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L'auteur - Vers à Lyre

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Mais c’était fait. Plus moyen de revenir en arrière. Elle s’était imposée, elle voulait être l<strong>à</strong> pour voir<br />

de ses yeux la fin de son calvaire. Il fallait aller au bout désormais, s’éloigner le plus possible de la côte.<br />

Pas une trace ne devait rester.<br />

Une corne de brume hurlait au loin. Venait-elle du port ? Daphné était désorientée. Ils s’étaient<br />

écartés de la digue nord et fendaient une mer d’huile vers le large. La silhouette de Richard, aux commandes<br />

du doris, s’effaçait dans l’épais brouillard. Son souffle, en revanche, sifflant et grelottant, transperçait<br />

le silence de l’aube. Cette purée de pois les arrangeait. La ville, pourtant si près, semblait si loin, comme<br />

évaporée, diluée dans les vapeurs matinales. Ils ne pouvaient espérer mieux pour passer inaperçus. Pas<br />

d’horizon, seuls au monde, aucun risque de se faire surprendre… Un bateau <strong>à</strong> moteur eut été plus pratique<br />

mais bien moins discret que cette vieille barque de pêcheur. L’effort en valait la peine. Le plan de<br />

Richard, qu’elle découvrait au fur et <strong>à</strong> mesure de son déroulement, semblait parfait. Bientôt, des mois<br />

d’angoisse lourdement lestés allaient couler. Encore un peu de patience…<br />

avait dit ce vieux dégueulasse<br />

avec un sourire effarant.<br />

Ce murmure agressant son oreille, cette haleine sèche et âcre glissant sur sa nuque, ces yeux furetant<br />

sa poitrine, caressant ses courbes… Tant de mots chuchotés, au bureau, de rencontres sans hasard dans la<br />

rue, les magasins, de regards insultant sa pudeur, <strong>à</strong> la plage l’été, <strong>à</strong> la piscine ou au club de gym l’hiver…<br />

Plus de répit, plus d’intimité, il était partout. Jusque dans son lit, lorsqu’elle hallucinait en se réveillant<br />

de ses cauchemars les plus atroces. Richard la prenait dans ses bras, lui parlait… Dans les brumes du<br />

sommeil, l’espace de quelques secondes, elle voyait Blindau l’enlacer.<br />

Souvenirs insupportables ! Daphné ne put retenir son pied qui, dans un élan de violence rancunière,<br />

rebondit sur la tête du mort. Il fallait en finir ! Personne d’autre ne savait. Depuis le début, ce pervers<br />

inébranlable s’était attelé <strong>à</strong> l’isoler. Au détour de quelques vannes bien placées, il soulignait chacun de ses<br />

faits et gestes et la présentait, insidieusement, comme une possible hystérique. Du haut de son Master de<br />

Psycho, Richard avait analysé la situation. Selon lui, toute tentative de dénonciation lui serait revenue en<br />

boomerang. Elle aurait morflé et Blindau se serait érigé en victime.<br />

Durant tout ce temps, il avait assisté, impuissant, <strong>à</strong> la dégringolade de sa douce fiancée. Une cible<br />

choisie, <strong>à</strong> ses yeux, pour son charme, c’était indéniable, mais aussi pour son tempérament réservé, un peu<br />

timide, éminemment fragile et enclin <strong>à</strong> une certaine docilité. Le portrait qu’il avait dressé d’elle, ce jourl<strong>à</strong>,<br />

l’avait profondément contrariée. Daphné s’était sentie accusée d’avoir attiré l’attention de Blindau.<br />

Richard ne doutait pas de sa fidélité. Mais il semblait la suspecter d’une passivité complice. La jalousie<br />

s’invitait en lui, <strong>à</strong> ses dépens, même s’il se gardait de l’avouer. Ce sentiment intolérable d’être abusée<br />

perdait donc tout écho, jusque dans la confiance inestimable de Richard. C’était trop ! Submergée par<br />

la colère, déterminée <strong>à</strong> s’affirmer, <strong>à</strong> prouver qu’elle était tout sauf un «petit être fragile et docile» satisfait<br />

de plaire au premier venu, elle ne souffrirait plus l’emprise de Blindau. Depuis, des idées d’une violence<br />

qu’elle ne se connaissait pas agitaient ses pensées.<br />

« Je vais le tuer ce salaud ! »<br />

Au tout début, Richard l’engueulait lorsqu’elle s’égarait en menaces ou en invectives. Une gifle<br />

exaspérée ? Elle ne devait même pas y penser ! Il fallait tout ravaler, en attendant de trouver une solution<br />

convenable. Selon Richard, le pervers calculateur se nourrit de l’impulsivité de ses victimes. Réagir sans<br />

réfléchir l’aurait renforcé, soi-disant… «Prendre des précautions et s’ouvrir de sages perspectives», tel était<br />

son credo. Richard était lourd, parfois. Et la réalité bien éloignée de ses théories scabreuses. La réflexion,<br />

la sagesse et les perspectives s’éreintaient chaque jour davantage. Acculé, comme elle, par le jeu définitivement<br />

cloisonné de Blindau, Richard mit de moins en moins d’énergie <strong>à</strong> la raisonner. Finalement, les<br />

nerfs <strong>à</strong> vif, c’est lui qui, le premier, envisagea sérieusement de passer <strong>à</strong> l’acte.<br />

« Tu m’aimeras ou nous mourrons ! »<br />

7<br />

L’Obscurité

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