />

et Kibuye suite à la décision du Conseil des ministres du 3 février 1993.


la signature de l’Accord de paix du 4 août 1993 dont <strong>le</strong> principal artisan, <strong>le</strong> MDR légitime, est<br />

exclu,<br />

l’éviction définitive du MDR en tant que troisième pô<strong>le</strong> de pouvoir.<br />

La période octobre 1993 – avril 1994<br />

Enfin, la période octobre 1993 à avril 1994 est marquée par la victoire de la bipolarisation entre <strong>le</strong><br />

MRND et <strong>le</strong> FPR. Le MDR, disloqué, est complètement évincé en tant que pô<strong>le</strong> central d’attraction<br />

politique. Ses différentes factions sont désormais satellisées. Cela correspond au triomphe des pô<strong>le</strong>s<br />

<strong>le</strong>s plus radicaux. Le MRND et <strong>le</strong> FPR monopolisent <strong>le</strong> jeu politique et militaire. On est <strong>pour</strong> l’un et<br />

l’on est contre l’autre 45[45] . Les éléments plus circonspects n’ont plus de place, ils n’ont d’autre<br />

choix que de se taire. Le processus de paix risque de s’effondrer définitivement. La force militaire<br />

reprend <strong>le</strong> dessus. Malgré l’effort de rapprochement au sein du MDR 46[46] , malgré la pression des<br />

Eglises et de la société civi<strong>le</strong> afin de privilégier un processus politique pacifique, <strong>le</strong> risque de<br />

reprise de la guerre devient plus probab<strong>le</strong>. Ajouter à cela <strong>le</strong> rô<strong>le</strong> ambigu de la MINUAR 47[47] qui<br />

donnait l’impression qu’el<strong>le</strong> n’as<strong>sur</strong>erait pas la sécurité, <strong>le</strong>s signaux du triomphe de l’option de la<br />

vio<strong>le</strong>nce semb<strong>le</strong>nt l’emporter.<br />

Il s’agit d’une période d’extrême tension entretenue par <strong>le</strong>s deux acteurs de la bipolarisation en vue<br />

de s’arroger l’exclusivité du pouvoir. El<strong>le</strong> est caractérisée notamment par <strong>le</strong>s événements majeurs<br />

ci-après :<br />

la mort du Président burundais, Melchior Ndadaye, <strong>le</strong> 21 octobre 1993,<br />

<strong>le</strong> premier groupe de la MINUAR arrive à Kigali, <strong>le</strong> 27 octobre 1993,<br />

<strong>le</strong>s partis d’opposition éclatent en courants pro-FPR et pro-MRND, dès octobre 1993<br />

<strong>le</strong> retrait des troupes françaises du détachement Noroît, <strong>le</strong> 15 décembre 1993,<br />

l’arrivée à Kigali des autorités et du détachement militaire du FPR, <strong>le</strong> 28 décembre 1993,<br />

l’entraînement militaire des milices « Interahamwe », novembre 1993,<br />

l’infiltration des éléments FPR dans la population urbaine, janvier 1994,<br />

la prestation de serment du Président J. Habyarimana dans <strong>le</strong> cadre de la transition politique, <strong>le</strong> 5<br />

janvier 1994,<br />

<strong>le</strong> climat de vio<strong>le</strong>nce et de terreur qui s’instal<strong>le</strong>nt <strong>sur</strong>tout depuis janvier 1994,<br />

l’assassinat de M. Félicien Gatabazi, secrétaire exécutif du PSD, <strong>le</strong> 21 février 1994,<br />

l’assassinat de M. M. Bucyana, président de la CDR, <strong>le</strong> 23 février 1994,<br />

l’assassinat du Président rwandais M. J. Habyarimana et du Président burundais M. C. Ntaryamira<br />

dans un attentat aérien, <strong>le</strong> 6 avril 1994,<br />

la violation du cessez-<strong>le</strong>-feu par <strong>le</strong> FPR et reprise de la guerre, <strong>le</strong> 6 avril 1994,<br />

<strong>le</strong> génocide, dès <strong>le</strong> 7 avril 1994.<br />

45[45] A supposer qui plus est que <strong>le</strong> MRND et <strong>le</strong> FPR étaient parvenus à se mettre d’accord <strong>pour</strong> mettre en place <strong>le</strong><br />

gouvernement de transition, ils l’auraient fait après s’être entendu d’anéantir <strong>le</strong> troisième pô<strong>le</strong> afin que ce dernier n’ait<br />

aucune possibilité d’influence future des <strong>le</strong>s institutions. Chacun des deux pô<strong>le</strong>s dominants veut s’as<strong>sur</strong>er l’exclusivité<br />

politique.<br />

46[46] De son retour d’exil, M. D. Nsengiyaremye et F. Twagiramungu ont tenté de se rapprocher afin d’imposer à<br />

nouveau un pô<strong>le</strong> démocratique pacifique, de briser la bipolarisation et de sauver <strong>le</strong> processus de paix. Ils ont réussi entre<br />

autres d’empêcher la tenue d’un congrès du MDR qui aurait consacré la légalité du MDR « Power » et l’alliance avec <strong>le</strong><br />

MRND. Trois semaines avant l’effondrement du processus de paix et <strong>le</strong> génocide, ils étaient parvenus à s’entendre <strong>sur</strong><br />

la composition du gouvernement de transition dans <strong>le</strong>quel <strong>le</strong>urs deux tendances se retrouveraient. Bloqués par <strong>le</strong> MRND<br />

et <strong>le</strong> FPR, ils n’ont pas pu faire prévaloir l’application des accords de paix. Voir la composition du Gouvernement du 18<br />

mars 1994. Il convient aussi de noter <strong>le</strong>s initiatives d’indépendance par rapport au FPR développée par <strong>le</strong> PSD, en<br />

particulier par son secrétaire exécutif, Félicien Gatabazi. Cette tentative d’émancipation lui sera fata<strong>le</strong>. Il mourra, en<br />

effet, assassiné, <strong>le</strong> 21 février 1994.<br />

47[47] Mission des Nations unies <strong>pour</strong> l’assistance au Rwanda.


TITRE 3 : LE PROTOCOLE D’ENTENTE<br />

LES MOBILES A L’ORIGINE DU PROTOCOLE D’ENTENTE 48[48] .<br />

L’on se souvient que c’est la Constitution du 10 juin 1991 et la loi <strong>sur</strong> <strong>le</strong>s partis politiques 49[49] qui<br />

ont permis l’existence léga<strong>le</strong> des formations politiques. Les premiers partis à avoir organisé <strong>le</strong>ur<br />

assemblée constitutive sont <strong>le</strong> PSD, <strong>le</strong> MDR, <strong>le</strong> MRND et <strong>le</strong> PL. C’était en juil<strong>le</strong>t 91, non sans<br />

difficultés 50[50] . Si par la suite, <strong>le</strong> Président Habyarimana s’est résolu à accepter <strong>le</strong> multipartisme,<br />

c’est <strong>sur</strong> pression interne et internationa<strong>le</strong> et s’il a permis <strong>le</strong>ur exercice libre, c’est <strong>sur</strong>tout qu’il<br />

espérait en contrô<strong>le</strong>r <strong>le</strong> processus politique. C’est de cette manière qu’il convient d’interpréter la<br />

constitution du gouvernement Sylvestre Nsanzimana du 31 décembre 1991, présenté comme<br />

multipartite alors qu’il était formé de manière quasi exclusive par <strong>le</strong> MRND. Ce dernier avait<br />

coopté un seul membre d’un parti lilliputien, <strong>le</strong> PDC 51[51] .<br />

Aussitôt constitué, <strong>le</strong> gouvernement Nsanzimana, fragilisé de par même sa composition, a été<br />

ensuite largement contesté par l’opposition. Et la très mince brèche ouverte en admettant au<br />

gouvernement une formation politique autre que <strong>le</strong> MRND a été exploitée par <strong>le</strong>s autres partis <strong>pour</strong><br />

exiger la formation d’un gouvernement élargi à l’opposition démocratique. C’est ainsi que, <strong>le</strong> 8<br />

janvier 1992, cette dernière a organisé une manifestation monstre qui paralysa pratiquement la vil<strong>le</strong><br />

de Kigali 52[52] . A regarder de près, la première raison qui a amené à la formation d’un gouvernement<br />

multipartite réside dans la faib<strong>le</strong>sse même du gouvernement Nsanzimana, incapab<strong>le</strong> de contenir la<br />

pression de l’opposition.<br />

La deuxième raison est l’enlisement du conflit dans <strong>le</strong> nord. L’opposition n’acceptait pas d’être<br />

taxée de complice avec l’ennemi, à savoir <strong>le</strong> FPR, dans une guerre dont el<strong>le</strong> ignorait <strong>le</strong>s contours.<br />

De même, certaines personnes, voire au sein même du clan présidentiel, laissaient penser qu’il<br />

existait une certaine collusion entre <strong>le</strong> Président rwandais et <strong>le</strong> Président ugandais 53[53] , <strong>le</strong>squels<br />

profiteraient de la persistance de l’état de guerre. Pour l’opposition son entrée au gouvernement<br />

permettrait de négocier, sans arrière pensée, la fin de la guerre et de rasséréner <strong>le</strong> climat social et<br />

politique.<br />

La troisième raison, sans doute la plus importante, a trait au fort émoi qu’ont suscité <strong>le</strong>s massacres<br />

de tutsi au Bugesera. La tragédie a été déc<strong>le</strong>nchée <strong>le</strong> 4 mars 1992 à la suite d’un communiqué<br />

diffusé <strong>sur</strong> <strong>le</strong>s antennes de la radio nationa<strong>le</strong>, <strong>le</strong>quel communiqué faisait état d’un prétendu projet<br />

élaboré par <strong>le</strong>s tutsi de massacrer <strong>le</strong>s hutu. Ces vio<strong>le</strong>nces ont été marquées par des tueries qui ont<br />

fait plus de quarante victimes et des déplacements de populations de plus de dix mil<strong>le</strong><br />

48[48]<br />

Le document s’intitu<strong>le</strong> : « Protoco<strong>le</strong> d’entente entre <strong>le</strong>s partis politiques appelés à participer au gouvernement de<br />

transition ». Il est daté du 7 avril 1992.<br />

49[49]<br />

Voir la Loi n° 28/91 du 18 juin 1991 <strong>sur</strong> <strong>le</strong>s partis politiques.<br />

50[50]<br />

En effet, injonction avait été faite aux préfets et aux bourgmestres de n’accorder ni autorisation ni lieux publics aux<br />

partis politiques désireux d’organiser <strong>le</strong>urs premiers congrès constitutifs. Les Eglises avaient aussi reçu des pressions du<br />

même genre. Bravant une prohibition non léga<strong>le</strong>, <strong>le</strong> Centre IWACU ouvrira, dans la matinée du 1 er juil<strong>le</strong>t 1991, <strong>le</strong>s<br />

portes au PSD et sera suivi par l’hôtel Mil<strong>le</strong> Collines qui l’accordera au MDR. Quatre jours plus tard ce sera <strong>le</strong> tour du<br />

PL au Centre IWACU.<br />

51[51]<br />

Le PDC était, en ce moment, un minuscu<strong>le</strong> parti satellite du MRND.<br />

52[52]<br />

Cette manifestation gigantesque et rare, qui regroupait entre 50'000 personnes (selon <strong>le</strong>s forces de l’ordre) et<br />

100'000 personnes (selon <strong>le</strong>s organisateurs) a ébranlé, de par son nombre et de par sa discipline, <strong>le</strong> camp présidentiel.<br />

53[53]<br />

Les faits que <strong>le</strong> Président Habyarimana lui-même se soit rendu en 1988 en Uganda é<strong>le</strong>ver au<br />

rang de Général, Fred Rwigema, chef incontesté du FPR et qu’il ait é<strong>le</strong>vé une année plus tard <strong>le</strong><br />

Président ugandais Museveni à la distinction rwandaise la plus haute de «Grand Officier de l’Ordre<br />

des Mil<strong>le</strong> Collines » en 1989, sont largement commentés.


personnes 54[54] . Ces tragiques événements déc<strong>le</strong>nchèrent de la part de la société civi<strong>le</strong> et de la<br />

communauté internationa<strong>le</strong> une énorme dénonciation de la réaction faib<strong>le</strong> et tardive du<br />

gouvernement et de fortes pressions furent exercées envers <strong>le</strong> Président Habyarimana et l’obligèrent<br />

à nommer un Premier ministre issu de l’opposition et à ainsi mettre <strong>sur</strong> pied un gouvernement<br />

multipartite.<br />

LES CLAUSES MAJEURES DU PROTOCOLE.<br />

Le Président Habyarimana reste <strong>le</strong> chef incontesté de l’exécutif.<br />

Contrairement aux idées reçues, <strong>le</strong> Premier ministre n’est pas l’homme clé de l’exécutif. Il a un rô<strong>le</strong><br />

de coordinateur de l’action gouvernementa<strong>le</strong> et doit recueillir <strong>le</strong> consensus, ainsi que <strong>le</strong> stipu<strong>le</strong><br />

l’artic<strong>le</strong> 7 du protoco<strong>le</strong>, <strong>sur</strong> tout objet examiné au conseil des ministres. Dans une équipe composée<br />

de manière paritaire par l’opposition et par la majorité présidentiel<strong>le</strong>, il n’était pas évident de<br />

rassemb<strong>le</strong>r un tel consensus. Ce qui a souvent entraîné des blocages au sein de l’équipe exécutive et<br />

une guerre de tranchées entre <strong>le</strong>s deux têtes de l’exécutif 55[55] . Le véritab<strong>le</strong> rô<strong>le</strong> de chef de l’exécutif<br />

est, conformément au protoco<strong>le</strong>, dévolu au Président de la République.<br />

Cela est consacré par <strong>le</strong>s paragraphes premier et quatrième, mais aussi <strong>le</strong>s artic<strong>le</strong>s 4 et 8. Ces<br />

dispositions affirment en effet que :<br />

C’est la Constitution du 10 juin 1991 qui a donné mandat au Président de la République <strong>le</strong> mandat<br />

de gérer la transition et que l’association à la gestion de la période ressort de son initiative,<br />

La nomination d’un Premier ministre ne signifie pas transfert du pouvoir présidentiel au<br />

gouvernement,<br />

Le choix des ministres ne doit en rien empêcher au Président d’exercer ses prérogatives<br />

constitutionnel<strong>le</strong>s,<br />

Les ministres sont responsab<strong>le</strong>s devant <strong>le</strong> Premier ministre et <strong>le</strong> Président de la République,<br />

Le Premier ministre est responsab<strong>le</strong> devant <strong>le</strong> Président de la République.<br />

L’on notera éga<strong>le</strong>ment que, sans doute <strong>pour</strong> afficher qu’il est d’un piédestal plus é<strong>le</strong>vé, <strong>le</strong> Président<br />

de la République a choisi de ne pas signer en mains propres <strong>le</strong> protoco<strong>le</strong> d’entente. Il a préféré se<br />

faire représenter par ses proches collaborateurs, à savoir <strong>le</strong> ministre chef de cabinet à la Présidence,<br />

Enoch Ruhigira, <strong>le</strong> ministre de l’intérieur, Faustin Munyazesa, <strong>le</strong> conseil<strong>le</strong>r politique à la<br />

Présidence, Juvénal Renzaho. D’autres personnes ont voulu voir dans ce geste, <strong>le</strong> refus du<br />

pluralisme politique et un certain mépris de l’opposition affichés par <strong>le</strong> Président de la République.<br />

Le mandat du gouvernement de transition.<br />

Le protoco<strong>le</strong> d’entente a défini <strong>le</strong> mandat du gouvernement dans un programme minimum de sept<br />

points consigné dans l’artic<strong>le</strong> premier. Le programme se révè<strong>le</strong> ambitieux et doit se réaliser dans un<br />

délai impossib<strong>le</strong> de douze mois. Il s’agit de :<br />

Négocier la paix,<br />

As<strong>sur</strong>er la sécurité intérieure,<br />

Assainir l’administration publique et as<strong>sur</strong>er son efficacité et sa neutralité,<br />

Relancer l’économie,<br />

Organiser un débat national <strong>sur</strong> l’opportunité de tenir une conférence nationa<strong>le</strong>,<br />

Rég<strong>le</strong>r <strong>le</strong> problème des réfugiés,<br />

Organiser <strong>le</strong>s é<strong>le</strong>ctions généra<strong>le</strong>s.<br />

54[54]<br />

Voir notamment Déclaration des organisations rwandaises et internationa<strong>le</strong>s oeuvrant <strong>pour</strong> <strong>le</strong> développement au<br />

Rwanda du 11 mars 1992.<br />

55[55]<br />

Voir notamment <strong>le</strong>s <strong>le</strong>ttres du Premier ministre adressées au Président de la République <strong>le</strong>s 22 octobre 1992 et 27<br />

mars 1993.


A regarder de près, <strong>le</strong> point relatif à la négociation de la paix a été <strong>le</strong> seul réalisé. Et dans une<br />

certaine me<strong>sur</strong>e des tentatives d’évaluation et d’assainissement de l’administration publique ont été<br />

effectuées 56[56] .<br />

LA REPARTITION DES PORTEFEUILLES<br />

Les dix-neuf 57[57] portefeuil<strong>le</strong>s ministériels ont été répartis entre <strong>le</strong>s cinq partis signataires du<br />

protoco<strong>le</strong> d’entente, à savoir <strong>le</strong> MRND, <strong>le</strong> MDR, <strong>le</strong> PSD, <strong>le</strong> PDC et <strong>le</strong> PL. La moitié des ministères<br />

était allouée au camp présidentiel, l’autre à l’opposition. Ainsi la répartition était la suivante :<br />

Le MRND.<br />

Ministère de la défense,<br />

Ministère de l’intérieur et du développement communal,<br />

Ministère du plan,<br />

Ministère de la jeunesse et du mouvement associatif,<br />

Ministère de la fonction publique,<br />

Ministère de la santé,<br />

Ministère des transports et des communications<br />

Ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche scientifique et de la culture,<br />

Ministère de la famil<strong>le</strong> et de la condition féminine 58[58] .<br />

Le MDR.<br />

Ministère des affaires étrangères et de la coopération,<br />

Ministère de l’enseignement primaire et supérieur,<br />

Ministère de l’information.<br />

Le PSD.<br />

Ministère des finances,<br />

Ministère de l’agriculture et de l’é<strong>le</strong>vage,<br />

Ministère des travaux publics et de l’énergie.<br />

Le PDC.<br />

Ministère de l’environnement et du tourisme.<br />

Le PL.<br />

Ministère du travail et des affaires socia<strong>le</strong>s,<br />

Ministère de l’industrie, du commerce, des mines et de l’artisanat,<br />

Ministère de la justice.<br />

56[56] Voir <strong>le</strong>s différents protoco<strong>le</strong>s d’accord entre <strong>le</strong> Gouvernement et <strong>le</strong> FPR. De même une commission nationa<strong>le</strong><br />

d’évaluation des agents de l’Etat a été mise en place en juil<strong>le</strong>t 1992. El<strong>le</strong> s’est principa<strong>le</strong>ment penchée <strong>sur</strong><br />

l’administration territoria<strong>le</strong>. Quant à la fonction publique, vu que souvent <strong>le</strong>s hauts fonctionnaires adhéraient au parti de<br />

<strong>le</strong>ur ministre, un consensus tacite semb<strong>le</strong> s’être conclu entre <strong>le</strong>s partis <strong>pour</strong> gérer la situation tel<strong>le</strong> quel<strong>le</strong>.<br />

57[57] Il convient d’ajouter bien entendu : <strong>le</strong> Président de la République qui est MRND, <strong>le</strong> Premier ministre qui est issu<br />

du MDR et <strong>le</strong> chef de cabinet à la Présidence de la République qui est membre du MRND.<br />

58[58] Il a été convenu que <strong>le</strong>s attributions du ministère de la famil<strong>le</strong> (MRND) ne devaient pas empiéter cel<strong>le</strong>s du<br />

ministère des affaires socia<strong>le</strong>s (PL).


