25.06.2013 Views

L'auteur - Vers à Lyre

L'auteur - Vers à Lyre

L'auteur - Vers à Lyre

SHOW MORE
SHOW LESS

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

étaient trop larges pour les marches et elle ne pouvait pas y aller pieds nus, puisqu’elle ne supportait pas<br />

la surface glacée et poreuse du béton… Dur dilemme, entre fierté et fainéantise. Le second concurrent<br />

remporta le concours. René se baissa pour ramasser le carton et entendit clairement, cette fois, un souffle<br />

venant de sa gauche.<br />

Il suspendit son geste et se redressa. Le bruit venait du coin le plus sombre de la pièce.<br />

« C’est toi, morveux ? »<br />

L’obscurité ne protégeait pas des coups ; il aurait pu lancer son pied, au hasard, pour vérifier, mais<br />

quelque chose lui disait qu’il ne s’agissait pas de lui. Jamais il ne serait venu ici sans autorisation. Pourtant,<br />

il y avait bien quelqu’un. D’ailleurs l’individu ne cherchait plus <strong>à</strong> masquer sa respiration. Il soufflait<br />

<strong>à</strong> présent, d’une manière gutturale, dégoûtante, comme si ses fosses nasales étaient encombrées. D’une<br />

démarche hésitante, René recula jusqu’<strong>à</strong> l’interrupteur.<br />

Un sentiment de danger s’empara de lui alors qu’il s’éloignait. Cette haleine ne lui inspirait pas<br />

confiance. Elle ne semblait pas humaine. Son doigt tremblait au moment où il appuya sur le bouton. La<br />

lumière jaillit dans une vive explosion jaunâtre. Une masse de chair noire et visqueuse apparut, précisément<br />

<strong>à</strong> l’endroit où il l’avait soupçonnée. L’ampoule éclairait directement ce coin de la pièce, dévoilant<br />

dans toute son horreur l’anatomie contre-nature du monstre. Son corps longiligne, semblable <strong>à</strong> un tronc<br />

d’arbre, palpitait au rythme de son diaphragme et de petits tentacules, situés sur ses flancs, s’agitaient<br />

frénétiquement. Par chance, elle n’avançait pas et rien ne démontrait qu’elle fût munie de jambes pour<br />

se mouvoir.<br />

René s’était agrippé <strong>à</strong> la bouteille de vin, réaction due <strong>à</strong> la terreur, qui avait soudainement tendu<br />

ses muscles <strong>à</strong> l’extrême. Dès qu’il revint <strong>à</strong> lui, il se précipita dans l’escalier. La panique modifia son appréciation<br />

des distances. Son pied buta contre le rebord de la première marche, il perdit l’équilibre et son<br />

genou droit s’écrasa durement sur celui de la seconde marche. La douleur lui fit lâcher sa bouteille qui<br />

se brisa devant lui. René s’affaissa dans les débris de verre et le vin poisseux. Il se roula de côté, autant<br />

pour remettre d’aplomb sa jambe endolorie que pour observer la réaction de la créature. Il constata avec<br />

effroi que celle-ci avait bougé. De plus, elle paraissait plus grande, plus élancée. Il redoubla d’efforts pour<br />

se redresser, mais sa rotule lui renvoyait une douleur insupportable. La créature avançait en ondulant,<br />

très lentement. Elle semblait gênée par quelque chose et sa chair frémissait, comme sous l’effet d’une<br />

extrême tension interne. Soudain, un bruissement huileux déchira le silence et une sorte d’appendice se<br />

décolla de son abdomen. Le nouvel organe s’étira un peu, et s’appuya <strong>à</strong> quelques centimètres de la base<br />

ondulante. Par glissement, il fit avancer cette base de quelques centimètres et prit appui plus loin afin de<br />

recommencer l’opération, mimant ainsi la reptation d’une chenille. Bien qu’hésitants, ses mouvements<br />

lui permettaient d’avancer.<br />

René se tourna dos <strong>à</strong> l’escalier, pour ne plus quitter la menace des yeux, et monta <strong>à</strong> l’aide de ses<br />

bras. La viscosité du vin rendait ses appuis incertains. La peur l’empêchait de se concentrer, de réfléchir.<br />

Ses bras répondaient <strong>à</strong> présent <strong>à</strong> l’appel d’un message redondant et critique, celui d’assurer une fuite<br />

immédiate. Mais ses gestes étaient très maladroits. Chaque ascension s’accomplissait au prix d’une trop<br />

grande énergie. Son cœur hurlait sa détresse, cognant furieusement jusqu’<strong>à</strong> fendre ses côtes ; il manquait<br />

de souffle et une douleur cuisante, presque paralysante, durcissait ses biceps. La créature arriva au pied de<br />

l’escalier alors qu’il en avait gravi la moitié. René n’en pouvait plus. Son seul espoir était que la créature<br />

ne puisse le suivre sur ce terrain pentu. Il s’arma du goulot de la bouteille, sans conviction.<br />

Brusquement, le monstre déploya entièrement son nouvel appendice. La masse de chair se souleva,<br />

exhibant un corps ponctué de dizaines de petits tentacules frétillants. Elle s’allongea jusqu’au plafond,<br />

plongeant René dans son ombre. La créature était <strong>à</strong> présent épanouie. Elle se tenait débout, immobile,<br />

majestueuse et terrible. L’observait-elle ? Si oui, avec quoi ? Sa silhouette vermiculaire n’avait aucun crâne,<br />

et donc, pas d’yeux. D’ailleurs, cette absence de gueule était peut-être bon signe. Depuis qu’il l’avait vue,<br />

15<br />

L’Obscurité

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!