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Dans la Cave<br />
de Christophe Rossetti<br />
Nous déconseillons aux plus jeunes d’entre vous de lire cette nouvelle en raison de<br />
l’intensité et de la virulence de certaines scènes.<br />
« J’ai peur du noir, maman<br />
— Ne t’inquiète pas, il ne te fera rien, lui… »<br />
L e<br />
couple Goubredon était, de l’avis de tous, très<br />
bien assorti. René, trente-huit ans, chômeur de longue durée, passait ses journées<br />
<strong>à</strong> errer en ville, pour soi-disant, trouver du travail. Un travail de serveur, probablement, vu<br />
qu’il visitait essentiellement des cafés. Sa dégaine était bien connue de ses collègues piliers. Il s’habillait<br />
habituellement d’un pantalon de velours brun, d’un maillot de corps vert, tendu autour de son embonpoint<br />
comme la peau d’un copieux boudin, et d’une veste de flanelle, <strong>à</strong> carreaux rouges et ocres. Il ne la<br />
fermait jamais, afin d’exhiber son ombilic saillant, semblable <strong>à</strong> une cerise sur le gâteau. Les remarques<br />
déplacées sur cette excroissance ne manquaient pas. Elles remplaçaient d’ailleurs l’habituel bonjour. René<br />
adorait ses compagnons de beuverie. Leur bienfait principal était de l’éloigner de sa femme, au moins<br />
jusqu’au soir… une femme qu’il ne voyait quasiment jamais, du temps où il travaillait, prenant son train<br />
<strong>à</strong> six heures, le matin comme le soir, et qu’il avait redécouvert <strong>à</strong> la suite de son licenciement. « Dire que<br />
certains attendent la retraite ! se disait-il. Ils ne se doutent pas une seconde de ce que va devenir leur vie<br />
de couple ! » Clotilde s’usait la rétine, <strong>à</strong> longueur de journée, devant son poste de télé, zappant de chaîne<br />
en chaîne, pour y puiser sa ration quotidienne de séries. Elle ne sortait jamais, aussi, pour tout vêtement,<br />
elle ne portait qu’une ample robe de chambre blanche <strong>à</strong> motifs floraux – des roses, car elle adore les roses.<br />
A quoi bon soigner son look si personne n’est l<strong>à</strong> pour le voir ? Quand elle se levait pour se préparer un<br />
thé, breuvage qu’elle noyait dans la liqueur de poire afin de lui donner plus de goût (selon ses dires), elle<br />
patinait dans ses chaussons molletonnés représentant des gueules de lion.<br />
Leur entourage ne se trompait pas sur ce point : les époux Goubredon étaient parfaitement complémentaires.<br />
Tous deux cultivaient un goût prononcé pour l’oisiveté, l’alcool et la haine. La haine de<br />
tout ce qui était étranger <strong>à</strong> leur petit monde, des gens, bien sûr, mais aussi de la politique, des lois, de la<br />
religion, de la morale… Un sentiment si indispensable <strong>à</strong> leur bien-être qu’ils l’éprouvaient, fort logiquement,<br />
l’un envers l’autre.<br />
« C’est quoi, cette connerie ? demanda Réné, un soir.<br />
— Qu’est-ce que ça peut te foutre ? Vas cuver dans la cuisine, tu empestes le salon !<br />
— Je vois pas ce que je pourrais empester, ça pue déj<strong>à</strong> la merde, ici ! Tu t’es fait dessus, ou quoi ?<br />
— Si c’est moi qui pue, c’est de ta faute, gros lard ! T’as qu’<strong>à</strong> réparer le robinet de la baignoire !<br />
— Celui du lavabo fonctionne très bien. Si tu veux prendre un bain, tu verses l’eau dans un seau,<br />
et tu transvases…<br />
— J’ai mal aux bras, tête de con ! Je te l’ai déj<strong>à</strong> dit !<br />
— Et moi, j’ai mal aux oreilles ! Bon Dieu ! Cette odeur me fait gerber ! »<br />
13<br />
L’Obscurité