Titre 4 : LA REPARTITION REGIONALE DES MINISTERES<br />

LES MOBILES.<br />

Parmi <strong>le</strong>s principa<strong>le</strong>s accusations portées par <strong>le</strong> Président Habyarimana contre <strong>le</strong> régime de son<br />

prédécesseur, <strong>le</strong> Président Grégoire Kayibanda, <strong>le</strong> régionalisme figurait en première place. Depuis<br />

son coup d’état de juil<strong>le</strong>t 1973, <strong>le</strong>s gouvernements successifs 59[59] qu’il a formés appliquaient une<br />

représentation régiona<strong>le</strong> quasi-arithmétique dans <strong>le</strong>quel chaque préfecture se voyait accordé un<br />

portefeuil<strong>le</strong> ministériel. Bien entendu, la part du gâteau revenait aux préfectures du nord, en<br />

l’occurrence Gisenyi et Ruhengeri, car ces derniers, fiefs du régime, s’octroyaient plus <strong>le</strong>s<br />

ministères de grande importance.<br />

Avant la venue du multipartisme, cette politique dite d’équilibre régional, au delà des intentions<br />

proclamées, était un excel<strong>le</strong>nt moyen de contrô<strong>le</strong> politique des régions « récalcitrantes » du sud. De<br />

fait, <strong>le</strong>s ministres nommés n’étaient pas issus des anciennes élites politiques. C’est dire qu’en<br />

quelque sorte, ils avaient mandat de <strong>le</strong>s <strong>sur</strong>veil<strong>le</strong>r. Avec <strong>le</strong> pluralisme politique, <strong>le</strong> Président<br />

Habyarimana a continué d’appliquer la même recette politique, cette fois-ci non <strong>pour</strong> <strong>le</strong>s besoins de<br />

contrô<strong>le</strong> politique, mais <strong>pour</strong> pouvoir affronter, <strong>sur</strong> <strong>le</strong>ur propre terrain, <strong>le</strong>s nouveaux <strong>le</strong>aders de<br />

l’opposition. Cela explique notamment <strong>pour</strong>quoi, malgré qu’il savait qu’il n’avait pas beaucoup de<br />

chance de récolter des suffrages significatifs dans <strong>le</strong>s préfectures de Gitarama et de Butare, fiefs de<br />

l’opposition, respectivement bastions du MDR et du PSD, ces préfectures ont tout de même<br />

conservé au sein du MRND la dotation d’un portefeuil<strong>le</strong> ministériel.<br />

On peut aussi constater voir que <strong>le</strong> gouvernement qui a été composé <strong>le</strong> 8 avril, en ce qui concerne <strong>le</strong><br />

MRND, a appliqué <strong>le</strong> même dosage régional.<br />

LA REPARTITION REGIONALE APPLIQUEE<br />

Origine Gouv.<br />

de<br />

5.87<br />

Gouv.<br />

du15.1<br />

.89<br />

Gouv.<br />

du<br />

9.7.90<br />

Gouv.<br />

du<br />

4.2.91<br />

Gouv. du<br />

31.12.91 60[<br />

60]<br />

Gouv. du<br />

16.4.92<br />

Kigali 1 2 2 2 2 MRND 3 dont 1<br />

MRND et 1<br />

tutsi<br />

Gitarama 1 2 2 2 2 dont 1 5 dont 1<br />

MRND MRND<br />

Butare 2 2 2 2 1 MRND 3 dont 1<br />

Gikongor<br />

o<br />

2 dont<br />

1<br />

tutsi<br />

2 dont<br />

1 tutsi<br />

2 dont<br />

1 tutsi<br />

MRND<br />

2 2 MRND 2 dont 1<br />

MRND<br />

Cyangugu 1 2 2 2 dont<br />

1 tutsi<br />

Kibuye 1 1 1 1 1 MRND 1<br />

MRND 62[62]<br />

Gouv.du<br />

18.7.93<br />

2 dont 1<br />

MRND et 1<br />

tutsi<br />

4 dont 1<br />

MRND<br />

3 dont 1<br />

MRND<br />

2 dont 1<br />

MRND<br />

Gouv.du<br />

8.4.94<br />

2 dont 1<br />

MRND<br />

Gouv.du25<br />

.5.94<br />

2 dont<br />

MRND<br />

3 dont 1 3 dont<br />

MRND MRND<br />

4 dont 2 4 dont<br />

MRND MRND<br />

1 MRND 1<br />

MRND 61[6<br />

]<br />

2 MRND 1 MRND 1 MRND 1 MRND 1 MRND<br />

2 dont 1<br />

MRND 63[63]<br />

59[59]<br />

Voir Guichaoua, André, Les crises politiques au Burundi et au Rwanda, Paris, Karthala, p.750 sq.<br />

60[60]<br />

Avant cette date tous <strong>le</strong>s ministres étaient issus du parti unique MRND.<br />

61[61]<br />

Le chef de cabinet a rang de ministre. Il s’agit de Monsieur Daniel Mbangura.<br />

62[62]<br />

Il s’agit du chef de cabinet à la Présidence, Monsieur Enoch RUHIGIRA :<br />

63[63]<br />

Il s’agit de M. Enoch Ruhigira.<br />

64[64]<br />

Toujours <strong>le</strong> chef du cabinet présidentiel.<br />

3 dont 1<br />

MRND 64[<br />

64]<br />

3 dont<br />

MRND


Gisenyi 3 3 2 3 3 MRND 2 MRND 2 MRND 3 dont 1 3 dont<br />

MRND MRND<br />

Ruhengeri 3 2 2 2 2 MRND 2 dont 1 1 MRND 2 dont 1 2 dont<br />

MRND<br />

MRND MRND<br />

Byumba 1 1 2 1 2 MRND 1 MRND 2 dont 1 1 MRND 1 MRND<br />

dont 1 tutsi<br />

MRND<br />

Kibungo 1 1 1 1 dont 1 MRND 1 MRND 2 dont 1 2 dont 1 2 dont<br />

1 tutsi dont 1 tutsi<br />

MRND MRND MRND<br />

Titre 5 : LES RAISONS A LA BASE DE L’ACCORD DE PAIX<br />

LES RAISONS INTERNES.<br />

Le problème des déplacés de guerre.<br />

Le 8 février 1993, rompant unilatéra<strong>le</strong>ment <strong>le</strong> cessez-<strong>le</strong>-feu, <strong>le</strong> FPR massacre plus de 40'000<br />

personnes et met <strong>sur</strong> la route un million de déplacés de guerre 65[65] . C’est 1/7 de la population qui<br />

est contraint à l’errance interne. Les déplacés arrivent aux portes de Kigali, à moins de vingt<br />

kilomètres. Ils ont par la suite vécu très misérab<strong>le</strong>ment. La plupart des observateurs, devant ce<br />

dramatique spectac<strong>le</strong>, n’ont pas compris <strong>pour</strong>quoi <strong>le</strong> FPR avait choisi de recourir à l’expulsion de<br />

<strong>le</strong>urs terres de paisib<strong>le</strong>s paysans. A partir de ce moment, beaucoup de gens ont été persuadés que <strong>le</strong><br />

FPR était prêt à tout <strong>pour</strong> s’accaparer du pouvoir. De même, <strong>pour</strong> ceux qui avaient toujours pensé<br />

que la guerre allait se confiner aux seu<strong>le</strong>s communes Muvumba et de Ngarama, la guerre est<br />

devenue, à travers <strong>le</strong> million de déplacés et l’occupation de plusieurs communes de Byumba et de<br />

sept communes de Ruhengeri, une réalité nationa<strong>le</strong> désormais palpab<strong>le</strong>.<br />

Au sein du MRND en particulier, l’on craignait que la future étape ne soit une guerre portée contre<br />

<strong>le</strong>s populations de Gisenyi et de Ruhengeri, ce qui laminerait complètement sa base politique. Il en<br />

est de même <strong>pour</strong> <strong>le</strong> MDR qui disputait <strong>le</strong>s adhérents avec <strong>le</strong> MRND dans la préfecture de<br />

Ruhengeri qui risquerait à son tour de perdre son bastion politique. Pour l’ensemb<strong>le</strong> des partis<br />

d’opposition, ils avaient peur qu’une nouvel<strong>le</strong> reprise des hostilités ne conduise à de nouveaux<br />

déplacements de populations vers <strong>le</strong> sud, y aggravant ainsi la famine. Au niveau du Gouvernement,<br />

l’aide humanitaire en faveur des déplacés constitue un poids économique, social et politique énorme<br />

qu’il ne peut endurer très longtemps.<br />

Cette dramatique situation de déplacés de guerre venait s’ajouter à la situation alimentaire très<br />

précaire causée par <strong>le</strong> déficit alimentaire chronique. L’on notera aussi que <strong>le</strong> négociateur clé des<br />

accords d’Arusha, Monsieur Boniface Ngulinzira 66[66] , membre du MDR et ministre des affaires<br />

étrangères, avait perdu plusieurs de ses parents dans la reprise des hostilités par <strong>le</strong> FPR.<br />

La faib<strong>le</strong>sse de l’armée.<br />

La guerre de février 1993 a montré la faib<strong>le</strong>sse patente de l’armée gouvernementa<strong>le</strong>. En moins<br />

d’une semaine, <strong>le</strong> FPR a effectué une attaque de grande envergure qui l’a fait gagner un quart du<br />

territoire national et l’a positionné à près de cinquante kilomètres de la Capita<strong>le</strong>. Le spectre d’une<br />

offensive future <strong>sur</strong> Kigali faisait peser une peur insoupçonnée dans la population, y compris chez<br />

des <strong>le</strong>aders de l’opposition, <strong>pour</strong>tant favorab<strong>le</strong>s au FPR. Celui-ci a pris beaucoup de matériel<br />

militaire <strong>sur</strong> l’ennemi. On a assisté ensuite à plusieurs désertions dans l’armée. Désormais, <strong>le</strong>s<br />

partisans du FPR, dopés par l’avancée militaire spectaculaire de <strong>le</strong>ur armée, n’éprouvaient plus<br />

65[65] C’est parmi ces déplacés, appauvris et désespérés que <strong>le</strong> gros des recrutements des « Interahamwe » sera opéré.<br />

66[66] Il a été tué par « l’akazu » en avril 1994 lors du génocide.


aucune crainte d’afficher ouvertement <strong>le</strong>ur militantisme. Le journal « Kanguka », très favorab<strong>le</strong> à la<br />

rébellion, appel<strong>le</strong>ra à la victoire du FPR, et dans un ton franchement ethniste, souhaitera l’exil <strong>pour</strong><br />

trente ans des populations hutu 67[67] .<br />

La dramatique situation militaire renforcera la position politique de ceux qui, dans <strong>le</strong> camp<br />

présidentiel, étaient contre la <strong>pour</strong>suite de la guerre et plutôt favorab<strong>le</strong> à une issue négociée du<br />

conflit. Cette tendance viendra renforcer <strong>le</strong> camp de l’opposition intérieure favorab<strong>le</strong> au même<br />

aboutissement pacifique. La conjugaison des forces donnera une impulsion effective aux<br />

négociations.<br />

La logique de positionnement politique<br />

Le gouvernement de transition avait été obtenu par <strong>le</strong>s pressions intenses tant au niveau interne<br />

qu’international. Le processus de sa mise en place avait été très laborieux et <strong>le</strong> Président<br />

Habyarimana avait fini par céder. Il convient de noter cependant qu’en vue de s’as<strong>sur</strong>er la maîtrise<br />

de l’ouverture politique, il avait tenu à lui donner une durée d’exercice bien circonscrite dans <strong>le</strong><br />

temps, à savoir une année.<br />

Pendant qu’ils participaient au gouvernement, <strong>le</strong>s partis politiques, ceux de l’opposition<br />

principa<strong>le</strong>ment, avaient engrangé des bénéfices politiques et économiques certains. Ils n’avaient par<br />

contre aucune as<strong>sur</strong>ance que <strong>le</strong> protoco<strong>le</strong> d’entente entre <strong>le</strong>s partis politiques de gestion de la<br />

transition entre <strong>le</strong>s partis politiques allait être prorogé au-delà d’une année. Déjà, en janvier 1993, <strong>le</strong><br />

Président de la République était entré en conflit avec <strong>le</strong> Premier ministre <strong>sur</strong> la conduite des<br />

négociations de paix. Ecartant des négociations de manière unilatéra<strong>le</strong> <strong>le</strong> ministre des affaires<br />

étrangères, Boniface Ngulinzira, il avait désigné <strong>le</strong> ministre de la défense, James Gasana, chef de la<br />

délégation gouvernementa<strong>le</strong> aux négociations d’Arusha 68[68] .<br />

Les partis d’opposition redoutaient que l’échéance annuel<strong>le</strong> ne soit l’occasion <strong>pour</strong> <strong>le</strong> camp<br />

présidentiel de reprendre l’initiative et, partant, <strong>le</strong> contrô<strong>le</strong> total du processus politique. Ils<br />

craignaient donc de se voir écarter du gouvernement et ainsi être sevrés de la manne étatique,<br />

réticents qu’ils étaient à compter <strong>sur</strong> <strong>le</strong>urs propres forces et à faire la politique en dehors du<br />

gouvernement.<br />

Le bilan du gouvernement <strong>sur</strong> <strong>le</strong>s huit points du programme retenu par <strong>le</strong> protoco<strong>le</strong> d’entente est<br />

faib<strong>le</strong>. Compte tenu de la configuration politique, du rapport des forces des partis ainsi que de la<br />

conjoncture internationa<strong>le</strong>, <strong>le</strong> seul point <strong>sur</strong> <strong>le</strong>quel <strong>le</strong> gouvernement de transition a obtenu des<br />

résultats tangib<strong>le</strong>s reste celui relatif à la négociation de la paix. Ces partis avaient donc intérêt à<br />

profiter de l’appui relatif de la communauté internationa<strong>le</strong> au processus de paix <strong>pour</strong> obtenir des<br />

résultats substantiels dans <strong>le</strong>s négociations qu’ils verseraient ensuite à <strong>le</strong>ur actif afin de s’imposer<br />

dans la gestion postérieure.<br />

LES RAISONS EXTERIEURES.<br />

Les é<strong>le</strong>ctions au Burundi.<br />

En juin 1991, <strong>le</strong> Front démocratique burundais « FRODEBU », parti d’opposition, l’emporte haut la<br />

main <strong>le</strong>s é<strong>le</strong>ctions législatives et présidentiel<strong>le</strong>s au Burundi. Cet événement est accueilli très<br />

favorab<strong>le</strong>ment par l’ensemb<strong>le</strong> de la classe politique intérieure rwandaise. Dans <strong>le</strong>s rangs de<br />

67[67]<br />

Journal Kanguka n°73, février 1993 : « A quand l’arrivée du FPR <strong>pour</strong> que <strong>le</strong>s hutu prennent aussi l’exil de trente<br />

ans » ?<br />

68[68]<br />

Cela s’est effectué en connivence avec <strong>le</strong> PSD et <strong>le</strong> PL et Faustin Twagiramungu. Nous ne sommes pas à la<br />

première contradiction et aux alliances changeantes.


l’opposition interne, cette victoire confirme la justesse de l’approche pacifique adoptée dans la lutte<br />

politique. El<strong>le</strong> est aussi perçue comme prémonitoire de <strong>le</strong>ur propre victoire en cas d’organisation<br />

d’é<strong>le</strong>ctions généra<strong>le</strong>s à l’issue de la période de transition. Le succès é<strong>le</strong>ctoral du FRODEBU dope<br />

l’opposition et la stimu<strong>le</strong> à accélérer la conclusion des négociations.<br />

Le camp présidentiel est réconforté par la perspective d’avoir à son flanc sud un nouveau pouvoir<br />

burundais qui n’avait pas développé antérieurement des intelligences avec <strong>le</strong> FPR. Il était, en effet,<br />

de notoriété publique que <strong>le</strong> pouvoir burundais défait soutenait la rébellion, notamment par la<br />

facilitation dans <strong>le</strong> recrutement militaire et par l’autorisation octroyée d’installation <strong>sur</strong> son<br />

territoire d’une radio de propagande militaire et politique : la radio « Muhabura ». Aussi, <strong>le</strong> pouvoir<br />

burundais fournissait-il un appui politique et diplomatique indéniab<strong>le</strong> en faveur du FPR. La<br />

probabilité forte que tous ces soutiens allaient cesser renforçait la position politique et militaire du<br />

MRND.<br />

Le pô<strong>le</strong> FPR, par contre, se trouvait affaibli par <strong>le</strong> succès politique du FRODEBU et l’é<strong>le</strong>ction de<br />

Monsieur Melchior Ndadaye à la magistrature suprême. L’éviction du Président Pierre Buyoya<br />

signifiait, d’une part, <strong>pour</strong> la rébellion, comme cela vient d’être mentionné ci-dessus, la perte d’un<br />

allié régional, à court et à moyen terme. D’autre part, il lui serait désormais diffici<strong>le</strong> de ne pas<br />

admettre <strong>le</strong> règ<strong>le</strong>ment pacifique des différends. Devant sa porte, il était aisé de voir, qu’un parti<br />

d’opposition, de <strong>sur</strong>croît pacifique, avait pu, par <strong>le</strong>s urnes, faire valoir ses prétentions et conquérir <strong>le</strong><br />

pouvoir sans devoir prendre <strong>le</strong>s armes. La pression <strong>pour</strong> la conclusion des négociations et la mise en<br />

place d’une transition politique à laquel<strong>le</strong> <strong>le</strong> FPR allait être confronté, devenait plus forte encore.<br />

La fatigue des pays limitrophes.<br />

Trois ans de guerre, s’en est trop. Pour <strong>le</strong>s pays voisins du Rwanda, l’enlisement du conflit pouvait<br />

faire craindre que ce dernier ne s’exporte chez eux et ne <strong>le</strong>s plonge à <strong>le</strong>ur tour dans des guerres<br />

internes. Le Burundi venait de réussir une transition pacifique encore fragi<strong>le</strong> qu’il cherchait à<br />

consolider. Il n’aurait pas aimé que <strong>le</strong> conflit à sa frontière soit exploité par <strong>le</strong>s perdants en portant<br />

<strong>le</strong>s armes contre <strong>le</strong>s nouvel<strong>le</strong>s institutions, remettant ainsi en cause <strong>le</strong>s fruits d’un investissement<br />

politique de longue ha<strong>le</strong>ine.<br />

Le Congo, ex-Zaïre, reste un patchwork de régions vastes non encore intégrées dont la propension<br />

au séparatisme reste encore forte. Il ne souhaitait pas que <strong>le</strong> conflit civil rwandais alimente des<br />

foyers de tension centrifuge, notamment dans <strong>le</strong> Kivu et <strong>le</strong> Shaba, régions dont l’histoire politique<br />

reste très tourmentée. Plus que quiconque, <strong>le</strong> Congo était très conscient de la nature régiona<strong>le</strong> du<br />

conflit rwandais ainsi que des visées géopolitiques qui <strong>le</strong> concernaient. Cela explique <strong>pour</strong>quoi il<br />

s’est impliqué dès <strong>le</strong>s débuts à la résolution rapide du conflit rwandais 69[69] .<br />

La Tanzanie a toujours développé une politique active d’intégration régiona<strong>le</strong> pacifique. La guerre,<br />

avec la défense des intérêts contradictoires conjoncturels de chaque pays dans <strong>le</strong> conflit, empêche la<br />

construction soutenue d’une dynamique favorab<strong>le</strong> à l’intégration économique, encore moins<br />

politique. En outre, la persistance du conflit, compte tenu de l’implication forte d’une autre<br />

Puissance régiona<strong>le</strong>, à savoir l’Uganda, semblait dérou<strong>le</strong>r <strong>le</strong> tapis rouge en faveur de ce nouvel<br />

acteur concurrent autour duquel la future politique régiona<strong>le</strong> risquait de se construire. Ce dernier<br />

semb<strong>le</strong> être <strong>le</strong> seul pays à tirer un bénéfice net de la guerre dans <strong>le</strong> sens qu’il résout par ce biais ses<br />

propres problèmes internes et, par ricochet, agrandit l’influence dans son arrière-cour.<br />

69[69] Voir notamment l’accord de cessez-<strong>le</strong>-feu de Nselé (ex-Zaïre) du 29 mars 1991 et du 16 septembre du 16<br />

septembre 1991 de Gbadolité (ex-Zaïre). Mais aussi <strong>le</strong>s autres rencontres de très haut niveau à Gbadolité <strong>le</strong> 26 octobre<br />

1990 et à Goma (ex-Zaïre) <strong>le</strong> 20 novembre 1990.


c. Le compromis entre <strong>le</strong>s Puissances occidenta<strong>le</strong>s.<br />

Les Puissances occidenta<strong>le</strong>s, en l’occurrence <strong>le</strong>s USA, la France et la Belgique ne sont pas des<br />

ennemis. Ils ont plus d’éléments de convergence et de points de rencontre qu’ils aimeraient rég<strong>le</strong>r<br />

au plus vite qu’à s’opposer <strong>sur</strong> des enjeux secondaires tels que <strong>le</strong> conflit rwandais. L’OTAN,<br />

l’Union européenne, l’Organisation mondia<strong>le</strong> du commerce, <strong>le</strong>s conflits des Balkans et l’ouverture à<br />

l’économie de marché des anciens pays du bloc soviétique sont des enjeux de loin plus importants<br />

qui ne devraient pas souffrir des oppositions mineures.<br />

L’on se souvient de ce que la France, en mai 1992, afin d’obliger <strong>le</strong> Président Habyarimana à<br />

négocier avec la rébellion, avait permis à cette dernière de s’emparer d’une portion du territoire<br />

rwandais en commune Muvumba 70[70] . De plus, lors de la grande attaque du mois de février 1993<br />

par <strong>le</strong> FPR, il avait été convenu entre ce dernier et <strong>le</strong> gouvernement rwandais que <strong>le</strong>s troupes<br />

françaises du détachement Noroît devaient avoir quitté <strong>le</strong> territoire rwandais avant la fin de l’année<br />

1993. El<strong>le</strong>s quitteront Kigali précisément <strong>le</strong> 15 décembre. L’on sait enfin que <strong>le</strong>s trois pays avaient<br />

mis <strong>sur</strong> pied un cadre de concertation et de pression commune <strong>sur</strong> <strong>le</strong> Président rwandais ainsi que<br />

l’atteste ce mémorandum confidentiel 71[71] :<br />

United States Department of State<br />

Washington D.C. 20520<br />

July 15, 1992<br />

CONFIDENTIAL<br />

MEMORANDUM<br />

TO AF - Mr. Cohen<br />

THRU AF - Robert Houdek<br />

FROM AF/C - Robert M. Pring<strong>le</strong><br />

SUBJECT Calls to Claes and Dijoud.<br />

I. PURPOSE<br />

We suggest you call Belgian FM Claes and French Africa Director Dijoud to urge them to keep<br />

pres<strong>sur</strong>e on Habyarimana to imp<strong>le</strong>ment the Rwanda-RPF accords and to help support the<br />

peacekeeping mechanisms.<br />

IIA. Key Points for Dijoud<br />

(...)<br />

Congratulations on the Rwanda cease fire agreement. Your efforts seem to be paying off faster than<br />

anyone could have expected. But it is also apparent that the agreement is fragi<strong>le</strong> and will require<br />

much further care and support from foreign friends.<br />

We are especially worried that the Rwandan political <strong>le</strong>adership, especially President<br />

Habyarimana, may reject what their negociators have accomplished because it yields too much to<br />

the RPF.<br />

We think it would help greatly if you call Habyarimana and urge him to support imp<strong>le</strong>mentation of<br />

the agreement. We plan to do something similar, either a call or <strong>le</strong>tter from a senior personnality.<br />

(If asked about U.S. support). We plan to continue our current <strong>le</strong>vel of technical assistance<br />

throughout the peace process.<br />

IIB. Key Points for Claes<br />

70[70] Voir Gasana, James, Rwanda, du Parti-Etat à l’Etat-Garnison, p.128.<br />

71[71] Tiré tel quel de Gasana, James, op. cit., p.135.


