26 <strong>Vers</strong> <strong>à</strong> <strong>Lyre</strong> origine D'une passion de Marjorie Wathier Toinon Dans un temple antique, cocon de colonnes tutélaires aux couronnes d’étoiles, une femme, drapée de soieries du bleu de la nuit, dort. Sa respiration est lente, son visage impassible. Dehors, le jour danse les derniers pas d’un ballet éphémère. Il sait que bientôt il devra laisser sa place <strong>à</strong> la nuit ici-bas. Son char, tiré par quatre chevaux, s’élance au loin, plongeant pardel<strong>à</strong> ce qui se voit. La femme, parée de la non-couleur de ses cheveux anthracite, se réveille. Elle ouvre ses yeux d’encre et observe la nuit naître dans le ciel. Elle se lève et d’une démarche souple, telle une ombre vagabonde, s’éloigne, pour parcourir le monde. Elle vient de l’Est et son voyage ne fait que commencer. Ce soir, elle ne sera pas accompagnée d’un seigneur d’hiver, la nuit sera donc douce, légère. Elle ne sera pas non plus secondée par la belle Séléné, <strong>à</strong> la lueur blafarde. La nuit sera donc impénétrable, imperturbable, terre sauvage où nul horizon ne s’aperçoit… Elle est seule, désespérément seule, car la nuit, personne ne vit. Tout s’oublie, le monde fuit… Aussi son voyage est souvent, si ce n’est trop souvent, solitaire. Habituée, peut-être même désabusée, elle observe et examine, se promène et s’enivre. Toutes les nuits, elle prend plaisir <strong>à</strong> offrir le silence, le mystère et l’oubli. Tout ce qu’elle touche se teinte de l’encre de ses yeux d’onyx noirs. Tout ce qu’elle effleure se pare de discrétion et d’ombres, comme pour se dissimuler et jouer des sens, déjouer l’ordinaire, et rejouer ce secret que la nuit est promesse. S’il lui prend l’envie de rire, les ténèbres dansent en une mosaïque floue, presque sauvage. Dans ces rires naissent alors l’illusion, la folie. Si elle est d’humeur triste et mélancolique, ses larmes tracent sur le sol des ombres maléfiques, tragiques, des spectres de regret et de désespoir, comme un miroir des multiples reflets de son âme. La nuit est ainsi, imprévisible, mais si sensible, si fragile… Elle continue son chemin, sans prêter attention aux êtres qui dorment, n’écoutant que ses soupirs et ses désirs, seule, éternellement seule. Pourtant, ce soir, un homme n’est pas endormi. Une personne, au cœur même de cette nuit, est restée en vie. Un jeune homme se tient debout, appuyé contre le mur d’une maison quelconque, l’œil attentif, le sourire aux lèvres. Il sait que Nyx passera par l<strong>à</strong>, il sait qu’elle le rencontrera. Il attend ce moment où enfin la nuit sera l<strong>à</strong>. Il patiente et regarde toujours vers l’Est, toujours vers elle. Enfin, il la voit arriver, habillée de soie bleu nuit, parée de bijoux tissés d’éphémère éternité. Il l’admire, car il aime la nuit. Depuis toujours, il l’apprécie et aujourd’hui, après d’infinies recherches, il perturbe sa course en se tenant sur son chemin. Enfin... Nyx remarque alors que, pour une fois, la solitude elle-même l’a abandonnée pour être remplacée par la curiosité. Une ombre <strong>à</strong> la saveur sucrée, comme une gourmandise enrobée d’un secret... Elle s’approche, la nuit s’accroche.
© 2008, Lazylad