Western diplomatic efforts to encourage peace in Rwanda seem to be paying off faster than anyone<br />

expected. Neverthe<strong>le</strong>ss, the agreement is obviously fragi<strong>le</strong> and the peace process will need lots of<br />

additional support from Rwanda’s foreign friends.<br />

We are especially worried that the Rwandan political <strong>le</strong>adership, especially President<br />

Habyarimana, may reject what their negociators have accomplished because it yields too much to<br />

the RPF.<br />

We think it would help greatly if you would raise this subject with Habyarimana and urge him to<br />

support imp<strong>le</strong>mentation of the agreement. ( We understand he will be in Brussels next week.) We<br />

plan to do something similar, either a call or <strong>le</strong>tter from a senior personnality.<br />

We hope you will be ab<strong>le</strong> to help fund the monitoring group.<br />

(If asked) Whi<strong>le</strong> we plan to continue our current <strong>le</strong>vel of technical assistance, doing anything more<br />

than that will be difficult for us due to the decreased <strong>le</strong>vel of security assistance availab<strong>le</strong> for<br />

Africa.<br />

BACKGROUND<br />

We believe you should call Dijoud and Claes, congratulate them on their ro<strong>le</strong> to date in the<br />

negociations, and urge them to keep pres<strong>sur</strong>e on Habyarimana, who (it is widely feared) may<br />

conclude that his negociators got carried away and yielded to much to the RPF. (...)<br />

Titre 6 : LE CLIMAT PREVALANT ENTRE AVRIL ET JUILLET 1994<br />

LE CLIMAT DE PEUR ET DE BLOCAGE AVANT AVRIL 1994.<br />

L’assassinat du Président burundais.<br />

L’assassinat du Président burundais Melchior Ndadaye en octobre 1993 72[72] , faut-il <strong>le</strong> souligner,<br />

constitue l’événement majeur qui a <strong>le</strong> plus contribué au bou<strong>le</strong>versement des rapports entre <strong>le</strong>s<br />

partis. Il a atténué <strong>le</strong>s antagonismes régionaux et a induit l’incrustation d’un climat de radicalisation<br />

et de bipolarisation ethnique. Dans <strong>le</strong> camp présidentiel où l’on par<strong>le</strong> sans ambiguïté de<br />

l’implication du FPR dans <strong>le</strong> coup, la confiance dans <strong>le</strong>s institutions de transition élargie au FPR<br />

s’est effritée par crainte de voir ce dernier <strong>le</strong>s utiliser afin d’opérer un coup d’état et s’accaparer<br />

seul du pouvoir. Il en était de même <strong>pour</strong> <strong>le</strong> FPR qui n’était plus as<strong>sur</strong>é de disposer dans <strong>le</strong>s<br />

institutions de transition, avec ses alliés devenus moins sûrs, de la majorité des deux tiers 73[73] afin<br />

de mener la politique à sa convenance. Il redoutait que sa supériorité militaire ne soit transformée<br />

par la nouvel<strong>le</strong> redistribution des cartes en une défaite politique. Chacun des deux adversaires se<br />

préparait à une nouvel<strong>le</strong> épreuve de force.<br />

Les entraînements et infiltrations de milices.<br />

Dans <strong>le</strong> camp présidentiel, en prévision de la démilitarisation et de la consignation des armes par la<br />

MINUAR, l’entraînement militaire des « Interahamwe » <strong>pour</strong> s’as<strong>sur</strong>er d’une force paramilitaire<br />

propre avait commencé dès <strong>le</strong> mois de novembre. Ils étaient estimés à un nombre équiva<strong>le</strong>nt à 3<br />

bataillons 74[74] . C’est cette force, plus la garde présidentiel<strong>le</strong>, qui se transformeront, à partir du 7<br />

72[72] La mort du Président burundais Ndadaye entraîne un flux de 350'000 réfugiés burundais dont certains excitent la<br />

population hutu à s’en prendre aux tutsi. Des troub<strong>le</strong>s éclatent au Bugesera et font cinq morts tutsi, des maisons sont<br />

incendiées et près de 400 personnes se réfugient à la paroisse de Ruhuha. Voir aussi <strong>le</strong> journal Le Soir du 6 décembre<br />

1993, l’interview du Premier ministre Madame Agathe Uwilingiyimana.<br />

73[73] Artic<strong>le</strong> 21 du protoco<strong>le</strong> d’accord entre <strong>le</strong> Gouvernement de la République rwandaise et <strong>le</strong> Front patriotique<br />

rwandais <strong>sur</strong> <strong>le</strong> partage du pouvoir dans <strong>le</strong> cadre d’un gouvernement de transition à base élargie du 30 octobre 1992.<br />

74[74] C’est <strong>le</strong> commandant de la gendarmerie de Rwamagana, <strong>le</strong> major Michel Havugiyaremye, qui en novembre 1993<br />

a, <strong>le</strong> premier, rapporté notamment au Parquet général de Kigali des entraînements de miliciens effectués par la garde


avril 1994, en fer de lance du génocide. Du côté FPR, aussitôt arrivé à Kigali, son bataillon de<br />

sécurité a commencé à creuser <strong>le</strong>s tranchées tout autour de son nouveau quartier général : <strong>le</strong> CND.<br />

Des infiltrations en vil<strong>le</strong> par des éléments armés complémentaires au bataillon avaient été<br />

déployées. Ils étaient évalués par la MINUAR à près de 1’400 personnes dans la seu<strong>le</strong> vil<strong>le</strong> de<br />

Kigali, et à près de 7'200 <strong>sur</strong> l’ensemb<strong>le</strong> du territoire 75[75] .<br />

Le blocage des institutions de transition.<br />

La mise en place des institutions de transition a été au début freinée par <strong>le</strong> pô<strong>le</strong> présidentiel. En<br />

effet, <strong>le</strong> FPR ne lui garantissait plus l’amnistie négociée dans <strong>le</strong> plus grand secret, <strong>le</strong> Président de la<br />

République craignait désormais que son immunité ne soit <strong>le</strong>vée et que lui-même ne soit <strong>pour</strong>suivi<br />

<strong>pour</strong> l’assassinat des dignitaires de la Première République. Il ne cherchera pas à mettre en place <strong>le</strong>s<br />

institutions de transition tant qu’il ne sera pas sûr de détenir dans <strong>le</strong> futur par<strong>le</strong>ment <strong>le</strong> tiers des voix<br />

nécessaires au blocage des décisions importantes. Par la suite, ce sera <strong>le</strong> tour du FPR de s’opposer à<br />

<strong>le</strong>ur mise en place. Il était, en effet, en train de perdre la majorité qualifiée des deux tiers dans <strong>le</strong><br />

sens où <strong>le</strong> pô<strong>le</strong> MDR était en train de se reconstituer grâce aux rapprochements de M. F.<br />

Twagiramungu et de M. D. Nsengiyaremye 76[76] et où <strong>le</strong>s partis PL et PSD n’étaient plus tota<strong>le</strong>ment<br />

acquis aux stratégies du FPR.<br />

L’insécurité généralisée.<br />

Comme s’il s’agissait d’un signe des temps, <strong>le</strong> départ du détachement militaire français a coïncidé<br />

avec l’arrivée des troupes d’élite du FPR. L’incapacité de la MINUAR à as<strong>sur</strong>er la sécurité était<br />

devenue patente. A Kigali, <strong>le</strong>s quartiers dont <strong>le</strong>s habitants disposaient de moyens organisaient déjà<br />

<strong>le</strong>ur propre sécurité et engageaient des gardes de nuit supplémentaires qui patrouillaient et<br />

contrôlaient <strong>le</strong>s différentes artères d’accès à <strong>le</strong>ur quartier. Ceux qui ne pouvaient se payer de tels<br />

services faisaient des rondes nocturnes. Presque toutes <strong>le</strong>s soirées étaient caractérisées par des<br />

explosions de grenades, des mines anti-personnel<strong>le</strong>s ou de bruits d’armes à feu. La criminalité<br />

politique reprenait ses droits. Le sommet a été atteint par l’assassinat à deux jours d’interval<strong>le</strong> de<br />

deux <strong>le</strong>aders politiques, à savoir M. F. Gatabazi, secrétaire exécutif du PSD et M. M. Bucyana de la<br />

CDR. Ces deux événements se sont transformés en émeutes dans certains quartiers comme Gikondo<br />

et ont failli se transformer en guerre civi<strong>le</strong> généralisée.<br />

Le climat de guerre.<br />

L’insécurité généralisée a donné lieu à l’installation d’un climat de guerre s’instal<strong>le</strong>. Les deux<br />

camps opposés renchérissaient dans la propagande fondée <strong>sur</strong> des discours d’incitation à la vio<strong>le</strong>nce<br />

et à la haine ethnique 77[77] .<br />

présidentiel<strong>le</strong> en la personne du major L. Nkundiye, <strong>le</strong>quel venait d’être affecté dans la région du Mutara. L’essentiel<br />

des troupes « Interahamwe » est composé de jeunes déplacés de guerre, de réservistes et de déserteurs de l’armée.<br />

75[75] Selon Des Forges, Alison, Aucun témoin ne doit <strong>sur</strong>vivre, Paris, Karthala, p.214, « Avant <strong>le</strong> début du mois d’avril,<br />

<strong>le</strong> FPR disposait d’environ 600 cellu<strong>le</strong>s dans tout <strong>le</strong> pays, dont 147 à Kigali. Chaque groupe rassemblant de six à douze<br />

membres, on comptait donc entre 3'600 et 7'200 personnes qui avaient déclaré ou ouvertement ou en privé <strong>le</strong>ur soutien<br />

au FPR. La capita<strong>le</strong> abritait <strong>le</strong> plus grand nombre d’entre eux, c’est-à-dire entre 700 et 1'400 personnes ».<br />

76[76] Certes <strong>le</strong> courant Power du MDR représenté par M, F. Karamira et M. D. Murego a passé alliance avec <strong>le</strong> MRND,<br />

mais la revivification, timide il est vrai, du tandem Twagiramungu – Nsengiyaremye commence à être redouté du fait de<br />

l’indépendance qu’il allait pouvoir développer dans la suite.<br />

77[77] Dans <strong>le</strong>ur déclaration publique du 8 janvier 1994 relatif au retard de la mise <strong>sur</strong> pied des institutions de transition<br />

définies dans l’Accord de paix d’Arusha, <strong>le</strong> col<strong>le</strong>ctif de la société civi<strong>le</strong> représenté par <strong>le</strong>s organisations de femmes<br />

« Pro-femmes Twese Hamwe », <strong>le</strong>s Organisations de droits de l’homme « CLADHO » et <strong>le</strong>s ONG de développement<br />

« CCOAIB » demandent notamment à la Radio Muhabura du FPR et la Radio RTLM du camp présidentiel de cesser de<br />

propager des discours ethnisants. Le col<strong>le</strong>ctif condamne aussi la distribution des armes qui était en train de se dérou<strong>le</strong>r.


Le FPR, sans conteste militairement plus fort, donnait l’impression d’être <strong>le</strong> plus déterminé à<br />

reprendre la guerre puisqu’il affirmait déjà dans deux journaux ugandais que « <strong>le</strong>s chances de<br />

Kagame de prendre Kigali se sont multipliés par 100 78[78] » et qu’il était prêt à foncer et à s’emparer<br />

de Kigali en un jour. Il était déterminé à reprendre <strong>le</strong>s hostilités, quel qu’en fut <strong>le</strong> prix <strong>pour</strong> <strong>le</strong>s tutsi<br />

de l’intérieur et <strong>pour</strong> l’opposition. Devant <strong>le</strong>s délégués de la société civi<strong>le</strong> qui lui proposaient de<br />

privilégier <strong>le</strong> compromis politique à la force militaire afin d’éviter <strong>le</strong> sort tragique qui ne<br />

manquerait pas de s’abattre <strong>sur</strong> l’opposition et <strong>le</strong>s tutsi de l’intérieur, il avait déclaré que : « même<br />

dans l’Al<strong>le</strong>magne nazie, il y avait eu des <strong>sur</strong>vivants des camps de concentration » 79[79] .<br />

Le camp présidentiel qui avait bien armé ses milices se préparait à son tour à liquider l’opposition et<br />

<strong>le</strong>s tutsi en cas de rupture de cessez-<strong>le</strong>-feu par <strong>le</strong> FPR. Cette résolution à s’en prendre aux tutsi et à<br />

l’opposition en cas d’attaque avait été confiée aux mêmes membres de la société civi<strong>le</strong> venus faire<br />

<strong>le</strong> plaidoyer de l’Accord de paix à qui il avait été confié que :<br />

« Nous n’agresserons personne de notre première initiative. Le FPR se prépare à la guerre et vous<br />

devez savoir qu’en cas de reprise de la guerre, nous ne resterons pas inertes » 80[80] .<br />

La dégradation de la situation économique et socia<strong>le</strong>.<br />

En ce premier trimestre de l’année 1994, la situation socio-économique n’a pas cessé de se<br />

détériorer. Cette situation provient en premier lieu du déficit alimentaire chronique connu dans <strong>le</strong><br />

pays. En deuxième lieu, il s’agit des effets négatifs de la politique d’ajustement structurel imposé<br />

par <strong>le</strong> FMI qui, vu la dévaluation de plus de 70% de la monnaie nationa<strong>le</strong>, a alourdi la facture<br />

d’importation des biens de première nécessité, cela frappe autant la classe paysanne que la classe<br />

moyenne. En troisième lieu, il convient de se souvenir de ce qu’en février 1993, <strong>le</strong> FPR s’est<br />

accaparé de près d’un quart du territoire national. Cette portion n’est plus utilisée <strong>pour</strong> nourrir la<br />

population. Et <strong>le</strong> fait aggravant est que la région occupée constituait <strong>le</strong> principal grenier du pays. En<br />

quatrième lieu, <strong>le</strong>s déplacés de guerre grèvent énormément <strong>le</strong> budget de l’Etat et l’aide humanitaire.<br />

En cinquième lieu, depuis <strong>le</strong> 21 octobre 1993, date de la mort du Président burundais, près de<br />

350'000 réfugiés burundais se trouvent encore <strong>sur</strong> territoire rwandais.<br />

Le Premier ministre, Madame Agathe Uwilingiyimana, confiait déjà ceci <strong>le</strong> 6 décembre 1993 à au<br />

jour belge « Le Soir » :<br />

« … nous allons devoir faire face à une famine dans <strong>le</strong> sud du pays. Les régions de Butare, de<br />

Kibuye, de Gikongoro sont ravagées par la sécheresse. Le nord, jadis grenier du pays, est sinistré<br />

par la guerre ; <strong>le</strong> sud fait face à la sécheresse et au <strong>sur</strong>peup<strong>le</strong>ment. Sur <strong>le</strong>s marchés, <strong>le</strong>s vivres<br />

commencent à manquer et notre déficit alimentaire s’élève à 590'000 tonnes. En outre <strong>le</strong>s réfugiés<br />

déboisent tout : des collines sont rasées, des forêts brûlées… » 81[81] .<br />

Le 4 avril 1994, l’ONG OXFAM annonçait qu’entre 800'000 et 2'500'000 personnes allaient être<br />

directement affectées par la famine.<br />

« Au moins 500.000 personnes sont menacées de famine au Rwanda, en raison de la sécheresse,<br />

d’un déficit alimentaire chronique, des mouvements de déplacés de la guerre civi<strong>le</strong> rwandaise et de<br />

l’afflux de réfugiés burundais, a-t-on estimé lundi de sources humanitaires.<br />

78[78] Journal Uganda Confidential du 28 février au 7 mars 1994 et <strong>le</strong> journal The Peop<strong>le</strong> du 4-8 mars 1994.<br />

79[79] Propos tenus par M. P. Mazimhaka en date du 12 février 1994 devant <strong>le</strong>s délégués de la société civi<strong>le</strong> dont je<br />

faisais partie. Nous rendions visite au FPR dans <strong>le</strong> cadre de pression politique en vue de la mise en place des institutions<br />

de transition.<br />

80[80] Propos nous tenus par M. J. Nzirorera, secrétaire national du MRND, en date du 15 février 1994 dans <strong>le</strong> même<br />

cadre au moment de la rencontre avec <strong>le</strong>s responsab<strong>le</strong>s du MRND.<br />

81[81] Journal Le Soir du 6 décembre 1993, op. cit.


Ce chiffre de 500.000 correspond aux « personnes en situation d’extrême urgence », a-t-on ajouté<br />

de mêmes sources. Le nombre de personnes affectées à des degrés divers se situe entre 800.000 et<br />

2,5 millions, selon différentes sources.<br />

Un rapport établi par l’association humanitaire Oxfam en collaboration avec <strong>le</strong> Gouvernement et<br />

divers autres organismes fixe à plus de 800.000 <strong>le</strong> nombre de personnes nécessitant une aide<br />

alimentaire d’urgence. Selon <strong>le</strong>s responsab<strong>le</strong>s d’Oxfam à Kigali, ce rapport et ses<br />

recommandations doivent être publiés en début de semaine.<br />

Une autre étude de l’association humanitaire Caritas fixe à plus d’un million <strong>le</strong> nombre de<br />

personnes dans <strong>le</strong> besoin, <strong>le</strong> Gouvernement réclamant de l’aide alimentaire <strong>pour</strong> au moins 2,5<br />

millions de personnes, a-t-on indiqué de différentes sources humanitaires.<br />

Il y a deux semaines, l’Organisation <strong>pour</strong> l’alimentation et l’agriculture (FAO) avait jugé<br />

« critique » la situation alimentaire dans l’ensemb<strong>le</strong> du Rwanda et estimé que seu<strong>le</strong> une aide<br />

urgente pouvait éviter la famine 82[82] ».<br />

LE CLIMAT DE TERREUR D’AVRIL A JUILLET 1994.<br />

La représentation du climat de terreur.<br />

Le 6 avril 1994, un attentat, véritab<strong>le</strong> acte de piraterie aérienne coûte la vie aux Présidents rwandais<br />

et burundais. En moins de six mois, c’était trois Présidents hutu tués, diront <strong>le</strong>s partisans de<br />

l’ethnicité. Cet attentat a été suivi immédiatement par la violation du FPR du cessez-<strong>le</strong>-feu et de<br />

l’Accord de paix puisqu’il a repris tout de suite la guerre et a attaqué dès <strong>le</strong> matin même <strong>sur</strong> tous <strong>le</strong>s<br />

fronts. La question lancinante reste toujours la suivante : que cherchait à obtenir l’auteur de cet acte<br />

extrême qui a semé <strong>le</strong> chaos et la terreur et a déc<strong>le</strong>nché un cataclysme inouï dont <strong>le</strong>s éléments <strong>le</strong>s<br />

plus graves et <strong>le</strong>s conséquences immédiates sont la guerre, <strong>le</strong> génocide et <strong>le</strong>s crimes contre<br />

l’humanité ?<br />

Afin de permettre à la Cour de se représenter <strong>le</strong> climat de terreur qui prévalait en cette période là,<br />

j’aimerais l’illustrer par l’allégorie suivante :<br />

« En p<strong>le</strong>ine crise américano-soviétique lors de la crise cubaine en 1962 ou des euromissi<strong>le</strong>s en<br />

1986, rentrant d’une mission de résolution de la crise cubaine ou des euromissi<strong>le</strong>s à laquel<strong>le</strong><br />

participaient <strong>le</strong>s Chefs d’Etat de l’Alliance atlantique, un commando d’élite soviétique abat au<br />

moment de l’amorce d’atterrissage à la Maison Blanche l’avion du Président américain dans <strong>le</strong>quel<br />

figurait aussi <strong>le</strong> Premier ministre britannique qui meurent <strong>sur</strong>-<strong>le</strong>-champ. Le chef d’état major des<br />

armées, <strong>le</strong> chef du contre-espionnage et <strong>le</strong> conseil<strong>le</strong>r politique américains se trouvent dans <strong>le</strong> même<br />

avion ainsi que deux ministres britanniques qui tous périssent dans l’attentat. Au moment des faits,<br />

<strong>le</strong> secrétaire d’Etat à la défense américaine, <strong>le</strong> chef des opérations militaires à l’état major, <strong>le</strong> chef<br />

des renseignements militaires sont en voyage en Amérique latine.<br />

Après l’attentat perpétré par <strong>le</strong> commando soviétique, l’armée soviétique attaque <strong>le</strong>s troupes<br />

américaines à partir de la Floride. Sont restés <strong>sur</strong> place aux commandes de l’Etat, <strong>le</strong> vice-Président<br />

et <strong>le</strong> Président de la Cour constitutionnel<strong>le</strong>. Ceux-ci sont immédiatement éliminés. Le général<br />

Douglas Mac Arthur, <strong>le</strong> champion toutes catégories de la lutte anti-soviétique, et <strong>le</strong> chef du Ku Klux<br />

Klan s’accaparent de l’Etat. Ceux-ci répliquent non seu<strong>le</strong>ment par l’entrée en guerre contre l’Union<br />

soviétique, mais aussi par l’élimination des <strong>le</strong>aders démocrates et des populations d’origine slave.<br />

Pendant ce temps, <strong>le</strong>s troupes de l’OTAN qui stationnaient à Washington sont rappelées. Les seuls<br />

véhicu<strong>le</strong>s d’information sont monopolisés par la presse du Ku Klux Klan et par l’armée soviétique.<br />

Ajoutons aussi que depuis trois mois des experts français du renseignement ont établi que, en cas de<br />

guerre ouverte, près de 8% de la population américaine allait périr ».<br />

82[82] Agence de presse AFP du 4 avril 1994.


Quel<strong>le</strong>s seraient, de votre point de vue, <strong>le</strong>s conséquences qu’une tel<strong>le</strong> crise <strong>pour</strong>rait induire aux<br />

Etats Unis d’Amérique ?<br />

Les éléments facilitateurs de la terreur.<br />

L’assassinat du Chef de l’Etat<br />

Depuis <strong>le</strong> 5 janvier 1994, date de sa prestation de serment dans <strong>le</strong> cadre de l’entrée en vigueur des<br />

institutions de transition, l’institution de Présidence de la République, parce que ni l’assemblée<br />

nationa<strong>le</strong> ni <strong>le</strong> gouvernement de transition n’avaient été constitués, la présidence était, à cette date,<br />

la seu<strong>le</strong> léga<strong>le</strong>. En outre, depuis <strong>le</strong> 7 janvier 1994, arguant qu’il n’existait plus de cadre juridique<br />

<strong>pour</strong> la tenue de conseils des ministres, <strong>le</strong> Premier ministre, Agathe Uwilingiyimana, ne réunissait<br />

plus depuis longtemps son conseil des ministres 83[83] . L’assassinat du Président de la République qui<br />

<strong>sur</strong>vient <strong>le</strong> 6 avril, suivi <strong>le</strong> <strong>le</strong>ndemain par celui du Premier ministre, a donc créé un vide<br />

institutionnel et politique qui ne pouvait être régulièrement comblé. Ce vide, voulu par l’auteur de<br />

l’attentat, a induit <strong>le</strong> blocage comp<strong>le</strong>t des institutions et a permis aux éléments <strong>le</strong>s plus radicaux<br />

d’accéder aux commandes de l’Etat, de séquestrer celui-ci sans imputabilité, d’étendre la terreur et<br />

d’organiser <strong>le</strong>s massacres.<br />

La faillite des Casques b<strong>le</strong>us<br />

La MINUAR était la seu<strong>le</strong> institution qui disposait d’un commandement cohérent et d’une force de<br />

frappe dissuasive. On se serait attendu à ce qu’el<strong>le</strong> allait s’opposer aux massacres notamment par la<br />

création d’une zone de sécurité <strong>pour</strong> <strong>le</strong>s personnes fuyant <strong>le</strong>s massacres et la guerre 84[84] . En cela,<br />

el<strong>le</strong> aurait certainement obtenu <strong>le</strong> concours des officiers de l’armée opposés aux tueries et à la prise<br />

du pouvoir par <strong>le</strong>s éléments ultra 85[85] . Des zones comme <strong>le</strong>s préfectures de Gitarama ou de Butare<br />

où la résistance contre <strong>le</strong>s tueries ethniques était bien réel<strong>le</strong> pendant <strong>le</strong>s deux premières semaines<br />

auraient pu servir de territoire de sécurité. La MINUAR avait aussi la capacité de brouil<strong>le</strong>r <strong>le</strong>s<br />

radios qui diffusaient la propagande ethnique et guerrière 86[86] . El<strong>le</strong> pouvait <strong>sur</strong>tout créer l’espace<br />

médiatique et social <strong>pour</strong> <strong>le</strong>s organisations et <strong>le</strong>s individus jouissant d’un pouvoir moral certain <strong>sur</strong><br />

<strong>le</strong>s populations afin de créer et de diffuser un courant d’opinion opposé au génocide et aux<br />

massacres.<br />

El<strong>le</strong> n’a rien fait de tout cela, el<strong>le</strong> a choisi de manière délibérée de plier bagage, de laisser <strong>le</strong> champ<br />

libre à l’expression de la vio<strong>le</strong>nce extrême, de laisser se dérou<strong>le</strong>r <strong>le</strong> génocide et des crimes contre<br />

l’humanité dirigés contre des innocents. Tout cela, peut-être, dans un calcul cynique de ne pas gêner<br />

la victoire militaire d’un camp <strong>sur</strong> l’autre.<br />

Les traits de la terreur.<br />

83[83] Voir <strong>le</strong>ttre des membres MRND du gouvernement au Premier ministre dans Gasana, James, op. cit. p.242.<br />

84[84] Beaucoup de gens croyaient, à tort, que <strong>le</strong> FPR pouvait créer ses propres zones de sécurité <strong>pour</strong> accueillir <strong>le</strong>s<br />

fuyards. Rien n’y fit. On a assisté par contre à des liquidations massives de populations civi<strong>le</strong>s sous son contrô<strong>le</strong> dont<br />

<strong>le</strong>s plus spectaculaires sont cel<strong>le</strong>s qui ont eu lieu au stade de Byumba en mai 1994. L’on a aussi constaté que plusieurs<br />

personnes qui s’étaient réfugiées dans <strong>le</strong>s enceintes de la MINUAR à Kigali étaient ensuite extraites et éliminées par <strong>le</strong><br />

FPR. Des centaines de cadavres auraient été notamment découverts entassés dans <strong>le</strong> bâtiment appartenant au colonel<br />

Aloys Nsekalije sis au quartier commercial Remera III.<br />

85[85] Certains officiers, qui par ail<strong>le</strong>urs se sont illustrés ultérieurement dans <strong>le</strong> sauvetage de vies humaines, auraient pu<br />

coordonner <strong>le</strong>urs forces respectives et apporter un concours important à la MINUAR. Il s’agit à l’époque notamment<br />

des officiers supérieurs : Rusatira, Gatsinzi, Rwabalinda, Murasampongo, Habyarimana, Ndengeyinka, Nzapfakumunsi,<br />

Cyiza, Nsanzimfura, Kanamugire. Des officiers belges nous avaient éga<strong>le</strong>ment as<strong>sur</strong>és qu’en cas de massacres et de<br />

reprise de la guerre, si la décision des Nations Unies était de retirer la MINUAR, ils allaient échanger <strong>le</strong> béret b<strong>le</strong>u (des<br />

Nations Unies) contre <strong>le</strong> béret rouge (belge).<br />

86[86] Surtout <strong>le</strong>s radios RTLM et Muhabura.


<strong>le</strong> triomphe des vio<strong>le</strong>nts<br />

De manière globa<strong>le</strong>, tout l’espace politique et médiatique a été occupé par <strong>le</strong>s extrémistes. Aucun<br />

n’a été concédé aux partisans d’une pensée critique. C’était la tyrannie au sommet et<br />

l’empowerment des vio<strong>le</strong>nts et des laissés <strong>pour</strong> compte. C’était <strong>le</strong> règne de la peur, du soupçon. La<br />

vio<strong>le</strong>nce a révélé plusieurs facettes entremêlées : vio<strong>le</strong>nce ethnique, guerre, vengeances, règ<strong>le</strong>ments<br />

de comptes, accaparement de biens d’autrui, revanche socia<strong>le</strong> des plus pauvres. El<strong>le</strong> a recouru quasi<br />

systématiquement à l’homicide. Les gens n’ont même pas pu choisir <strong>le</strong>quel des deux camps vio<strong>le</strong>nts<br />

<strong>le</strong>s protégerait. Ils ont subi la protection et/ou la répression implacab<strong>le</strong> de la partie vio<strong>le</strong>nte<br />

maîtresse des lieux. C’est dire que <strong>le</strong>s populations ont véritab<strong>le</strong>ment subi, sans la moindre défense,<br />

la loi des deux extrémismes armés. En ce qui concerne <strong>le</strong> côté gouvernemental, l’érection des<br />

barrières <strong>sur</strong> <strong>le</strong>s artères de circulation et la réduction très rigoureuse des déplacements ont été <strong>le</strong>s<br />

moyens utilisés efficaces dans <strong>le</strong> contrô<strong>le</strong> des populations.<br />

L’érection de barrières<br />

Au début, des ordres radiodiffusés ont été passés défendant de quitter <strong>le</strong> domici<strong>le</strong>. Comme dans la<br />

période précédant <strong>le</strong> 6 avril, tout au début, <strong>le</strong>s gens ont continué d’as<strong>sur</strong>er <strong>le</strong>ur propre sécurité dans<br />

<strong>le</strong>s quartiers. Dans <strong>le</strong>s endroits qui n’étaient pas dominés par <strong>le</strong>s « Interahamwe », on pouvait au<br />

début voir ensemb<strong>le</strong> des tutsi et des hutu, jour et nuit, comme dans la période précédente, veil<strong>le</strong>r à<br />

la tranquillité de <strong>le</strong>ur quartier. Cependant <strong>le</strong>s voies d’accès ont été ensuite maîtrisées par <strong>le</strong>s<br />

« Interahamwe ». Ces derniers ont érigé <strong>le</strong>s barrières <strong>pour</strong> filtrer <strong>le</strong>s déplacements, à la recherche de<br />

tutsi. Des fouil<strong>le</strong>s étaient organisées dans <strong>le</strong>s maisons chez des gens soupçonnés d’abriter<br />

« l’ennemi ».<br />

Malheur arrivait à quiconque était pris en flagrant délit de cacher un tutsi. Il pouvait être tué en<br />

même temps que son fugitif. Il pouvait même, avant sa propre mort, lui être obligé de tuer son hôte.<br />

Malheur arrivait à une personne qui, sorti de son quartier, se faisait reconnaître <strong>sur</strong> une barrière<br />

quelconque comme appartenant à l’opposition ou ayant des affinités avec un membre du FPR.<br />

C’était presque toujours la sanction suprême qui était appliquée, à savoir la mort.<br />

La réduction des déplacements.<br />

Sauf pression avérée des combats, <strong>le</strong>s déplacements d’une préfecture à une autre, voire d’une<br />

commune à une autre, ont été ensuite limités de manière drastique 87[87] . Quand <strong>sur</strong> <strong>le</strong>s barrières, l’on<br />

découvrait que la personne n’était pas originaire de la préfecture du lieu de contrô<strong>le</strong>, il lui était<br />

souvent demandé de fournir la pièce d’identité de la commune d’origine, une autorisation de<br />

résidence, une attestation de travail, un laisser passer, un ordre de mission signé par des autorités<br />

compétentes ou une preuve d’attache à la localité. La régularité des preuves présentées ressortait de<br />

l’appréciation personnel<strong>le</strong> du chef de la barrière.<br />

Quant aux personnes qui souhaitaient se rendre à l’extérieur du pays, s’il s’agissait de se rendre<br />

dans <strong>le</strong>s pays limitrophes, Burundi et Zaïre principa<strong>le</strong>ment, el<strong>le</strong>s devaient détenir la carte de<br />

circulation CEPGL ou obtenir un laisser passer de l’autorité préfectora<strong>le</strong> qui partage la frontière<br />

avec <strong>le</strong>dit pays. S’agissant des autres pays, il fallait une invitation du partenaire extérieur et une<br />

autorisation expresse de l’autorité compétente. En tous <strong>le</strong>s cas, un ordre de mission signé par <strong>le</strong><br />

Président de la République était exigé <strong>pour</strong> <strong>le</strong>s agents de l’Etat.<br />

87[87] La radio RTLM fustigeait <strong>le</strong>s gens qui de <strong>le</strong>ur propre initiative fuyaient <strong>le</strong>urs habitations <strong>pour</strong> des zones plus sûres.<br />

A Kigali, <strong>le</strong>s « Interahamwe » étaient en train d’instituer une carte de résistants <strong>pour</strong> <strong>le</strong>s personnes qui y étaient restés<br />

malgré la guerre avec <strong>le</strong> FPR. En cas de victoire <strong>sur</strong> ce dernier, <strong>le</strong> retour des fuyards devait être sanctionné par une<br />

amende salée.


Le génocide et <strong>le</strong>s crimes contre l’humanité<br />

Le chaos et la terreur ont créé des occasions <strong>pour</strong> <strong>le</strong>s extrémistes de tous bords d’effectuer des<br />

éliminations inouïes de nombreuses personnes, principa<strong>le</strong>ment <strong>sur</strong> base ethnique. Du côté<br />

gouvernemental, l’organisation des massacres s’est transformée en un plan systématique de<br />

génocide massif contre <strong>le</strong>s tutsi 88[88] . Du côté sous contrô<strong>le</strong> du FPR, la direction des tueries s’est<br />

muée en un schéma méthodique de vastes crimes contre l’humanité contre <strong>le</strong>s hutu.<br />

Cela a été rendu en ces termes :<br />

« D’une part, des tutsi sont morts du fait de <strong>le</strong>ur appartenance ethnique. Ils sont allés au supplice<br />

suprême, sans broncher, sans défense. L’on ne peut nier une évidence d’un génocide massif qui<br />

s’est déroulé « en direct », souvent à l’arme blanche et a impliqué des gens, y compris de<br />

conditions modestes, par dizaine de milliers. Ces crimes se sont passés comme tels dans la partie<br />

contrôlée et administrée par l’ancien régime dès <strong>le</strong> 7 avril, au <strong>le</strong>ndemain de l’assassinat, non<br />

encore élucidé, du Président Habyarimana 89[89] ».<br />

« Au même moment, dans <strong>le</strong>s zones vite contrôlées par <strong>le</strong>s troupes du FPR, <strong>le</strong>s massacres des<br />

populations de la préfecture de Byumba débutent systématiquement, discrètement et sé<strong>le</strong>ctivement.<br />

Sous <strong>le</strong> slogan « wuwa wote », « rasez-<strong>le</strong>s tous », à abri des caméras et au fur et à me<strong>sur</strong>e de la<br />

progression militaire, des tueries massives sont opérées dans Kibungo où des corps de cadavres<br />

sont jetés dans la rivière Akagera. Les gens sont triés, rassemblés dans des simulacres de réunions<br />

et sont éliminés. Ils sont conduits vers des destinations où ils n’arriveront jamais 90[90] ».<br />

L’arrivée salvatrice de l’opération turquoise<br />

A la mi-juin 1994, l’armée française, <strong>sur</strong> mandat des Nations Unies, instaura une zone humanitaire<br />

sûre au sud-ouest du pays, appelée « opération turquoise ». Cette opération comportait sans doute<br />

des mobi<strong>le</strong>s militaires latents, notamment celui d’arrêter la progression du FPR <strong>pour</strong> ensuite<br />

imposer des négociations directes entre <strong>le</strong>s belligérants. Cependant, il convient de constater qu’en<br />

<strong>le</strong>vant de force <strong>le</strong>s barrières gardées par <strong>le</strong>s miliciens, l’opération turquoise a permis aux<br />

populations de fuir à temps la progression des combats et à éviter un désastre humanitaire sans<br />

précédent puisqu’el<strong>le</strong>s auraient été prises dans l’étau entre <strong>le</strong>s combats et <strong>le</strong> lac Kivu. Depuis<br />

l’intervention de l’armée française, <strong>le</strong>s déplacements ont été plus aisés. L’idée répandue selon<br />

laquel<strong>le</strong> l’opération aurait permis d’exfiltrer des miliciens semb<strong>le</strong> courte dans <strong>le</strong> sens où ce sont ces<br />

derniers qui étaient maîtres des barrières et du territoire, conservaient plutôt <strong>le</strong>ur liberté de<br />

mouvement.<br />

Titre 7 : LA NOTION DE COMPLICE<br />

La notion de complice a connu plusieurs développements depuis <strong>le</strong> début de la guerre en septembre<br />

1990 jusqu’à sa fin en juil<strong>le</strong>t 1994 qui peuvent être regroupés en quatre étapes :<br />

D’octobre 1990 à juin 1991,<br />

de juin 1991 à octobre 1993,<br />

d’octobre 1993 au 6 avril 1994,<br />

88[88]<br />

Les « Interahamwe » font subir des traitements dégradants inimaginab<strong>le</strong>s à <strong>le</strong>urs victimes, avant de <strong>le</strong>s achever.<br />

Des tortures, des viols, des enterrements alors que la victime vit toujours, des brû<strong>le</strong>r à vif, l’utilisation des fosses<br />

communes, l’éventrement de femmes enceintes.<br />

89[89]<br />

Gasana, James et Nsengimana, Nkiko, NOUER 1997. D’un génocide, l’autre. Plaidoyer <strong>pour</strong> une justice juste et<br />

<strong>pour</strong> <strong>le</strong> rétablissement dans <strong>le</strong> droit d’un courant démocratique au Rwanda, p.7.<br />

90[90]<br />

Nsengimana, Nkiko, « Se souvenir sans tronquer, se souvenir sans tricher », Revue Dialogue, Bruxel<strong>le</strong>s, avril-mai<br />

1996.


du 6 avril à juil<strong>le</strong>t 1994.<br />

ETRE COMPLICE ENTRE OCTOBRE 1990 ET JUIN 1991.<br />

Quand la guerre éclate en octobre 1990, <strong>le</strong> Président Habyarimana, de retour de New York, simu<strong>le</strong><br />

dans la nuit du 4 au 5 octobre une attaque du FPR dans la vil<strong>le</strong> de Kigali. Des tirs intenses sont<br />

entendus et provoquent une grande panique dans la population. Profitant de cette panique, <strong>le</strong><br />

pouvoir appréhende près de 8'000 personnes. El<strong>le</strong>s constituent <strong>pour</strong> l’essentiel l’élite intel<strong>le</strong>ctuel<strong>le</strong><br />

et commercia<strong>le</strong>. Ces personnes sont accusées de complicité active avec l’ennemi et de constituer la<br />

cinquième colonne du FPR. Un climat de terreur s’instal<strong>le</strong> puisque ce ne sont pas <strong>le</strong>s seuls<br />

prisonniers qui sont maltraités et subissent une situation sanitaire précaire, <strong>le</strong>urs famil<strong>le</strong>s sont aussi<br />

brutalisées. L’analyse de l’origine ethnique et géographique des prisonniers établie par<br />

l’organisation de défense des droits de l’homme, « ADL » a révélé plus tard que la quasi totalité des<br />

détenus étaient originaires du sud du pays. 39% d’entre eux étaient tutsi et 61% restant était<br />

hutu 91[91] .<br />

Pendant cette période, <strong>le</strong> climat socio-politique se détériore. La presse favorab<strong>le</strong> au régime se<br />

déploie à ternir l’image de personnalités du sud et/ou tutsi, y compris des ministres au<br />

gouvernement, accusant certains d’avoir menti <strong>sur</strong> <strong>le</strong>urs vrais origines ethniques. La complicité se<br />

lit donc à travers la doub<strong>le</strong> lunette, ethnique tutsi, et régiona<strong>le</strong> du sud. Quand, dès <strong>le</strong> début de<br />

l’année 1991, <strong>le</strong>s revendications démocratiques deviennent plus insistantes et que certains courants<br />

d’opinion laissent transparaître <strong>le</strong>ur compréhension envers certaines revendications du FPR, la<br />

notion de complicité s’étend et à prend une connotation politique, cel<strong>le</strong> de lier opposition et<br />

connivence avec la rébellion.<br />

ETRE COMPLICE ENTRE JUIN 1991 ET OCTOBRE 1993<br />

Dès <strong>le</strong> 10 juin 1991, <strong>le</strong> pluralisme politique se confirme et est formel<strong>le</strong>ment reconnu par la<br />

Constitution de la République. Les partis qui naissent en ce moment-là s’affichent au départ dans<br />

l’opposition sont <strong>le</strong> MDR et du PSD. Les partis PL et PDC, et bien sûr <strong>le</strong> MRND, se réclament au<br />

début proches de la majorité présidentiel<strong>le</strong>. Peu après cependant, <strong>le</strong> PL et <strong>le</strong> PDC rejoindront<br />

l’opposition. Plus tard, d’autres minuscu<strong>le</strong>s partis satellites créés par <strong>le</strong> MRND et <strong>le</strong> FPR, verront <strong>le</strong><br />

jour.<br />

Ce qui caractérise cette période d’euphorie démocratique est que la notion de complice disparaît<br />

complètement du vocabulaire politique. Même si <strong>le</strong>s tenants d’une ligne dure au sein du MRND et<br />

de la CDR continuent de taxer certains partis de complice de l’ennemi, cela n’a pas d’impact réel.<br />

Au contraire 92[92] . La dissension à la norme MRND est acceptée comme choix politique et chaque<br />

choix politique est considéré comme légitime. Cela correspond à la période où l’opposition<br />

s’impose <strong>sur</strong> la scène politique, entre au gouvernement et négocie avec la rébellion la fin de la<br />

guerre. C’est aussi la période où <strong>le</strong> camp présidentiel et <strong>le</strong> FPR, non contents d’un pluralisme<br />

politique qui <strong>le</strong>s considérait comme des acteurs au même titre que <strong>le</strong>s autres formations, vont<br />

chercher à affaiblir <strong>le</strong> camp de l’opposition démocratique afin d’imposer la bipolarisation.<br />

91[91] Association des droits de l’homme et des libertés publiques « ADL », <strong>Rapport</strong> <strong>sur</strong> <strong>le</strong>s droits de l’homme au<br />

Rwanda, Kigali, septembre 1991 – septembre 1992, p.12.<br />

92[92] On se souvient de ce qu’en novembre 1992, M. L. Mugesera, <strong>le</strong>ader du MRND à Gisenyi, après avoir prononcé un<br />

discours incendiaire contre l’opposition démocratique et contre l’ethnie tutsi, a été obligé de s’exi<strong>le</strong>r parce qu’un<br />

mandat d’amener lui avait été établi. A la suite, un tutsi éminent et membre du MRND, M. J. Rumiya, dénonçant <strong>le</strong><br />

comportement raciste de son collègue de parti, avait so<strong>le</strong>nnel<strong>le</strong>ment claqué la porte du MRND.


ETRE COMPLICE ENTRE OCTOBRE 1993 ET LE 6 AVRIL 1994<br />

Le MRND et <strong>le</strong> FPR sont arrivés à briser l’indépendance de l’opposition et à la soumettre à <strong>le</strong>urs<br />

stratégies. La notion de complice refait <strong>sur</strong>face. Au niveau interne, <strong>le</strong> camp présidentiel récupère <strong>le</strong><br />

concept de complice développé au début de la guerre et commence à l’imposer. El<strong>le</strong> a une forte<br />

connotation ethnique et une grande résonance anti-FPR. L’alliance du pô<strong>le</strong> MRND avec <strong>le</strong> courant<br />

MDR pro-Twagiramungu, tissée pendant la période précédente, s’évanouit progressivement <strong>pour</strong><br />

céder la place à l’émergence des courants 93[93] pro-MRND dénommé « hutu power » et pro-FPR<br />

appelé « jyojyi ».<br />

Pendant cette période, <strong>le</strong>s gens qui ont des contacts avec <strong>le</strong> FPR sont fichés par <strong>le</strong>s services<br />

spéciaux de « l’akazu ». A Kigali, dans <strong>le</strong> quartier Gishushu par exemp<strong>le</strong>, <strong>le</strong>s « Interahamwe » font<br />

bien la reconnaissance des personnes et des véhicu<strong>le</strong>s des personnes qui se rendent au nouveau<br />

siège du FPR, à savoir l’immeub<strong>le</strong> du par<strong>le</strong>ment CND situé à Kimihurura. Il en est de même des<br />

famil<strong>le</strong>s soupçonnées de loger des membres des brigades clandestines du FPR ou d’avoir envoyé<br />

<strong>le</strong>urs enfants s’enrô<strong>le</strong>r dans l’armée de ce dernier.<br />

ETRE COMPLICE ENTRE LE 6 AVRIL ET JUILLET 1994.<br />

Comme cela a été développé plus haut, cette période est caractérisée par <strong>le</strong> triomphe de la terreur.<br />

La notion de complice couvre toutes <strong>le</strong>s facettes de la vio<strong>le</strong>nce qui se développent en ce momentlà<br />

: vio<strong>le</strong>nce ethnique, vio<strong>le</strong>nce politique, guerre, vengeances, règ<strong>le</strong>ments de comptes, accaparement<br />

de biens d’autrui, revanche socia<strong>le</strong> des plus pauvres. Le complice est celui qui n’est pas du côté de<br />

celui qui impose la terreur. Comme cette dernière est devenue multiforme et est détenue par<br />

différents pô<strong>le</strong>s de la vio<strong>le</strong>nce, <strong>le</strong>s critères de la complicité se sont aussi diversifiés suivant que l’on<br />

est ou que l’on n’est pas du côté du détenteur de la vio<strong>le</strong>nce. Celui-ci trouvera ses critères <strong>pour</strong><br />

exclure tel ou tel groupe ou personne et lui imposer la mort. La vio<strong>le</strong>nce est donc politique,<br />

ethnique mais sévit aussi contre toute personne considérée comme non sûre par <strong>le</strong>s multip<strong>le</strong>s<br />

détenteurs de la vio<strong>le</strong>nce.<br />

Quand on regarde de manière diachronique <strong>le</strong> dérou<strong>le</strong>ment des massacres, l’on peut essayer de<br />

s’expliquer <strong>le</strong>s différentes notions de complice qui sont à l’œuvre.<br />

On voit que la vio<strong>le</strong>nce est d’abord politique. Les premières victimes et <strong>le</strong>s personnes <strong>pour</strong>chassées<br />

sont en effet <strong>le</strong>s personnalités de l’opposition politique. Il s’agit entre autres du Premier ministre<br />

Mme Agathe Uwilingiyimana (MDR), du président de la Cour constitutionnel<strong>le</strong> M. Joseph<br />

Kavaruganda, des ministres Frédéric Nzamurambaho (PSD), Landoald Ndasingwa (PL), Faustin<br />

Rucogoza (MDR), Boniface Ngulinzira (MDR), des membres de la direction des partis, MM.<br />

Félicien Ngango (PSD) et Théoneste Gafaranga (PSD), mais aussi des hauts fonctionnaires tel M.<br />

Déogratias Havugimana (MDR). Ont été éga<strong>le</strong>ment éliminés <strong>le</strong>s personnes arrêtées en octobre 1990<br />

et qui avaient été élargies ensuite grâce à la pression politique.<br />

L’épuration devient ensuite ethnique. Dans un dispositif systématique d’extermination, <strong>le</strong>s tutsi de<br />

l’intérieur sont éliminés <strong>pour</strong> <strong>le</strong> seul fait de <strong>le</strong>ur appartenance ethnique. Alors qu’auparavant <strong>le</strong>s<br />

massacres s’étaient circonscrits à Kigali et dans quelques endroits où il y avait des « Interahamwe »<br />

armés, comme la vil<strong>le</strong> de Gisenyi ou la commune de Murambi, <strong>le</strong>s massacres se sont étendus<br />

progressivement <strong>sur</strong> l’ensemb<strong>le</strong> du territoire par l’exportation des tueries par ces mêmes éléments<br />

armés. C’est <strong>le</strong> génocide qui emporte près de six cent mil<strong>le</strong> âmes tutsi : hommes, femmes, enfants,<br />

vieillards, sans distinction.<br />

La complicité devient aussi collatéra<strong>le</strong> dans <strong>le</strong> sens où la vio<strong>le</strong>nce se dirige aussi contre ceux qui<br />

protègent <strong>le</strong>s tutsi ou ceux qui sont considérés comme <strong>le</strong>urs alliés. Afin de briser la sédition, <strong>le</strong>s<br />

ménages dont un des parents était hutu ainsi que d’autres personnes cachant des tutsi ont été<br />

sommées à <strong>le</strong>s livrer à la mort sous peine d’être tués à <strong>le</strong>ur tour. Nombreuses sont des personnes,<br />

93[93] Les partisans d’une position centra<strong>le</strong> et indépendante des deux blocs sont marginalisés et réduits au si<strong>le</strong>nce.


voire des enfants, qui, avant de subir eux-mêmes la mort ou des traitements dégradants et cruels, ont<br />

été forcés à tuer <strong>le</strong>ur parent ou la personne qu'ils protégeaient. Souvent, la mise à mort était<br />

précédée par <strong>le</strong> pillage de <strong>le</strong>urs biens. Il en allait de même <strong>pour</strong> la personne, parente ou amie,<br />

soupçonnée d’avoir des liens étroits avec un militant connu du FPR, voire avec un opposant au<br />

régime Habyarimana 94[94] .<br />

La complicité devient enfin une notion dont <strong>le</strong>s liens avec <strong>le</strong>s événements politico-ethniques qui se<br />

dérou<strong>le</strong>nt s’avèrent lâches. La vio<strong>le</strong>nce <strong>pour</strong>suit des mobi<strong>le</strong>s de revanche, de règ<strong>le</strong>ment de comptes<br />

et d’accaparement des biens d’autrui. Bien entendu, la justification de la mort de ces innocents ne se<br />

présentera pas de manière aussi manifeste sous ce vocab<strong>le</strong>. Le détenteur de la vio<strong>le</strong>nce, afin de se<br />

légitimer, devra inventer <strong>le</strong>s charges au goût des faits politiques et ethniques qui sont en train de se<br />

dérou<strong>le</strong>r. M. Marc Vaiter 95[95] a trouvé <strong>le</strong>s termes justes <strong>pour</strong> rendre cet appât du butin :<br />

« Tu es plus riche que moi : je te tue. Tu es plus instruit : je te tue. Nous sommes brouillés : je te<br />

tue, ….. On tue <strong>pour</strong> <strong>le</strong> pillage. Et ensuite on s’entre-tue <strong>pour</strong> <strong>le</strong> butin. On recherchera aussi <strong>le</strong>s<br />

héritiers des parcel<strong>le</strong>s volées, et <strong>le</strong>s témoins des anciennes propriétés <strong>pour</strong> <strong>le</strong>s éliminer ».<br />

En fin de compte, c’est celui qui détient l’arme qui désigne à sa guise qui est complice. Ceci est<br />

tel<strong>le</strong>ment réel qu’au moins de juin 1994, de simp<strong>le</strong>s paysans de la préfecture de Gitarama fuyant <strong>le</strong>s<br />

combats se sont vus refuser <strong>le</strong> droit d’entrée et de refuge dans la préfecture de Gisenyi. Des gens<br />

ont même été tués. Pour <strong>le</strong>s habitants de Gisenyi qui tenaient <strong>le</strong>s barrières, <strong>le</strong>s ressortissants de la<br />

préfecture de Gitarama étaient considérés comme des complices du FPR. Ces incidents ont fait que,<br />

avant la fuite généra<strong>le</strong> en juil<strong>le</strong>t vers <strong>le</strong> Zaïre, <strong>le</strong>s habitants de cette préfecture et « toute autre<br />

personne peu sûre », ont préféré emprunter la voie du sud-ouest Cyangugu – Bukavu au lieu de se<br />

diriger vers <strong>le</strong> nord –ouest Gisenyi – Goma, <strong>pour</strong>tant plus proche.<br />

Dans de tel<strong>le</strong>s circonstances d’abandon par <strong>le</strong>s armées onusiennes et étrangères où tout l’espace est<br />

occupé par la vio<strong>le</strong>nce et <strong>le</strong>s armes, quel<strong>le</strong> était la marge de manœuvre laissée à ceux qui étaient<br />

contre <strong>le</strong>s tueries ? Compte tenu de la force irrésistib<strong>le</strong> des tenants de la vio<strong>le</strong>nce et du danger réel<br />

d’anéantissement physique prévalant pendant ce temps de guerre et de tueries massives, il ne<br />

pouvait y avoir de lutte armée ouverte possib<strong>le</strong>. Résister exigeait d’emprunter des voies et des<br />

attitudes actives mais indirectes et non manifestes 96[96] . Cela pouvait être fournir de manière<br />

clandestine de la nourriture à une personne <strong>pour</strong>chassée. Cela pouvait être protéger une victime<br />

potentiel<strong>le</strong> en cachette et à l’insu de tout <strong>le</strong> monde. Cela pouvait être de se servir du poste que l’on<br />

occupe <strong>pour</strong> sauver des gens et ne pas édicter de me<strong>sur</strong>es ni exécuter d’ordres d’élimination. Cela<br />

pouvait être de donner l’impression de coopérer alors que l’on ne coopérait pas du tout, notamment<br />

al<strong>le</strong>r à une barrière <strong>pour</strong> créer <strong>le</strong> doute chez <strong>le</strong> tueur, voire <strong>le</strong> soudoyer <strong>pour</strong> la vie sauve d’un<br />

innocent.<br />

Titre 8 : LA CONSTITUTION APPLICABLE EN AVRIL 1994<br />

UNE SITUATION INSTITUTIONNELLE INEDITE.<br />

94[94] Les famil<strong>le</strong>s de Emi<strong>le</strong> Rwagasana ou de François Ndolimana ont été éliminées parce qu’on <strong>le</strong>s savait proches de<br />

M. D. Nsengiyaremye. D’autres sont mortes, parce que proches de M. F. Twagiramungu. D’autres, parce que l’on avait<br />

entendu à la radio Muhabura la voix d’un parent proche.<br />

95[95] Vaiter, Marc, Je n’ai pas pu <strong>le</strong>s sauver tous, Paris, Plon, 1995, p.99.<br />

96[96] On se rappel<strong>le</strong> <strong>le</strong> cas de l’al<strong>le</strong>mand antinazi Friedrich Hielscher qui, par des mobi<strong>le</strong>s fallacieux, réussit à entrer<br />

dans <strong>le</strong>s rouages nazis, se rendit par deux fois en 1941 et en 1942 dans <strong>le</strong> ghetto de Lodz, rencontra des membres du<br />

corps de police et <strong>le</strong>s employés du camp de concentration et put savoir <strong>le</strong> sort qui était réservé à tous <strong>le</strong>s juifs déportés.<br />

Il découvrit et témoigna plus tard que <strong>le</strong>s juifs déportés étaient gazés !


Le 5 janvier 1994, une situation institutionnel<strong>le</strong> inédite se présente. Après prestation de serment, la<br />

Présidence de la République est la seu<strong>le</strong> institution 97[97] prévue par <strong>le</strong>s accords d’Arusha à entrer<br />

dans la transition. Le Gouvernement de transition à base élargie « GTBE » et l’Assemblée nationa<strong>le</strong><br />

de transition « ANT », en l’absence d’un accord entre <strong>le</strong>s partis politiques participant au<br />

gouvernement de coalition du 16 avril 1992 et <strong>le</strong> FPR, ne peuvent entrer en fonction. En ce qui<br />

concerne <strong>le</strong>s institutions du Pouvoir judiciaire 98[98] , vu que la loi <strong>sur</strong> la Cour suprême n’avait pas<br />

encore été élaborée, ces dernières devaient en principe entrer en fonction ultérieurement.<br />

Le 6 avril 1994, deux situations encore plus inédites <strong>sur</strong>gissent. Premièrement, <strong>le</strong> Président de la<br />

République, seu<strong>le</strong> autorité léga<strong>le</strong> de transition, est assassiné. Nous sommes en face d’un cas de<br />

vacance avéré du pouvoir présidentiel qui demande son <strong>pour</strong>voi. Deuxièmement, <strong>le</strong> FPR attaque <strong>sur</strong><br />

<strong>le</strong>s tous <strong>le</strong>s fronts et rompt unilatéra<strong>le</strong>ment l’accord <strong>sur</strong> <strong>le</strong> cessez-<strong>le</strong> feu. Cet acte constitue une<br />

violation flagrante, voire une rupture essentiel<strong>le</strong>, de l’Accord de Paix. On se situe dans quel ordre<br />

juridique à partir de ce moment là ?<br />

Face à ces événements majeurs, la question est de savoir laquel<strong>le</strong> de la Constitution du 10 juin 1991<br />

ou de l’Accord de Paix d’Arusha du 4 août 1993 est applicab<strong>le</strong> afin d’éviter <strong>le</strong> vide du pouvoir ?<br />

Quel<strong>le</strong> est la légalité du gouvernement intérimaire ? L’on peut aussi poser la question de la manière<br />

suivante : La Constitution du 10 juin 1991 et l’Accord de paix sont-ils si incompatib<strong>le</strong>s <strong>pour</strong> devoir<br />

se poser la question même de la loi applicab<strong>le</strong> en 1994 ? La présente analyse va essayer d’élucider<br />

l’énigme constitutionnel<strong>le</strong>.<br />

LA CONSTITUTION DU 10 JUIN 1991.<br />

Les artic<strong>le</strong>s 42, 43 et 101 indiquent la procédure à suivre, <strong>le</strong>s organes habilités à la vacation du<br />

pouvoir présidentiel, <strong>le</strong>s compétences et la durée d’exercice de ses compétences. L’artic<strong>le</strong> 42 alinéa<br />

2 stipu<strong>le</strong> qu’en cas de décès, de démission, d’empêchement ou d’incapacité du Président de la<br />

République, il est remplacé par <strong>le</strong> Président de l’Assemblée nationa<strong>le</strong>. L’incapacité est prononcée<br />

par la Cour constitutionnel<strong>le</strong>. L’artic<strong>le</strong> 43 prévoit aussi qu’en cas de vacance simultanée des deux<br />

présidents, <strong>le</strong> Premier ministre as<strong>sur</strong>e <strong>le</strong>s charges du Président de la République. L’artic<strong>le</strong> 101<br />

stipu<strong>le</strong> enfin que <strong>le</strong> Président de la République et <strong>le</strong> Conseil national de développement, c’est-à-dire<br />

<strong>le</strong> Par<strong>le</strong>ment, restent en place et exercent p<strong>le</strong>inement <strong>le</strong>urs prérogatives jusqu’aux prochaines<br />

échéances.<br />

Si l’on s’en tient à ces trois dispositions constitutionnel<strong>le</strong>s, <strong>le</strong> Président du CND peut régulièrement<br />

remplacer <strong>le</strong> Président de la République frappé d’incapacité définitive absolue par <strong>le</strong> décès. Dans<br />

ces circonstances, il n’y a pas de prescription léga<strong>le</strong> enjoignant que <strong>le</strong> Président de la République<br />

vacataire soit issu des rangs du MRND. En conclusion, la formation du gouvernement intérimaire<br />

est conforme à la Constitution du 10 juin 1991. Sans juger des convictions politiques des titulaires,<br />

la répartition des portefeuil<strong>le</strong>s s’est déroulée dans <strong>le</strong> strict respect du Protoco<strong>le</strong> d’entente entre <strong>le</strong>s<br />

partis politiques appelés à participer au gouvernement de transition signé <strong>le</strong> 7 avril 1992.<br />

L’ACCORD DE PAIX D’ARUSHA<br />

Le Protoco<strong>le</strong> <strong>sur</strong> <strong>le</strong> partage du pouvoir du 30 octobre 1992 et l’Accord de Paix du 4 août 1993, à<br />

l’instar de la Constitution du 10 juin 1991, indiquent la procédure à suivre, <strong>le</strong>s organes habilités à la<br />

vacation du pouvoir présidentiel, <strong>le</strong>s compétences et la durée d’exercice de ses compétences.<br />

Que dit <strong>le</strong> Protoco<strong>le</strong> <strong>sur</strong> <strong>le</strong> partage du pouvoir <strong>le</strong>quel fait partie intégrante de l’Accord de Paix ?<br />

L’artic<strong>le</strong> 2 accepte <strong>le</strong> maintien de la structure du gouvernement de coalition tel que régit par <strong>le</strong><br />

97[97] Artic<strong>le</strong> 3 du Protoco<strong>le</strong> d’accord du 30 octobre 1992 <strong>sur</strong> <strong>le</strong> Partage du pouvoir.<br />

98[98] Artic<strong>le</strong> 3 de l’Accord de Paix du 4 août 1993.


protoco<strong>le</strong> d’entente entre <strong>le</strong>s partis du 7 avril 1992 jusqu’à la mise en vigueur des institutions de<br />

transition stipulées dans l’artic<strong>le</strong> 3 dudit protoco<strong>le</strong> <strong>sur</strong> <strong>le</strong> partage du pouvoir. L’artic<strong>le</strong> 5 dit que <strong>le</strong><br />

Président en exercice reste en place jusqu’à la fin de la transition.<br />

L’artic<strong>le</strong> 14 enjoint <strong>le</strong>s partis politiques de gouvernement et <strong>le</strong> FPR de mettre en place <strong>le</strong> GTBE.<br />

L’artic<strong>le</strong> 48 prévoit <strong>le</strong>s modalités de remplacement du Président de la République en cas<br />

d’empêchement définitif. En cas de démission, de décès, d’incapacité ou d’empêchement définitifs<br />

du Président de la République, la vacance de poste est constatée par la Cour suprême <strong>sur</strong> saisine du<br />

Gouvernement de transition à base élargie et l’intérim est as<strong>sur</strong>é par <strong>le</strong> Président de l’Assemblée<br />

nationa<strong>le</strong> de transition. En cas de son remplacement, <strong>le</strong> parti de l’ancien Président présente deux<br />

candidats au Bureau de l’ANT dans <strong>le</strong>s trois semaines. Il est ensuite élu à la majorité absolue par<br />

l’ANT et <strong>le</strong> GTBE réunis.<br />

Les dispositions du Protoco<strong>le</strong> <strong>sur</strong> <strong>le</strong> partage du pouvoir sont assez claires. A l’instar de la<br />

Constitution du 10 juin 1991, c’est <strong>le</strong> Président de l’Assemblée nationa<strong>le</strong> qui remplace <strong>le</strong> Président<br />

de la République. Toutefois l’on notera que la disposition s’applique en cas d’entrée en fonction et<br />

d’effectivité de l’ANT et du GTBE. Ce qui n’était pas encore <strong>le</strong> cas en date du 6 avril 1994. Il<br />

convient donc de se tourner vers l’Accord final de Paix du 4 août 1993 <strong>pour</strong> voir ce qui est prévu<br />

dans <strong>le</strong> cas où <strong>le</strong> GTBE et l’ANT ne seraient pas encore mis en place.<br />

L’Accord de Paix en son artic<strong>le</strong> 8 prévoit que <strong>le</strong> gouvernement de transition formé <strong>le</strong> 16 avril 1992<br />

reste en fonction jusqu’à la mise en place du GTBE. L’artic<strong>le</strong> 9 stipu<strong>le</strong> que l’Assemblée nationa<strong>le</strong><br />

prévue dans la Constitution du 10 juin 1991, <strong>le</strong> Conseil national de développement « CND » en<br />

l’occurrence, reste lui aussi en place jusqu’à l’installation de l’ANT. Il ne peut toutefois pas<br />

légiférer. L’artic<strong>le</strong> 3 dit que la Cour constitutionnel<strong>le</strong> vérifie la conformité des lois et des décretslois<br />

à la Loi Fondamenta<strong>le</strong>. En attente de l’élaboration et de l’entrée en vigueur de la loi <strong>sur</strong> la Cour<br />

suprême, il est prévu que la Cour constitutionnel<strong>le</strong> définie dans la Constitution du 10 juin 1991 reste<br />

compétente <strong>pour</strong> juger de la constitutionnalité des lois et décrets.<br />

Il ressort de ces dispositions que <strong>le</strong>s organes exécutif, législatif et judiciaire de la Constitution du 10<br />

juin 1991, en attente de l’instauration des institutions de transition qui devraient <strong>le</strong>s remplacer<br />

définitivement, sont régulières et restent en fonction.<br />

LA LOI APPLICABLE<br />

Il n’existe donc de contradiction ni dans <strong>le</strong> libellé ni dans l’interprétation des dispositions de la<br />

Constitution du 10 juin 1991 et de cel<strong>le</strong>s de l’Accord de Paix. Bien au contraire faut-il voir des<br />

complémentarités et, en cas de conflit, l’interprétation doit se faire dans un sens téléologique. S’il y<br />

avait eu conflit, l’Accord de Paix aurait prévalu. C’est d’ail<strong>le</strong>urs la raison <strong>pour</strong> laquel<strong>le</strong> l’artic<strong>le</strong> 3 de<br />

l’Accord de Paix reconnaît <strong>le</strong>ur indéfectibilité en ces termes :<br />

« Les deux parties acceptent que la Constitution du 10 juin 1991 et l’Accord de Paix d’Arusha<br />

constituent indissolub<strong>le</strong>ment la loi fondamenta<strong>le</strong> qui régit <strong>le</strong> pays durant la période de transition ».<br />

La loi applicab<strong>le</strong> est donc bel et bien la Loi fondamenta<strong>le</strong>, à savoir la Constitution du 10 juin 1991<br />

et l’Accord de Paix du 4 août 1993. Et étant donné que <strong>le</strong>s dispositions léga<strong>le</strong>s de l’une et l’autre ne<br />

sont pas en opposition, il est loisib<strong>le</strong> d’invoquer indistinctement l’applicabilité de l’une ou l’autre<br />

puisque <strong>le</strong>s dispositions prévues par <strong>le</strong>s deux parties de la Loi fondamenta<strong>le</strong> restent<br />

complémentaires.<br />

Le gouvernement intérimaire s’était tel<strong>le</strong>ment convaincu de sa conformité avec la Constitution à<br />

tel<strong>le</strong> enseigne qu’il a créé des situations parfois <strong>sur</strong>réalistes. Le 3 juil<strong>le</strong>t 1994, alors que la Capita<strong>le</strong>


du pays était en train de tomber aux mains du FPR, à Gisenyi, <strong>le</strong>s députés concourraient dans des<br />

é<strong>le</strong>ctions bur<strong>le</strong>sques du nouveau président de l’Assemblée nationa<strong>le</strong>. Il fallait, disait-on, remplacer<br />

<strong>le</strong> Président intérimaire dont <strong>le</strong> mandat constitutionnel devait expirer dans 5 jours, à savoir <strong>le</strong> 8<br />

juil<strong>le</strong>t ! Tout cela <strong>pour</strong> se conformer à l’artic<strong>le</strong> 42 de la Constitution qui fixe <strong>le</strong> mandat intérimaire à<br />

90 jours !<br />

On notera cependant que sous <strong>le</strong> couvert de la conformité à la loi, «l’akazu », en faisant élire son<br />

<strong>le</strong>ader, M. J. Nzirorera à la présidence du CND, hissait ainsi au sommet son nouveau chef<br />

incontesté. Le pouvoir réel se confondait désormais avec <strong>le</strong> pouvoir légal.<br />

Une question reste cependant non résolue. L’artic<strong>le</strong> premier de l’Accord de Paix stipu<strong>le</strong> : « Il est<br />

mis fin à la guerre entre <strong>le</strong> Gouvernement rwandais et <strong>le</strong> Front patriotique rwandais ». L’on sait que<br />

dès <strong>le</strong> 6 avril 1994 <strong>le</strong> FPR a décidé de porter à nouveau <strong>le</strong>s armes contre <strong>le</strong> pays.<br />

L’entrée en guerre, après que l’Accord final de Paix a été conclu, constitue-t-el<strong>le</strong> simp<strong>le</strong>ment une<br />

violation du cessez-<strong>le</strong>-feu ou est-el<strong>le</strong> en même temps une rupture essentiel<strong>le</strong> de l’Accord de Paix, et<br />

partant, de la Loi fondamenta<strong>le</strong> ? Dans l’affirmative, s’il avérait que la partie qui a violé l’Accord<br />

de Paix par l’entrée en guerre était en même temps l’auteur de l’assassinat du Président de la<br />

République, assassinat à la base de la création du vide institutionnel, l’Accord de Paix serait-el<strong>le</strong><br />

opposab<strong>le</strong> à l’autre Partie en ce qui concerne en particulier <strong>le</strong>s dispositions relatives au vide<br />

institutionnel ? Quel<strong>le</strong> validité aurait cette application si l’accord conclu continuait à être vidé en<br />

même temps de sa substance fondamenta<strong>le</strong> : la paix ?<br />

Titre 9 : LA PLANIFICATION DU GENOCIDE<br />

L’analyse du génocide rwandais a fourbi beaucoup de thèses. El<strong>le</strong>s vont des plus farfelues tel<strong>le</strong>s<br />

cel<strong>le</strong>s qui situent sa préparation depuis 1959 aux plus criminel<strong>le</strong>s, à savoir cel<strong>le</strong>s qui nient purement<br />

et simp<strong>le</strong>ment sa réalité même. Si <strong>le</strong> génocide est bien une réalité rwandaise, c’est la preuve de sa<br />

planification qui reste toujours problématique à tel<strong>le</strong> enseigne qu’il se trouve des thèses qui<br />

stigmatisent <strong>le</strong> caractère spontané et « fou » des tueries <strong>pour</strong> refuser d’attribuer la qualification de<br />

génocide à une tragédie qui a <strong>pour</strong>tant emporté de manière systématiques en moins de cent jours des<br />

centaines de milliers de tutsi.<br />

Si <strong>le</strong> terme planification signifie préparation méthodique et bureaucratique de longue date par l’Etat,<br />

je dis qu’une tel<strong>le</strong> planification n’a pas eu lieu. Ici <strong>le</strong> génocide devient un fait d’Etat qui se situe de<br />

manière diachronique. Si par contre <strong>le</strong> même terme peut aussi traduire une préparation méthodique<br />

de longue date par des groupements privés qui attendent <strong>le</strong> moment de prise de pouvoir <strong>pour</strong> mettre<br />

à exécution <strong>le</strong>ur plan, alors j’affirme qu’une tel<strong>le</strong> planification a bien eu lieu. Dans cette acception,<br />

<strong>le</strong> génocide est un fait d’Etat qui se lie de manière synchronique. Dans la première hypothèse,<br />

l’élément criminel de qualification est bien la planification, par contre dans la deuxième, il s’agit de<br />

l’ordre ou de l’organisation. Ce sont ces aspects que je vais tenter d’élucider dans <strong>le</strong>s lignes qui<br />

suivent.<br />

CE QUE LE GENOCIDE TUTSI N’EST PAS.<br />

Le génocide tutsi n’a pas été planifié par l’Etat avant avril 1994.<br />

Avant <strong>le</strong> 6 avril 1994, on ne peut trouver de traces, ni de plan bureaucratique, ni d’ordonnances ni<br />

de décisions prises qui redescendraient et remonteraient ensuite <strong>le</strong>s échelons administratifs <strong>pour</strong><br />

former enfin une voûte et une planification stratégique d’une politique d’Etat d’élimination. Il<br />

n’existe pas, avant cette date, au niveau de l’Etat, une mobilisation idéologique de son appareil ni<br />

d’ordre efficace, explicite ou implicite, théorisé et véhiculé par <strong>le</strong>s organes de l’Etat dans <strong>le</strong> sens de<br />

rendre <strong>le</strong> Rwanda « pur de tout tutsi ». S’il avait existé une pareil<strong>le</strong> mobilisation de l’Etat, il serait


alors aisé de comprendre <strong>le</strong> <strong>pour</strong>quoi de la guerre qui a éclaté en octobre 1990. El<strong>le</strong> aurait eu l’objet<br />

de réaliser une tel<strong>le</strong> idéologie. Or, à ce que l’on sache, ce n’est pas <strong>le</strong> gouvernement rwandais qui a<br />

eu l’initiative de la guerre en 1990. C’est plutôt <strong>le</strong> FPR qui, à partir d’un pays voisin, a préparé et<br />

porté la guerre au Rwanda.<br />

Aussi, avant la même date, il n’y avait pas d’homogénéité ni de cohérence politique au même<br />

niveau de l’Etat. Celui-ci, par l’entrée au gouvernement de l’opposition <strong>le</strong> 16 avril 1992, était<br />

devenu bicépha<strong>le</strong> et était devenu <strong>le</strong> lieu de compétition de plusieurs partis politiques, voire de<br />

factions riva<strong>le</strong>s au sein même d’une même formation politique. Or, <strong>le</strong> moins que l’on puisse dire est<br />

que ces partis et courants, participant au gouvernement, ne partageaient pas tous une unité<br />

idéologique. Ils connaissaient aussi une diversité ethnique qui <strong>le</strong>s aurait empêchés de mijoter de tels<br />

plans macabres. On se souviendra du tollé général de condamnation du discours incendiaire et<br />

d’appel au meurtre des tutsi prononcé <strong>le</strong> 22 novembre à Kabaya par Léon Mugesera, membre du<br />

bureau politique préfectoral du MRND à Gisenyi.<br />

Affirmer que <strong>le</strong> génocide aurait été planifié par l’Etat voudrait dire que ce serait l’opposition<br />

démocratique, parce que c’était el<strong>le</strong> qui dirigeait <strong>le</strong> gouvernement et l’administration au moment<br />

des faits qui aurait planifié <strong>le</strong> génocide. Ce qui nous situerait devant une ab<strong>sur</strong>dité impensab<strong>le</strong> selon<br />

laquel<strong>le</strong> <strong>le</strong>s planificateurs du génocide seraient en même temps <strong>le</strong>s ordonnateurs de <strong>le</strong>ur propre mort<br />

puisque ce sont eux-mêmes qui figurent parmi <strong>le</strong>s premières victimes. Ce qui est inacceptab<strong>le</strong>. Fautil<br />

rappe<strong>le</strong>r que <strong>le</strong> Premier ministre, Madame Agathe Uwilingiyimana, <strong>le</strong>s ministres et ses<br />

collaborateurs <strong>le</strong>s plus proches, ont tous été massacrés dès <strong>le</strong>s premières heures du déc<strong>le</strong>nchement<br />

de la tragédie ? Comment auraient-ils pu donner de tels ordres à <strong>le</strong>ur administration ?<br />

Et si beaucoup de faits plaident qu’ils ne sont nul<strong>le</strong>ment <strong>le</strong>s auteurs du génocide mais <strong>le</strong>s victimes,<br />

comment peut-on <strong>le</strong>ur prêter l’intention d’avoir laissé <strong>le</strong>ur administration préparer un tel drame ? En<br />

outre, <strong>le</strong> chef de la sûreté intérieure au moment des faits, était monsieur Augustin Iyamuremye, un<br />

des <strong>le</strong>aders du PSD, aujourd’hui dignitaire du pouvoir en place à Kigali. A supposer qui plus est<br />

qu’il se serait trouvé dans l’incapacité de déjouer <strong>le</strong> plan génocide secret peaufiné par l’autre tête de<br />

l’Etat, à savoir <strong>le</strong> Président de la République, comment n’aurait-il pas au moins cherché à dénoncer<br />

un tel plan bureaucratique ?<br />

Ceci m’amène à avancer en même temps que la prétention selon laquel<strong>le</strong> ce serait <strong>le</strong> Président<br />

Habyarimana, en tant que Chef d’Etat, qui aurait planifié <strong>le</strong> génocide ne résiste pas non plus au<br />

même argumentaire. Comment aurait-il pu planifier une catastrophe dont <strong>le</strong> lancement devait<br />

dépendre de sa mort préalab<strong>le</strong> ? Le Président Habyarimana n’est pas mort, en effet, à la suite d’un<br />

accident fortuit, mais bien d’un attentat criminel prémédité.<br />

Certains ont tenté de voir dans la définition de l’ennemi « ENI » établi après l’éclatement de la<br />

guerre par la commission militaire la confirmation de la planification du génocide. Mais cette<br />

preuve reste fragi<strong>le</strong> dans la me<strong>sur</strong>e où la <strong>le</strong>cture attentive de ce document fait une distinction précise<br />

entre la prise de pouvoir par <strong>le</strong>s armes, laquel<strong>le</strong> est propre à l’ennemi, et la prise du pouvoir par la<br />

voie démocratique et pacifique, laquel<strong>le</strong> est acceptée. A supposer qui plus est que <strong>le</strong> bénéfice du<br />

doute profitant aux tenants de la thèse de la planification bureaucratique du génocide, il faudrait<br />

qu’ils montrent ensuite quel<strong>le</strong>s sont <strong>le</strong>s décisions, décrets, ordonnances, arrêtés ou instructions<br />

d’application concrète et pratique qui s’en sont suivis.<br />

On a aussi voulu voir dans la distribution des armes par <strong>le</strong> Gouvernement en 1991 dans la région de<br />

Byumba <strong>le</strong>s éléments d’une préparation de longue date. Il conviendrait, avant d’avancer une tel<strong>le</strong><br />

affirmation, dire qui, du FPR ou du Gouvernement, a pris l’initiative de la guerre et quel<strong>le</strong>s sont <strong>le</strong>s<br />

instructions données de <strong>le</strong>ur usage. Il faudrait aussi rappe<strong>le</strong>r que <strong>le</strong>s armes ont été distribuées dans


une région bien circonscrite en guerre, région qui a ensuite été occupée par <strong>le</strong> FPR dès février 1993,<br />

c’est-à-dire plus d’une année avant <strong>le</strong> déc<strong>le</strong>nchement du génocide.<br />

Par un autre procédé, James Gasana 99[99] arrive à la même conclusion :<br />

« Pour montrer que la réalisation d’un génocide était impossib<strong>le</strong> avant fin 1993, je reviendrai au<br />

problème du régionalisme. J’ai montré que comme facteur de tension politique, l’antagonisme<br />

régional nord - sud venait avant l’antagonisme ethnique. Mais ces deux antagonismes étaient<br />

concurrents, et quand l’occasion se présentait, l’un utilisait l’autre comme instrument politique.<br />

C’est ainsi que depuis fin 1990, <strong>le</strong>s politiciens extrémistes recouraient à l’ethnisme <strong>pour</strong> contenir<br />

une puissante dissension contre <strong>le</strong> régime mis en place en juil<strong>le</strong>t 1973. Le centre de gravité de cette<br />

dissension était une région qui jouissait d’un accès très limité au pouvoir. Comme <strong>le</strong> gouffre entre<br />

<strong>le</strong> nord politique et <strong>le</strong>s dissidents était important et que <strong>le</strong> piège tendu par <strong>le</strong>s tenants du pouvoir<br />

avait été dévoilé, notamment par <strong>le</strong>s arrestations arbitraires du 4 au 5 octobre 1990, la poussée<br />

vers la dérive ethnique fomentée par <strong>le</strong>s conservateurs des deux bords fut un échec. Comme nous<br />

l’avons vu, il s’est créé plutôt une alliance objective entre l’opposition politique interne et<br />

l’opposition armée externe <strong>pour</strong> renverser un régime attribué au nord. C’est d’ail<strong>le</strong>urs l’échec de<br />

l’ethnisme comme facteur politique qui a facilité la progression du FPR dont la véritab<strong>le</strong> force a<br />

été l’appui politique que lui a apporté l’opposition politique intérieure ».<br />

Le génocide tutsi n’est pas basé <strong>sur</strong> une idéologie éliminationniste meurtrière.<br />

Aujourd’hui, des explications tendant à faire accréditer la thèse selon laquel<strong>le</strong> <strong>le</strong> génocide tutsi<br />

relèverait du même ressort idéologique éliminationniste 100[100] que celui du génocide juif sont<br />

prodiguées. Certaines même ont élaboré <strong>le</strong> concept malheureux de « nazisme tropical 101[101] » sans se<br />

soucier d’en vérifier <strong>le</strong>s éléments constitutifs. Pour accréditer une tel<strong>le</strong> thèse, il faudrait examiner si<br />

<strong>le</strong>s éléments constitutifs sont bien réunis.<br />

L’idéologie éliminationniste est caractérisée par quatre éléments essentiels, à savoir :<br />

la conscience col<strong>le</strong>ctive de supériorité,<br />

la magnificence de cette dernière,<br />

la tradition politique d’extermination de groupes,<br />

<strong>le</strong> dessein expansionniste.<br />

Ces éléments sont tota<strong>le</strong>ment absents dans <strong>le</strong> génocide tutsi. Il n’existe pas, en effet, ce que nous<br />

appel<strong>le</strong>rions un nationalisme hutu, une sorte de darwinisme social hutu fondateur qui conférerait à<br />

l’ethnie hutu, tel<strong>le</strong> une race aryenne, une conscience col<strong>le</strong>ctive d’appartenir à un groupe<br />

culturel<strong>le</strong>ment supérieur à la base de laquel<strong>le</strong>, parce que meil<strong>le</strong>ure, plus forte et plus bel<strong>le</strong>, el<strong>le</strong><br />

justifierait son droit ou son devoir de gouverner et de régner <strong>sur</strong> <strong>le</strong>s autres groupes ethniques ou<br />

culturels. Il n’existe pas non plus dans la tradition des royaumes hutu une pratique d’extermination<br />

col<strong>le</strong>ctive de groupes dans <strong>le</strong> but d’assumer la suprématie politique. Les cas connus <strong>le</strong>s plus récents<br />

de suppression de groupes, comme ceux des Abagereka 102[102] ou de Rucunshu 103[103] qui ont eu lieu<br />

dans la deuxième moitié du 19 ème sièc<strong>le</strong>, ne peuvent en aucun cas être attribuab<strong>le</strong>s à la tradition<br />

politique hutu.<br />

99[99] Gasana, James, op. cit., p.282.<br />

100[100] Le terme est emprunté à Bauer, Yehuda, Repenser l’holocauste, Paris, Autrement, 2002, 291p.<br />

101[101] Malheureux dans <strong>le</strong> sens où <strong>le</strong> terme « tropical » employé fait référence à quelque chose d’exotique, de pas froid<br />

du tout, mais plutôt enso<strong>le</strong>illée et eff<strong>le</strong>urée par un bel alizé.<br />

102[102] Il s’agit d’un lignage du clan des «bega » exterminé au début du règne de Rwabugiri vers l’année 1869.<br />

103[103] Ce coup d’Etat qui eut lieu en 1896 fut marqué par <strong>le</strong> massacre du roi Rutalindwa lui-même et beaucoup de<br />

membres de son lignage du clan des « nyiginya ». Voir aussi Vansina, Jan, Le Rwanda ancien, Paris, Karthala, 2001, p<br />

210 sq.


Les théories racistes qui se sont développées et pratiquées pendant la colonisation n’ont pas été<br />

utilisées <strong>pour</strong> magnifier <strong>le</strong>s hutu. Bien au contraire, el<strong>le</strong>s ont été utilisées <strong>pour</strong> <strong>le</strong>s marginaliser. La<br />

Révolution socia<strong>le</strong> de 1959, à la base de laquel<strong>le</strong> <strong>le</strong>s hutu se sont émancipés ne pouvait pas non plus<br />

en conséquence puiser dans ce registre. Même dans ses excès, c’est au nom des principes d’égalité<br />

et de justice socia<strong>le</strong> que ladite Révolution a été menée et justifiée. Enfin, il n’existe pas de mythes<br />

ni de desseins expansionnistes pan-hutu dont la réalisation serait entravée par une quelconque<br />

présence de tutsi <strong>pour</strong> justifier ensuite <strong>le</strong>ur élimination. Même si l’on peut déce<strong>le</strong>r des sentiments<br />

anti-tutsi latents ou manifestes, nous <strong>le</strong> verrons quand nous aborderons la question du lit du<br />

génocide, il convient de constater qu’à la base du génocide tutsi, ce n’est donc pas l’idéologie pure<br />

enracinée dans un imaginaire fantasmagorique qui est à l’œuvre. C’est autre chose.<br />

CE QUE LE GENOCIDE TUTSI EST.<br />

Le génocide tutsi est un projet factieux de « l’akazu ».<br />

Dès <strong>le</strong> moment où une élite factieuse, <strong>pour</strong>vue d’un plan génocidaire, explicite ou implicite, fut-il<br />

sommaire, prend <strong>le</strong> pouvoir et veut mettre en pratique son projet dans une société en crise et en état<br />

de psychose col<strong>le</strong>ctive <strong>pour</strong> des motifs variés, <strong>le</strong> génocide deviendra possib<strong>le</strong> dès lors que cette élite<br />

s’accapare bruta<strong>le</strong>ment de l’Etat et attire <strong>le</strong>s éléments de vio<strong>le</strong>nce <strong>pour</strong> la besogne. Dans ce contexte<br />

particulier, <strong>le</strong> génocide n’a pas à être élaboré longtemps en avance par l’Etat dans une sorte de<br />

« Generalplan Ost » de je ne sais quel commis d’Etat comme celui soumis au führer nazi par M.<br />

Konrad Meyer-Hetling 104[104] , <strong>pour</strong> être exécuté ensuite. Il suffit, <strong>pour</strong> que cela soit possib<strong>le</strong>, que <strong>le</strong><br />

groupe porteur du projet maîtrise <strong>le</strong>s instruments de vio<strong>le</strong>nce, ordonne et entretienne, par la pression<br />

des armes et la communication, la panique généra<strong>le</strong>.<br />

Dans <strong>le</strong> cas qui nous concerne, il est indiscutab<strong>le</strong> que depuis <strong>le</strong> début de la guerre en 1990 et<br />

l’ouverture au multipartisme, s’est constitué autour du clan présidentiel un groupe politique qui<br />

envisageait l’élimination de membres de l’opposition et de tutsi comme un moyen d’affaiblissement<br />

du FPR et de l’opposition politique et, partant, de son maintien au pouvoir. A combien de reprises,<br />

profitant d’événements tels que la violation du cessez-<strong>le</strong> feu ou de tensions politiques, n’a-t-il pas<br />

été tenté par <strong>le</strong> passage à l’action 105[105] ?<br />

Il s’agissait bien d’un dessein non d’une institution publique mais d’une faction politique,<br />

bénéficiant certes, directement ou indirectement, des dividendes versés par l’Etat. Ce groupement<br />

politique agissait cependant à titre privé, tel<strong>le</strong> une société secrète, et non en raison de normes<br />

publiques bureaucratiques d’écartement systématique de tutsi qu’il aurait introduites et imposées à<br />

l’administration publique avant <strong>le</strong> 6 avril 1994. De tel<strong>le</strong>s normes bureaucratiques n’ont jamais<br />

existé.<br />

A partir de cette dernière date du 6 avril, nous sommes en face d’une rupture institutionnel<strong>le</strong><br />

essentiel<strong>le</strong> : <strong>le</strong> vide du pouvoir. Tirant parti du vide de pouvoir <strong>sur</strong>venu après l’assassinat du<br />

Président de la République, ce groupe politique a opéré tout de suite un coup d’Etat, a pris de fait<br />

<strong>le</strong>s rênes du pouvoir, a soumis la population et l’administration sous son emprise et a mis en place<br />

une « équipe » gouvernementa<strong>le</strong> sous ses bottes. A mon humb<strong>le</strong> avis, c’est à partir de ce moment, à<br />

savoir <strong>le</strong> 7 avril, et de ce moment-là seu<strong>le</strong>ment, que <strong>le</strong> génocide qu’il ordonne devient un crime<br />

d’Etat et est organisé progressivement <strong>sur</strong> l’ensemb<strong>le</strong> du territoire.<br />

104[104]<br />

C’est <strong>le</strong> plan d’extermination des polonais présenté à Hit<strong>le</strong>r en 1941 par M. Meyer-Hetling a présenté en 1941.<br />

105[105]<br />

Les événements tragiques de Kibilira en 1990, Bugesera en mars 1992, Ruhengeri-Gisenyi en janvier 1993,<br />

Kigali en février 1994 sont là <strong>pour</strong> l’attester.


Le génocide devient possib<strong>le</strong> puisque <strong>le</strong>dit groupe se hisse au pouvoir et envahit l’Etat grâce à<br />

l’élimination du Chef de l’Etat. L’acte fondateur du génocide 106[106] est donc bel et bien l’assassinat<br />

du Président de la République. Cet assassinat permet à la faction politique en question de dominer<br />

<strong>le</strong>s rouages de l’administration, d’exercer ensuite <strong>le</strong> pouvoir réel <strong>sur</strong> l’Etat, de donner <strong>le</strong>s ordres et<br />

de conduire enfin son projet génocidaire, fut-il sommaire. Le génocide se pose donc en termes de<br />

synchronie et non de diachronie comme si c’était dans son exécution même qu’il avait été planifié.<br />

Dans une analyse antérieure, je notais :<br />

« Que l’on croit ou non au phénomène ethnique dans notre pays, la réalité est qu’un groupe de<br />

population identifié comme Tutsi de l’intérieur, constituant une population de près de 800.000 âmes<br />

a été exterminée au 3/4, soit 600.000 personnes, suivant <strong>le</strong>s plans et <strong>le</strong>s ordres d’une élite politicomilitaire<br />

secrète et raciste, dominant, paralysant et doublant <strong>le</strong>s rouages de l’administration civi<strong>le</strong><br />

et militaire et qui à n’importe quel prix voulait se maintenir aux commandes de l’Etat. Les grands<br />

courtisans de l’ « Akazu » présidentiel<strong>le</strong>, <strong>le</strong> bloc militaire des officiers ultra des « Amasasu »,<br />

restent jusqu’à preuve du contraire <strong>le</strong>s auteurs du génocide. Le Gouvernement intérimaire, mis en<br />

place trois jours après <strong>le</strong> déc<strong>le</strong>nchement des massacres, emporte la responsabilité de ne <strong>le</strong>s avoir<br />

pas arrêtés ».<br />

Si l’on doit par<strong>le</strong>r du génocide comme fait de planification par l’Etat ou de crime d’Etat, c’est bien<br />

à partir du 7 avril 1994 et non pas avant que l’on doive voir comment <strong>le</strong>s instruments d’Etat ont été<br />

ensuite utilisés dans cette horrib<strong>le</strong> besogne. Certes, ce sont des motivations politiques à la base des<br />

massacres et il n’existe pas de doute que certains courants politiques avaient, avant cette date,<br />

l’intention d’éliminer tout ou partie de l’opposition et de la population intérieure tutsi. Ce sont ces<br />

courants qu’il faut viser et <strong>pour</strong>chasser sans la moindre fail<strong>le</strong>.<br />

Cependant, faut-il insister une nouvel<strong>le</strong> fois, il n’existait pas auparavant de plan étatique<br />

d’extermination. Il y a lieu même de penser qu’au niveau des auteurs de « l’akazu », vu la manière<br />

dont <strong>le</strong>s tueries, après avoir été lancées au niveau central, ont ensuite été gérées d’une manière<br />

décentralisée, il n’existait pas de plan détaillé 107[107] . Ce serait plutôt, vu l’initiative laissée au chef<br />

local, une instruction globa<strong>le</strong> qui aurait été donnée et non un mode d’emploi établi par je ne sais<br />

quel expert ès ethnies comme <strong>le</strong> fit un certain Erhard Wetzel.<br />

Au fait, vu la réification ethnique rwandaise séculaire, <strong>le</strong> véhicu<strong>le</strong> de l’histoire au moyen de la<br />

culture ora<strong>le</strong>, l’ethnisme latent entre groupes, la conception très vertica<strong>le</strong> du pouvoir,<br />

l’indifférenciation géographique ethnique, la misère et la famine ambiante, et <strong>sur</strong>tout la psychose<br />

généra<strong>le</strong>, la situation de guerre et <strong>le</strong> déplacement massif des populations, bref, tous ces éléments qui<br />

ont formé <strong>le</strong> lit du génocide, y avait-il encore besoin d’un plan d’extermination détaillé ou de listes<br />

de personnes à tuer <strong>pour</strong> exécuter ensuite <strong>le</strong>s tueries ? Est-ce que <strong>le</strong> génocide a besoin d’une<br />

planification préalab<strong>le</strong> de longue date par l’Etat <strong>pour</strong> être qualifié comme tel ? Est-ce que <strong>le</strong> fait que<br />

l’Etat ait ordonné <strong>le</strong>s massacres et <strong>le</strong>s ait ensuite encadrés ne suffit-il pas <strong>pour</strong> <strong>le</strong>s qualifier de<br />

génocide ?<br />

Ne sommes-nous pas en fin de compte prisonnier des tenants de la thèse aveuglante de la culpabilité<br />

col<strong>le</strong>ctive hutu et du génocide rédempteur 108[108] <strong>le</strong>squels <strong>pour</strong> se réaliser nécessitent, il est vrai, une<br />

106[106] Compte tenu de la situation institutionnel<strong>le</strong> brouillée, de l’expérience de tueries et du climat de psychose<br />

prévalant avant <strong>le</strong> 6 avril 1994, la personne qui a descendu l’avion présidentiel avait sans doute <strong>le</strong> dessein de provoquer<br />

<strong>le</strong> vide de pouvoir et ne pouvait pas ne pas savoir qu’il facilitait en même temps <strong>le</strong>s massacres de populations<br />

innocentes.<br />

107[107] A moins bien sûr, que ce soit « l’akazu » el<strong>le</strong>-même qui aurait décidé de l’élimination de son fédérateur,<br />

hypothèse de jour en jour fragi<strong>le</strong> et invraisemblab<strong>le</strong>.<br />

108[108] Terme emprunté à Bauer, Y., op. cit., pp51-79.


théorisation préalab<strong>le</strong> ainsi qu’une longue préparation ? Ne faudrait-il pas se rendre à l’évidence<br />

qu’une tel<strong>le</strong> thèse est diffici<strong>le</strong> à retenir et à prouver dans <strong>le</strong> sens où el<strong>le</strong> reste en définitive infirmée<br />

par la gouvernance antérieure, l’évolution socia<strong>le</strong> récente et <strong>le</strong> dérou<strong>le</strong>ment des faits ? La meil<strong>le</strong>ure<br />

approche n’est-el<strong>le</strong> pas plutôt de partir des faits et tirer des conclusions théoriques si besoin est ?<br />

Le génocide tutsi est de type pragmatique.<br />

Quand on regarde la succession des événements qui ont conduit au génocide, il apparaît clairement<br />

que son exécution est basée <strong>sur</strong> des motivations essentiel<strong>le</strong>ment pragmatiques, c’est-à-dire<br />

politiques et économiques.<br />

Politique d’abord, dans <strong>le</strong> sens où <strong>le</strong>s premières personnes à être assassinées par <strong>le</strong>s éléments de la<br />

garde présidentiel<strong>le</strong> sont des <strong>le</strong>aders 109[109] de l’opposition politique ou des personnes ayant une<br />

position institutionnel<strong>le</strong> non contrôlab<strong>le</strong> autrement que par la liquidation physique. Politique<br />

ensuite, dans <strong>le</strong> sens où la liquidation de tutsi fait partie d’une stratégie de sauvegarde du pouvoir et<br />

de dissuasion du FPR, <strong>le</strong>quel risquait de voir détruite son réservoir politique. Politique toujours,<br />

dans <strong>le</strong> sens où « l’akazu » cherche à se rallier <strong>le</strong> plus grand nombre de personnes possib<strong>le</strong> dans <strong>le</strong><br />

crime et ainsi ne pas à devoir répondre ultérieurement de l’élimination des <strong>le</strong>aders de l’opposition<br />

hutu du sud <strong>sur</strong>venu dès l’aube du 7 avril. Politique enfin, dans <strong>le</strong> sens où, dans <strong>le</strong>s régions<br />

exemptes de milices « Interahamwe », <strong>le</strong>s massacres ne s’y dérou<strong>le</strong>ront qu’après <strong>le</strong>s y avoir<br />

exportés. Les cas de résistance contre <strong>le</strong>s massacres opposés par <strong>le</strong>s populations des préfectures de<br />

Butare et de Gitarama ont été cités plus haut dans <strong>le</strong> texte.<br />

Les motivations sont aussi économiques dans <strong>le</strong> sens où, <strong>sur</strong>tout en milieu rural, <strong>le</strong>s massacres sont<br />

d’abord précédés de pillage de biens meub<strong>le</strong>s, suivis ensuite d’accaparement des terres des<br />

personnes éliminées. M. Niwese 110[110] <strong>le</strong> rend dans ces termes :<br />

« Il fallait voir avec quel<strong>le</strong> rapidité, hommes, femmes, et enfants pillaient la maison de quelqu’un à<br />

qui on collait l’étiquette de tutsi. … Quelqu’un pouvait être appelé tutsi tout simp<strong>le</strong>ment parce que<br />

sa vache était convoitée. Il était illogique de lui ravir son bétail sans qu’il soit appelé ainsi. Et<br />

lorsqu’il était appelé ainsi, son sort était connu ».<br />

La paysannerie était en effet entrée depuis longtemps dans une situation extrême de pression <strong>sur</strong> <strong>le</strong>s<br />

ressources 111[111] marquée par des conflits fonciers, par un déficit alimentaire chronique et par une<br />

famine endémique. C’est dire que la spéculation foncière reste un ressort important de l’implication<br />

de beaucoup de personnes de conditions modestes dans <strong>le</strong>s massacres. As<strong>sur</strong>és par avance de<br />

l’impunité, on peut notamment saisir <strong>pour</strong>quoi ces personnes ont été enrôlées en grand nombre dans<br />

<strong>le</strong> crime et <strong>pour</strong>quoi <strong>le</strong>s massacres ont été exécutés avec une tel<strong>le</strong> amp<strong>le</strong>ur et avec autant de rapidité.<br />

Le génocide tutsi est de type rétributif.<br />

Le génocide rwandais est aussi rétributif 112[112] dans <strong>le</strong> sens où il a été organisé et a pris forme en<br />

réaction à une menace - réel<strong>le</strong> ou imaginaire – en provenance du groupe victime. A la suite de<br />

l’assassinat du Président Habyarimana, assassinat qui est plus qu’un coup d’Etat, son auteur, en<br />

109[109]<br />

Il s’agit, ainsi que je l’ai présenté plus haut : du Premier ministre, Mme A. Uwilingiyimana, des ministres F.<br />

Nzamurambaho, F. Rucogoza, L. Ndasingwa, B. Ngulinzira, des chefs de partis comme F. Ngango, T. Gafaranga, du<br />

président de la Cour constitutionnel<strong>le</strong> J. Kavaruganda, du directeur de cabinet ministériel D. Havugimana.<br />

110[110]<br />

Niwese, Maurice, Le peup<strong>le</strong> rwandais un pied dans la tombe, Récit d’un réfugié étudiant, Paris, L’Harmattan,<br />

p.55.<br />

111[111]<br />

Sur <strong>le</strong>s liens, entre la gestion des ressources naturel<strong>le</strong>s et <strong>le</strong>s conflits, voir Gasana, James, « Remember<br />

Rwanda ? », World Watch, vol.15, n°5, Washington DC, septembre/octobre 2002, pp.24-33.<br />

112[112]<br />

Le terme est emprunté dans une analyse de Lemarchand, René, Les génocides se suivent et ne se ressemb<strong>le</strong>nt<br />

pas : l’holocauste et <strong>le</strong> Rwanda.


l’occurrence <strong>le</strong> FPR, veut accéder aux commandes de l’Etat après avoir décapité complètement <strong>le</strong>s<br />

institutions publiques et après avoir lancé une guerre éclair. Voyant la probabilité é<strong>le</strong>vée <strong>pour</strong> <strong>le</strong><br />

FPR de victoire militaire et de prise de pouvoir, à son tour « l’akazu », opère son propre coup d’Etat<br />

et procède à l’élimination de la base politique potentiel<strong>le</strong> du FPR, à savoir <strong>le</strong>s tutsi, et de ses alliés<br />

politiques, c’est-à-dire <strong>le</strong>s hutu de l’opposition.<br />

L’on se rappel<strong>le</strong>ra effectivement qu’en date du 15 février 1994, M. Joseph Nzirorera, secrétaire<br />

national du MRND, chef incontesté des « Interahamwe » et ténor du courant ultra de « l’akazu »,<br />

avait tenu aux délégués de la société civi<strong>le</strong> des propos accréditant cette vision défensive de la<br />

commission du génocide 113[113] . Aussi, la radio RTLM, dans <strong>le</strong> but d’inciter au génocide, a-t-el<strong>le</strong><br />

puisé dans <strong>le</strong> registre de la résistance populaire contre un nouvel asservissement des hutu en cas de<br />

victoire du FPR. Il a martelé la cervel<strong>le</strong> des gens en parlant des tueries systématiques réel<strong>le</strong>s<br />

perpétrées des hutu de la zone sous son contrô<strong>le</strong> par la rébellion. Il a stigmatisé <strong>le</strong> sort du million de<br />

réfugiés, déracinés, tombés dans la misère et dans l’errance à cause du FPR, fatalité que risquait de<br />

subir ensuite l’ensemb<strong>le</strong> de la population hutu. Ainsi la RTLM justifiait-el<strong>le</strong> l’appel au meurtre en<br />

réaction aux exactions du FPR.<br />

C’est dans ce sens que <strong>le</strong> génocide tutsi peut-être qualifié de rétributif ou de défensif. C’est aussi<br />

peut-être un des mobi<strong>le</strong>s de son caractère massif et très meurtrier.<br />

LE GENOCIDE AURAIT PU ETRE EVITE.<br />

Les massacres ne furent pas une <strong>sur</strong>prise.<br />

Bien avant <strong>le</strong> 6 avril 1994, la communauté internationa<strong>le</strong> était au courant d’une forte probabilité de<br />

massacres de tutsi et de l’opposition, en cas de reprise des hostilités. Un rapport des services secrets<br />

américains 114[114] avait, déjà fin janvier 1994, donné une estimation de 500’000 pertes de vies<br />

humaines en cas de recrudescence des affrontements entre <strong>le</strong> FPR et <strong>le</strong>s FAR. Des organisations de<br />

la société civi<strong>le</strong>, après avoir recueilli <strong>le</strong>s projets des différents protagonistes, avaient a<strong>le</strong>rté la<br />

communauté internationa<strong>le</strong> de l’imminence d’une catastrophe humanitaire et avaient, en vue de sa<br />

prévention, demandé <strong>le</strong> maintien et <strong>le</strong> renforcement de la mission de la MINUAR 115[115] . Début avril<br />

1994, l’approche menaçante d’une guerre lancée par <strong>le</strong> FPR 116[116] était la chose la plus<br />

communément partagée au sein des chancel<strong>le</strong>ries en place à Kigali.<br />

Tout cela <strong>pour</strong> dire que nul ne fut <strong>sur</strong>pris par la guerre et par <strong>le</strong>s massacres qui suivirent. Il est vrai<br />

que personne, sauf peut-être ceux qui ont préparé et exécuté l’attentat aérien, ne pouvait penser que<br />

la guerre et <strong>le</strong>s tueries allaient être d’abord précédées par un crime d’une très haute portée<br />

symbolique et d’une extrême gravité : l’assassinat du Président de la République. Alors peut-être<br />

aurions-nous pu faire des prévisions d’une catastrophe humanitaire d’une très grande amp<strong>le</strong>ur.<br />

Cependant, quel que soit <strong>le</strong> scénario retenu, il n’est pas compréhensib<strong>le</strong> que la MINUAR qui était<br />

<strong>sur</strong> place et dont la mission était <strong>le</strong> maintien de la paix n’ait envisagé d’autres esquisses que celui de<br />

plier bagage et de laisser <strong>le</strong> Rwanda baigner dans <strong>le</strong> sang.<br />

Il existait une force consistante d’arrêt des massacres.<br />

113[113] A ce propos, lire <strong>le</strong> titre 6 en haut dans <strong>le</strong> texte.<br />

114[114] Des Forges, Aucun témoin ne doit <strong>sur</strong>vivre, Paris, Karthala, p.187.<br />

115[115] Société civi<strong>le</strong>, c/o Centre Iwacu, Déclaration de la société civi<strong>le</strong> au Rwanda dans sa réunion du 31 mars 1994.<br />

116[116] Le chef d’état major des FAR avait confirmé l’information au commandant du secteur Kigali de la MINUAR.<br />

Dans <strong>le</strong>s chancel<strong>le</strong>ries que je visitais, <strong>le</strong> projet d’une guerre éclair de 72 heures dont <strong>le</strong> prix maximum serait de 20'000<br />

morts avait été diffusé par <strong>le</strong> FPR. Dans <strong>le</strong> journal Ugandais « The Peop<strong>le</strong> » cité plus haut, <strong>le</strong> général Kagame disait<br />

qu’il pouvait prendre <strong>le</strong> pouvoir à tout moment.


Certainement. Le génocide aurait pu être évité si la communauté internationa<strong>le</strong> avait cherché à<br />

exercer la pression nécessaire <strong>sur</strong> <strong>le</strong>s belligérants. Et el<strong>le</strong> en avait <strong>le</strong>s moyens. La MINUAR avait<br />

une force de 2'486 militaires. La veil<strong>le</strong> de l’attentat présidentiel un corps de près de 400 marines<br />

américains s’était positionné à Bujumbura. Le 9 avril, un contingent de 590 hommes d’élite français<br />

était arrivé à Kigali. Le 10 avril, 1'100 militaires belges avaient déjà pris place à Kigali. Le 13 avril,<br />

un contingent de près de 100 militaires italiens était venu lui aussi participer à l’opération<br />

d’évacuation des étrangers. Il semb<strong>le</strong> aussi que des militaires canadiens étaient aussi présents. Cela<br />

fait un total de plus de 4'536 soldats étrangers d’élite qui étaient stationnés à Kigali au début des<br />

massacres.<br />

Des experts militaires 117[117] ont estimé qu’il aurait suffit de 2'000 à 2'500 « hommes décidés » <strong>pour</strong><br />

mettre fin aux massacres. Le chiffre <strong>le</strong> plus é<strong>le</strong>vé a été estimé à 5'000 soldats dans <strong>le</strong> cas de<br />

massacres généralisés à l’ensemb<strong>le</strong> du territoire. Ceci <strong>pour</strong> dire que, s’il y avait eu volonté<br />

politique, dans tous <strong>le</strong>s cas d’hypothèse, <strong>le</strong> nombre de militaires nécessaires <strong>pour</strong> arrêter <strong>le</strong>s tueries<br />

était disponib<strong>le</strong> depuis <strong>le</strong> début. Au contraire, au lieu de sauver des innocents, après avoir as<strong>sur</strong>é <strong>le</strong><br />

rapatriement des étrangers, toutes <strong>le</strong>s troupes s’envolèrent 118[118] . La Belgique, <strong>le</strong> 14 avril, devait<br />

ensuite annoncer <strong>le</strong> retrait de ses troupes, <strong>le</strong>squel<strong>le</strong>s constituaient <strong>pour</strong>tant son noyau dur. Les Etats<br />

Unis et la Grande Bretagne soutenaient au Conseil de sécurité <strong>le</strong> démantè<strong>le</strong>ment des Casques B<strong>le</strong>us.<br />

Et <strong>le</strong> 21 avril, l’effectif de la force onusienne était réduit à 270 personnes ! La non intervention <strong>pour</strong><br />

arrêter <strong>le</strong> génocide, <strong>le</strong>s massacres et la guerre n’a donc pas été commandé par des considérations<br />

techniques. Il s’est agi bel et bien de choix politique.<br />

Les tentatives de la MINUAR de cessez-<strong>le</strong>-feu.<br />

Le commandant de la MINUAR, Roméo Dallaire, a fait tout de même quelques tentatives d’obtenir<br />

un cessez-<strong>le</strong>-feu entre <strong>le</strong>s belligérants. Il n’a pas toutefois été capab<strong>le</strong> de mettre dans la balance la<br />

force de frappe onusienne ni cel<strong>le</strong> d’autres Puissances qui étaient toujours présents au moment où il<br />

commençait <strong>le</strong>s <strong>pour</strong>par<strong>le</strong>rs. Quels sont <strong>le</strong>s faits à notre connaissance <strong>pour</strong> illustrer ces tentatives.<br />

Le 9 avril, c’est-à-dire deux jours avant la prestation de serment du nouveau gouvernement, <strong>le</strong><br />

nouveau président intérimaire, M. Thédore Sindikubwabo, a invité <strong>le</strong> général Dallaire dans ses<br />

appartements à l’hôtel des Diplomates <strong>pour</strong> lui demander entre autres d’établir <strong>le</strong>s contacts avec <strong>le</strong><br />

FPR <strong>pour</strong> obtenir <strong>le</strong> cessez-<strong>le</strong>-feu. Le 12 avril, à savoir <strong>le</strong> jour même où <strong>le</strong>s troupes du FPR faisaient<br />

la jonction entre Mulindi et Kigali à partir de la vallée de Nyabugogo et du plateau de Kacyiru, dix<br />

officiers supérieurs du commandement des forces rwandaises ont diffusé à la radio nationa<strong>le</strong> et<br />

remis au général une <strong>le</strong>ttre qui lui demandait de servir d’intermédiaire <strong>pour</strong> faciliter des rencontres<br />

avec <strong>le</strong> FPR aux fins de suspension des hostilités et de pacification du pays. Le communiqué était<br />

libellé comme suit :<br />

Suite aux événements tragiques qui ont endeuillé <strong>le</strong> pays à partir du 06 avril 1994, fait de<br />

nombreuses victimes innocentes, et entraîné la détresse de tout <strong>le</strong> peup<strong>le</strong> rwandais, ainsi que<br />

l’assassinat ignob<strong>le</strong> de 10 militaires de la MINUAR et d’autres ressortissants étrangers, <strong>le</strong><br />

Commandement de Forces Armées Rwandaises estime qu’il est plus que temps de mettre fin à cette<br />

tragédie.<br />

A cet effet, il est hautement souhaitab<strong>le</strong> que <strong>le</strong> Commandement des Forces Armées<br />

Rwandaises et <strong>le</strong> Commandement du FPR se rencontrent immédiatement <strong>pour</strong> examiner ensemb<strong>le</strong><br />

comment pacifier <strong>le</strong> pays sans plus tarder, et contribuer à la mise en place rapide des institutions<br />

de transition à base élargie, <strong>pour</strong> éviter de continuer à verser inuti<strong>le</strong>ment <strong>le</strong> sang des innocents.<br />

117[117] Voir Des Forges, Alison, op. cit., p.713.<br />

118[118] Est-ce que <strong>le</strong>s troupes étrangères n’intervinrent pas parce que <strong>le</strong> 10 avril 1994 <strong>le</strong> FPR <strong>le</strong> <strong>le</strong>ur avait empêché ? Ou<br />

était-ce délibéré ? Il est vrai en effet qu’en date du 10 avril, <strong>le</strong> FPR avait enjoint aux troupes belges et françaises de se<br />

retirer dans <strong>le</strong>s soixante-douze heures, au quel cas, el<strong>le</strong>s seraient traitées comme des troupes hosti<strong>le</strong>s. Voir aussi, Des<br />

Forges, Alison, op. cit. p.713.


Le Commandement des Forces Armées Rwandaises reconnaît <strong>le</strong>s efforts inlassab<strong>le</strong>s de la<br />

MINUAR, parfois contrariés, <strong>pour</strong> l’application intégra<strong>le</strong> de l’Accord d’Arusha, et lui demande de<br />

servir d’intermédiaire <strong>pour</strong> <strong>le</strong>s rencontres proposées ci-haut.<br />

Afin de faciliter ce dialogue et arrêter des mouvements de panique de la population, il est<br />

souhaitab<strong>le</strong> que <strong>le</strong>s combats soient suspendus. Pour ce faire, une trêve est proposée par <strong>le</strong>s Forces<br />

Armées Rwandaises aux Forces du FPR, qui commencerait à partir du 13 avril 1994 à 12 heures.<br />

Au nom du Commandement des Forces Armées Rwandaises, <strong>le</strong>s Officiers Supérieurs qui ont<br />

participé à la Réunion:<br />

Colonel Léonidas RUSATIRA, Colonel BEM Marcel GATSINZI, Colonel BEMS Félicien<br />

MUBERUKA, Colonel BEMSG Aloys NTIWIRAGABO, Colonel André KANYAMANZA, Colonel<br />

Joseph MURASAMPONGO, Colonel Edouard HAKIZIMANA, Lieutenant-colonel BEM Ephrem<br />

RWABALINDA, Lieutenant-colonel BEMS Augustin RWAMANYWA, Lieutenant-colonel Emmanuel<br />

KANYANDEKWE.<br />

Fait à Kigali, <strong>le</strong> 12 Avril 1994.<br />

Une première rencontre fut ensuite fixée <strong>le</strong> 14 avril. Mais <strong>le</strong> FPR n’y vint pas. Le 15 avril, <strong>le</strong> FPR<br />

imposa <strong>le</strong>s conditions préalab<strong>le</strong>s au cessez-<strong>le</strong>-feu, à savoir : l’arrêt des massacres dans tout <strong>le</strong> pays,<br />

la dissolution de la garde présidentiel<strong>le</strong>. L’armée rwandaise accepta <strong>le</strong> 18 avril <strong>le</strong>s conditions d’<br />

« arrêter et faire arrêter <strong>le</strong>s massacres par l’un et par l’autre » et demanda que soit observée une<br />

trêve afin d’arrêter <strong>le</strong>s massacres et de conclure enfin un cessez-<strong>le</strong>-feu. La MINUAR, l’OUA et la<br />

Tanzanie élaborèrent <strong>le</strong>s 24 et 25 avril un projet d’accord de cessez-<strong>le</strong>-feu et son<br />

opérationnalisation. Ce fut peine perdue, car <strong>le</strong> FPR refusa d’entrer en matière 119[119] . Et toutes <strong>le</strong>s<br />

initiatives tentées ultérieurement en mai et en juin par <strong>le</strong>s Nations unies connurent <strong>le</strong> même sort.<br />

L’obtention de trêve échouée, aucune autre initiative salvatrice ne fut non plus lancée. Sans<br />

s’engager dans <strong>le</strong>s combats, on aurait <strong>pour</strong>tant pu tenter de brouil<strong>le</strong>r la radio RTLM. On aurait pu,<br />

<strong>pour</strong>quoi pas, lancer une radio concurrente de paix, cette fois-ci. On aurait pu créer des espaces,<br />

notamment dans <strong>le</strong>s préfectures comme Gitarama ou Butare qui ont connu des massacres<br />

ultérieurement, des espaces exempts de vio<strong>le</strong>nce ethnique ou militaire. On aurait pu offrir des saufconduits<br />

et un espace médiatique à des personnes civi<strong>le</strong>s et politiques opposées au génocide <strong>pour</strong><br />

que ces dernières dénoncent <strong>le</strong> meurtre d’innocents. Non, rien n’y fit. Les tutsi de l’intérieur, sans<br />

qu’aucun effort international vraiment sérieux ne soit entrepris <strong>pour</strong> <strong>le</strong>s sauver, furent abandonnés,<br />

livrés à eux-mêmes, et succombèrent, sans que <strong>le</strong>urs cris purent être entendus, dans un génocide à<br />

huis-clos.<br />

Et <strong>le</strong> FPR dont certains pouvaient penser qu’il allait intervenir ou obtempérer aux propositions de<br />

trêve et de cessez-<strong>le</strong>-feu, <strong>le</strong>s sacrifia à la victoire militaire. Comme s’il s’agissait du prix à payer<br />

<strong>pour</strong> légitimer ensuite sa prise de pouvoir. Monsieur Jacques Castonguay <strong>le</strong> rend si bien 120[120] :<br />

« Mais demander à une armée en voie de gagner une guerre de cesser <strong>le</strong> feu, alors même que ses<br />

objectifs initiaux ne sont pas encore atteints, n’est pas une mince tâche ».<br />

Ou encore Alison Des Forges 121[121] :<br />

119[119] « Le FPR continua jusqu’à la fin du mois de mai à exiger que la force de maintien de la paix se limite strictement<br />

à des tâches d’assistance humanitaire, plutôt qu’el<strong>le</strong> entreprenne des efforts plus actifs <strong>pour</strong> protéger <strong>le</strong>s tutsi ». Des<br />

Forges, Alison, op. cit., p.816.<br />

120[120] Castonguay, Jacques, Les Casques b<strong>le</strong>us au Rwanda, Paris, L’Harmattan, p.163. Pour de plus amp<strong>le</strong>s<br />

informations <strong>sur</strong> la négociations de cessez-<strong>le</strong>-feu, consulter <strong>le</strong>s pp. 162-173.<br />

121[121] Des Forges, Alison, op. cit., p.814.


« La stratégie du FPR, admirée par d’autres experts militaires, offrait peut-être la meil<strong>le</strong>ure chance<br />

de remporter une victoire militaire, mais ne représentait pas <strong>le</strong> meil<strong>le</strong>ur programme <strong>pour</strong> sauver<br />

des tutsi ».<br />

Comme quoi devant <strong>le</strong>s enjeux de pouvoir, sont insignifiantes <strong>le</strong>s solidarités ethniques.<br />

_______________________________________________________________________________<br />

CONCLUSION.<br />

Tous <strong>le</strong>s facteurs et stratégies politiques des acteurs internes et externes ont donc eu <strong>pour</strong> effet<br />

vicieux de freiner <strong>le</strong> processus politique de démocratisation des institutions publiques rwandaises.<br />

Démocratie et guerre ont été, dans ce contexte de concurrence interne et externe, intimement liés et<br />

conflictuels.<br />

Dans la perspective interne, <strong>le</strong> pouvoir de Habyarimana et la rébellion du FPR, <strong>le</strong>s deux seuls qui<br />

possédaient <strong>le</strong>s moyens de vio<strong>le</strong>nce, à savoir l’armée, ont été <strong>le</strong>s seuls à pouvoir en bénéficier. Ils se<br />

sont <strong>le</strong>s deux servis de la guerre <strong>pour</strong> contrô<strong>le</strong>r <strong>le</strong> processus politique. On ne gère pas la guerre dans<br />

un contexte de compétition libre. La guerre requiert principa<strong>le</strong>ment la discipline excessive et<br />

restreint <strong>le</strong>s libertés de manière implicite ou explicite. La guerre est avant tout un Etat d’exception,<br />

voire de radicalisation qui profite à ceux qui disposent déjà d’un pouvoir de coercition. On ne<br />

démocratise pas en tant de guerre. Il s’agit d’un axiome politique. Cela <strong>le</strong>s démocrates et<br />

l’opposition l’ont appris à <strong>le</strong>urs dépens 122[122] . Ils en ont payé <strong>le</strong>s deux prix <strong>le</strong>s plus forts : <strong>le</strong><br />

génocide et <strong>le</strong>s crimes contre l’humanité commis par <strong>le</strong>s deux acteurs armés et la fin de l’expérience<br />

démocratique dont on ne voit pas comment il renaîtra.<br />

Dans la perspective géopolitique, la démocratie a été considérée non seu<strong>le</strong>ment comme <strong>le</strong> système<br />

idéal de garant de la stabilité politique et économique, mais aussi comme une possibilité de<br />

renouvel<strong>le</strong>ment ou de confirmation de l’élite politique aux fins de sauvegarde des intérêts des<br />

acteurs internes et externes. La guerre au Rwanda n’aurait pas été possib<strong>le</strong> sans la mise en avant des<br />

intérêts subits de ces Puissances. Le génocide rwandais qui a emporté certainement plus de deux<br />

millions et demi de vies humaines n’aurait pas pu se passer sous <strong>le</strong>s yeux fermés et la voix aphone,<br />

peut-être permissive, de la communauté internationa<strong>le</strong> s’il n’y avait pas des avantages supérieurs de<br />

real politik à conquérir. Peut-être ces Puissances ont-el<strong>le</strong>s atteint <strong>le</strong>urs buts. Mais à quel prix<br />

humain, <strong>pour</strong> <strong>le</strong> Rwanda, <strong>le</strong> Congo et <strong>le</strong> Burundi ?<br />

La notion de complice, la bipolarisation ethnique, <strong>le</strong> climat de terreur et la stratégie du chaos que <strong>le</strong>s<br />

courants radicaux des deux pô<strong>le</strong>s politiques, à savoir <strong>le</strong> pô<strong>le</strong> présidentiel et <strong>le</strong> FPR ont réussi à<br />

imposer, montrent à quel point <strong>le</strong> respect de l’intégrité personnel<strong>le</strong> et <strong>le</strong>s va<strong>le</strong>urs démocratiques ont<br />

été de manière drastique réduites, sinon annihilées. Le génocide et <strong>le</strong>s autres graves violations du<br />

droit humanitaire ont été facilités par l’instauration progressive de cet environnement favorab<strong>le</strong> à<br />

<strong>le</strong>ur éclosion.<br />

Dans un tel climat, l’attentat contre l’avion présidentiel et la reprise de la guerre par <strong>le</strong>s belligérants<br />

restent <strong>le</strong>s actes majeurs qui ont rendu possib<strong>le</strong> la commission de crimes tant odieux que massifs.<br />

Les auteurs de tels actes ne pouvaient pas ne pas savoir <strong>le</strong>s conséquences tragiques qui allaient<br />

<strong>sur</strong>venir, ils doivent répondre de <strong>le</strong>urs crimes devant la justice internationa<strong>le</strong>. Le génocide aurait pu<br />

être évité si la communauté internationa<strong>le</strong> avait déployé <strong>le</strong>s moyens dont el<strong>le</strong> disposait <strong>sur</strong> place et<br />

122[122] J’ai moi-même essayé d’attirer l’attention à l’opposition <strong>sur</strong> <strong>le</strong>s conséquences graves qui pouvaient <strong>sur</strong>venir de sa<br />

participation au gouvernement en tant de guerre, de la persuader à mettre à profit cette période <strong>pour</strong> la construction de<br />

projets de société de sortie de guerre. J'ai aussi cherché à la convaincre de laisser <strong>le</strong> pouvoir en place et la rébellion<br />

gérer une guerre dont ils connaissaient seuls <strong>le</strong>s dimensions ainsi que <strong>le</strong>s tenants et <strong>le</strong>s aboutissants. Ce fut en vain.


si el<strong>le</strong> avait crée l’espace physique et médiatique <strong>pour</strong> <strong>le</strong>s personnalités et <strong>le</strong>s organisations civi<strong>le</strong>s<br />

et politiques favorab<strong>le</strong>s à la paix et opposées aux massacres. La non intervention internationa<strong>le</strong> a<br />

laissé <strong>le</strong> libre champ aux tueurs, <strong>le</strong>squels ne toléraient aucune résistance ouverte.<br />

Trop de sang ont coulé et beaucoup de parents de victimes crient toujours justice. Le Rwanda est en<br />

train dans une dictature des plus opaques qui refuse toute imputabilité et nie aux citoyens <strong>le</strong>s<br />

libertés fondamenta<strong>le</strong>s. L’auguste <strong>Tribunal</strong> que vous constituez sera-t-il capab<strong>le</strong> de ressusciter cet<br />

espoir de justice et de démocratie profondément enfoui par l’exclusion et la vio<strong>le</strong>nce ? J’ai la<br />

certitude qu’el<strong>le</strong> <strong>le</strong> <strong>pour</strong>ra si el<strong>le</strong> juge, sans épargner aucun bloc politique et/ou militaire, <strong>le</strong>s vrais<br />

cerveaux et <strong>le</strong>s principaux auteurs de violation grave du droit humanitaire et si el<strong>le</strong> instaure <strong>le</strong>s<br />

fondements d’une réconciliation nationa<strong>le</strong> basée <strong>sur</strong> la justice, la démocratie et la non<br />

discrimination des victimes. C’est <strong>le</strong> minimum que nous puissions lui exiger. C’est sa mission<br />

principa<strong>le</strong>. Il n’existe pas à ce que je sache dans <strong>le</strong> droit international de pratique similaire à la<br />

« real politik » qui serait la « real justice » à laquel<strong>le</strong> <strong>le</strong> tribunal se conformerait et s’interdirait de<br />

rendre justice.<br />

La seu<strong>le</strong> pratique judiciaire que je connaisse est, quel que soit l’auteur et quel<strong>le</strong> que soit sa<br />

puissance, cel<strong>le</strong> de dire <strong>le</strong> droit par l’application de la rigueur de la loi et <strong>le</strong> respect scrupu<strong>le</strong>ux de la<br />

procédure <strong>pour</strong> condamner <strong>le</strong> coupab<strong>le</strong>, acquitter l’innocent et réhabiliter la victime. En agissant<br />

ainsi, <strong>le</strong> <strong>Tribunal</strong> aura certainement contribué à restaurer dans l’autorité l’état de droit et, partant, <strong>le</strong><br />

courant démocratique aujourd’hui dans l’impossibilité d’éclore et de s’exprimer tant que subsiste<br />

l’impunité.<br />

LISTE DES ABREVIATIONS<br />

ADL Association rwandaise <strong>pour</strong> la défense des droits de la personne et des<br />

libertés publiques<br />

AFP Agence France Presse<br />

ANT Assemblée nationa<strong>le</strong> de transition<br />

CCOAIB Conseil de concertation des organisations d’appui à la base<br />

CEPGL Communauté économique des pays des Grands Lacs<br />

CDR Coalition <strong>pour</strong> la défense de la République<br />

CIA Central Intelligence Agency (Etats-Unis d’Amérique)<br />

CLADHO Comité de liaison des associations de défense des droits de l’homme<br />

CND Conseil national de développement<br />

FAR Forces armées rwandaises<br />

FAO Organisation des Nations Unies <strong>pour</strong> l’alimentation et l’agriculture<br />

FDC Forces démocratiques de changement<br />

FMI Fond monétaire international<br />

FRODEBU Front démocratique burundais<br />

FPR Front patriotique rwandais<br />

GP Garde présidentiel<strong>le</strong><br />

GTBE Gouvernement de transition à base élargie<br />

MDR Mouvement démocratique républicain<br />

MINAGRI Ministère de l’Agriculture, de l’E<strong>le</strong>vage et des Forêts<br />

MINADEF Ministère de la Défense<br />

MINUAR Mission des Nations Unies <strong>pour</strong> l’assistance au Rwanda


MRND Mouvement révolutionnaire national <strong>pour</strong> <strong>le</strong> développement (1975-91);<br />

Mouvement républicain national <strong>pour</strong> <strong>le</strong> développement et la<br />

démocratie (depuis 1991)<br />

NRA National resistance army (Ouganda)<br />

ONG Organisation non-gouvernementa<strong>le</strong><br />

OTAN Organisation du traité de l’Atlantique Nord<br />

ONU Organisation des Nations Unies<br />

OUA Organisation de l’Unité africaine<br />

PARMEHUTU Parti du mouvement de l’émancipation hutu<br />

PDC Parti démocrate chrétien<br />

PECO Parti écologique<br />

PL Parti libéral<br />

PNUD Programme des Nations Unies <strong>pour</strong> <strong>le</strong> développement<br />

PSD Parti social démocrate<br />

RPF Rwandese patriotic front<br />

RTLM Radiotélévision libre des Mil<strong>le</strong> Collines<br />

TPIR <strong>Tribunal</strong> pénal international <strong>pour</strong> <strong>le</strong> Rwanda<br />

USAID United States Agency for <strong>International</strong> Development<br />

PRINCIPAUX DOCUMENTS CONSULTES.<br />

Accord de cessez-<strong>le</strong>-feu de Nselé (ex-Zaïre) du 29 mars 1991 et du 16 septembre du 16 septembre<br />

1991 de Gbadolité (ex-Zaïre).<br />

Accord de Paix d’Arusha du 4 août 1993 entre <strong>le</strong> Gouvernement rwandais et <strong>le</strong> Front patriotique<br />

rwandais.<br />

Agence de presse AFP du 4 avril 1994.<br />

Association des droits de l’homme et des libertés publiques « ADL », <strong>Rapport</strong> <strong>sur</strong> <strong>le</strong>s droits de<br />

l’homme au Rwanda, Kigali, septembre 1991 – septembre 1992.<br />

Avant-projet de Manifeste Programme et Statuts du MDR, Kigali, février 1992.<br />

BAUER, Yehuda, Repenser l’holocauste, Paris, Autrement, 2002.<br />

CASTONGUAY, Jacques, Les Casques b<strong>le</strong>us au Rwanda, Paris, L’Harmattan.<br />

Col<strong>le</strong>ctif de la société civi<strong>le</strong> représenté par <strong>le</strong>s organisations de femmes « Pro Femmes Twese<br />

Hamwe », <strong>le</strong>s Organisations de droits de l’homme « CLADHO » et <strong>le</strong>s ONG de développement<br />

« CCOAIB », Déclaration publique du 8 janvier 1994 relatif au retard de la mise <strong>sur</strong> pied des<br />

institutions de transition définies dans l’Accord de paix d’Arusha.<br />

Communiqué du haut commandement des Forces armées rwandaises du 12 avril 1994, Kigali.<br />

Constitution de la République rwandaise du 10 juin 1991.<br />

Déclaration des organisations rwandaises et internationa<strong>le</strong>s œuvrant <strong>pour</strong> <strong>le</strong> développement au<br />

Rwanda du 11 mars 1992.<br />

DES FORGES, Alison, Aucun témoin ne doit <strong>sur</strong>vivre, Paris, Karthala.<br />

GASANA, James, Rwanda : du Parti-Etat à l’Etat Garnison, L’Harmattan, Paris, 2002<br />

GASANA, James, World Watch Review, « Remember Rwanda ? », volume 15, Number 5,<br />

September/October 2002, Washington DC.<br />

GUICHAOUA, André, Les crises politiques au Burundi et au Rwanda, Paris, Karthala, 1995<br />

Journal Kanguka n°73, février 1993 : « A quand l’arrivée du FPR <strong>pour</strong> que <strong>le</strong>s hutu prennent aussi<br />

l’exil de trente ans » ?<br />

Journal The Peop<strong>le</strong> du 4-8 mars 1994, Kampala.<br />

Journal Uganda Confidential du 28 février au 7 mars 1994, Kampala.<br />

KAJEGUHAKWA, Va<strong>le</strong>ns, De la terre de paix à la terre de sang et après ?, Paris, Rémi Perrin,<br />

2001, 359 p.


La Libre Belgique : « Rwanda : la république a trente ans. Une révolution inachevée ? Une<br />

atmosphère de fin de règne », 31 octobre 1989.<br />

Le Soir du 6 décembre 1993.<br />

LEMARCHAND, René, Les génocides se suivent et ne se ressemb<strong>le</strong>nt pas : l’holocauste et <strong>le</strong><br />

Rwanda, Document m’envoyé par l’auteur.<br />

Les productions agrico<strong>le</strong>s, <strong>Rapport</strong>s de la Commission nationa<strong>le</strong> d’agriculture, République<br />

rwandaise, 1991.<br />

Lettres du Premier ministre adressées au Président de la République <strong>le</strong>s 22 octobre 1992 et 27 mars<br />

1993.<br />

Loi n° 28/91 du 18 juin 1991 <strong>sur</strong> <strong>le</strong>s partis politiques<br />

Manifeste et Programme du PSD, mai, 1991.<br />

NIWESE, Maurice, Le peup<strong>le</strong> rwandais un pied dans la tombe, Récit d’un réfugié étudiant, Paris,<br />

L’Harmattan.<br />

NSENGIMANA, Nkiko « La libération de M. Jean Bosco Barayagwiza », Revue Dialogue,<br />

Bruxel<strong>le</strong>s, décembre 1999.<br />

NSENGIMANA, Nkiko et GASANA, James, « Contributions au combat contre <strong>le</strong> négationnisme<br />

du génocide et la délation politique », Réseau documentaire international <strong>sur</strong> la région des Grands<br />

Lacs, IUED, Genève, juin 1999.<br />

NSENGIMANA, Nkiko et GASANA, James, « Pour une démocratie de concordance et<br />

citoyenne ». Propositions provisoires <strong>pour</strong> la constitution d’une plate-forme alternative à la dérive<br />

du régime de Kigali, Réseau documentaire international <strong>sur</strong> la région des Grands Lacs, IUED,<br />

Genève, juil<strong>le</strong>t 1998.<br />

NSENGIMANA, Nkiko « La guerre du Rwanda : <strong>le</strong>s déterminants internes et externes », Revue<br />

Dialogue, Bruxel<strong>le</strong>s, décembre 1997.<br />

NSENGIMANA, Nkiko et GASANA, James, « Breaking Hutu-Tutsi enmity in Rwanda through<br />

reconciliation », Réseau documentaire international <strong>sur</strong> la région des Grands Lacs, IUED, Genève,<br />

octobre 1997.<br />

NSENGIMANA, Nkiko, et GASANA, James, NOUER 1997. D’un génocide, l’autre. Plaidoyer<br />

<strong>pour</strong> une justice juste et <strong>pour</strong> <strong>le</strong> rétablissement dans <strong>le</strong> droit d’un courant démocratique au Rwanda,<br />

NSENGIMANA, Nkiko et GASANA, James, « D'un génocide l’autre. Plaidoyer <strong>pour</strong> une justice<br />

juste et <strong>pour</strong> <strong>le</strong> rétablissement dans l'autorité d'un courant démocratique au Rwanda », Réseau<br />

documentaire international <strong>sur</strong> la région des Grands Lacs, IUED, Genève, Mai 1997.<br />

NSENGIMANA, Nkiko, « Se souvenir sans tronquer sans tricher », Revue Dialogue, Bruxel<strong>le</strong>s,<br />

avril-mai 1996.<br />

NSENGIMANA, Nkiko et GASANA, James « Les voies pacifiques de la résolution de la crise<br />

politique rwandaise », Propositions <strong>pour</strong> la relance du processus de réconciliation nationa<strong>le</strong>, Réseau<br />

documentaire international <strong>sur</strong> la région des Grands Lacs, IUED, Genève, mai 1996.<br />

NSENGIMANA, Nkiko et GASANA, James, « Bâtir une nouvel<strong>le</strong> espérance <strong>pour</strong> <strong>le</strong> Rwanda.<br />

Eléments de propositions <strong>pour</strong> un contrat social ». Africa Diasporama N° spécial 5&6, Lausanne,<br />

juin 1995.<br />

Programme politique du FPR, Muvumba, mai 1992. Manifeste et Statuts du MRND, Journal officiel<br />

du 15 août 1991.<br />

Protoco<strong>le</strong> d’accord du 30 octobre 1992 <strong>sur</strong> <strong>le</strong> Partage du pouvoir entre <strong>le</strong> Gouvernement rwandais et<br />

<strong>le</strong> Front patriotique rwandais..<br />

Protoco<strong>le</strong> d’accord entre <strong>le</strong> Gouvernement de la République rwandaise et <strong>le</strong> Front patriotique<br />

rwandais <strong>sur</strong> <strong>le</strong> partage du pouvoir dans <strong>le</strong> cadre d’un gouvernement de transition à base élargie du<br />

30 octobre 1992<br />

Protoco<strong>le</strong> d’entente entre <strong>le</strong>s partis politiques appelés à participer au gouvernement de transition ».<br />

Il est daté du 7 avril 1992.<br />

PRUNIER, Gérard, Rwanda : <strong>le</strong> génocide, Dagorno<br />

<strong>Rapport</strong> de la Commission politico-administrative <strong>sur</strong> <strong>le</strong>s troub<strong>le</strong>s dans <strong>le</strong>s préfectures de Gisenyi,<br />

Ruhengeri et Kibuye suite à la décision du Conseil des ministres du 3 février 1993


Société civi<strong>le</strong>, c/o Centre Iwacu, Déclaration de la société civi<strong>le</strong> au Rwanda dans sa réunion du 31<br />

mars 1994.<br />

VAITER, Marc, Je n’ai pas pu <strong>le</strong>s sauver tous, Paris, Plon, 1995.<br />

VANSINA, Jan, Le Rwanda ancien, Paris, Karthala, 2001.

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!